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CA Bordeaux, 1re ch. civ., 21 octobre 2025, n° 23/02833

BORDEAUX

Autre

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CA Bordeaux n° 23/02833

21 octobre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 21 OCTOBRE 2025

N° RG 23/02833 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NJXD

[B] [R]

c/

SARL CODEME

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 25 avril 2023 par le tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 19/09296) suivant déclaration d'appel du 14 juin 2023

APPELANT :

[B] [R]

né le 21 Février 1969 à [Localité 3] (33)

de nationalité Française

[Adresse 2]

Représenté par Me Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

et assisté de Me Matthieu BARANDAS de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SARL CODEME enseigne 'SOGIMO', immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le n° 352 510 929, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

Représentée par Me Damien MERCERON, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 09 septembre 2025 en audience publique, devant la cour composée de :

Laurence MICHEL, présidente

Bénédicte LAMARQUE, conseiller

Tatiana PACTEAU, conseiller

Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE

En présence de : Anna PEREIRA, attachée de justice de la 1ère chambre civile

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1. Le 6 mai 2016, Mme [G] (ci-après le cédant), au nom de la société ACS Diffusion, a confié à la sarl Codeme (ci-après l'agence), pour 24 mois, un mandat simple de vendre son fonds de commerce au prix de 440.000 euros, la rémunération du mandataire étant fixée à 10% du prix du fonds de commerce.

Le mandat prévoyait également la possibilité d'une cession de 100% des parts sociales de la société ACS Diffusion pour un prix de vente équivalent à celui fixé pour la vente du fonds de commerce, déduction faite des dettes de la Société

Le 29 juin 2017, l'agence a fait visiter le fonds à M. [R] (ci-après le cessionnaire) et M. [T], lesquels avaient envisagé un projet d'association.

Le 7 octobre 2017, Mme [G], en son nom et en représentation de l'ensemble de ses co-associés, et le cessionnaire ont signé un acte de cession de l'intégralité des parts sociales de la société ACS Diffusion au prix de 74.730 euros.

Le 9 octobre 2017, les mêmes ont conclu un acte reprenant la cession de parts sociales, la cession des comptes courants ainsi que la garantie de passif au prix de 90.000 euros.

Le 18 avril 2019, par courrier recommandé, le conseil de l'agence a mis en demeure le cessionnaire de régler la commission en se fondant sur le projet de cession des parts du 25 juillet 2017.

2. Par exploit d'huissier en date du 8 octobre 2019, l'agence a assigné en indemnisation le cessionnaire sur le fondement d'une faute délictuelle.

Par exploit d'huissier en date du 3 mars 2022, l'agence a mis en cause le cédant afin de le voir condamné au paiement de la somme de 44.000 euros TTC, portant intérêt capitalisé à compter de la première mise en demeure.

Les deux procédures ont été jointes.

Par jugement du 25 avril 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- condamné M. [R] au paiement de la sarl Codeme de la somme de 14.750 euros, portant intérêt au taux légal à compter du 18 avril 2019,

- dit que les intérêts seront capitalisés selon les dispositions de l'article L1343-2 du code civil,

- condamné M. [R] aux dépens de l'instance engagée contre lui par la sarl Codeme,

- condamné la sarl Codeme aux dépens de l'instance engagée contre Mme [G],

- condamné M. [R] au paiement de 2.000 euros à la sarl Codeme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la sarl Codeme à payer 2.000 euros à Mme [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs plus amples chefs de demandes,

- rejeté l'exécution provisoire.

3. Par déclaration électronique en date du 14 juin 2023, M. [R] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 25 avril 2023 en ce qu'il a :

- condamné M. [R] au paiement de la sarl Codeme de la somme de 14.750 euros, portant intérêt au taux légal à compter du 18 avril 2019,

- dit que les intérêts seront capitalisés selon les dispositions de l'article L1343-2 du code civil,

- condamné M. [R] aux dépens de l'instance engagée contre lui par la sarl Codeme,

- condamné M. [R] au paiement de 2.000 euros à la sarl Codeme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,.

4. Par dernières conclusions notifiées par RPVA en date du 22 novembre 2024, M. [R] demande à la cour d'appel de Bordeaux de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 25 avril 2023 en ce qu'il a :

- condamné M. [R] au paiement de la sarl Codeme de la somme de 14.750 euros, portant intérêt au taux légal à compter du 18 avril 2019,

- dit que les intérêts seront capitalisés selon les dispositions de l'article L1343-2 du code civil,

- condamné M. [R] aux dépens de l'instance engagée contre lui par la sarl Codeme,

- condamné M. [R] au paiement de 2.000 euros à la sarl Codeme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter la société Codeme de toutes ses demandes formées contre M. [R],

- condamner la société Codeme à verser à M. [R] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A titre subsidiaire,

- débouter la société Codeme de toutes les demandes formées contre M. [R],

- condamner Mme [G] à régler l'intégralité de la commission de la société Codeme.

