CA Montpellier, ch. com., 21 octobre 2025, n° 24/06466
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 21 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/06466 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QP2C
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 04 DECEMBRE 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2022000255
APPELANTE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DU LANGUEDOC ROU SSILLON Banque Coopérative régie par les articles L512-85 et suivant s du code monétaire et financier, société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 370 000 000 €, inscrite au RCS de MONTPELLIER sous le numéro 383 451 267, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI-BEAUREGARD-CALAUDI-BENE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [X] [P]
né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 11] (34)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représenté par Me Lola JULIE substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Monsieur [B] [I]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 12] (ALGERIE)
[Adresse 10]
[Localité 7]
Représenté par Me Lola JULIE substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 20 Août 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 906-5 et 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Septembre 2025,en audience publique, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
Le 11 mai 2017, Mme [J] [Y], M. [B] [I] et M. [X] [P] ont créé la SAS BAM dont l'objet social est l'exploitation de l'activité de restauration et brasserie.
Le 29 juin 2017, la société Bam a souscrit auprès de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon un prêt d'un montant de 220 000 euros au taux de 1,30% remboursable en 84 mensualités aux fins d'acquérir un fonds de commerce et d'y réaliser des travaux.
Le 4 juillet 2017, Mme [Y], M. [I] et M. [P] se sont chacun portés cautions solidaires de la société Bam au profit de la Caisse d'Epargne, dans la limite de la somme de 286 000 euros et pour une durée de 132 mois.
Le 28 juin 2019, les trois associés ont cédé leurs actions, 30 actions chacun, à M. [W] [D] et Mme [N] [G], épouse [D].
Par jugement du 10 juin 2020, le tribunal de commerce de Béziers a placé la société Bam en redressement judiciaire.
Le 15 juillet 2020, la Caisse d'Epargne a déclaré sa créance au mandataire judiciaire, à hauteur de 189 269,37 euros en principal.
Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Béziers a converti en liquidation judiciaire la procédure ouverte à l'égard de la société Bam.
Le 1er décembre 2020 et le 13 janvier 2021, la Caisse d'Epargne a mis en demeure respectivement M. [I] et M. [P] de lui régler la somme de 191 024,43 euros.
Par ordonnance du juge-commissaire du 18 décembre 2020, le fonds de commerce a été cédé à M. [O] au prix de 125 000 euros.
Par ordonnance du 20 décembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal de commerce de Montpellier a autorisé la Caisse d'Epargne à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur les biens appartenant à M. [I], soit la parcelle cadastrée AO [Cadastre 1] à [Localité 14].
Par exploit du 4 janvier 2022, la Caisse d'Epargne a assigné M. [I] en paiement devant le tribunal de commerce de Montpellier.
Par ordonnance du 3 mars 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Rennes a autorisé la Caisse d'Epargne à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur les biens appartenant à M. [P] situés au [Adresse 9] à [Localité 13].
Par exploit du 17 mars 2022, M. [P] a assigné la Caisse d'Epargne devant le tribunal de commerce de Montpellier en résolution de son cautionnement en invoquant la faute commise par la banque pour avoir déchargé Mme [Y] de son engagement de caution.
Par exploit du 29 mars 2022, la Caisse d'Epargne a assigné M. [P] en paiement devant le tribunal judiciaire de Rennes.
Par ordonnance du 10 août 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rennes a fait droit à l'exception de litispendance de M. [P] et confirmé la compétence du tribunal de commerce de Montpellier.
Par jugement contradictoire du 4 décembre 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a
ordonné la jonction de l'affaire 2022006616 avec l'affaire 202000255;
jugé que la subrogation aux droits, privilèges et hypothèques du créancier ne peut plus s'opérer en faveur de M. [I] et M [P], cautions, en raison de la faute commise par la Caisse d'Epargne et débouté la Caisse d'Epargne de sa demande de condamnation de M. [I] et M. [P] au paiement de la somme de 198 946,91 euros ;
condamné la Caisse d'Epargne du Languedoc Roussillon à payer à M. [I] et M. [P], chacun, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné l'exécution provisoire ;
et condamné la Caisse d'Epargne du Languedoc Roussilon aux dépens.
