CA Lyon, 1re ch. civ. b, 21 octobre 2025, n° 23/08562
LYON
Autre
Autre
N° RG 23/08562 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PJOU
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 04 octobre 2023
RG : 17/02354
ch n°1 CAB 01B
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 21 Octobre 2025
APPELANTS :
Mme [N] [E] [K]
née le 28 Novembre 1962 à [Localité 9] (69)
[Adresse 2]
[Localité 6]
M. [I] [E] [K]
né le 12 Octobre 1964 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1106
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric ZENATI - CASTAING de la SAS ATRHET, avocat au barreau de LYON,
INTIMES :
M. [G] [R] [L] agissant en son nom personnel et ès-qualité d'héritier de Madame [NO] [IM] [S]
né le 06 Juillet 1947 à [Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 5]
M. [C] [R] [L] ès-qualité d'héritier de Madame [NO] [IM] [S]
né le 06 Juillet 1947 à [Localité 11]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Représentés par Me Sylvaine CHARTIER de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1188
Me [P] [CN] ancien notaire associé de la SCP Pierre-Yves SYLVESTRE, [P] [CN], Xavier LEVRAULT, Stéphanie SENNETERRE-DURAND, Jacques BERAT, Stanislas [CN], Cyrille MORIOU, Antoine URVOY,
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représenté par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
ayant pour avocat plaidant Me Stéphane CHOUVELLON de la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON, toque : 719
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 05 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Juin 2025
Date de mise à disposition : 30 Septembre 2025 prorogée au 21 Octobre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
[Y] [Z] a eu :
- de sa première union avec [U] [IM] [S] (et ci-après [S]) deux enfants :
- [V] [S],
- [NO] [S],
- de sa seconde union avec [U] [R] [L] (et ci-après [L]) deux enfants :
- M. [G] [L],
- M. [C] [L].
[U] [L], avait épousé en premières noces [JX] [J], et ils ont notamment eu pour petite fille Mme [N] [GF], épouse de M. [I] [E] [K].
[U] [L] est décédé le 22 février 1983.
[SS] [EJ] épouse [O] ([SS] [O]), tante d'[Y] [Z] et propriétaire du château de [8] situé à [Localité 7], est décédée le 20 septembre 1957. Elle avait, le 13 février 1955, adressé à sa nièce une lettre libellée comme suit :
« Je te donne [8]. Ce n'est pas un cadeau mais une charge parce que je voudrais que tu en fasses non une maison mondaine à réceptions mais une maison de famille pour le bien de [Localité 7]. [8] ne doit être ni louée, ni vendue ri aucun prix (').
Celui qui habitera [8] aura la charge de 1'école des filles.
Si elle ne pouvait plus fonctionner qu'elle soir utilisée pour une 'uvre catholique : patronage, dispensaire, petit couvent pour les pauvres... Ne jamais la vendre c 'est un bien d'église qui doit être utilisé uniquement pour des 'uvres catholiques ('). Fais-le, intéresses y tes propres enfants surtout [V].
Si possible, j'aimerais que tu laisses [8] à [V] après toi ».
[SS] [O] a ensuite établi le 7 juin 1955 un testament authentique en ces termes :
« J'institue mon mari, [X] [O], pour mon légataire universel, il aura donc seul droit en cas de mon prédécès, à la totalité des biens composant ma succession.
En cas de prédécès de mon mari, [X] [O] je prends les dispositions suivantes :
(')
Je lègue à ma nièce [Y] [L] née [Z], tous les immeubles que je pourrai posséder au moment de mon décès à [Localité 7], soit notamment la propriété de " [8] ", compris les terrains des "[Localité 12]' derrière la Chapelle de "[8]', l'Ecole des Filles et les deux logements [Adresse 13], la maison [XG], les terrains [XG], [F], [B], etc' en un mot tous les biens immobiliers que je posséderai à mon décès, sur la commune de [Localité 7].
(')
Je demande à [Y] [L] d'assurer la transmission de ces immeubles, à ses Enfants [S], et en premier lieu à sa Fille [NO], ma filleule.
(')
Je révoque toutes dispositions antérieures ».
En l'absence de descendants, [X] [O] a, suivant testament olographe du 30 juin 1964 et codicille du 15 juin 1967, institué légataires universels [W] [Z] et [A] [TD].
Me [D] [T], notaire, a par ailleurs reçu le 22 février 1972 un acte contenant délivrance du legs particulier consenti par [X] [O] à [Y] [Z], portant sur le château de [8].
[Y] [Z] est décédée le 16 juillet 1993, laissant pour lui succéder ses quatre enfants.
Elle avait établi le 21 mai 1984 un testament dans les termes suivants :
« Je lègue par préciput et hors part à mon fils [V] [S] la nue-propriété de ma propriété de [Localité 7] avec tout le mobilier meuble meublant, linge de ménage, argenterie et autres le garnissant, le tout sans exception ni réserves.
Ce legs s'imputera tout d'abord sur la quotité disponible de ma succession et éventuellement sur les droits de mon fils [V] dans sa part réservataire ».
Me [P] [CN], notaire chargé de la liquidation de cette succession (le notaire) a établi une déclaration de succession faisant apparaître un actif net de succession de 4.309.183,91 Francs. Après imputation des legs particuliers sur 1'actif net, soit 200.000 Francs pour [C] [L] et 840.000 Francs (valeur fiscale calculée de [8], soit 70 % de 1.200.000 Francs) à [V] [S], il a arrêté l'actif net subsistant de la succession à 3.269.183,91 Francs, somme ensuite partagée entre les quatre héritiers en parts égales de 817.295,98 Francs, [V] [S] se voyant attribuer en outre la somme de 840.000 Francs correspondant au montant de son legs particulier.
[V] [S], décédé le 7 septembre 2015 sans laisser de descendant, avait établi le 23 mai 1999 un testament olographe dont l'original avait été déposé au rang des minutes du notaire suivant procès-verbal du 30 septembre 2015, dans les termes suivants :
« Ce jour, je laisse en cas de décès, à ma chère s'ur, [NO] [S] tous mes biens quels qu'ils soient sans aucune restriction, si ce n 'est de lui demander de faire dire des messes traditionnelles le plus possible pour mon âme ».
Le 19 octobre 2015, s'est tenue en l'étude du notaire une réunion avec [NO] [S] et les époux [E] [K], afin de discuter de la possible transmission du domaine à ces derniers.
[NO] [S] leur ayant annoncé qu'elle allait vendre le domaine, par lettre du 10 mai 2016, le notaire de M. et Mme [E] [K], Me [ME], a informé Me [CN] de l'offre faite par ses clients, au prix de 600.000 euros.
Un mandat exclusif de vente ayant été consenti à l'agence immobilière Barnes, M. et Mme [E] [K] ont, le 16 mai 2016, adressé à l'agence une offre aux conditions du mandat d'un montant de 640.000 euros. Le même jour, Me [CN] a informé son confrère que les vendeurs s'étaient engagés auprès d'un autre acquéreur. Le bien a ainsi été vendu pour partie à la société Duolis le 27 juillet 2017.
Au motif que [V] [S], avait toujours voulu leur transmettre [8] pour leur en faire assumer la charge, M. et Mme [E] [K] ont, par actes introductif d'instance du 14 février 2017, fait assigner [NO] [S], [G] [L] et le notaire devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Lyon aux fins, principalement, de voir juger qu'ils sont propriétaires du château de [8].
Par jugement contradictoire du 4 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- débouté M. et Mme [E] [K] de l'ensemble de leurs demandes,
- débouté [NO] [IM] [S], M. [G] [L] et Me [CN] de leurs demandes de dommages-intérêts,
- condamné M. et Mme [E] [K] aux dépens, dont distraction au profit de Me Jean-Jacques Rinck, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné M. et Mme [E] [K] à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile :
- à [NO] [S] la somme de 1.500 euros,
- à M. [G] [L] la somme de 1.500 euros,
- in solidum à Me [CN] la somme de 1.500 euros.
[NO] [S] est décédée le 21 août 2023.
Par déclaration du 15 novembre 2023, M. et Mme [E] [K] ont interjeté appel du jugement.
Par ordonnance du 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'injonction de communication de pièces des époux [E] [K] à l'encontre des consorts du [L],et autorisé Maître [H] [T], notaire à [Localité 9], à communiquer aux époux [E] [K] par l'intermédiaire de leur conseil, le testament de M. [O] en date du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967.
* * *
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 14 mai 2025 M. et Mme [E] [K] demandent à la cour de :
- débouter Me [CN] de l'intégralité de son appel incident formé par voie de conclusions notifiées le 6 mai 2024,
- débouter M. [G] [L] agissant en son nom personnel, ainsi que MM. [C] [L] et [G] [L] agissant tant qu'héritiers de [NO] [S] de l'intégralité de leur appel incident formé par voie de conclusions notifiées le 6 mai 2024,
- infirmer le jugement rendu le 4 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a :
- les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes,
- les a condamnés aux dépens, dont distraction au profit de Me Jean-Jacques Rinck, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- les a condamnés à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile :
- à [NO] [S] la somme de 1.500 euros,
- à M. [G] [L] la somme de 1.500 euros,
- in solidum à au notaire la somme de 1.500 euros,
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger que [V] [S] était de son vivant propriétaire du domaine de [8] par l'effet du testament de [X] [O] du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967, interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955,
- juger inaliénable le domaine de [8] en vertu du testament de [X] [O] du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967 interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955,
A titre subsidiaire,
- juger que [V] [S] était de son vivant nu-propriétaire du domaine de [8] par l'effet du testament de [Y] [Z],
En conséquence,
Sur la responsabilité du notaire,
- déclarer fautif le règlement par Me [CN] de la succession de [Y] [Z],
- le condamner à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés du fait des fautes commises par l'officier ministériel,
- le condamner à leur payer la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral compte-tenu de la vente du domaine de [8] à la société Duolis en méconnaissance des volontés de [SS] [O], d'[Y] [Z] et de [V] [S],
Sur la violation du pacte de préférence,
- juger [NO] [S] responsable de la violation du pacte de préférence conclu à leur profit à l'occasion de la vente du domaine de [8],
- condamner in solidum MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à leur perte de jouissance sur le domaine,
- condamner in solidum MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers [NO] [S], à leur payer la somme de 60.000 euros en réparation de leur préjudice moral pour n'avoir pu acquérir le domaine,
Subsidiairement,
Sur la rupture brutale des pourparlers,
- juger [NO] [S] et M. [G] [L] responsables de la rupture fautive des pourparlers engagés avec eux en vue de la vente du domaine de [8],
- condamner in solidum M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de jouissance des appelants sur le domaine,
- condamner in solidum M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S] à leur payer la somme de 60.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
Sur la faute de M. [G] [L],
- le juger fautif pour avoir fait obstacle à la vente du domaine de [8] à leur bénéfice,
- le condamner à leur payer la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés du fait de sa faute,
- le condamner à leur payer la somme de 15.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
En tout état de cause,
- débouter M. [C] [L], en sa qualité d'héritier de [NO] [S], M. [G] [L], en son nom personnel et en sa qualité d'héritier de [NO] [S], et Me [CN] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner in solidum Me [CN], M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 à leur profit,
- condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 27 mai 2025, M. [G] [L] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de [NO] [S] et M. [C] [L] en sa qualité d'héritier de [NO] [S] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 4 octobre 2023 en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] [K] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à leur encontre,
- l'infirmer pour juger l'action manifestement abusive,
- constater, dire et juger que M. et Mme [E] [K] ont initié cette procédure injustifiée, infondée et abusive,
En conséquence,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à leur verser la somme de 12.000 euros chacun en réparation du préjudice qu'ils ont subi,
- condamner les mêmes à leur verser la somme de 6.000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celui de première instance,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance.
