CA Toulouse, 2e ch., 21 octobre 2025, n° 25/00246
TOULOUSE
Autre
Autre
21/10/2025
ARRÊT N° 25/372
N° RG 25/00246 - N° Portalis DBVI-V-B7J-QYZP
IMM/IA
Décision déférée du 09 Janvier 2025
Tribunal de Commerce de TOULOUSE 2024000009
M.DE CHEFDEBIEN
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le 21/10/2025
à
Me Gilles SOREL
Me Cécile [Localité 7]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTES
S.A.S. IFB FRANCE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Mathieu SPINAZZE de la SELARL DECKER, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
S.A.S. THESEIS
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Mathieu SPINAZZE de la SELARL DECKER, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
INTIMÉS
Monsieur [U] [Y]
en sa qualité de président de la SAS [Y] Patrimoine et d'entrepreneur individuel
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représenté par Me Cécile CHAPEAU, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.S.U. [Y] PATRIMOINE
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Cécile CHAPEAU, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère et V. SALMERON, présidente, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
M. NORGUET, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats A. CAVAN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente et par A. CAVAN, greffière
Exposé des faits et de la procédure
La société Theseis et sa filiale la société IFB France sont spécialisées dans l'activité d'agence commerciale pour tous produits et services ayant fait l'objet d'un mandat de vente, de conseil en immobilier, de réalisation de toutes études immobilières, le courtage en assurance, de courtage en opérations de banque et services de paiement, de conseil en gestion de patrimoine, et de transaction sur immeubles et fonds de commerce.
[U] [Y] a travaillé pour ces deux sociétés de 2016 à 2023, en exécution de plusieurs contrats en qualité d'agent commercial et de mandataire intermédiaire.
Courant 2022, [U] [Y] a créé la société [Y] Patrimoine.
Par contrat du 19 janvier 2022, la société IFB a confié à la société [Y] Patrimoine diverses prestations de service.
Madame [V] [Y], épouse de M.[Y] qui était employée par la société Théséis, a bénéficié d'une rupture conventionnelle à effet au 15 juillet 2023.
Le 19 janvier 2022, la société [Y] Patrimoine et la société IFB France ont conclu un contrat de prestation de services pour l'animation du réseau de mandataires.
Par courrier du 1er août 2023, Monsieur [U] [Y] a informé la société IFB France de la résiliation de l'ensemble de ses contrats le liant aux sociétés IFB France et Theseis.
Le 8 septembre 2023, la société [Y] Patrimoine et la société Theseis ont conclu une convention de distributions de produits financiers et une convention de mandataire indépendant.
Soupçonnant l'existence d'un détournement de clientèle et de débauchage caractéristique d'une situation de concurrence déloyale imputée à M.[Y] et à la société [Y] Patrimoine, les sociétés Theseis et IFB France ont, par requête du 21 mars 2024, saisi le président du tribunal de commerce d'une demande aux fins de désignation d'un commissaire de justice chargé de se rendre dans les locaux de la société [Y] Patrimoine, [Adresse 5], pour procéder à des saisies.
Par ordonnance sur requête du 26 mars 2024, le président du tribunal de commerce de Toulouse a fait droit à cette requête.
Les opérations de saisies se sont déroulées le 10 avril 2024.
Par requête déposée le 11 avril 2024, la société [Y] Patrimoine a saisi le président du tribunal de commerce de Toulouse aux fins de placement sous séquestre provisoire des documents saisies.
Par ordonnance sur requête du 12 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Toulouse a ordonné le placement sous séquestre provisoire de l'intégralité des pièces et documents saisis.
Par acte extrajudiciaire du 24 avril 2024, la SAS Theseis et la SAS IFB France ont assigné devant le président du tribunal de commerce de Toulouse, la SAS [Y] Patrimoine et [U] [Y] aux fins de rétractation de l'ordonnance du 12 avril 2024.