Par déclaration du 23 décembre 2024, la Caisse d'Epargne a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 13 août 2025, elle demande à la cour de :
accueillir son juste appel ;
y faisant droit
infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné la jonction de l'affaire 2022006616 avec l'affaire 202000255 et l'exécution provisoire ;
statuant à nouveau
débouter les consorts [I] et [P] de leurs prétentions principales et subsidiaires ainsi que de l'ensemble de leurs demandes ;
condamner solidairement M. [B] [I] et M. [X] [P] à lui payer la somme de 198 946,91 euros avec intérêts au taux de 4,30% sur la somme de 180 119,44 euros ( 33 821,28 euros + 146 298,16 euros) du 10 décembre 2021 jusqu'à parfait paiement et au taux légal à compter des mises en demeure du 1er décembre 2020 sur la somme jusqu'à parfait paiement sur la somme de 9 014,61 euros ;
dire y avoir lieu à application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ( anatocisme) ;
et les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Par conclusions du 18 août 2025, les consorts [I] et [P] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 2310 et suivants du code civil, de :
à titre principal, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
à titre subsidiair,e si la cour devait juger qu'ils ne sont pas déchargés de leurs obligations de caution,
juger que la banque a commis une faute en déchargeant Mme [Y] de son engagement de caution et en ne prenant pas le cautionnement de M. et Mme [D] et en laissant à celui-ci accès aux comptes de la société alors même qu'il n'était pas gérant de droit ;
prononcer la résolution des prétendus contrats de cautionnement liant la banque avec eux ;
débouter la Caisse d'Epargne de l'ensemble de ses demandes ;
à titre encore plus subsidiaire,
condamner la banque à réparer le préjudice des concluants à hauteur de l'éventuelle créance de la banque à leur égard au titre des contrats de cautionnement ;
ordonner la compensation des créances réciproques ;
en tout état de cause, condamner la Caisse d'Epargne à leur payer la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers frais et dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 20 août 2025.
MOTIFS :
Sur la décharge des cautions
Selon l'article 2314 du code civil, dans sa version applicable au litige, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
Toute clause contraire est réputée non écrite.
Pour être déchargé, il incombe à la caution de démontrer un comportement fautif exclusif du créancier et la perte d'un droit préférentiel. En outre, ce droit préférentiel doit avoir existé avant son engagement de caution ou avoir été constitué concomitamment.
Comme le soutiennent les intimés, lors de la souscription de leurs engagements de caution en 2017, ils bénéficiaient au titre de l'article 2312 du code civil d'un recours subrogatoire à l'encontre de Mme [Y], cofidéjusseur.
Par ailleurs, le prêt cautionné était également garanti par le nantissement du fonds de commerce. Ce dernier a été cédé pour la somme de 125 000 euros mais les opérations de liquidation n'étant pas encore clôturées, ce montant n'a pas encore été reversé aux divers créanciers. Selon les pièces versées par la Caisse d'Epargne, notamment le certificat d'admission du 19 juillet 2021, les intimés bénéficient toujours de leur recours subrogatoire à cet égard.
Concernent le recours subrogatoire de M. [I] et M. [P] contre Mme [Y], ils l'ont effectivement perdu, puisque selon l'acte de cession, réalisé en juin 2019, il y était précisé « il est ici rappelé aux cédants [B] [I] et [X] [P] qu'ils demeurent personnellement cautions de la société, bien qu'ils en aient cédé les actions. Ils doivent donc garantir le remboursement du prêt bancaire alors qu'ils perdent le contrôle de la société et n'en assurent plus la gestion, risque qu'ils acceptent formellement après trois mois de réflexion.
