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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 21 octobre 2025, n° 24/00598

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Air'technologies (SARL)

Défendeur :

Air'technologies (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mathieu

Vice-président :

Mme Dheilly

Avocats :

Me Beaugy, Me Blaizin, Me Meyer, Me Doyen

T. com. Soissons, du 16 nov. 2023, n° 20…

16 novembre 2023

DECISION

La Sarl Air'Technologies est spécialisée dans la vente et la distribution de produits et services dédiés à la climatisation auprès d'une clientèle de professionnels.

Pour son développement, elle a recours à un réseau d'agents commerciaux.

C'est dans ce cadre que la Sarl Air'Technologies a conclu avec la SAS [Adresse 5] un contrat d'agent commercial, daté du 18 février 2021, avec une prise d'effet au 1er mars 2021, dans le cadre duquel la première accordait à la deuxième une exclusivité sur le territoire concédé, soit sur les départements 37,41, 45, 86,89, 36,18, 58,03, 23,87, 19,15, 63,43 et 18.

Par courrier recommandé du 9 décembre 2021, la Sarl Air'Technologies a informé la SAS [Adresse 5] de sa décision de résilier le contrat d'agent commercial les liant, avec un terme au 9 janvier 2022.

Par courrier recommandé du 3 juin 2022, la SAS Eaurka centre sollicitait de la Sarl Air'Technologies le paiement d'une indemnité de rupture d'un montant de 24.209,45 euros ht et de diverses commissions pour un total de 10.142,30 euros ht.

Par acte de commissaire de justice en date du 1er mars 2023, la SAS [Adresse 5] a fait assigner la la Sarl Air'Technologies devant le tribunal de commerce de Soissons aux fins d'obtenir la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de':

-'34.554,60 euros ht au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article L 134-12 du code de commerce, correspondant à deux années de commissionnement,

- 13.302,75 euros ht à titre de rappel sur commissions,

- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait des circonstances entourant la rupture du contrat d'agent commercial,

- 4.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par jugement rendu le 16 novembre 2023, le tribunal de commerce de Soissons a condamné' la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS [Adresse 5] les sommes de':

- 6.105,70 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

- 5.010,70 euros au titre du solde des commissions dues,

- 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par un acte en date du 7 février 2024, la SAS Eaurka centre a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 14 octobre 2024, la SAS [Adresse 5] conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner la Sarl Air'Technologies à lui payer les sommes de':

-'34.554,60 euros ht au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article L 134-12 du code de commerce, correspondant à deux années de commissionnement,

- 13.302,75 euros ht à titre de rappel sur commissions,

- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait des circonstances entourant la rupture du contrat d'agent commercial,

- 7.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir qu'en l'absence de volonté expresse des parties, l'indemnité de rupture doit s'élever à deux années de commissions brutes.

Elle indique que sur la période contractuelle et sur le secteur géographique imparti, elle a réalisé 71 devis qui ont conduit à 14 commandes pour un montant total de 113.091 euros ht.

Elle réfute tout partage de commissions et précise que le droit à commission de l'agent commercial prend sa source dans le chiffre d'affaires généré avec un client, même si celui-ci est un ancien client du mandant. Elle rappelle que l'agent a droit à une commission sur toutes les affaires conclues grâce à son entremise, dès lors que l'agent s'est vu confier la prospection d'une zone déterminée.

Elle ajoute qu'elle justifie d'un investissement humain financier et en temps, estime qu'aucun manque de dynamisme ne peut lui être reproché et réclame des dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison des circonstances entourant la rupture.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 6 novembre 2024, la Sarl Air'Technologies conclut à l'infirmation partielle du jugement déféré des chefs du montant de l'indemnité de rupture et des frais irrépétibles et demande à la cour de fixer le montant de l'indemnité de rupture due à la SAS [Adresse 5] à la somme de 871,20 euros et subsidiairement à la somme de 2.178 euros.

Elle sollicite en outre le paiement de la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle soutient que le montant de l'indemnité de rupture réclamé n'est pas correct car il ne tient pas compte des partages de commissions.

Elle explique qu'il doit être appliqué un partage des commissions avec les autres agents d' Air'Technologies et insiste sur l'absence de réalisation de prospection sérieuse de la part de la SAS [Adresse 5].

Elle précise que le montant de la commission est proportionnel à la durée du contrat et qu'en l'espèce, la relation contractuelle s'est terminée au bout de 5 mois.

Elle indique que l'agent n'est commissionné que sur le nombre de commandes obtenues et non sur les devis établis.