Par acte du 07 mai 2024, [U] [Y] et la SAS [Y] Patrimoine ont assigné les sociétés IFB France et Theseis en rétractation de l'ordonnance rendue le 26 mars 2024.
Les deux affaires ont été jointes.
Par ordonnance du 09 janvier 2025, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- Rétracté l'ordonnance du 26 mars 2024 en toutes ses dispositions
- Dit l'ensemble des actes d'exécution de ladite ordonnance privés de tout effet
- Prononcé la nullité du procès-verbal établi par la SCP Bache Decazeaux-Dufrene [P]
- Ordonné aux sociétés Theseis et IFB France la restitution des éléments appréhendés et séquestrés par la SCP Bache Decazeaux-Dufrene [P] et l'expert informatique requis, ainsi que la destruction de toute copie, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard commençant à courir le 8e jour suivant la signification de la présente ordonnance
- Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis au paiement d'une somme de 1 500 euros à la SASU [Y] Patrimoine et 1 500 euros à Monsieur [U] [Y]
- Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis aux entiers dépens des deux instances 2024R00379 et 2024R00387
Par déclaration d'appel en date du 24 janvier 2025, la SAS IFB France et la SAS Theseis ont relevé appel de cette ordonnance.
La clôture est intervenue le 26 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoirie du 16 juin 2025 à 9h30.
Parallèlement par acte délivré le 17 septembre 2024, les sociétés Theseis et IFB France ont assigné au fond [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins de les voir condamner au paiement de la somme de 158 059,34 euros en réparation du préjudice financier subi du fait des actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 10 février 2025, le tribunal de commerce de Toulouse a sursis à statuer dans l'attente de l'une décision définitive sur le litige concernant la restitution ou la communication de pièces saisies et séquestrées chez un commissaire de justice à la suite des opérations de saisies du 10 avril 2024.
Exposé des prétentions et des moyens
Vu les conclusions d'appelant notifiées par RPVA le 24 mars 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, des sociétés SAS Theseis et IFB France demandant, au visa des articles 1240 du code civil ; R153-1 du code de commerce ; 6, 9, 145 et 700 du code de procédure civile et l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme de:
- Réformer l'ordonnance du 9 janvier 2025 rendue par le tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'elle a :
Rétracté l'ordonnance du 26 mars 2024 ;
Privé d'effet l'ensemble des actes d'exécution de ladite ordonnance ;
Prononcé la nullité du procès-verbal établi par la SCP Bache Decazeaux
Dufrene [P]
Ordonné aux sociétés Theseis et IFB France la restitution des éléments appréhendés et séquestrés au sein de la SCP Bache Decazeaux Dufrene [P] et à l'expert informatique requis, ainsi que la destruction de toute copie, sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard commençant à courir le 8e jour suivant la signification de la présente ordonnance.
Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis au paiement d'une somme de 1 500 € à la SASU [Y] Patrimoine et 1 500 € à Monsieur [U] [Y].
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- Rétracter l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 prononçant le placement sous séquestre à l'étude de Commissaire de justice Bache Descazaux-Dufrene-[P] des documents saisis lors de la saisie ayant eu lieu le 10 avril 2024 au sein des locaux de la Société [Y] Patrimoine en vertu d'une ordonnance rendue le 26 mars 2024 ;
En conséquence :
- Ordonner la levée du séquestre à l'étude de commissaire de justice Bache Descazaux-Dufrene-[P] des documents saisis lors de la saisie ayant eu lieu le 10 avril 2024 au sein des locaux de la Société [Y] Patrimoine en vertu d'une ordonnance rendue le 26 mars 2024, ordonné par ordonnance rendue le 12 avril 2024 ;
A titre subsidiaire : Si, par impossible, la cour décidait de ne pas faire droit à la demande de levée du placement sous séquestre des documents saisis le 10 avril 2024, ordonné par l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 :
- Limiter la mesure de placement sous séquestre des documents saisis le 10 avril 2024 en vertu de l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 aux seuls mots clefs qu'il estimera nécessaire ;
En tout état de cause :
- Débouter Monsieur [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Condamner solidairement Monsieur [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine à verser aux sociétés IFB France et Theseis la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Spinazze, avocat sur son affirmation de droit.