***
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mai 2024, Me [CN] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 4 octobre en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] [K] de l'intégralité de leurs prétentions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre du concluant,
- l'infirmer pour juger l'action manifestement abusive,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé à l'officier public par une action dépourvue de tout fondement portée à la connaissance de tiers et destinée à nuire à sa réputation,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juin 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
La cour précise que pour plus de concision, le domaine de [8] sera appelé infra le Domaine.
Sur la responsabilité du notaire
Les appelants font valoir que :
- [N] [GF], nièce de [G] et [C] [L], a un lien de parenté par alliance avec Mme [Z] et ses enfants et il existait en outre une communauté de projets avec [V] [S], sur la préservation du patrimoine ; ce dernier, par reconnaissance, leur a promis la donation du Domaine mais il n'a pu réaliser la réaliser, seul demeurant le testament en faveur de sa soeur, désignée légataire universelle,
- cette dernière connaissait les dernières volontés de son frère et s'est engagée à faire donation de sa part, mais elle est revenue sur son engagement au profit d'une vente pour un prix de 600.000 euros,
- le notaire malgré son obligation d'authentifier et de conseil a manqué à ses obligations ; il a ignoré la libéralité consentie par [SS] [O],
- le testament de M. [O] est la réplique des dernières volontés de son épouse ; la disposition s'interprète comme un legs en faveur de Mme [Z] assorti d'un souhait que cette dernière transmette le bien à une personne particulière, en l'espèce son fils [V] et cette libéralité à double détente du testament de M. [O], interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955 à laquelle il a voulu se référer, n'est pas une substitution et est donc valable ; ce n'est pas une charge mais un voeu de retransmission,
- on peut aussi considérer que, conformément à l'article 899 ancien du code civil, le testament de M. [O] consent une libéralité en usufruit au grevé de substitution Mme [Z], et une libéralité en nue-propriété à l'appelé; ce montage désormais autorisé par la loi du 23 juin 2006, éclaire le sens du legs inhabituel en nue-propriété consenti par Mme [Z] à son fils puisqu'elle s'est considérée comme simple légataire en usufruit en vertu du testament de M. [O], la nue-propriété étant transmise à ses enfants [S] par le même testament, M. [O] a donc voulu léguer l'usufruit à sa nièce et la nue-propriété à son fils pour une transmission en pleine propriété au décès de Mme [Z],
- les juridictions disposent d'un pouvoir souverain dans l'interprétation des testaments, leur permettant de rechercher la volonté réelle du testateur sans s'arrêter aux dispositions formelles du testament,
- Mme [O] a révoqué en juin 1955 son testament de février 1955 pour assurer à son époux la jouissance de leur domicile et lui a légué l'universalité de sa succession sans renoncer à sa volonté de transmettre à terme le Domaine à sa nièce à charge pour celle-ci de le transmettre ensuite à ses enfants [S] ; M. [O] a respecté les intentions de son épouse ; c'est à la lumière de ces volontés qu'il faut interpréter le legs du Domaine à Mme [Z],
- les consorts [L] dénaturent le testament de M. [O] qui exprime clairement le v'u que Mme [Z] 'assure la transmission des immeubles à [Localité 7] à ses enfants [S]' et le nom de [NO] [S] n'étant qu'une préférence indicative, et non une désignation s'imposant pas à Mme [Z], son fils n'étant nullement exclu,
- le notaire devait s'assurer de l'existence de dispositions de dernière volonté, interroger ses clients ou de toute autre personne dont la libéralité était susceptible d'affecter le règlement de la succession ; il aurait alors réalisé que la libéralité de M. [O] léguait à [V] [S] la nue-propriété, et à sa mère l'usufruit du château, et en aurait déduit que [V] [S] était devenu pleinement propriétaire par l'effet du décès de sa mère, usufruitière. Cette dernière s'est elle-même considérée dans son testament comme usufruitière et a considéré le légataire comme un nu-propriétaire,
- la méconnaissance par l'officier public de la libéralité a entraîné l'impossibilité pour [V] [S] de mettre à exécution son projet de transmission et le tribunal a ignoré la substitution fidéicommissaire contenue du testament, écarté à tort l'erreur du notaire en considérant le legs à Mme [Z] uniquement en cas de pré-décès du mari,
- la rétention du testament par les consorts [L] confirme leur interprétation,
- [Y] [Z] a voulu que son fils devienne seul propriétaire à son décès du Domaine, la limitation du legs à la nue-propriété s'expliquant par le fait que par le legs [O], elle avait déjà reçu l'usufruit, ceci pour contourner la prohibition des substitutions mais le notaire a créé artificiellement entre les héritiers des rapports d'usufruitier à nu-propriétaire qui sont venus inutilement compliquer le règlement de la succession,
- en prétendant que le Domaine devait revenir à leur s'ur, les frères [L] reconnaissent qu'ils n'avaient aucun droit sur ce domaine,
- il y a eu une erreur dans la déclaration de succession, [V] [S] n'a cessé de dire qu'il était institué par M. [O], alors que le notaire est parti du principe d'un bien indivis entre les 4 enfants, aucun legs en usufruit n'est intervenu,
- le notaire a commis des erreurs techniques ; déduire d'un legs en nue-propriété une dévolution légale de l'usufruit aux héritiers comme l'a fait le tribunal est incorrect, l'usufruit est anéanti à la mort de l'usufruitier ; la première prémisse du raisonnement du notaire est qu'en demandant le bénéfice de son legs particulier, l'héritier perd son droit sur les autres biens de la succession mais le fait pour un héritier de bénéficier d'un legs particulier ne le prive pas de ses droits d'héritier légal sur le reste de la succession dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à la réserve héréditaire, comme en l'espèce ; la seconde prémisse est de croire que l'héritier légataire doit demander la délivrance de son legs, mais la thèse d'une renonciation par [V] [S] à son legs n'est pas sérieuse, il a toujours contesté la répartition successorale faite par le notaire sur le fondement de la dévolution légale,
- le legs particulier donne au légataire un droit de propriété exclusif sur le bien légué, au décès du testateur et n'est pas inclus dans l'indivision successorale, sauf indemnité de réduction mais tel n'est pas le cas,
- les nombreuses lettres de [V] [S] témoignent de son obsession d'organiser la transmission de [8] mais il n'a pu acheter que la part d'[C]. Ces rachats de parts ont été des obstacles insurmontables puisqu'il n'arrivait déjà pas à faire face aux charges du château. Il pouvait instituer sa soeur légataire universel et instituer un legs particulier à leur bénéfice, cette volonté étant constante,
- si [V] [S] a été désigné nu-propriétaire, il ne pouvait être usufruitier, du même bien, fusse en partie,
- la clause d'inaliénabilité a été méconnue, l'interdiction de vendre est licite, bien que perpétuelle ; l'instance parallèle ayant visé à voir déclarer le château inaliénable n'a pas le même objet que la présente instance et n'a pas d'autorité de la chose jugée, et il n'y a pas de décision au fond ; la réalité de dettes successorales n'est pas rapportée.
Maître [CN] rétorque que :
- les seules dernières volontés d'[Y] [Z] résultent de son testament olographe du 21 mai 1984, suivi d'un codicille du 9 mars 1989 aux termes desquels elle a consenti divers legs particuliers ne modifiant pas la dévolution successorale,
- les consorts [E] [K] n'ont aucune qualité pour obtenir la déclaration de succession d'[Y] [Z] ; ils ne peuvent invoquer pour justifier leur appétence des dispositions testamentaire de la mère de Mme [Z], Mme [O], et des charges non opposables aux tiers ou des libéralités à leur profit qui n'existent pas,
- [V] [S] souhaitant conserver des droits sur l'ensemble dépendant de la succession de sa mère, il n'a pas sollicité de ses frères et soeurs la délivrance du legs, pour rester coindivisaire des biens et droits immobiliers dépendant de l'immeuble sis à [Adresse 10] et face au peu de liquidités de la succession, les consorts [S] et [L] ont eu l'obligation de vendre divers biens et droits immobiliers pour régler des factures et une partie des droits de succession. [C] [L] a cédé l'ensemble de ses droits au profit de son frère et de sa soeur,
- aux termes de son testament olographe fait à [Localité 9] le 23 mai 1999, [V] [S] a institué pour légataire universelle, sa s'ur, et non pas les époux [E] [K], et ce testament n'a jamais été modifié depuis cette date, démentant tout préjudice appelants, voire toute perte de chance de devenir propriétaires,
- l'acte de notoriété indique régulièrement que Mme [S] est seule légataire universelle, cette dernière a mis le Domaine en vente pour paiement des droits, en accord avec son demi-frère [G],
- le secret professionnel, général et absolu, interdit au notaire dépositaire de répondre à des demandes de renseignements émanant de tiers, en l'absence d'autorisation des héritiers.
Les consorts [L] expliquent que :
- Mme [Z] n'a pas hérité de Mme [O] mais de son mari, institué légataire universel par testament du 7 juin 1955, en exprimant très clairement qu'elle transmette à son tour ces biens à sa fille de préférence à son frère et selon la volonté des époux [O] dans leurs testaments respectifs était dévolue in fine à [NO] [S], filleule de [M] [O] mais ce voeux n'a pas été respecté et la nue-propriété du Domaine a été léguée à [V] [S], mais l'usufruit a été dévolu aux autres cohéritiers,
- jusqu'à son décès, [V] [S] n'était pas en position de disposer du Domaine en l'absence de délivrance du legs d'une part et d'autre part faute d'en être pleinement propriétaire ; la nue-propriété du Château ne lui appartenait pas en totalité et a fortiori à sa soeur puisque le partage successoral n'a jamais été signé faute d'accord sur les estimations ; le Domaine faisait encore l'objet d'une indivision au jour du décès de [V] [S] de sorte que le notaire en a attribué un quart en toute propriété à [G] [L],
- dans son testament, [V] [S] a rétabli sa soeur dans les droits dont elle aurait dû bénéficier,
- les appelants font état de droits de parenté qui n'existent pas, le titre de neveu par alliance est illégitime, ils n'ont aucune vocation successorale.
