Livv
Décisions

Cass. com., 22 octobre 2025, n° 24-19.956

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Défendeur :

RS finances (SARL), CNA insurance company Europe SA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Calloch

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Ricard, SARL Ortscheidt

Cass. com. n° 24-19.956

21 octobre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 avril 2024), entre le 29 septembre 2011 et le 21 juin 2012, [H] [G] et MM. [O], [T] et [U] [G] ont acquis de la société Aristophil, par l'intermédiaire de la société RS finances, conseiller en gestion de patrimoine, des parts indivises de collection de manuscrits anciens et conclu des contrats de dépôt et d'exploitation de ces oeuvres.

2. Le 15 octobre 2013, une enquête préliminaire contre la société Aristophil et ses dirigeants du chef de pratiques commerciales trompeuses et d'escroquerie en bande organisée a été ouverte. Le [Date décès 3] 2014, [H] [G] est décédée en laissant pour lui succéder MM. [O], [T] et [U] [G] (les consorts [G]). Le 2 décembre 2014, les consorts [G] ont sollicité, en vain, la liquidation des parts à hauteur du prix d'acquisition.

3. Le 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.

4. Fin 2017, une vente aux enchères a révélé une importante moins-value affectant les manuscrits objets des placements.

5. Les 11 et 12 février 2020, les consorts [G] ont assigné la société RS finances et son assureur, la société CNA insurance company Europe en responsabilité et paiement de dommages et intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen unique pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Les consorts [G] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action, alors « que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le manquement d'un prestataire de services d'investissement à son obligation d'information sur le risque de perte en capital et la valorisation du produit financier prive cet investisseur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'investisseur ait subi des pertes ou des gains manqués ; qu'il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a été perdu ; que, la cour d'appel a relevé qu'à la date du 2 décembre 2014, qu'elle a retenu comme point de départ du délai de prescription, le préjudice de MM. [G] n'était " pas encore chiffrable ", ceux ci pouvant seulement " prend[re] conscience du caractère préjudiciable de [leur] situation, même si l'ampleur exacte des pertes subies [était] encore ignorée " ; qu'il en résultait qu'à cette date, le risque ne s'était pas encore réalisé, MM. [G] n'ayant pas subi la perte de leur investissement ; qu'en retenant cependant cette date comme point de départ du délai de prescription, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'information sur le risque de perte en capital et la valorisation du produit financier prive cet investisseur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'investisseur ait subi des pertes ou des gains manqués. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a été perdu.

9. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée contre la société RS finances et son assureur, l'arrêt, après avoir relevé que la société Aristophil et son dirigeant avaient fait l'objet d'une enquête le 15 octobre 2013 du chef d'escroquerie en bande organisée et pratiques commerciales trompeuses rendue publique par de très nombreux titres de la presse française le 20 novembre 2014, date des perquisitions, et que le 2 décembre 2014, soit quelques jours après la diffusion de cette information confirmant les craintes d'[H] [G] sur l'existence d'une escroquerie, les consorts [G] avaient sollicité de la société Aristophil la liquidation de leurs parts à hauteur du prix d'acquisition, retient que la révélation en novembre 2014 par les médias de l'existence de cette enquête pénale a mis en évidence le fait générateur du dommage subi par les consorts [G] et que dès le 2 décembre 2014, ils avaient connaissance de ce dernier.

10. En statuant ainsi, alors qu'à la date de demande de rachat des parts par les investisseurs, le risque de perte en capital et de gains manqués ne s'était pas encore réalisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 avril 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société CNA insurance company Europe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CNA insurance company Europe et la condamne à payer à MM. [O], [U] et [T] [G] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-deux octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site