Vu les conclusions notifiées par RPVA le 21 mai 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société [Y] Patrimoine et Monsieur [U] [Y] en sa qualité de président de la SASU [Y] Patrimoine et à titre personnel demandant, au visa des articles 145, 493, 495, 496, 497 et suivants du code de procédure civile ; 328 du code civil de:
A titre principal,
- Dire recevable et bien fondée l'intervention volontaire de M. [U] [Y] agissant en qualité d'entrepreneur individuel,
- Confirmer l'ordonnance du 9 janvier 2025 en toutes ses dispositions,
Dans l'hypothèse où la confirmation serait fondée sur l'irrégularité de la signification de l'ordonnance et de la requête,
- Confirmer l'ordonnance du 9 janvier 2025 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Prononcer la perte de fondement juridique de la mesure de saisie et la nullité du procès-verbal de constat dressé le 10 avril 2024 qui en découle.
A titre subsidiaire,
- Limiter les investigations dans le temps et les réduire à compter de la date de la résiliation des mandats au 1er septembre 2023,
- Retirer de l'ordonnance du 26 mars 2024 les mots clés suivants :
« [V] [Y] » « [Z] [O] » « [M] [G] » « [R] [H] » « clients » « fichiers clients » « fichier » « demande de transfert » « portefeuille clients » « viens chez nous » « viens chez [Y] Patrimoine» «embaucher» « CDD » « CDI » «contrat » « démission » « rejoins-nous » « rejoindre » « proposition » « propose »
- Dire que les chefs de mission suivants ne sont fondés sur aucun motif légitime et constituent une atteinte disproportionnée à la vie privée et au secret des affaires :
« Prendre copie des documents électroniques sur les téléphones portables de Monsieur [U] [Y] et Madame [V] [Y], y compris sur les boîtes de messageries électroniques professionnelles (email, SMS, WhatsApp, Messagerie Facebook, Instagram), ou des documents papiers relatifs aux échanges entre Monsieur [U] [Y] et/ou Madame [V] [Y] (')»
« Rechercher et prendre copie de tous dossiers, fichiers, documents et correspondances situés dans lesdits locaux, ses établissements ou annexes; quel qu'en soit le support informatique ou autre, créés entre la période du 20 avril 2023, date de la première modification de l'activité de la société [Y] Patrimoine, et le jour de la présente ordonnance, alors que les agissements n'ont pas cessé, et seulement dans la mesure où ils sont en rapport avec les faits litigieux exposés et répondent aux personnes suivantes : « [V] [Y] »; « [R] [H] »; (') « [O] [Z] », « [M] [G] », (') '
- Ordonner à la SCP Bache-Descazaux-Dufrene-[P] et à l'expert informatique requis, de restituer immédiatement à la société [Y] Patrimoine et à M. [Y], à première demande, sur présentation de l'ordonnance à intervenir, l'ensemble des pièces séquestrées à son étude et de n'en conserver aucune copie visant les items précités,
En tout état de cause,
- Condamner solidairement les sociétés Theseis et IFB France à payer Monsieur [Y] et à la société [Y] Patrimoine, la somme totale de 5000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Les condamner solidairement aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Cécile Chapeau, avocat sur son affirmation de droit.
Motifs
La cour est saisie par l'appel des sociétés IFB et Théséis d'une demande d'infirmation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce qui a rétracté l'ordonnance ayant autorisé la saisie de diverses pièces au siège de la société [Y] Patrimoine afin d'établir la preuve de faits de concurrence déloyale.