Il s'en remettent ensuite aux conclusions du notaire, relevant que l'ensemble du raisonnement adverse est fondé sur un fait inexact alors que la lettre du 13 février 1955 a été expressément révoquée. Ils soulignent que le tribunal a été saisi en parallèle d'une demande aux fins de rendre le château inaliénable mais les appelants ont été déclaré irrecevables à agir, de manière définitive, mais tentent de revenir sur cette décision,
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Selon l'article 9 du code de procédure civile, 'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention'.
S'agissant plus particulièrement de la responsabilité extra-contractuelle du notaire, la cour rappelle que ce dernier, en sa qualité de rédacteur de l'acte, a e obligation d'information et un devoir de conseil à l'encontre des parties à l'acte, devant s'assurer de la validité et de l'efficacité de cet acte.
IL appartient aux appelants de rapporter la preuve d'une faute du notaire directement génératrice pour les appelants d'un préjudice indemnisable.
Il est relevé de manière liminaire que les appelants, contrairement à ce qu'ils suggèrent en préambule, ne tirent des liens d'alliance de l'épouse aucun droit de succession découlant de l'application des dispositions légales.
Ensuite, c'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte sans qu'il ne soit nécessaire de les paraphraser, que les premiers juges ont retenu que:
- sur la méconnaissance par le notaire de la libéralité consentie par Mme [O], tirée du courrier de février 1955, qui constituerait selon eux une missive testamentaire légant le domaine à [Y] [Z] aux fins que cette dernière le lègue à son tour à son fils [V], et dont les termes exacts sont rappelés dans l'exposé du litige que le testament authentique du 7 juin 1955, dont les termes sont également rappelés supra, contrairement à ce qui est soutenu, ne lègue pas le Domaine à [Y] [Z] mais ne le fait que subsidiairement, et il stipule précisément à la fin de l'acte que sont révoquées toutes les dispositions antérieures,
- ainsi, postérieurement à la lettre de février 1955, Mme [O] a exprimé son choix, non modifié ensuite, de léguer l'intégralité de ses biens à son époux si ce dernier lui survivait, que le notaire n'a nullement méconnu une disposition testamentaire qui avait été révoquée au décès de [SS] [O], laquelle a légué le domaine à son époux,
- [X] [O] a lui-même légué le Domaine à [Y] [Z] (attestation immobilière de Maître [T] du 4 mai 1972) sans plus de précisions sur le sort ultérieur du Domaine,
- c'est vainement que les époux [E] [K] invoquent le fait que [SS] [O] aurait entendu que [V] [S] hérite du Domaine, dans la mesure où la testatrice avait aux termes de son testament du 7 juin 1955 expressément demandé qu'[Y] [Z] assure la transmission des immeubles à ses enfants [S], et en premier lieu à sa fille [NO], sa filleule,
- aucun grief ne peut donc être retenu à l'encontre du notaire à ce titre, étant rappelé qu'il n'est pas intervenu lors des opérations de liquidation des successions de [SS] [O] puis d'[X] [O], liquidées en conformité des dispositions testamentaires,
- sur l'erreur commise dans la dévolution successorale d'[Y] [Z], aux motifs que partant du principe que le domaine aurait été indivis entre quatre enfants alors qu'il n'y a pas d'indivision entre le légataire particulier et les héritiers, ce qui aurait empêché [V] [S] de disposer librement du Domaine à leur profit, que selon l'article 1014 alinéa 1 du code civil tout legs pur et simple donne au légataire du jour du décès du testateur un droit transmissible à la chose léguée, et que si l'alinéa 2 prévoit une demande d'entrée en possession des légataires à titre particulier, les héritiers légaux sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt et n'ont pas à demander la délivrance des legs particuliers dont ils bénéficient, que le notaire soutient donc à tort que [V] [S] n'avait pas sollicité de ses frères et soeur la délivrance du legs au regard de ces dispositions,
- c'est cependant tout aussi inexactement que les appelants soutiennent que [G] [L] n'a jamais eu la qualité d'usufruitier du Domaine en ce que Mme [Z] avait légué la nue-propriété à [V] [S] selon testament du 21 mai 1984, et qu'à la mort de sa mère, ce dernier devenait entièrement propriétaire du Domaine,
- aux termes de ce testament, [Y] [Z] n'avait légué que la nue-propriété du Domaine, legs s'imputait sur la quotité disponible de sa succession et éventuellement sur les droits de son fils, que si la donation de la nue-propriété permet au donataire, au décès du donateur, de devenir pleinement propriétaire du bien, l'objectif du testament, disposition à cause de mort, ne peut être de transmettre au décès du testateur l'usufruit au légataire de la nue-propriété, sauf à priver de tout effet celle clause instituant expressément un démembrement de propriété,
- [Y] [Z] a ainsi entendu léguer à son fils la nue-propriété du Domaine, ce qui a conduit logiquement le notaire à ne calculer les droits de succession de ce dernier que sur sa part réservataire majorée de la valeur de la nue-propriété du Domaine, objet du legs particulier, mais non l'usufruit ; elle n'a donc pas entendu lui léguer la pleine propriété du Domaine à son décès,
- c'est exactement que les consorts [L] et [S] ont soutenu qu'une indivision demeurait sur le Domaine, soit l'usufruit des quatre enfants sur ce Domaine,
- ainsi, [V] [S] ne disposait pas de la pleine propriété sur le domaine au décès de sa mère, et à son décès, [NO] [S] n'en disposait pas plus, ; il n'existe donc aucune faute du notaire ayant privé les appelants de la transmission du Domaine par [V] [S],
- les correspondances de [V] [S], si elles font pour certaines état de l'espoir d'une transmission du Domaine aux époux [E] [K], ne manifestent nullement une volonté ferme d'une telle transmission, de son vivant ou à sa mort,
- au contraire, une telle volonté alléguée par les appelants est infirmée par le testament manifestant sa volonté non équivoque en faveur de sa soeur et concernant tous ses biens,
- les préjudices au titre d'une perte de chance de se voir attribuer le Domaine et d'honorer la mémoire de [V] [S] invoqués par les époux [E] [K] sont sans lien avec la faute du notaire,
- sur la méconnaissance de la clause d'inaliénabilité contenue dans le courrier du 13 février 1955, elle est inopérante en ce que le testament de juin 1955 l'a en tout état de cause révoquée,
- les époux [E] [K] sont en conséquence déboutés de leurs prétentions à l'encontre du notaire.
La cour ajoute, confirmant le jugement, que :
- l'argumentation des appelants repose au principal sur le postulat que [V] [S] a hérité de l'intégralité des droits sur le Domaine et pouvait en disposer librement,
- or, ceci ne peut en aucun cas résulter en premier lieu de la lettre de février 1955, expressément révoqué par le testament suivant dénué de toute ambiguïté, dès lors, il est totalement inopérant pour les appelants de se prévaloir de ce courrier en appui de leurs prétentions,
- leur argumentation ne peut non plus avoir pour support le testament de juin 1955, instituant M. [O] légataire universel, l'acte précisant qu'il a seul des droits sur la totalité des biens, ce qui s'oppose sans écuivoque à tout démembrement de propriété,
- il est relevé que cette dévolution successorale n'a jamais été remise en cause par Mme [Z] ni par un des enfants [S], ce qui établit qu'à ce stade, ils ne pouvaient ignorer qu'ils n'avaient pas de droits à faire valoir dans la succession [O] sauf en cas de pré-décès d'[X] [O], ce qui n'est pas arrivé ; il est d'ailleurs relevé que le simple souhait émis par Mme [O], qui n'institue aucun droit successoral, est en faveur de [NO] [S] et non de son frère, et la disposition du testament n'ayant effet en tout état de cause qu'en cas de pré-décès de l'époux, ce subsidiaire ne peut produire aucun effet,
- s'agissant du testament d'[X] [O], produit en cause d'appel, il contient le legs particulier consenti à [Y] [Z] sur le domaine, lequel est en pleine propriété, n'emporte aucune remarque particulière, il est en pleine propriété, aucun démembrement de propriété n'étant stipulé ; ce testament n'émet par ailleurs qu'un'voeu', ce qui n'est pas créateur de droit, sur la transmission ultérieure du dommaine aux enfants [S], avec là-aussi une priorité à la fille [NO],
de sorte que le testament d'[X] [O] ne créé aucun droit successoral en faveur de [V] [S], qui là non plus, n'a jamais revendiqué de tels droits ; c'est vainement que les appelants en appellent aux dispositions de l'article 899 ancien du code civil en prétendant à 'une libéralité en usufruit au grevé de substitution Mme [Z] et en nue-propriété à l'appelé' aux motifs qu'un tel montage serait désormais autorisé, le testament d'[X] [Z] ne contenant rien de tel,
- rien ne confirme que Mme [Z] se soit considérée comme simple légataire en usufruit, ce qui ne résulte notamment pas des opérations successorales,
- si la nue-propriété avait été transmise à [V] [S] antérieurement au décès de Mme [Z], cette dernière n'aurait pu transmettre cette nue-propriété à cause de mort,
- il est dès lors évident qu'en léguant uniquement la nue-propriété du domaine à son fils [V] à cause de mort, l'usufruit sur le même bien était bien transmis aux quatre enfants,
- rien n'établit que [V] [S], à un quelconque moment de sa vie, ait établi des démarches poiur procéder à une dévolution successorale autre que celle au bénéfice de sa soeur.
La cour confirme en conséquence le jugement sur l'absence de faute du notaire dans les opérations de succession.
Sur la violation du pacte de préférence
Les appelants soutiennent que :
- [NO] [S] leur a consenti un pacte de préférence sur la vente du Domaine et le notaire a reconnu l'existence de ce pacte puisqu'il a reconnu le projet de vente, en prétendant qu'il n'avait pu aboutir faute d'accord sur la chose et le prix,
- par courrier du 30 avril 2016, ils ont rappelé ce pacte au notaire, lequel ne l'a pas nié,
- il n'importe pas qu'il n'y ait pas eu d'accord sur le prix et [NO] [S] a violé ce pacte en accordant un mandat de vente exclusif à une agence immobilière de sorte qu'il y a eu fraude à leurs droits,
- leur perte de jouissance est de 600.000 euros outre un préjudice moral,
- le tribunal leur a reproché de produire uniquement des pièces qu'ils ont établies mais leurs courriers n'ont pas été démentis par le notaire, les consorts [L] le reconnaissent également dans leurs écritures,
- le tribunal a retenu à tort un usufruit, mais celui-ci s'est éteint au décès de la testatrice, et il n'empêchait pas la vente en tout état de cause, la qualité d'indivisaire d'une personne ne lui donnant pas le droit d'être partie à un pacte de préférence consenti par un autre indivisaire,
- l'argumentation des intimés est confuse sur une indivision en nue-propriété ou en pleine propriété, et il n'y a pas d'indivision en pleine propriété, le légataire particulier ayant un droit de propriété exclusif sur le bien objet du legs dès le décès du testateur.