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner conjointement Mme [G] et M. [R],

- débouter la société Codeme de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5. Par dernières conclusions, portant appel incident, notifiées par RPVA en date du 16 janvier 2025, la société Codeme demande à la cour d'appel de Bordeaux de :

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu le 25 avril 2023 dans son principe,

En conséquence,

- dire et juger la sarl Codeme, agence Sogimo, recevable et bien fondée en ses demandes formulées à l'encontre de M. [R],

- dire et juger que M. [R] a commis une faute de nature délictuelle en privant la sarl Codeme, agence Sogimo, de sa commission,

- infirmer la décision dans son quantum,

En conséquence, statuant à nouveau,

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 44.000 euros TTC en réparation du préjudice subi par la sarl Codeme, agence Sogimo.

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement rendu le 25 avril 2023 dans son quantum, et fixer l'indemnisation à 25.883 euros,

En conséquence,

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 25.883 euros en réparation du préjudice subi par la sarl Codeme, agence Sogimo,

- dire et juger que les condamnations produiront intérêts en application des dispositions des articles 1343-1 et 1343-32 du code civil, à compter de la première mise en demeure,

A titre infiniment subsidiaire,

- confirmer le jugement rendu le 25 avril 2023,

En tout état de cause,

- débouter M. [R] de ses demandes,

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 9 septembre 2025 et l'instruction a été clôturée par une ordonnance du 26 août 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité délictuelle de M. [R]

6. La société Codeme recherche la responsabilité délictuelle de Monsieur [R] sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil qui stipule que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

- S'agissant de la faute

7. Pour retenir la faute de M. [R], le tribunal a considéré que l'agence avait non seulement fait visiter le fonds au cessionnaire, mais également rédigé des projets de cession des parts sociales, mentionnant les honoraires de l'agence et qu'en outre le cessionnaire et l'agence étaient des partenaires habituels avec des liens de confiance mutuelle, ainsi qu'ils le reconnaissaient l'un et l'autre dans leurs écritures. Le tribunal en a déduit que le cessionnaire avait connaissance des honoraires qu'il devait payer à l'agence et que 'la recherche de la soustraction du paiement des honoraires par le cédant, en signant l'acte sans mention du montant des honoraires et hors la présence de l'agence, constitue une faute de nature à engager sa responsabilité'.

8. M. [R] critique le jugement entrepris en ce qu'il constate une faute du cédant,Mme [G],mais condamne le cessionnaire et qu'il se contredit puisqu'il relève que c'est bien le cédant qui est tenu contractuellement des honoraires de l'agence.

Il soutient n'avoir commis aucune faute, n'ayant pas été informé par l'agence de sa qualité de débiteur des frais d'agence avant la mise en relation, et n'ayant pas donné son accord sur le montant des honoraires.

Il fait également valoir qu'en prévoyant une prise en charge par l'acquéreur de la commission due à l'agence, Mme [G] a pris un engagement revêtant la qualification de promesse de porte fort et que l'inexécution d'une telle promesse entraine une indemnisation de sa part et non de la part de l'acquéreur, tiers à l'engagement.

9. Pour sa part, la société Codeme fait valoir que le mandat de cession du fonds de commerce ou de parts sociales met à la charge de l'acquéreur présenté par l'agence les honoraires du mandataire, que ce mandat était connu de M. [R] et qu'en outre, elle a proposé un acte de cession de parts sociales mentionnant la question de sa rémunération; que c'est donc de manière déloyale que M. [R] a signé l'acte hors la présence de l'agence et sans mention d'honoraires, attitude constitutive d'une faute ayant pour effet de la priver du bénéfice de sa commission.

Sur ce,

10. En l'espèce, il est constant que Mme [G] a signé le 6 mai 2016 au bénéfice de la société Codeme, un contrat de mandat de vente sans exclusivité portant sur son fonds de commerce au prix de 440 000 euros. Il était prévu au titre de la rémunération du mandataire une commission de 10% du prix du fonds de commerce.

Si la motivation du premier juge manque parfois de clarté en ce qu'il retient une faute du cédant, sans en tirer de conséquence, il caractérise également une faute du cessionnaire. Il résulte en effet des pièces versées aux débats d'une part que ce sont les démarches de l'agence immobilière qui ont permis la prise de contact de M. [R] avec la venderesse et la visite des lieux (en particulier : courrier du 29 juin 2017 de la société Codeme à Mme [G], échanges de SMS entre l'agent immobilier et M. [R] entre le 30 août et le 8 septembre), peu important à cet égard que M. [R] n'ait pas signé de bon de recherche ou de bon de visite, et d'autre part que l'agence a également rédigé des projets de cession des parts sociales, portant mention des honoraires dus à l'agence et précisant qu'ils étaient à la charge de l'acquéreur.