Mme [Y] a obtenu un accord écrit de la Caisse d'Epargne accordant la mainlevée de la caution donnée par elle avec l'engagement des cessionnaires [W] et [N] [D] de se porter caution en lieu et place (Annexe 10) ». Cette annexe correspondant à l'attestation d'accord de la Caisse d'Epargne indique : « remplacement de la caution de Mme [R] par celle de M. et Mme [D] ['] Maintien des cautions de M. [P] et M. [I]. ».
Ils ont au surplus perdu tout recours subrogatoire au titre de l'article 2310 du code civil puisqu'il s'est avéré que les époux [D] n'ont jamais contracté d'engagement de caution en remplacement de celui de Mme [Y].
Or, contrairement aux dires de la banque, les intimés n'ont pas seulement accepté la perte du cautionnement de Mme [Y] dans l'acte de cession, ils l'ont accepté à la condition qu'il soit remplacé par celui des époux [D], ce qui leur aurait permis de conserver leur droit préférentiel.
La faute de la Caisse d'Epargne ne saurait être l'absence de cautionnement des époux [D], cette dernière ne pouvant les obliger à contracter un tel engagement, mais d'avoir acté la décharge de la caution de Mme [Y] alors même que la banque n'avait pas obtenu le cautionnement des cessionnaires comme prévu.
La décharge prévue à l'article 2314 du code civil s'applique aussi bien au cas où une simple négligence du créancier a rendu la subrogation impossible que lorsque cette impossibilité provient d'un fait direct et positif de sa part.
Par suite, aux fins d'éviter toute décharge, il appartient au créancier d'établir l'absence de préjudice de la caution, ce que la Caisse d'Epargne omet de rapporter.
Néanmoins, au titre de ce préjudice, la caution n'est déchargée qu'à concurrence de la valeur des droits pouvant lui être transmis par subrogation et dont elle a été privée par le fait du créancier.
Il est constant qu'au titre du recours subrogatoire entre cofidéjusseurs, la caution a un recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion, ce recours n'ayant pour effet de la décharger de sa propre part et portion. De plus, entre cofidéjusseurs s'étant engagés à couvrir toute la dette, le recours s'opère, en principe, par parts viriles, soit une part égale pour chaque caution.
Ainsi, M. [I], M. [P] et Mme [Y] s'étant engagés dans la limite chacun de 286 000 euros, la part virile est égale à 95 333 euros.
En conséquence, il convient de réduire les cautionnements de M. [I] et M. [P] à la somme de 190 667 euros (286 000 ' 95 333).
Au vu de la déclaration de créance de la banque et du décompte des sommes dues, la créance de la société Bam s'élève au total à la somme de 198 946,91 euros.
Dès lors, M. [I] et M. [P] seront solidairement condamnés à payer la somme de 190 667 euros au titre de leurs engagements de caution du 4 juillet 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 1er décembre 2020, date de la mise en demeure, et avec anatocisme.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur la responsabilité de la Caisse d'Epargne
Les intimés font valoir que la Caisse d'Epargne a commis une faute en renonçant au cautionnement de Mme [Y] et en ne prenant pas le cautionnement des époux [D]. Ils ajoutent qu'en agissant ainsi, cela a permis à M. [D] de négliger la gestion de la société débitrice, la conduisant à la liquidation judiciaire et ils réclament la résolution judiciaire de leurs cautionnements.
Or, comme démontré précédemment, il ne peut être retenu à l'encontre de la Caisse d'Epargne de ne pas avoir réussi à obtenir les cautionnements des époux [D], ces derniers étant libre d'y consentir ou non. De plus, les intimés ne font état que de suppositions et n'apportent aucune preuve du lien de corrélation entre l'absence de cautionnement des époux [D] et la liquidation judiciaire de la société débitrice.