Elle ajoute que la résiliation du contrat est intervenue en raison d'une activité commerciale quasi inexistante sur les secteurs confiés.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juillet 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'indemnité compensatrice

Aux termes de l'article L 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

Les ayants droits de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

Il est constant que la cessation du contrat d'agent commercial fait perdre à l'agent la part de marché qu'il pouvait espérer de la poursuite du contrat dès lors qu'il justifie des commissions perçues pendant la durée de celui-ci. L'indemnité de cessation du contrat due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature. Ainsi, il doit être tenu compte de tous les éléments de la rémunération de l'agent pendant l'exécution du contrat, sans qu'il y ait lieu de distinguer si elle provient de clients préexistants au contrat ou au contraire apportés par l'agent.

En l'espèce, il est établi que le contrat conclu à durée indéterminée a débuté le 1er mars 2021 pour se terminer au 9 janvier 2022, de sorte que la relation contractuelle entre les parties a eu une durée relativement courte de 10 mois.

Sur cette période, et sur la base de la pièce n°6 produite par la SAS Eaurka elle-même, il en résulte que celle-ci a sur 71 contacts participé à la réalisation de 13 affaires et que le montant total des commandes s'est élevé à la somme totale de 87.611 euros euros hors taxes.

L'article 6 du contrat d'agent commercial relatif à la rémunération stipule que «'En contrepartie des services fournis par l'agent commercial, dans le cadre de la représentation des produits et services du mandant, dans les conditions précisées à l'article 1 ci-dessus, celui-ci percevra une commission de 15% HT du chiffre d'affaires HT pour les gaines de PULSION volumétrique, et une commission de 10 % pour les gaines de DIFFUSION à très haute induction, réalisé par le mandant sur le secteur géographique confié à l'agent tel que défini à l'article 1.

Cette commission sera également due à l'agent commercial pour toute opération réalisée auprès du mandant par la clientèle située sur le territoire défini à l'article 1 ci-dessus, avec ou sans son intervention.

Les commissions se décomposent de la manière suivante : 50 % pour le prescripteur, défini par son sigle et 50% pour la vente défini par le département de l'acheteur .

La commission est acquise à l'agent commercial au jour où le client a exécuté l'opération ».

S'agissant de la prescription, il incombe à la Sarl Air'Technologies de démontrer qui est à l'origine de cette dernière, pour obtenir le partage de commissions qu'elle revendique. Or, dans ses écritures, la Sarl Air'Technologies affirme que les sigles DEAS et DEAN désignent la société Eaurka et que les autres sigles désignent les autres agents commerciaux mais ne communique aucune pièce démontrant cet élément. L'intimée ne prouve donc pas le bien-fondé du partage de commissions qu'elle revendique.

Aussi, il ressort de l'offre de règlement des commissions formulée suivant courrier du 13 octobre 2022 par la Sarl Air'Technologies (qui a appliqué des pourcentages de 5, 7,5 ou 10%) à la SAS Eaurka sur la base de la pièce n°6 transmise par la SAS Eaurka, qu'aucun partage de commission ne doit être appliqué faute de démonstration incombant à la Sarl Air'Technologies, de sorte que le montant du pourcentage appliqué sur la commande réalisée doit être soit de 10 % ou de 15 %.

Dès lors, il en résulte que le montant des commissions dues à la SAS Eaurka s' élève à une somme totale de 10.031,80 euros HT.

Si la SAS Eaurka invoque le principe selon lequel il est généralement d'usage d'évaluer l'indemnité compensatrice due à l'agent commercial à deux années de commissions sur la base de la moyenne des trois dernières années, toutefois, force est de constater que cette méthode de calcul n'est qu'un usage et qu'au cas présent au vu de la brève durée du mandat, la cour estime par une appréciation souveraine, au vu du montant global des commissions précitées, qu'il convient de fixer l'indemnité compensatrice à la somme de 10.100 euros.

Dans ces conditions, il convient de condamner la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS Eaurka la somme de 10.100 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice, et par conséquent d'infirmer le jugement déféré du chef du quantum.

Sur la demande en paiement au titre des commissions

Aux termes de l'article L 134-5 du code de commerce, tout élément de la rémunération variant avec le nombre ou la valeur des affaires constitue une commission au sens du présent chapitre.

Les articles L 134-6 à L 134-9 s'appliquent lorsque l'agent est rémunéré en tout ou partie à la commission ainsi définie.

Dans le silence du contrat, l'agent commercial a droit à une rémunération conforme aux usages pratiqués, dans le secteur d'activité couverts par son mandat, là où il exerce son activité. En l'absence d'usages, l'agent commercial a droit à une rémunération raisonnable qui tient compte de tous les éléments qui ont trait à l'opération.