Il est ainsi suffisamment établi que M. [R] était parfaitement informé de ces honoraires dus par l'acquéreur et de leur montant et qu'il n'a pu signer ultérieurement un acte de cession des parts sociales, hors présence du mandataire, que grâce aux éléments d'information transmis par la société Codeme dans le cadre des projets rédigés.

Il sera relevé au surplus que M. [R] n'a opposé aucun démenti aux dires de la société Codeme selon lesquels il était propriétaire d'autres fonds de commerce et avait antérieurement collaboré avec elle, en sorte qu'il n'ignorait pas la pratique usuelle consistant à mettre les honoraires à la charge de l'acquéreur en matière de cession de fonds de commerce.

M. [R], qui savait donc que dans le contrat de vente, ou de cession des parts, devait être mentionnée une commission mise à la charge de l'acquéreur, a néanmoins obtenu de Mme [G] la signature ultérieure d'un acte de cession des parts sociales ne faisant aucune référence à l'intervention de l'agent immobilier ni à la rémunération qui lui était due.

Au regard de ce qui précède, ce contournement de la société Codeme, qui a présenté un acquéreur et un vendeur d'un fonds de commerce, constitue une manoeuvre engageant l'acheteur au titre de sa responsabilité délictuelle, à raison du dommage causé par sa faute, à savoir la privation du droit à commission de l'agent immobilier.

- S'agissant du lien de causalité

11. M. [R] soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité entre son refus de régler les honoraires et le défaut de paiement de la société Codeme puisque celle-ci pouvait obtenir ledit paiement en activant la clause pénale figurant dans le mandat de vente conclu avec Madame [G].

12. S'il est exact que la société Codeme pouvait agir contre son mandant, Mme [G], en vertu de la clause pénale contractuellement prévue à leur convention, il lui était également loisible d'exercer une action en responsabilité délictuelle à l'encontre de l'acquéreur.

En l'occurrence, Mme [G] a été mise hors de cause en première instance et cette décision est désormais définitive puisque l'appel de M. [R] est limité à sa condamnation envers la société Codeme.

Or, la vente ayant été réalisée sans l'intervention formelle de l'agence, alors que celle-ci avait néanmoins fourni des informations essentielles à l'acheteur, ce comportement est bien à l'origine du préjudice subi par l'agence qui s'est trouvée privée de sa commission.

- S'agissant du préjudice

13. La société Codeme sollicite, dans le cadre de son appel incident, une indemnisation à hauteur de la somme de 44.000 €, soit 10% du montant fixé pour la vente du fonds de commerce.

14. Le mandat de vente prévoit, en ses articles II et III que le prix auquel le fonds est proposé, soit 440.000 €, inclut les honoraires, correspondant au dixième de la valeur du fonds. Il est encore prévu, à l'article V que la cession du fonds de commerce se réalisera par la cession de l'ensemble des parts de la société exploitant le fonds, au prix du fonds de commerce diminué des dettes.

Selon le jugement déféré, il ressort de l'acte du 09 octobre 2017 que le fonds de commerce a été valorisé à 147.500 €, somme de laquelle a été retranché le montant des dettes, pour fixer le prix de cession des parts.

Cet acte du 9 octobre 2017 n'est pas produit en appel mais les parties n'ont pas contesté ce montant mentionné par le premier juge. Il en résulte donc que les honoraires doivent être calculés sur la valeur retenue du fonds, soit 10% de la somme de 147.500 €.

Le préjudice subi par la société Codeme s'établit donc à la somme de 14.750 €, montant des honoraires qu'elle aurait dû percevoir.

15. En conclusion, en évinçant la société Codeme, agent immobilier, lors de la vente du fonds de commerce, afin d'éluder le paiement de sa commission de 10% du prix du fonds de commerce, M. [R] a commis une faute de nature délictuelle, engageant sa responsabilité, et à l'origine directe du dommage subi par la société Codeme, lequel correspond aux honoraires non perçus, soit 14.750 €.

M.[R] sera en conséquence débouté de ses demandes relatives à la responsabilité, de même que la société Codeme s'agissant du quantum du préjudice et le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs, y compris s'agissant des intérêts et de leur capitalisation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

16. M. [R], qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, et sera équitablement condamné au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [R] à payer à la sarl Codeme, la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Laurence MICHEL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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