Monsieur [Y] était partie en son nom personnel à l'instance en rétractation des ordonnances du 26 mars 2024 et du 12 avril 2024. Il a été intimé en cette qualité par les sociétés appelantes. Sa demande tendant à ce qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire en qualité d'entrepreneur individuel est donc sans objet.
La société [Y] et M.[Y] soutiennent en premier lieu que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'ordonnance ayant autorisé les mesures in futurum critiquées aurait du être notifiée par le commissaire de justice à [U] [Y] puisqu'il était visé par la requête et qu'il a supporté la mesure de saisie.
Les sociétés Theseis et IFB n'ont formé aucune observation sur ce point.
Selon l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile, la copie de la requête et celle de la décision faisant droit à la requête sont laissées à la personne à laquelle elle est opposée.
Cette obligation a pour finalité de permettre le rétablissement du principe de la contradiction en portant à la connaissance de celui qui subit la mesure ordonnée à son insu ce qui a déterminé la décision du juge, et d'apprécier l'opportunité d'un éventuel recours.
Cette obligation ne vise néanmoins que la personne qui supporte l'exécution de la mesure, qu'elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé. La personne qui supporte l'exécution est celle dans les locaux de laquelle la mesure est exécutée.
En l'espèce, les mesures sollicitées ont été réalisées au [Adresse 5], siège de la société [Y], mais également domiciliation de l'activité que M.[U] [Y] exerce à titre indépendant depuis le 6 juin 2023, ainsi qu'il est justifié par l'extrait Kbis versé aux débats.
Cette activité, que M.[Y] n'a pas dissimulée, était connue des sociétés requérantes lesquelles, dans leur requête aux fins de voir ordonner des mesures non contradictoires, ont visé des faits de concurrence déloyale imputés à la fois à la société [Y] Patrimoine et à [U] [Y].
Dans cette requête, les sociétés IFB faisaient en effet état de la modification de l'activité de la société [Y], publiée au Bodacc en avril et juin 2023, en soulignant qu'elle avait pour effet de la faire correspondre précisément avec celle des sociétés IFB et Théseis. Mais, elles reprochaient également à M.[Y] d'avoir dès le mois de septembre 2023, informé leurs clients de la création de son "cabinet indépendant".
La cour constate enfin qu'interrogé par le commissaire de justice à l'occasion de l'exécution de la mesure, sur le statut de [V] [Y], son épouse, [U] [Y] a indiqué qu'elle était son conjoint collaborateur dans le cadre de son entreprise individuelle.
L'exécution de la mesure et notamment des investigations réalisées sur l'iMac de [U] [Y] a donc été supportée tant par la société [Y] que par M.[Y] exerçant à titre indépendant, dont les activités étaient domiciliées dans les mêmes locaux.
Or, si copie de l'ordonnance avec les pièces a bien été remise à [Z] [O], salariée de la société [Y] Patrimoine, qui s'est déclarée habilitée à recevoir l'acte pour la société, elle n'a pas été remise à M.[Y].
La violation des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile
est de nature à justifier la rétractation de l'ordonnance sur requête, sans autre condition, et notamment sans qu'il y ait lieu de démontrer l'existence d'un grief, s'agissant d'une formalité destinée à faire respecter le principe de la contradiction.
Il convient en conséquence de rétracter l'ordonnance du 26 mars 2024.
Pour les mêmes raisons, le procès-verbal de constat du 10 avril 2024 doit être annulé.
L'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions, par motifs substitués.
Parties perdantes, les sociétés IFB et Théseis supporteront les dépens d'appel.
Elles devront indemniser la société [Y] et [U] [Y] des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour faire valoir leurs droits en cause d'appel.
Par ces motifs
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne les sociétés IFB et Theseis aux dépens d'appel,
Condamne les sociétés IFB et Theseis à payer à la société [Y] Patrimoine et à M.[U] [Y] une indemnité globale de 2000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
.