[G] [L] rétorque que :
- l'écrit imprécis et équivoque dont se prévalent les appelants est antérieur au testament du 23 mai 1999, il ne fait pas référence à un legs mais seulement à une donation éventuelle à une personne indéterminée, et [V] [S] a ensuite changé d'avis, pour respecter les dernières volontés des époux [O],
- rien n'atteste d'un pacte de préférence, et [NO] [S] n'était pas seule propriétaire du château en présence de son usufruit,
- il avait le droit de refuser la vente.
Réponse de la cour
Selon l'article 1123 du code civil, 'Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter'.
Cette disposition est postérieure à l'entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats de sorte que le jugement a, à juste titre retenu qu'elle n'était pas applicable à la date alléguée du 19 octobre 2015 où ils auraient été désignés comme des acquéreurs prioritaires du Domaine, mais que toutefois, un tel pacte avait été reconnu en jurisprudence antérieurement de sorte qu'il convient d'examiner la demande à ce titre.
Il appartient aux appelants de rapporter la preuve de l'existence d'un tel pacte.
C'est également par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que :
- pour démontrer l'existence d'un tel pacte et sa méconnaissance, les époux [E] [K] se prévalent de trois écrits des 30 avril, 20 mai et 13 juin 2015 qui n'émanent que d'eux-mêmes et aux termes desquels (courriers 1 et 3) ils se décrivent comme acquéreurs prioritaires ; ils ne produisent nul acte émanant de la partie à laquelle ce contrat allégué est opposé, soit [NO] [S], ces pièces sont donc inopérantes pour établir la réalité d'un pacte de préférence,
- cette dernière, malgré la vente par [C] [L] de ses parts à son frère, ne disposait pas à cette date de tous les droits en pleine propriété sur le Domaine, ce qui explique qu'il a été partie au mandat de vente et à la vente, sans d'ailleurs que [NO] [S] ne lui dénie ses droits,
- [NO] [S] ne pouvait en conséquence consentir un pacte de préférence au bénéfice des appelants alors que l'accord de son frère était nécessaire,
- les époux [E] [K] ne rapportent en conséquence la preuve d'un préjudice qui aurait découlé de la rupture d'un pacte de préférence, préjudice d'ailleurs non établi.
La cour ajoute, confirmant le jugement, qu'aucun écrit du notaire ne confirme la réalité d'un tel pacte de préférence et cette réalité ne peut se déduire d'une absence de réponse aux courriers adverses, le notaire reconnaissant seulement avoir donné des renseignements juridiques sur les possibilités de transmission ce qui n'est pas reconnaître l'existence d'un pacte de préférence, qu'il n'est donc établi aucune rupture fautive d'un pacte de préférence par [NO] [S] au détriment des appelants.
La cour confirme en conséquence le jugement déféré sur l'absence de pacte de préférence.
Sur la rupture des pourparlers
Les appelants soutiennent que :
- il y a eu une rupture brutales de pourparlers puisqu'ils étaient entrés en relation avec [NO] [S] pour envisager une transmission à titre gratuit du château et le rendez-vous du 15 octobre 2015 devait permettre de l'envisager, donc ils n'avaient pas à faire de démarches en vue d'une vente à cette date,
- Mme [S] qui avait hérité seule de la pleine propriété du bien leur a finalement assuré qu'il seraient les acquéreurs prioritaires, ils ont accepté d'acheter le bien pour honorer la mémoire de leur oncle, demandé un prêt à leur banque et souscrit une assurance à la demande du vendeur ; les intimés reconnaissent les pourparlers puisqu'ils font valoir l'absence de prix,
- ils ont proposé une somme de 600.000 euros pour l'acquisition, puis 640.000 euros en apprenant la vente projetée, le notaire reconnaît le rapprochement entre les parties,
- le tribunal judiciaire a reconnu ces pourparlers mais les a estimés sans concurrence en raison de droits d'usufruit qui n'existent pas en fait, le legs d'un bien avec réserve d'usufruit étant impossible en droit parce qu'il porte atteinte à l'intransmissibilité de l'usufruit, et le legs d'usufruit tacite étant exclu,
- l'existence d'un usufruit n'exclut pas l'aliénation de droits en nue-propriété,
- c'est en fait [G] [L] qui a fait pression sur sa soeur pour lui faire renoncer à la vente projetée et commet une faute celui qui rompt unilatéralement et de mauvaise foi des pourparlers ; ceux ci étaient avancés en l'espèce, la rupture initiée par [G] [L] est délibérée et brutale, le notaire reconnaît cette rupture.
Les consorts [L] rétorquent que :
- les demandes adverses sont incohérentes, faisant valoir tour à tour une donation, un testament, puis le caractère inaliénable de la propriété pour fonder une oeuvre catholique, les appelants reconnaissent désormais que la propriété ne peut pas avoir été transmise, par aveu judiciaire, et se prévalent désormais à tort de l'article 1112 du code civil,
- après avoir tenté de se faire léguer le domaine, ils ont cru pouvoir profiter d'une certaine vulnérabilité de leur soeur qu'ils imaginaient seule propriétaire du domaine de [8], mais réalisant que celle-ci n'accepterait pas de le faire et apprenant que le domaine allait être vendu, ils ont opportunément contacté leur banque, plus de 8 mois après le rendez-vous du mois d'octobre 2015 pour prétendre qu'ils souhaitaient acquérir le château,
- il n'y a jamais eu de rupture de pourparlers, faute de pourparlers.
Réponse de la cour
En application de l'article 1382 ancien du code civil, celui qui par son comportement fautif cause à autrui un préjudice peut être tenu l'indemniser de celui-ci.
S'agissant plus particulièrement des règles régissant les pourparlers, elles découlaient avant le premier octobre 2016 de l'obligation d'exécution loyale du contrat. Les dispositions de l'article 1112 du code civil découlent en effet de l'ordonnance du 10 février 2016 applicables le 1er octobre 2016.
Il appartient aux appelants de démontrer la rupture de manière abusive et préjudiciable de pourparlers régulièrement engagés, étant rappelé que la rupture de négociations pré-contractuelles est libre.
Il est relevé de manière liminaire que la rupture fautive de pourparlers permet d'obtenir le remboursement de frais ou dépenses engagés à perte mais nullement d'obtenir la compensation de la perte des avantages du contrat s'il avait été conclu, et que la demande des appelants à hauteur de 600.000 euros correspond exactement à une telle compensation prohibée puisqu'il est demandé un montant correspondant à la valeur du Domaine.
Il est ajouté qu'il est vain à ce stade pour les appelants de remettre à nouveau en cause les droits de [G] [L] sur le Domaine, comme vu supra.
C'est ensuite à juste titre que le tribunal a retenu l'existence de discussions entre les époux [E] [K] et [NO] [S] et notamment le 19 octobre 2015 en l'étude de Maître [CN] et par ailleurs retenu qu'à cette date, les époux [E] [K] n'ignoraient pas que l'accord de [G] [L] était nécessaire (courrier du 30 avril 2016 en ce sens), qu'aucune négociation n'avait été entamée par les appelants avec ce dernier, opposé à toute cession à leur profit, notamment eu égard à l'estimation financière du Domaine, que dès lors, il ne peut être reproché à [NO] [S] d'avoir mis fin à des discussions qui ne pouvaient aboutir à un accord.
Il a enfin à juste titre retenu que de telles discussions n'étaient pas constitutives de pourparlers dont la rupture aurait été fautive alors que notamment le prix n'avait pas été abordé, que les consorts [S] et [L] étaient dès lors libres de confier la vente à une agence immobilière, qu'aucune faute n'a non plus été commise par eux, ayant vendu dans le respect des règles du mandat de vente de l'agence.
La cour, adoptant ces motifs, confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande au titre d'une rupture fautive de pourparlers, ajoutant qu'il n'a jamais été question de l'acquisition de droits en nue-propriété, qu'il ne peut non plus être reproché à l'intimé la rupture fautive de pourparlers qu'il n'avait pas lui-même engagé et la défense de ses droits d'héritier.
Sur la faute de [G] [L]
Les appelants sollicitent une somme de 600.000 euros à l'encontre de [G] [L] à titre de dommages et intérêts correspondant selon eux à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés par sa faute en soutenant que :
- ce dernier n'a aucun droit de propriété sur le domaine, et la vente qu'il a consentie en pleine propriété est une usurpation,
- il a fait obstacle à ce que [V] [S] et, après sa mort, [NO] [S], leur transmette le domaine en faisant croire qu'il avait un quart de la propriété,
- il a convaincu sa s'ur de ne pas leur céder à titre gratuit ou de leur vendre sa part du Domaine de [8], et de vendre pour les évincer, invitant le notaire à les éconduire.
[G] [L] rétorque que si sa soeur a un temps a pu envisager de vendre le domaine de [8], elle a changé d'avis et avait parfaitement le droit de le faire, et que lui-même n'a fait qu'user de son droit sans abus.
Réponse de la cour
Force est de constater, au vu de tout ce qui précède, que les appelants partent à tort du postulat selon lequel [G] [L] ne détiendrait aucun droit de propriété sur le domaine. Cette version ayant été rejetée, il ne peut être reproché à [G] [L] de s'être prévalu de manière fautive de droits qu'il ne possédait pas.
Ensuite, sur le comportement imputé à l'intimé, aucune manoeuvre fautive et dommageable n'est concrètement établie. Eu égard aux droits dont il disposait sur le bien, il avait tout à fait le droit de refuser la transmission du domaine telle que souhaitée par les appelants.
Sur les demandes reconventionnelles en paiement de dommages intérêts
Les intimés soutiennent qu'il est indiscutable que l'action introduite par les consorts [E] [K], particulièrement injustifiée et abusive leur a causé un préjudice important, d'une part en retardant la vente envisagée par eux du château, et en tous cas en faisant peser sur cette vente un aléa particulièrement important, a fortiori dans un contexte où leur soeur souhaitait procéder au paiement des droits sur la succession grâce au prix de la vente du château, qu'ils ont été très perturbés par cette procédure.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'agir, lequel suppose la démonstration d'une faute.
Le simple fait pour un succombant en première instance de faire à nouveau valoir ses droits en appel, même vainement, n'est pas en soi constitutif d'une faute.
Les pièces remises par les intimés ne révèlent par ailleurs la réalité d'aucun préjudice dommageable et notamment financier qui aurait découlé d'un retard apporté à la vente du Domaine ou d'un aléa sur cette vente.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les condamnations de première instance à ce titre sont confirmées.
Les dépens d'appel sont à la charge des consorts [E] [K] qui succombent sur leurs prétentions.
En outre, l'équité commande de les condamner à payer à chacun des intimés la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [N] [E] [K] et M. [I] [E] [K] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit du conseil de Maître [CN].