Concernant la faute de la banque d'avoir déchargé Mme [Y] alors qu'elle n'avait obtenu le cautionnement des époux [D], les intimés ne démontrent pas l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà établi précédemment en application de l'article 2314 du code civil.
Par conséquent, leur demande de résolution judiciaire sera rejetée.
Les intimés soutiennent également que la banque aurait laissé à M. [D] l'accès aux comptes de la société, alors qu'il n'était pas gérant de droit.
Néanmoins, ils ne rapportent aucun commencement de preuve d'une quelconque faute à cet égard, étant observé que, comme le souligne justement la Caisse d'Epargne, un important contentieux est né entre les cédants et les cessionnaires ayant conduit à un jugement du tribunal de commerce de Béziers du 20 septembre 2021 retenant que M. [D] était président de la société BAM depuis le 28 juin 2019.
En conséquence, les intimés seront également déboutés de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de la créance de la banque.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne solidairement M. [B] [I] et M. [X] [P] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon la somme de 190 667 euros au titre de leurs engagements de caution du 4 juillet 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 1er décembre 2020, date de la mise en demeure, et anatocisme ;
Condamne in solidum M. [B] [I] et M. [X] [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [B] [I] et M. [X] [P], et les condamne in solidum à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon somme de 3 500 euros.
Le greffier La présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 21 OCTOBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/06466 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QP2C
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 04 DECEMBRE 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2022000255
APPELANTE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DU LANGUEDOC ROU SSILLON Banque Coopérative régie par les articles L512-85 et suivant s du code monétaire et financier, société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 370 000 000 €, inscrite au RCS de MONTPELLIER sous le numéro 383 451 267, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI-BEAUREGARD-CALAUDI-BENE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [X] [P]
né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 11] (34)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représenté par Me Lola JULIE substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Monsieur [B] [I]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 12] (ALGERIE)
[Adresse 10]
[Localité 7]
Représenté par Me Lola JULIE substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 20 Août 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 906-5 et 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Septembre 2025,en audience publique, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
Le 11 mai 2017, Mme [J] [Y], M. [B] [I] et M. [X] [P] ont créé la SAS BAM dont l'objet social est l'exploitation de l'activité de restauration et brasserie.
Le 29 juin 2017, la société Bam a souscrit auprès de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon un prêt d'un montant de 220 000 euros au taux de 1,30% remboursable en 84 mensualités aux fins d'acquérir un fonds de commerce et d'y réaliser des travaux.
Le 4 juillet 2017, Mme [Y], M. [I] et M. [P] se sont chacun portés cautions solidaires de la société Bam au profit de la Caisse d'Epargne, dans la limite de la somme de 286 000 euros et pour une durée de 132 mois.
Le 28 juin 2019, les trois associés ont cédé leurs actions, 30 actions chacun, à M. [W] [D] et Mme [N] [G], épouse [D].
Par jugement du 10 juin 2020, le tribunal de commerce de Béziers a placé la société Bam en redressement judiciaire.
Le 15 juillet 2020, la Caisse d'Epargne a déclaré sa créance au mandataire judiciaire, à hauteur de 189 269,37 euros en principal.
Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Béziers a converti en liquidation judiciaire la procédure ouverte à l'égard de la société Bam.
Le 1er décembre 2020 et le 13 janvier 2021, la Caisse d'Epargne a mis en demeure respectivement M. [I] et M. [P] de lui régler la somme de 191 024,43 euros.
Par ordonnance du juge-commissaire du 18 décembre 2020, le fonds de commerce a été cédé à M. [O] au prix de 125 000 euros.
Par ordonnance du 20 décembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal de commerce de Montpellier a autorisé la Caisse d'Epargne à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur les biens appartenant à M. [I], soit la parcelle cadastrée AO [Cadastre 1] à [Localité 14].
Par exploit du 4 janvier 2022, la Caisse d'Epargne a assigné M. [I] en paiement devant le tribunal de commerce de Montpellier.