ARRÊT N° 25/372
N° RG 25/00246 - N° Portalis DBVI-V-B7J-QYZP
IMM/IA
Décision déférée du 09 Janvier 2025
Tribunal de Commerce de TOULOUSE 2024000009
M.DE CHEFDEBIEN
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le 21/10/2025
à
Me Gilles SOREL
Me Cécile [Localité 7]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTES
S.A.S. IFB FRANCE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Mathieu SPINAZZE de la SELARL DECKER, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
S.A.S. THESEIS
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Mathieu SPINAZZE de la SELARL DECKER, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
INTIMÉS
Monsieur [U] [Y]
en sa qualité de président de la SAS [Y] Patrimoine et d'entrepreneur individuel
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représenté par Me Cécile CHAPEAU, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.S.U. [Y] PATRIMOINE
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Cécile CHAPEAU, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère et V. SALMERON, présidente, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
M. NORGUET, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats A. CAVAN
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente et par A. CAVAN, greffière
Exposé des faits et de la procédure
La société Theseis et sa filiale la société IFB France sont spécialisées dans l'activité d'agence commerciale pour tous produits et services ayant fait l'objet d'un mandat de vente, de conseil en immobilier, de réalisation de toutes études immobilières, le courtage en assurance, de courtage en opérations de banque et services de paiement, de conseil en gestion de patrimoine, et de transaction sur immeubles et fonds de commerce.
[U] [Y] a travaillé pour ces deux sociétés de 2016 à 2023, en exécution de plusieurs contrats en qualité d'agent commercial et de mandataire intermédiaire.
Courant 2022, [U] [Y] a créé la société [Y] Patrimoine.
Par contrat du 19 janvier 2022, la société IFB a confié à la société [Y] Patrimoine diverses prestations de service.
Madame [V] [Y], épouse de M.[Y] qui était employée par la société Théséis, a bénéficié d'une rupture conventionnelle à effet au 15 juillet 2023.
Le 19 janvier 2022, la société [Y] Patrimoine et la société IFB France ont conclu un contrat de prestation de services pour l'animation du réseau de mandataires.
Par courrier du 1er août 2023, Monsieur [U] [Y] a informé la société IFB France de la résiliation de l'ensemble de ses contrats le liant aux sociétés IFB France et Theseis.
Le 8 septembre 2023, la société [Y] Patrimoine et la société Theseis ont conclu une convention de distributions de produits financiers et une convention de mandataire indépendant.
Soupçonnant l'existence d'un détournement de clientèle et de débauchage caractéristique d'une situation de concurrence déloyale imputée à M.[Y] et à la société [Y] Patrimoine, les sociétés Theseis et IFB France ont, par requête du 21 mars 2024, saisi le président du tribunal de commerce d'une demande aux fins de désignation d'un commissaire de justice chargé de se rendre dans les locaux de la société [Y] Patrimoine, [Adresse 5], pour procéder à des saisies.
Par ordonnance sur requête du 26 mars 2024, le président du tribunal de commerce de Toulouse a fait droit à cette requête.
Les opérations de saisies se sont déroulées le 10 avril 2024.
Par requête déposée le 11 avril 2024, la société [Y] Patrimoine a saisi le président du tribunal de commerce de Toulouse aux fins de placement sous séquestre provisoire des documents saisies.
Par ordonnance sur requête du 12 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Toulouse a ordonné le placement sous séquestre provisoire de l'intégralité des pièces et documents saisis.
Par acte extrajudiciaire du 24 avril 2024, la SAS Theseis et la SAS IFB France ont assigné devant le président du tribunal de commerce de Toulouse, la SAS [Y] Patrimoine et [U] [Y] aux fins de rétractation de l'ordonnance du 12 avril 2024.
Par acte du 07 mai 2024, [U] [Y] et la SAS [Y] Patrimoine ont assigné les sociétés IFB France et Theseis en rétractation de l'ordonnance rendue le 26 mars 2024.