Condamne in solidum Mme [N] [E] [K] et M. [I] [E] [K] à payer :
- à M. [G] [R] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à M. [C] [R] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à Me [P] [CN] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 04 octobre 2023
RG : 17/02354
ch n°1 CAB 01B
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 21 Octobre 2025
APPELANTS :
Mme [N] [E] [K]
née le 28 Novembre 1962 à [Localité 9] (69)
[Adresse 2]
[Localité 6]
M. [I] [E] [K]
né le 12 Octobre 1964 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1106
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric ZENATI - CASTAING de la SAS ATRHET, avocat au barreau de LYON,
INTIMES :
M. [G] [R] [L] agissant en son nom personnel et ès-qualité d'héritier de Madame [NO] [IM] [S]
né le 06 Juillet 1947 à [Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 5]
M. [C] [R] [L] ès-qualité d'héritier de Madame [NO] [IM] [S]
né le 06 Juillet 1947 à [Localité 11]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Représentés par Me Sylvaine CHARTIER de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1188
Me [P] [CN] ancien notaire associé de la SCP Pierre-Yves SYLVESTRE, [P] [CN], Xavier LEVRAULT, Stéphanie SENNETERRE-DURAND, Jacques BERAT, Stanislas [CN], Cyrille MORIOU, Antoine URVOY,
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représenté par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
ayant pour avocat plaidant Me Stéphane CHOUVELLON de la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON, toque : 719
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 05 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Juin 2025
Date de mise à disposition : 30 Septembre 2025 prorogée au 21 Octobre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
[Y] [Z] a eu :
- de sa première union avec [U] [IM] [S] (et ci-après [S]) deux enfants :
- [V] [S],
- [NO] [S],
- de sa seconde union avec [U] [R] [L] (et ci-après [L]) deux enfants :
- M. [G] [L],
- M. [C] [L].
[U] [L], avait épousé en premières noces [JX] [J], et ils ont notamment eu pour petite fille Mme [N] [GF], épouse de M. [I] [E] [K].
[U] [L] est décédé le 22 février 1983.
[SS] [EJ] épouse [O] ([SS] [O]), tante d'[Y] [Z] et propriétaire du château de [8] situé à [Localité 7], est décédée le 20 septembre 1957. Elle avait, le 13 février 1955, adressé à sa nièce une lettre libellée comme suit :
« Je te donne [8]. Ce n'est pas un cadeau mais une charge parce que je voudrais que tu en fasses non une maison mondaine à réceptions mais une maison de famille pour le bien de [Localité 7]. [8] ne doit être ni louée, ni vendue ri aucun prix (').
Celui qui habitera [8] aura la charge de 1'école des filles.
Si elle ne pouvait plus fonctionner qu'elle soir utilisée pour une 'uvre catholique : patronage, dispensaire, petit couvent pour les pauvres... Ne jamais la vendre c 'est un bien d'église qui doit être utilisé uniquement pour des 'uvres catholiques ('). Fais-le, intéresses y tes propres enfants surtout [V].
Si possible, j'aimerais que tu laisses [8] à [V] après toi ».
[SS] [O] a ensuite établi le 7 juin 1955 un testament authentique en ces termes :
« J'institue mon mari, [X] [O], pour mon légataire universel, il aura donc seul droit en cas de mon prédécès, à la totalité des biens composant ma succession.
En cas de prédécès de mon mari, [X] [O] je prends les dispositions suivantes :
(')
Je lègue à ma nièce [Y] [L] née [Z], tous les immeubles que je pourrai posséder au moment de mon décès à [Localité 7], soit notamment la propriété de " [8] ", compris les terrains des "[Localité 12]' derrière la Chapelle de "[8]', l'Ecole des Filles et les deux logements [Adresse 13], la maison [XG], les terrains [XG], [F], [B], etc' en un mot tous les biens immobiliers que je posséderai à mon décès, sur la commune de [Localité 7].
(')
Je demande à [Y] [L] d'assurer la transmission de ces immeubles, à ses Enfants [S], et en premier lieu à sa Fille [NO], ma filleule.
(')
Je révoque toutes dispositions antérieures ».
En l'absence de descendants, [X] [O] a, suivant testament olographe du 30 juin 1964 et codicille du 15 juin 1967, institué légataires universels [W] [Z] et [A] [TD].
Me [D] [T], notaire, a par ailleurs reçu le 22 février 1972 un acte contenant délivrance du legs particulier consenti par [X] [O] à [Y] [Z], portant sur le château de [8].
[Y] [Z] est décédée le 16 juillet 1993, laissant pour lui succéder ses quatre enfants.
Elle avait établi le 21 mai 1984 un testament dans les termes suivants :
« Je lègue par préciput et hors part à mon fils [V] [S] la nue-propriété de ma propriété de [Localité 7] avec tout le mobilier meuble meublant, linge de ménage, argenterie et autres le garnissant, le tout sans exception ni réserves.
Ce legs s'imputera tout d'abord sur la quotité disponible de ma succession et éventuellement sur les droits de mon fils [V] dans sa part réservataire ».
Me [P] [CN], notaire chargé de la liquidation de cette succession (le notaire) a établi une déclaration de succession faisant apparaître un actif net de succession de 4.309.183,91 Francs. Après imputation des legs particuliers sur 1'actif net, soit 200.000 Francs pour [C] [L] et 840.000 Francs (valeur fiscale calculée de [8], soit 70 % de 1.200.000 Francs) à [V] [S], il a arrêté l'actif net subsistant de la succession à 3.269.183,91 Francs, somme ensuite partagée entre les quatre héritiers en parts égales de 817.295,98 Francs, [V] [S] se voyant attribuer en outre la somme de 840.000 Francs correspondant au montant de son legs particulier.
[V] [S], décédé le 7 septembre 2015 sans laisser de descendant, avait établi le 23 mai 1999 un testament olographe dont l'original avait été déposé au rang des minutes du notaire suivant procès-verbal du 30 septembre 2015, dans les termes suivants :
« Ce jour, je laisse en cas de décès, à ma chère s'ur, [NO] [S] tous mes biens quels qu'ils soient sans aucune restriction, si ce n 'est de lui demander de faire dire des messes traditionnelles le plus possible pour mon âme ».
Le 19 octobre 2015, s'est tenue en l'étude du notaire une réunion avec [NO] [S] et les époux [E] [K], afin de discuter de la possible transmission du domaine à ces derniers.
[NO] [S] leur ayant annoncé qu'elle allait vendre le domaine, par lettre du 10 mai 2016, le notaire de M. et Mme [E] [K], Me [ME], a informé Me [CN] de l'offre faite par ses clients, au prix de 600.000 euros.
Un mandat exclusif de vente ayant été consenti à l'agence immobilière Barnes, M. et Mme [E] [K] ont, le 16 mai 2016, adressé à l'agence une offre aux conditions du mandat d'un montant de 640.000 euros. Le même jour, Me [CN] a informé son confrère que les vendeurs s'étaient engagés auprès d'un autre acquéreur. Le bien a ainsi été vendu pour partie à la société Duolis le 27 juillet 2017.
Au motif que [V] [S], avait toujours voulu leur transmettre [8] pour leur en faire assumer la charge, M. et Mme [E] [K] ont, par actes introductif d'instance du 14 février 2017, fait assigner [NO] [S], [G] [L] et le notaire devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Lyon aux fins, principalement, de voir juger qu'ils sont propriétaires du château de [8].
Par jugement contradictoire du 4 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- débouté M. et Mme [E] [K] de l'ensemble de leurs demandes,
- débouté [NO] [IM] [S], M. [G] [L] et Me [CN] de leurs demandes de dommages-intérêts,
- condamné M. et Mme [E] [K] aux dépens, dont distraction au profit de Me Jean-Jacques Rinck, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné M. et Mme [E] [K] à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile :
- à [NO] [S] la somme de 1.500 euros,
- à M. [G] [L] la somme de 1.500 euros,
- in solidum à Me [CN] la somme de 1.500 euros.
[NO] [S] est décédée le 21 août 2023.
Par déclaration du 15 novembre 2023, M. et Mme [E] [K] ont interjeté appel du jugement.
Par ordonnance du 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'injonction de communication de pièces des époux [E] [K] à l'encontre des consorts du [L],et autorisé Maître [H] [T], notaire à [Localité 9], à communiquer aux époux [E] [K] par l'intermédiaire de leur conseil, le testament de M. [O] en date du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967.
* * *
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 14 mai 2025 M. et Mme [E] [K] demandent à la cour de :
- débouter Me [CN] de l'intégralité de son appel incident formé par voie de conclusions notifiées le 6 mai 2024,
- débouter M. [G] [L] agissant en son nom personnel, ainsi que MM. [C] [L] et [G] [L] agissant tant qu'héritiers de [NO] [S] de l'intégralité de leur appel incident formé par voie de conclusions notifiées le 6 mai 2024,
- infirmer le jugement rendu le 4 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a :
- les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes,
- les a condamnés aux dépens, dont distraction au profit de Me Jean-Jacques Rinck, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- les a condamnés à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile :
- à [NO] [S] la somme de 1.500 euros,
- à M. [G] [L] la somme de 1.500 euros,
- in solidum à au notaire la somme de 1.500 euros,
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger que [V] [S] était de son vivant propriétaire du domaine de [8] par l'effet du testament de [X] [O] du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967, interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955,
- juger inaliénable le domaine de [8] en vertu du testament de [X] [O] du 30 juin 1964 et de son codicille du 15 juin 1967 interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955,
A titre subsidiaire,
- juger que [V] [S] était de son vivant nu-propriétaire du domaine de [8] par l'effet du testament de [Y] [Z],
En conséquence,
Sur la responsabilité du notaire,
- déclarer fautif le règlement par Me [CN] de la succession de [Y] [Z],
- le condamner à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés du fait des fautes commises par l'officier ministériel,
- le condamner à leur payer la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral compte-tenu de la vente du domaine de [8] à la société Duolis en méconnaissance des volontés de [SS] [O], d'[Y] [Z] et de [V] [S],
Sur la violation du pacte de préférence,
- juger [NO] [S] responsable de la violation du pacte de préférence conclu à leur profit à l'occasion de la vente du domaine de [8],
- condamner in solidum MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à leur perte de jouissance sur le domaine,
- condamner in solidum MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers [NO] [S], à leur payer la somme de 60.000 euros en réparation de leur préjudice moral pour n'avoir pu acquérir le domaine,
Subsidiairement,
Sur la rupture brutale des pourparlers,
- juger [NO] [S] et M. [G] [L] responsables de la rupture fautive des pourparlers engagés avec eux en vue de la vente du domaine de [8],
- condamner in solidum M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de jouissance des appelants sur le domaine,
- condamner in solidum M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S] à leur payer la somme de 60.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
Sur la faute de M. [G] [L],
- le juger fautif pour avoir fait obstacle à la vente du domaine de [8] à leur bénéfice,
- le condamner à leur payer la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés du fait de sa faute,
- le condamner à leur payer la somme de 15.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
En tout état de cause,
- débouter M. [C] [L], en sa qualité d'héritier de [NO] [S], M. [G] [L], en son nom personnel et en sa qualité d'héritier de [NO] [S], et Me [CN] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner in solidum Me [CN], M. [G] [L] en son nom personnel, MM. [C] et [G] [L], en tant qu'héritiers de [NO] [S], à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 à leur profit,
- condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 27 mai 2025, M. [G] [L] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de [NO] [S] et M. [C] [L] en sa qualité d'héritier de [NO] [S] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 4 octobre 2023 en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] [K] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à leur encontre,
- l'infirmer pour juger l'action manifestement abusive,
- constater, dire et juger que M. et Mme [E] [K] ont initié cette procédure injustifiée, infondée et abusive,
En conséquence,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à leur verser la somme de 12.000 euros chacun en réparation du préjudice qu'ils ont subi,
- condamner les mêmes à leur verser la somme de 6.000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celui de première instance,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance.