L'article L 134-9 du même code énonce que la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération.

La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise.

Il est admis que s'agissant d'une convention qui concède à l'agent commercial le droit d'exercer son activité dans certains départements déterminés, il convient d'appliquer le principe selon lequel l'agent, dès lors qu'il est chargé d'un secteur géographique, a droit à la commission afférente aux opérations conclues avec des clients appartenant à ce secteur même si elles l'ont été sans son intervention.

De même, le droit à commission de l'agent commercial prend sa source dans le chiffre d'affaires généré avec un client, même si celui-ci ne figure pas sur la liste limitative prévue au contrat ou est un ancien client du mandant. Enfin, l'agent a droit une commission sur toutes les affaires conclues grâce à son entremise même après l'expiration du contrat, dès lors que celles-ci ont été conclues avant cette date et que l'agent s'est vu confier la prospection d'une zone déterminée.

En l'espèce, conformément aux pièces précitées produites par les parties, il est justifiée que 13 commandes ont été réalisées soit directement par la SAS Eaurka soit dans la zone d'activité qui lui était spécifiquement dédiée. Ces opérations représentent la somme de 10.031,80 euros HT laquelle correspond au montant total des commissions dues par la Sarl Air'Technologies à la SAS Eaurka.

La SAS Eaurka reconnaissant dans ses écritures avoir déjà perçu la somme de 1.095 euros au titre d'une commission, il convient de condamner la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS Eaurka la somme de 10.031,80-1.095 = 8.936,80 euros HT au titre du solde des commissions dues, et par conséquent d'infirmer le jugement déféré du chef du quantum.

Sur la demande de dommages et intérêts

La SAS Eaurka réclame le paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat en raison du caractère brutal et vexatoire des circonstances accompagnant la rupture, portant atteinte à sa réputation.

La Sarl Air'Technologies réplique que la cause de la rupture réside sur une activité commerciale quasi inexistante sur les secteurs confiés et s'oppose au versement de dommages-intérêts.

Sur le fondement de la responsabilité délictuelle définie par l'article 1240 du code civil, il est admis que des dommages-intérêts pour rupture abusive peuvent être dus par le mandant à son agent, en plus de l'indemnité de fin de contrat, et ce notamment en raison des circonstances qui accompagnent la rupture.

En l'espèce, le courrier de résiliation du contrat d'agent commercial stipule que «'Depuis le 18 février 2021, nous vous avons confié la représentation de nos produits sur une très grande partie du territoire français puisque votre représentation couvrait 16 départements.

Or, comme nous avons eu l'occasion de vous le signifier à plusieurs reprises, l'activité commerciale sur les secteurs confiés est quasiment inexistante qu'il s'agisse de commandes ou même de devis.

Ce manque d'activité nous pénalise fortement et ne respecte pas l'article 3 du contrat que nous avons signé (...)'».

La SAS Eaurka estime que la cessation du contrat porte atteinte à sa notoriété, toutefois elle se contente de l'affirmer sans le démontrer. En effet, la loi des affaires permet la cessation du contrat dont s'agit et l'obtention de dommages-intérêts indépendamment de l'indemnité compensatrice nécessite la démonstration d'un préjudice distinct entourant les circonstances de la rupture.

Le contrat prévoyait «'une promotion efficace des ventes de produits et services dont la représentation était confiée à la SAS Eaurka par le mandat'».

La Sarl Air'Technologies établit que sur 16 départements confiés, aucune commande n'a été réalisée sur 11 d'entre eux. Ce motif est suffisant pour expliquer la résiliation et la cour estime que SAS Eaurka ne justifie ni de la brutalité de la rupture du contrat, ni des conditions entourant ladite rupture.

Dans ces conditions, il convient de débouter la SAS Eaurka de sa demande en paiement à titre de dommages-intérêts, et par conséquent, de confirmer le jugement déféré de ce chef et d'ajouter ce chef de dispositif dans cet arrêt (le jugement critiqué n'ayant pas repris ce chef de jugement dans son dispositif).

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la Sarl Air'Technologies succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS Eaurka la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 16 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Soissons, excepté des chefs de quantum alloué de l'indemnité compensatrice et du solde des commissions dues.

Et statuant à nouveau

Condamne la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS Eaurka les sommes de':

- 10.100 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice,

- 8.936,80 euros HT au titre du solde des commissions dues.

Le confirme pour le surplus.

Y ajoutant,

Déboute la SAS Eaurka de sa demande en paiement à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

Condamne la Sarl Air'Technologies à payer à la SAS Eaurka la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.

Condamne la Sarl Air'Technologies aux dépens d'appel.

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