Les deux affaires ont été jointes.
Par ordonnance du 09 janvier 2025, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- Rétracté l'ordonnance du 26 mars 2024 en toutes ses dispositions
- Dit l'ensemble des actes d'exécution de ladite ordonnance privés de tout effet
- Prononcé la nullité du procès-verbal établi par la SCP Bache Decazeaux-Dufrene [P]
- Ordonné aux sociétés Theseis et IFB France la restitution des éléments appréhendés et séquestrés par la SCP Bache Decazeaux-Dufrene [P] et l'expert informatique requis, ainsi que la destruction de toute copie, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard commençant à courir le 8e jour suivant la signification de la présente ordonnance
- Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis au paiement d'une somme de 1 500 euros à la SASU [Y] Patrimoine et 1 500 euros à Monsieur [U] [Y]
- Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis aux entiers dépens des deux instances 2024R00379 et 2024R00387
Par déclaration d'appel en date du 24 janvier 2025, la SAS IFB France et la SAS Theseis ont relevé appel de cette ordonnance.
La clôture est intervenue le 26 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoirie du 16 juin 2025 à 9h30.
Parallèlement par acte délivré le 17 septembre 2024, les sociétés Theseis et IFB France ont assigné au fond [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins de les voir condamner au paiement de la somme de 158 059,34 euros en réparation du préjudice financier subi du fait des actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 10 février 2025, le tribunal de commerce de Toulouse a sursis à statuer dans l'attente de l'une décision définitive sur le litige concernant la restitution ou la communication de pièces saisies et séquestrées chez un commissaire de justice à la suite des opérations de saisies du 10 avril 2024.
Exposé des prétentions et des moyens
Vu les conclusions d'appelant notifiées par RPVA le 24 mars 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, des sociétés SAS Theseis et IFB France demandant, au visa des articles 1240 du code civil ; R153-1 du code de commerce ; 6, 9, 145 et 700 du code de procédure civile et l'article 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme de:
- Réformer l'ordonnance du 9 janvier 2025 rendue par le tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'elle a :
Rétracté l'ordonnance du 26 mars 2024 ;
Privé d'effet l'ensemble des actes d'exécution de ladite ordonnance ;
Prononcé la nullité du procès-verbal établi par la SCP Bache Decazeaux
Dufrene [P]
Ordonné aux sociétés Theseis et IFB France la restitution des éléments appréhendés et séquestrés au sein de la SCP Bache Decazeaux Dufrene [P] et à l'expert informatique requis, ainsi que la destruction de toute copie, sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard commençant à courir le 8e jour suivant la signification de la présente ordonnance.
Condamné in solidum la SAS IFB France et la SAS Theseis au paiement d'une somme de 1 500 € à la SASU [Y] Patrimoine et 1 500 € à Monsieur [U] [Y].
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- Rétracter l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 prononçant le placement sous séquestre à l'étude de Commissaire de justice Bache Descazaux-Dufrene-[P] des documents saisis lors de la saisie ayant eu lieu le 10 avril 2024 au sein des locaux de la Société [Y] Patrimoine en vertu d'une ordonnance rendue le 26 mars 2024 ;
En conséquence :
- Ordonner la levée du séquestre à l'étude de commissaire de justice Bache Descazaux-Dufrene-[P] des documents saisis lors de la saisie ayant eu lieu le 10 avril 2024 au sein des locaux de la Société [Y] Patrimoine en vertu d'une ordonnance rendue le 26 mars 2024, ordonné par ordonnance rendue le 12 avril 2024 ;
A titre subsidiaire : Si, par impossible, la cour décidait de ne pas faire droit à la demande de levée du placement sous séquestre des documents saisis le 10 avril 2024, ordonné par l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 :
- Limiter la mesure de placement sous séquestre des documents saisis le 10 avril 2024 en vertu de l'ordonnance rendue le 12 avril 2024 aux seuls mots clefs qu'il estimera nécessaire ;
En tout état de cause :
- Débouter Monsieur [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Condamner solidairement Monsieur [U] [Y] et la société [Y] Patrimoine à verser aux sociétés IFB France et Theseis la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Spinazze, avocat sur son affirmation de droit.