***
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mai 2024, Me [CN] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 4 octobre en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] [K] de l'intégralité de leurs prétentions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre du concluant,
- l'infirmer pour juger l'action manifestement abusive,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé à l'officier public par une action dépourvue de tout fondement portée à la connaissance de tiers et destinée à nuire à sa réputation,
- condamner in solidum M. et Mme [E] [K] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juin 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
La cour précise que pour plus de concision, le domaine de [8] sera appelé infra le Domaine.
Sur la responsabilité du notaire
Les appelants font valoir que :
- [N] [GF], nièce de [G] et [C] [L], a un lien de parenté par alliance avec Mme [Z] et ses enfants et il existait en outre une communauté de projets avec [V] [S], sur la préservation du patrimoine ; ce dernier, par reconnaissance, leur a promis la donation du Domaine mais il n'a pu réaliser la réaliser, seul demeurant le testament en faveur de sa soeur, désignée légataire universelle,
- cette dernière connaissait les dernières volontés de son frère et s'est engagée à faire donation de sa part, mais elle est revenue sur son engagement au profit d'une vente pour un prix de 600.000 euros,
- le notaire malgré son obligation d'authentifier et de conseil a manqué à ses obligations ; il a ignoré la libéralité consentie par [SS] [O],
- le testament de M. [O] est la réplique des dernières volontés de son épouse ; la disposition s'interprète comme un legs en faveur de Mme [Z] assorti d'un souhait que cette dernière transmette le bien à une personne particulière, en l'espèce son fils [V] et cette libéralité à double détente du testament de M. [O], interprété à la lumière de la missive testamentaire de son épouse de février 1955 à laquelle il a voulu se référer, n'est pas une substitution et est donc valable ; ce n'est pas une charge mais un voeu de retransmission,
- on peut aussi considérer que, conformément à l'article 899 ancien du code civil, le testament de M. [O] consent une libéralité en usufruit au grevé de substitution Mme [Z], et une libéralité en nue-propriété à l'appelé; ce montage désormais autorisé par la loi du 23 juin 2006, éclaire le sens du legs inhabituel en nue-propriété consenti par Mme [Z] à son fils puisqu'elle s'est considérée comme simple légataire en usufruit en vertu du testament de M. [O], la nue-propriété étant transmise à ses enfants [S] par le même testament, M. [O] a donc voulu léguer l'usufruit à sa nièce et la nue-propriété à son fils pour une transmission en pleine propriété au décès de Mme [Z],
- les juridictions disposent d'un pouvoir souverain dans l'interprétation des testaments, leur permettant de rechercher la volonté réelle du testateur sans s'arrêter aux dispositions formelles du testament,
- Mme [O] a révoqué en juin 1955 son testament de février 1955 pour assurer à son époux la jouissance de leur domicile et lui a légué l'universalité de sa succession sans renoncer à sa volonté de transmettre à terme le Domaine à sa nièce à charge pour celle-ci de le transmettre ensuite à ses enfants [S] ; M. [O] a respecté les intentions de son épouse ; c'est à la lumière de ces volontés qu'il faut interpréter le legs du Domaine à Mme [Z],
- les consorts [L] dénaturent le testament de M. [O] qui exprime clairement le v'u que Mme [Z] 'assure la transmission des immeubles à [Localité 7] à ses enfants [S]' et le nom de [NO] [S] n'étant qu'une préférence indicative, et non une désignation s'imposant pas à Mme [Z], son fils n'étant nullement exclu,
- le notaire devait s'assurer de l'existence de dispositions de dernière volonté, interroger ses clients ou de toute autre personne dont la libéralité était susceptible d'affecter le règlement de la succession ; il aurait alors réalisé que la libéralité de M. [O] léguait à [V] [S] la nue-propriété, et à sa mère l'usufruit du château, et en aurait déduit que [V] [S] était devenu pleinement propriétaire par l'effet du décès de sa mère, usufruitière. Cette dernière s'est elle-même considérée dans son testament comme usufruitière et a considéré le légataire comme un nu-propriétaire,
- la méconnaissance par l'officier public de la libéralité a entraîné l'impossibilité pour [V] [S] de mettre à exécution son projet de transmission et le tribunal a ignoré la substitution fidéicommissaire contenue du testament, écarté à tort l'erreur du notaire en considérant le legs à Mme [Z] uniquement en cas de pré-décès du mari,
- la rétention du testament par les consorts [L] confirme leur interprétation,
- [Y] [Z] a voulu que son fils devienne seul propriétaire à son décès du Domaine, la limitation du legs à la nue-propriété s'expliquant par le fait que par le legs [O], elle avait déjà reçu l'usufruit, ceci pour contourner la prohibition des substitutions mais le notaire a créé artificiellement entre les héritiers des rapports d'usufruitier à nu-propriétaire qui sont venus inutilement compliquer le règlement de la succession,
- en prétendant que le Domaine devait revenir à leur s'ur, les frères [L] reconnaissent qu'ils n'avaient aucun droit sur ce domaine,
- il y a eu une erreur dans la déclaration de succession, [V] [S] n'a cessé de dire qu'il était institué par M. [O], alors que le notaire est parti du principe d'un bien indivis entre les 4 enfants, aucun legs en usufruit n'est intervenu,
- le notaire a commis des erreurs techniques ; déduire d'un legs en nue-propriété une dévolution légale de l'usufruit aux héritiers comme l'a fait le tribunal est incorrect, l'usufruit est anéanti à la mort de l'usufruitier ; la première prémisse du raisonnement du notaire est qu'en demandant le bénéfice de son legs particulier, l'héritier perd son droit sur les autres biens de la succession mais le fait pour un héritier de bénéficier d'un legs particulier ne le prive pas de ses droits d'héritier légal sur le reste de la succession dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à la réserve héréditaire, comme en l'espèce ; la seconde prémisse est de croire que l'héritier légataire doit demander la délivrance de son legs, mais la thèse d'une renonciation par [V] [S] à son legs n'est pas sérieuse, il a toujours contesté la répartition successorale faite par le notaire sur le fondement de la dévolution légale,
- le legs particulier donne au légataire un droit de propriété exclusif sur le bien légué, au décès du testateur et n'est pas inclus dans l'indivision successorale, sauf indemnité de réduction mais tel n'est pas le cas,
- les nombreuses lettres de [V] [S] témoignent de son obsession d'organiser la transmission de [8] mais il n'a pu acheter que la part d'[C]. Ces rachats de parts ont été des obstacles insurmontables puisqu'il n'arrivait déjà pas à faire face aux charges du château. Il pouvait instituer sa soeur légataire universel et instituer un legs particulier à leur bénéfice, cette volonté étant constante,
- si [V] [S] a été désigné nu-propriétaire, il ne pouvait être usufruitier, du même bien, fusse en partie,
- la clause d'inaliénabilité a été méconnue, l'interdiction de vendre est licite, bien que perpétuelle ; l'instance parallèle ayant visé à voir déclarer le château inaliénable n'a pas le même objet que la présente instance et n'a pas d'autorité de la chose jugée, et il n'y a pas de décision au fond ; la réalité de dettes successorales n'est pas rapportée.
Maître [CN] rétorque que :
- les seules dernières volontés d'[Y] [Z] résultent de son testament olographe du 21 mai 1984, suivi d'un codicille du 9 mars 1989 aux termes desquels elle a consenti divers legs particuliers ne modifiant pas la dévolution successorale,
- les consorts [E] [K] n'ont aucune qualité pour obtenir la déclaration de succession d'[Y] [Z] ; ils ne peuvent invoquer pour justifier leur appétence des dispositions testamentaire de la mère de Mme [Z], Mme [O], et des charges non opposables aux tiers ou des libéralités à leur profit qui n'existent pas,
- [V] [S] souhaitant conserver des droits sur l'ensemble dépendant de la succession de sa mère, il n'a pas sollicité de ses frères et soeurs la délivrance du legs, pour rester coindivisaire des biens et droits immobiliers dépendant de l'immeuble sis à [Adresse 10] et face au peu de liquidités de la succession, les consorts [S] et [L] ont eu l'obligation de vendre divers biens et droits immobiliers pour régler des factures et une partie des droits de succession. [C] [L] a cédé l'ensemble de ses droits au profit de son frère et de sa soeur,
- aux termes de son testament olographe fait à [Localité 9] le 23 mai 1999, [V] [S] a institué pour légataire universelle, sa s'ur, et non pas les époux [E] [K], et ce testament n'a jamais été modifié depuis cette date, démentant tout préjudice appelants, voire toute perte de chance de devenir propriétaires,
- l'acte de notoriété indique régulièrement que Mme [S] est seule légataire universelle, cette dernière a mis le Domaine en vente pour paiement des droits, en accord avec son demi-frère [G],
- le secret professionnel, général et absolu, interdit au notaire dépositaire de répondre à des demandes de renseignements émanant de tiers, en l'absence d'autorisation des héritiers.
Les consorts [L] expliquent que :
- Mme [Z] n'a pas hérité de Mme [O] mais de son mari, institué légataire universel par testament du 7 juin 1955, en exprimant très clairement qu'elle transmette à son tour ces biens à sa fille de préférence à son frère et selon la volonté des époux [O] dans leurs testaments respectifs était dévolue in fine à [NO] [S], filleule de [M] [O] mais ce voeux n'a pas été respecté et la nue-propriété du Domaine a été léguée à [V] [S], mais l'usufruit a été dévolu aux autres cohéritiers,
- jusqu'à son décès, [V] [S] n'était pas en position de disposer du Domaine en l'absence de délivrance du legs d'une part et d'autre part faute d'en être pleinement propriétaire ; la nue-propriété du Château ne lui appartenait pas en totalité et a fortiori à sa soeur puisque le partage successoral n'a jamais été signé faute d'accord sur les estimations ; le Domaine faisait encore l'objet d'une indivision au jour du décès de [V] [S] de sorte que le notaire en a attribué un quart en toute propriété à [G] [L],
- dans son testament, [V] [S] a rétabli sa soeur dans les droits dont elle aurait dû bénéficier,
- les appelants font état de droits de parenté qui n'existent pas, le titre de neveu par alliance est illégitime, ils n'ont aucune vocation successorale.