Vu les conclusions notifiées par RPVA le 21 mai 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société [Y] Patrimoine et Monsieur [U] [Y] en sa qualité de président de la SASU [Y] Patrimoine et à titre personnel demandant, au visa des articles 145, 493, 495, 496, 497 et suivants du code de procédure civile ; 328 du code civil de:
A titre principal,
- Dire recevable et bien fondée l'intervention volontaire de M. [U] [Y] agissant en qualité d'entrepreneur individuel,
- Confirmer l'ordonnance du 9 janvier 2025 en toutes ses dispositions,
Dans l'hypothèse où la confirmation serait fondée sur l'irrégularité de la signification de l'ordonnance et de la requête,
- Confirmer l'ordonnance du 9 janvier 2025 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Prononcer la perte de fondement juridique de la mesure de saisie et la nullité du procès-verbal de constat dressé le 10 avril 2024 qui en découle.
A titre subsidiaire,
- Limiter les investigations dans le temps et les réduire à compter de la date de la résiliation des mandats au 1er septembre 2023,
- Retirer de l'ordonnance du 26 mars 2024 les mots clés suivants :
« [V] [Y] » « [Z] [O] » « [M] [G] » « [R] [H] » « clients » « fichiers clients » « fichier » « demande de transfert » « portefeuille clients » « viens chez nous » « viens chez [Y] Patrimoine» «embaucher» « CDD » « CDI » «contrat » « démission » « rejoins-nous » « rejoindre » « proposition » « propose »
- Dire que les chefs de mission suivants ne sont fondés sur aucun motif légitime et constituent une atteinte disproportionnée à la vie privée et au secret des affaires :
« Prendre copie des documents électroniques sur les téléphones portables de Monsieur [U] [Y] et Madame [V] [Y], y compris sur les boîtes de messageries électroniques professionnelles (email, SMS, WhatsApp, Messagerie Facebook, Instagram), ou des documents papiers relatifs aux échanges entre Monsieur [U] [Y] et/ou Madame [V] [Y] (')»
« Rechercher et prendre copie de tous dossiers, fichiers, documents et correspondances situés dans lesdits locaux, ses établissements ou annexes; quel qu'en soit le support informatique ou autre, créés entre la période du 20 avril 2023, date de la première modification de l'activité de la société [Y] Patrimoine, et le jour de la présente ordonnance, alors que les agissements n'ont pas cessé, et seulement dans la mesure où ils sont en rapport avec les faits litigieux exposés et répondent aux personnes suivantes : « [V] [Y] »; « [R] [H] »; (') « [O] [Z] », « [M] [G] », (') '
- Ordonner à la SCP Bache-Descazaux-Dufrene-[P] et à l'expert informatique requis, de restituer immédiatement à la société [Y] Patrimoine et à M. [Y], à première demande, sur présentation de l'ordonnance à intervenir, l'ensemble des pièces séquestrées à son étude et de n'en conserver aucune copie visant les items précités,
En tout état de cause,
- Condamner solidairement les sociétés Theseis et IFB France à payer Monsieur [Y] et à la société [Y] Patrimoine, la somme totale de 5000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Les condamner solidairement aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Cécile Chapeau, avocat sur son affirmation de droit.
Motifs
La cour est saisie par l'appel des sociétés IFB et Théséis d'une demande d'infirmation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce qui a rétracté l'ordonnance ayant autorisé la saisie de diverses pièces au siège de la société [Y] Patrimoine afin d'établir la preuve de faits de concurrence déloyale.
Monsieur [Y] était partie en son nom personnel à l'instance en rétractation des ordonnances du 26 mars 2024 et du 12 avril 2024. Il a été intimé en cette qualité par les sociétés appelantes. Sa demande tendant à ce qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire en qualité d'entrepreneur individuel est donc sans objet.
La société [Y] et M.[Y] soutiennent en premier lieu que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'ordonnance ayant autorisé les mesures in futurum critiquées aurait du être notifiée par le commissaire de justice à [U] [Y] puisqu'il était visé par la requête et qu'il a supporté la mesure de saisie.
Les sociétés Theseis et IFB n'ont formé aucune observation sur ce point.
Selon l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile, la copie de la requête et celle de la décision faisant droit à la requête sont laissées à la personne à laquelle elle est opposée.
Cette obligation a pour finalité de permettre le rétablissement du principe de la contradiction en portant à la connaissance de celui qui subit la mesure ordonnée à son insu ce qui a déterminé la décision du juge, et d'apprécier l'opportunité d'un éventuel recours.
Cette obligation ne vise néanmoins que la personne qui supporte l'exécution de la mesure, qu'elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé. La personne qui supporte l'exécution est celle dans les locaux de laquelle la mesure est exécutée.
En l'espèce, les mesures sollicitées ont été réalisées au [Adresse 5], siège de la société [Y], mais également domiciliation de l'activité que M.[U] [Y] exerce à titre indépendant depuis le 6 juin 2023, ainsi qu'il est justifié par l'extrait Kbis versé aux débats.
Cette activité, que M.[Y] n'a pas dissimulée, était connue des sociétés requérantes lesquelles, dans leur requête aux fins de voir ordonner des mesures non contradictoires, ont visé des faits de concurrence déloyale imputés à la fois à la société [Y] Patrimoine et à [U] [Y].
Dans cette requête, les sociétés IFB faisaient en effet état de la modification de l'activité de la société [Y], publiée au Bodacc en avril et juin 2023, en soulignant qu'elle avait pour effet de la faire correspondre précisément avec celle des sociétés IFB et Théseis. Mais, elles reprochaient également à M.[Y] d'avoir dès le mois de septembre 2023, informé leurs clients de la création de son "cabinet indépendant".
La cour constate enfin qu'interrogé par le commissaire de justice à l'occasion de l'exécution de la mesure, sur le statut de [V] [Y], son épouse, [U] [Y] a indiqué qu'elle était son conjoint collaborateur dans le cadre de son entreprise individuelle.
L'exécution de la mesure et notamment des investigations réalisées sur l'iMac de [U] [Y] a donc été supportée tant par la société [Y] que par M.[Y] exerçant à titre indépendant, dont les activités étaient domiciliées dans les mêmes locaux.
Or, si copie de l'ordonnance avec les pièces a bien été remise à [Z] [O], salariée de la société [Y] Patrimoine, qui s'est déclarée habilitée à recevoir l'acte pour la société, elle n'a pas été remise à M.[Y].
La violation des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile
est de nature à justifier la rétractation de l'ordonnance sur requête, sans autre condition, et notamment sans qu'il y ait lieu de démontrer l'existence d'un grief, s'agissant d'une formalité destinée à faire respecter le principe de la contradiction.
Il convient en conséquence de rétracter l'ordonnance du 26 mars 2024.
Pour les mêmes raisons, le procès-verbal de constat du 10 avril 2024 doit être annulé.
L'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions, par motifs substitués.
Parties perdantes, les sociétés IFB et Théseis supporteront les dépens d'appel.
Elles devront indemniser la société [Y] et [U] [Y] des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour faire valoir leurs droits en cause d'appel.
Par ces motifs
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne les sociétés IFB et Theseis aux dépens d'appel,
Condamne les sociétés IFB et Theseis à payer à la société [Y] Patrimoine et à M.[U] [Y] une indemnité globale de 2000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
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