Il s'en remettent ensuite aux conclusions du notaire, relevant que l'ensemble du raisonnement adverse est fondé sur un fait inexact alors que la lettre du 13 février 1955 a été expressément révoquée. Ils soulignent que le tribunal a été saisi en parallèle d'une demande aux fins de rendre le château inaliénable mais les appelants ont été déclaré irrecevables à agir, de manière définitive, mais tentent de revenir sur cette décision,
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Selon l'article 9 du code de procédure civile, 'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention'.
S'agissant plus particulièrement de la responsabilité extra-contractuelle du notaire, la cour rappelle que ce dernier, en sa qualité de rédacteur de l'acte, a e obligation d'information et un devoir de conseil à l'encontre des parties à l'acte, devant s'assurer de la validité et de l'efficacité de cet acte.
IL appartient aux appelants de rapporter la preuve d'une faute du notaire directement génératrice pour les appelants d'un préjudice indemnisable.
Il est relevé de manière liminaire que les appelants, contrairement à ce qu'ils suggèrent en préambule, ne tirent des liens d'alliance de l'épouse aucun droit de succession découlant de l'application des dispositions légales.
Ensuite, c'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte sans qu'il ne soit nécessaire de les paraphraser, que les premiers juges ont retenu que:
- sur la méconnaissance par le notaire de la libéralité consentie par Mme [O], tirée du courrier de février 1955, qui constituerait selon eux une missive testamentaire légant le domaine à [Y] [Z] aux fins que cette dernière le lègue à son tour à son fils [V], et dont les termes exacts sont rappelés dans l'exposé du litige que le testament authentique du 7 juin 1955, dont les termes sont également rappelés supra, contrairement à ce qui est soutenu, ne lègue pas le Domaine à [Y] [Z] mais ne le fait que subsidiairement, et il stipule précisément à la fin de l'acte que sont révoquées toutes les dispositions antérieures,
- ainsi, postérieurement à la lettre de février 1955, Mme [O] a exprimé son choix, non modifié ensuite, de léguer l'intégralité de ses biens à son époux si ce dernier lui survivait, que le notaire n'a nullement méconnu une disposition testamentaire qui avait été révoquée au décès de [SS] [O], laquelle a légué le domaine à son époux,
- [X] [O] a lui-même légué le Domaine à [Y] [Z] (attestation immobilière de Maître [T] du 4 mai 1972) sans plus de précisions sur le sort ultérieur du Domaine,
- c'est vainement que les époux [E] [K] invoquent le fait que [SS] [O] aurait entendu que [V] [S] hérite du Domaine, dans la mesure où la testatrice avait aux termes de son testament du 7 juin 1955 expressément demandé qu'[Y] [Z] assure la transmission des immeubles à ses enfants [S], et en premier lieu à sa fille [NO], sa filleule,
- aucun grief ne peut donc être retenu à l'encontre du notaire à ce titre, étant rappelé qu'il n'est pas intervenu lors des opérations de liquidation des successions de [SS] [O] puis d'[X] [O], liquidées en conformité des dispositions testamentaires,
- sur l'erreur commise dans la dévolution successorale d'[Y] [Z], aux motifs que partant du principe que le domaine aurait été indivis entre quatre enfants alors qu'il n'y a pas d'indivision entre le légataire particulier et les héritiers, ce qui aurait empêché [V] [S] de disposer librement du Domaine à leur profit, que selon l'article 1014 alinéa 1 du code civil tout legs pur et simple donne au légataire du jour du décès du testateur un droit transmissible à la chose léguée, et que si l'alinéa 2 prévoit une demande d'entrée en possession des légataires à titre particulier, les héritiers légaux sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt et n'ont pas à demander la délivrance des legs particuliers dont ils bénéficient, que le notaire soutient donc à tort que [V] [S] n'avait pas sollicité de ses frères et soeur la délivrance du legs au regard de ces dispositions,
- c'est cependant tout aussi inexactement que les appelants soutiennent que [G] [L] n'a jamais eu la qualité d'usufruitier du Domaine en ce que Mme [Z] avait légué la nue-propriété à [V] [S] selon testament du 21 mai 1984, et qu'à la mort de sa mère, ce dernier devenait entièrement propriétaire du Domaine,
- aux termes de ce testament, [Y] [Z] n'avait légué que la nue-propriété du Domaine, legs s'imputait sur la quotité disponible de sa succession et éventuellement sur les droits de son fils, que si la donation de la nue-propriété permet au donataire, au décès du donateur, de devenir pleinement propriétaire du bien, l'objectif du testament, disposition à cause de mort, ne peut être de transmettre au décès du testateur l'usufruit au légataire de la nue-propriété, sauf à priver de tout effet celle clause instituant expressément un démembrement de propriété,
- [Y] [Z] a ainsi entendu léguer à son fils la nue-propriété du Domaine, ce qui a conduit logiquement le notaire à ne calculer les droits de succession de ce dernier que sur sa part réservataire majorée de la valeur de la nue-propriété du Domaine, objet du legs particulier, mais non l'usufruit ; elle n'a donc pas entendu lui léguer la pleine propriété du Domaine à son décès,
- c'est exactement que les consorts [L] et [S] ont soutenu qu'une indivision demeurait sur le Domaine, soit l'usufruit des quatre enfants sur ce Domaine,
- ainsi, [V] [S] ne disposait pas de la pleine propriété sur le domaine au décès de sa mère, et à son décès, [NO] [S] n'en disposait pas plus, ; il n'existe donc aucune faute du notaire ayant privé les appelants de la transmission du Domaine par [V] [S],
- les correspondances de [V] [S], si elles font pour certaines état de l'espoir d'une transmission du Domaine aux époux [E] [K], ne manifestent nullement une volonté ferme d'une telle transmission, de son vivant ou à sa mort,
- au contraire, une telle volonté alléguée par les appelants est infirmée par le testament manifestant sa volonté non équivoque en faveur de sa soeur et concernant tous ses biens,
- les préjudices au titre d'une perte de chance de se voir attribuer le Domaine et d'honorer la mémoire de [V] [S] invoqués par les époux [E] [K] sont sans lien avec la faute du notaire,
- sur la méconnaissance de la clause d'inaliénabilité contenue dans le courrier du 13 février 1955, elle est inopérante en ce que le testament de juin 1955 l'a en tout état de cause révoquée,
- les époux [E] [K] sont en conséquence déboutés de leurs prétentions à l'encontre du notaire.
La cour ajoute, confirmant le jugement, que :
- l'argumentation des appelants repose au principal sur le postulat que [V] [S] a hérité de l'intégralité des droits sur le Domaine et pouvait en disposer librement,
- or, ceci ne peut en aucun cas résulter en premier lieu de la lettre de février 1955, expressément révoqué par le testament suivant dénué de toute ambiguïté, dès lors, il est totalement inopérant pour les appelants de se prévaloir de ce courrier en appui de leurs prétentions,
- leur argumentation ne peut non plus avoir pour support le testament de juin 1955, instituant M. [O] légataire universel, l'acte précisant qu'il a seul des droits sur la totalité des biens, ce qui s'oppose sans écuivoque à tout démembrement de propriété,
- il est relevé que cette dévolution successorale n'a jamais été remise en cause par Mme [Z] ni par un des enfants [S], ce qui établit qu'à ce stade, ils ne pouvaient ignorer qu'ils n'avaient pas de droits à faire valoir dans la succession [O] sauf en cas de pré-décès d'[X] [O], ce qui n'est pas arrivé ; il est d'ailleurs relevé que le simple souhait émis par Mme [O], qui n'institue aucun droit successoral, est en faveur de [NO] [S] et non de son frère, et la disposition du testament n'ayant effet en tout état de cause qu'en cas de pré-décès de l'époux, ce subsidiaire ne peut produire aucun effet,
- s'agissant du testament d'[X] [O], produit en cause d'appel, il contient le legs particulier consenti à [Y] [Z] sur le domaine, lequel est en pleine propriété, n'emporte aucune remarque particulière, il est en pleine propriété, aucun démembrement de propriété n'étant stipulé ; ce testament n'émet par ailleurs qu'un'voeu', ce qui n'est pas créateur de droit, sur la transmission ultérieure du dommaine aux enfants [S], avec là-aussi une priorité à la fille [NO],
de sorte que le testament d'[X] [O] ne créé aucun droit successoral en faveur de [V] [S], qui là non plus, n'a jamais revendiqué de tels droits ; c'est vainement que les appelants en appellent aux dispositions de l'article 899 ancien du code civil en prétendant à 'une libéralité en usufruit au grevé de substitution Mme [Z] et en nue-propriété à l'appelé' aux motifs qu'un tel montage serait désormais autorisé, le testament d'[X] [Z] ne contenant rien de tel,
- rien ne confirme que Mme [Z] se soit considérée comme simple légataire en usufruit, ce qui ne résulte notamment pas des opérations successorales,
- si la nue-propriété avait été transmise à [V] [S] antérieurement au décès de Mme [Z], cette dernière n'aurait pu transmettre cette nue-propriété à cause de mort,
- il est dès lors évident qu'en léguant uniquement la nue-propriété du domaine à son fils [V] à cause de mort, l'usufruit sur le même bien était bien transmis aux quatre enfants,
- rien n'établit que [V] [S], à un quelconque moment de sa vie, ait établi des démarches poiur procéder à une dévolution successorale autre que celle au bénéfice de sa soeur.
La cour confirme en conséquence le jugement sur l'absence de faute du notaire dans les opérations de succession.
Sur la violation du pacte de préférence
Les appelants soutiennent que :
- [NO] [S] leur a consenti un pacte de préférence sur la vente du Domaine et le notaire a reconnu l'existence de ce pacte puisqu'il a reconnu le projet de vente, en prétendant qu'il n'avait pu aboutir faute d'accord sur la chose et le prix,
- par courrier du 30 avril 2016, ils ont rappelé ce pacte au notaire, lequel ne l'a pas nié,
- il n'importe pas qu'il n'y ait pas eu d'accord sur le prix et [NO] [S] a violé ce pacte en accordant un mandat de vente exclusif à une agence immobilière de sorte qu'il y a eu fraude à leurs droits,
- leur perte de jouissance est de 600.000 euros outre un préjudice moral,
- le tribunal leur a reproché de produire uniquement des pièces qu'ils ont établies mais leurs courriers n'ont pas été démentis par le notaire, les consorts [L] le reconnaissent également dans leurs écritures,
- le tribunal a retenu à tort un usufruit, mais celui-ci s'est éteint au décès de la testatrice, et il n'empêchait pas la vente en tout état de cause, la qualité d'indivisaire d'une personne ne lui donnant pas le droit d'être partie à un pacte de préférence consenti par un autre indivisaire,
- l'argumentation des intimés est confuse sur une indivision en nue-propriété ou en pleine propriété, et il n'y a pas d'indivision en pleine propriété, le légataire particulier ayant un droit de propriété exclusif sur le bien objet du legs dès le décès du testateur.
[G] [L] rétorque que :
- l'écrit imprécis et équivoque dont se prévalent les appelants est antérieur au testament du 23 mai 1999, il ne fait pas référence à un legs mais seulement à une donation éventuelle à une personne indéterminée, et [V] [S] a ensuite changé d'avis, pour respecter les dernières volontés des époux [O],
- rien n'atteste d'un pacte de préférence, et [NO] [S] n'était pas seule propriétaire du château en présence de son usufruit,
- il avait le droit de refuser la vente.
Réponse de la cour
Selon l'article 1123 du code civil, 'Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter'.
Cette disposition est postérieure à l'entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats de sorte que le jugement a, à juste titre retenu qu'elle n'était pas applicable à la date alléguée du 19 octobre 2015 où ils auraient été désignés comme des acquéreurs prioritaires du Domaine, mais que toutefois, un tel pacte avait été reconnu en jurisprudence antérieurement de sorte qu'il convient d'examiner la demande à ce titre.
Il appartient aux appelants de rapporter la preuve de l'existence d'un tel pacte.
C'est également par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que :
- pour démontrer l'existence d'un tel pacte et sa méconnaissance, les époux [E] [K] se prévalent de trois écrits des 30 avril, 20 mai et 13 juin 2015 qui n'émanent que d'eux-mêmes et aux termes desquels (courriers 1 et 3) ils se décrivent comme acquéreurs prioritaires ; ils ne produisent nul acte émanant de la partie à laquelle ce contrat allégué est opposé, soit [NO] [S], ces pièces sont donc inopérantes pour établir la réalité d'un pacte de préférence,
- cette dernière, malgré la vente par [C] [L] de ses parts à son frère, ne disposait pas à cette date de tous les droits en pleine propriété sur le Domaine, ce qui explique qu'il a été partie au mandat de vente et à la vente, sans d'ailleurs que [NO] [S] ne lui dénie ses droits,
- [NO] [S] ne pouvait en conséquence consentir un pacte de préférence au bénéfice des appelants alors que l'accord de son frère était nécessaire,
- les époux [E] [K] ne rapportent en conséquence la preuve d'un préjudice qui aurait découlé de la rupture d'un pacte de préférence, préjudice d'ailleurs non établi.
La cour ajoute, confirmant le jugement, qu'aucun écrit du notaire ne confirme la réalité d'un tel pacte de préférence et cette réalité ne peut se déduire d'une absence de réponse aux courriers adverses, le notaire reconnaissant seulement avoir donné des renseignements juridiques sur les possibilités de transmission ce qui n'est pas reconnaître l'existence d'un pacte de préférence, qu'il n'est donc établi aucune rupture fautive d'un pacte de préférence par [NO] [S] au détriment des appelants.
La cour confirme en conséquence le jugement déféré sur l'absence de pacte de préférence.
Sur la rupture des pourparlers
Les appelants soutiennent que :
- il y a eu une rupture brutales de pourparlers puisqu'ils étaient entrés en relation avec [NO] [S] pour envisager une transmission à titre gratuit du château et le rendez-vous du 15 octobre 2015 devait permettre de l'envisager, donc ils n'avaient pas à faire de démarches en vue d'une vente à cette date,
- Mme [S] qui avait hérité seule de la pleine propriété du bien leur a finalement assuré qu'il seraient les acquéreurs prioritaires, ils ont accepté d'acheter le bien pour honorer la mémoire de leur oncle, demandé un prêt à leur banque et souscrit une assurance à la demande du vendeur ; les intimés reconnaissent les pourparlers puisqu'ils font valoir l'absence de prix,
- ils ont proposé une somme de 600.000 euros pour l'acquisition, puis 640.000 euros en apprenant la vente projetée, le notaire reconnaît le rapprochement entre les parties,
- le tribunal judiciaire a reconnu ces pourparlers mais les a estimés sans concurrence en raison de droits d'usufruit qui n'existent pas en fait, le legs d'un bien avec réserve d'usufruit étant impossible en droit parce qu'il porte atteinte à l'intransmissibilité de l'usufruit, et le legs d'usufruit tacite étant exclu,
- l'existence d'un usufruit n'exclut pas l'aliénation de droits en nue-propriété,
- c'est en fait [G] [L] qui a fait pression sur sa soeur pour lui faire renoncer à la vente projetée et commet une faute celui qui rompt unilatéralement et de mauvaise foi des pourparlers ; ceux ci étaient avancés en l'espèce, la rupture initiée par [G] [L] est délibérée et brutale, le notaire reconnaît cette rupture.
Les consorts [L] rétorquent que :
- les demandes adverses sont incohérentes, faisant valoir tour à tour une donation, un testament, puis le caractère inaliénable de la propriété pour fonder une oeuvre catholique, les appelants reconnaissent désormais que la propriété ne peut pas avoir été transmise, par aveu judiciaire, et se prévalent désormais à tort de l'article 1112 du code civil,
- après avoir tenté de se faire léguer le domaine, ils ont cru pouvoir profiter d'une certaine vulnérabilité de leur soeur qu'ils imaginaient seule propriétaire du domaine de [8], mais réalisant que celle-ci n'accepterait pas de le faire et apprenant que le domaine allait être vendu, ils ont opportunément contacté leur banque, plus de 8 mois après le rendez-vous du mois d'octobre 2015 pour prétendre qu'ils souhaitaient acquérir le château,
- il n'y a jamais eu de rupture de pourparlers, faute de pourparlers.
Réponse de la cour
En application de l'article 1382 ancien du code civil, celui qui par son comportement fautif cause à autrui un préjudice peut être tenu l'indemniser de celui-ci.
S'agissant plus particulièrement des règles régissant les pourparlers, elles découlaient avant le premier octobre 2016 de l'obligation d'exécution loyale du contrat. Les dispositions de l'article 1112 du code civil découlent en effet de l'ordonnance du 10 février 2016 applicables le 1er octobre 2016.
Il appartient aux appelants de démontrer la rupture de manière abusive et préjudiciable de pourparlers régulièrement engagés, étant rappelé que la rupture de négociations pré-contractuelles est libre.
Il est relevé de manière liminaire que la rupture fautive de pourparlers permet d'obtenir le remboursement de frais ou dépenses engagés à perte mais nullement d'obtenir la compensation de la perte des avantages du contrat s'il avait été conclu, et que la demande des appelants à hauteur de 600.000 euros correspond exactement à une telle compensation prohibée puisqu'il est demandé un montant correspondant à la valeur du Domaine.
Il est ajouté qu'il est vain à ce stade pour les appelants de remettre à nouveau en cause les droits de [G] [L] sur le Domaine, comme vu supra.
C'est ensuite à juste titre que le tribunal a retenu l'existence de discussions entre les époux [E] [K] et [NO] [S] et notamment le 19 octobre 2015 en l'étude de Maître [CN] et par ailleurs retenu qu'à cette date, les époux [E] [K] n'ignoraient pas que l'accord de [G] [L] était nécessaire (courrier du 30 avril 2016 en ce sens), qu'aucune négociation n'avait été entamée par les appelants avec ce dernier, opposé à toute cession à leur profit, notamment eu égard à l'estimation financière du Domaine, que dès lors, il ne peut être reproché à [NO] [S] d'avoir mis fin à des discussions qui ne pouvaient aboutir à un accord.
Il a enfin à juste titre retenu que de telles discussions n'étaient pas constitutives de pourparlers dont la rupture aurait été fautive alors que notamment le prix n'avait pas été abordé, que les consorts [S] et [L] étaient dès lors libres de confier la vente à une agence immobilière, qu'aucune faute n'a non plus été commise par eux, ayant vendu dans le respect des règles du mandat de vente de l'agence.
La cour, adoptant ces motifs, confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande au titre d'une rupture fautive de pourparlers, ajoutant qu'il n'a jamais été question de l'acquisition de droits en nue-propriété, qu'il ne peut non plus être reproché à l'intimé la rupture fautive de pourparlers qu'il n'avait pas lui-même engagé et la défense de ses droits d'héritier.
Sur la faute de [G] [L]
Les appelants sollicitent une somme de 600.000 euros à l'encontre de [G] [L] à titre de dommages et intérêts correspondant selon eux à la valeur du domaine de [8] dont ils ont été privés par sa faute en soutenant que :
- ce dernier n'a aucun droit de propriété sur le domaine, et la vente qu'il a consentie en pleine propriété est une usurpation,
- il a fait obstacle à ce que [V] [S] et, après sa mort, [NO] [S], leur transmette le domaine en faisant croire qu'il avait un quart de la propriété,
- il a convaincu sa s'ur de ne pas leur céder à titre gratuit ou de leur vendre sa part du Domaine de [8], et de vendre pour les évincer, invitant le notaire à les éconduire.
[G] [L] rétorque que si sa soeur a un temps a pu envisager de vendre le domaine de [8], elle a changé d'avis et avait parfaitement le droit de le faire, et que lui-même n'a fait qu'user de son droit sans abus.
Réponse de la cour
Force est de constater, au vu de tout ce qui précède, que les appelants partent à tort du postulat selon lequel [G] [L] ne détiendrait aucun droit de propriété sur le domaine. Cette version ayant été rejetée, il ne peut être reproché à [G] [L] de s'être prévalu de manière fautive de droits qu'il ne possédait pas.
Ensuite, sur le comportement imputé à l'intimé, aucune manoeuvre fautive et dommageable n'est concrètement établie. Eu égard aux droits dont il disposait sur le bien, il avait tout à fait le droit de refuser la transmission du domaine telle que souhaitée par les appelants.
Sur les demandes reconventionnelles en paiement de dommages intérêts
Les intimés soutiennent qu'il est indiscutable que l'action introduite par les consorts [E] [K], particulièrement injustifiée et abusive leur a causé un préjudice important, d'une part en retardant la vente envisagée par eux du château, et en tous cas en faisant peser sur cette vente un aléa particulièrement important, a fortiori dans un contexte où leur soeur souhaitait procéder au paiement des droits sur la succession grâce au prix de la vente du château, qu'ils ont été très perturbés par cette procédure.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'agir, lequel suppose la démonstration d'une faute.
Le simple fait pour un succombant en première instance de faire à nouveau valoir ses droits en appel, même vainement, n'est pas en soi constitutif d'une faute.
Les pièces remises par les intimés ne révèlent par ailleurs la réalité d'aucun préjudice dommageable et notamment financier qui aurait découlé d'un retard apporté à la vente du Domaine ou d'un aléa sur cette vente.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les condamnations de première instance à ce titre sont confirmées.
Les dépens d'appel sont à la charge des consorts [E] [K] qui succombent sur leurs prétentions.
En outre, l'équité commande de les condamner à payer à chacun des intimés la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [N] [E] [K] et M. [I] [E] [K] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit du conseil de Maître [CN].
Condamne in solidum Mme [N] [E] [K] et M. [I] [E] [K] à payer :
- à M. [G] [R] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à M. [C] [R] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à Me [P] [CN] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,