Par ordonnance du 3 mars 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Rennes a autorisé la Caisse d'Epargne à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur les biens appartenant à M. [P] situés au [Adresse 9] à [Localité 13].
Par exploit du 17 mars 2022, M. [P] a assigné la Caisse d'Epargne devant le tribunal de commerce de Montpellier en résolution de son cautionnement en invoquant la faute commise par la banque pour avoir déchargé Mme [Y] de son engagement de caution.
Par exploit du 29 mars 2022, la Caisse d'Epargne a assigné M. [P] en paiement devant le tribunal judiciaire de Rennes.
Par ordonnance du 10 août 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rennes a fait droit à l'exception de litispendance de M. [P] et confirmé la compétence du tribunal de commerce de Montpellier.
Par jugement contradictoire du 4 décembre 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a
ordonné la jonction de l'affaire 2022006616 avec l'affaire 202000255;
jugé que la subrogation aux droits, privilèges et hypothèques du créancier ne peut plus s'opérer en faveur de M. [I] et M [P], cautions, en raison de la faute commise par la Caisse d'Epargne et débouté la Caisse d'Epargne de sa demande de condamnation de M. [I] et M. [P] au paiement de la somme de 198 946,91 euros ;
condamné la Caisse d'Epargne du Languedoc Roussillon à payer à M. [I] et M. [P], chacun, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné l'exécution provisoire ;
et condamné la Caisse d'Epargne du Languedoc Roussilon aux dépens.
Par déclaration du 23 décembre 2024, la Caisse d'Epargne a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 13 août 2025, elle demande à la cour de :
accueillir son juste appel ;
y faisant droit
infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné la jonction de l'affaire 2022006616 avec l'affaire 202000255 et l'exécution provisoire ;
statuant à nouveau
débouter les consorts [I] et [P] de leurs prétentions principales et subsidiaires ainsi que de l'ensemble de leurs demandes ;
condamner solidairement M. [B] [I] et M. [X] [P] à lui payer la somme de 198 946,91 euros avec intérêts au taux de 4,30% sur la somme de 180 119,44 euros ( 33 821,28 euros + 146 298,16 euros) du 10 décembre 2021 jusqu'à parfait paiement et au taux légal à compter des mises en demeure du 1er décembre 2020 sur la somme jusqu'à parfait paiement sur la somme de 9 014,61 euros ;
dire y avoir lieu à application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ( anatocisme) ;
et les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Par conclusions du 18 août 2025, les consorts [I] et [P] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 2310 et suivants du code civil, de :
à titre principal, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
à titre subsidiair,e si la cour devait juger qu'ils ne sont pas déchargés de leurs obligations de caution,
juger que la banque a commis une faute en déchargeant Mme [Y] de son engagement de caution et en ne prenant pas le cautionnement de M. et Mme [D] et en laissant à celui-ci accès aux comptes de la société alors même qu'il n'était pas gérant de droit ;
prononcer la résolution des prétendus contrats de cautionnement liant la banque avec eux ;
débouter la Caisse d'Epargne de l'ensemble de ses demandes ;
à titre encore plus subsidiaire,
condamner la banque à réparer le préjudice des concluants à hauteur de l'éventuelle créance de la banque à leur égard au titre des contrats de cautionnement ;
ordonner la compensation des créances réciproques ;
en tout état de cause, condamner la Caisse d'Epargne à leur payer la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers frais et dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 20 août 2025.
MOTIFS :
Sur la décharge des cautions
Selon l'article 2314 du code civil, dans sa version applicable au litige, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
Toute clause contraire est réputée non écrite.
Pour être déchargé, il incombe à la caution de démontrer un comportement fautif exclusif du créancier et la perte d'un droit préférentiel. En outre, ce droit préférentiel doit avoir existé avant son engagement de caution ou avoir été constitué concomitamment.
Comme le soutiennent les intimés, lors de la souscription de leurs engagements de caution en 2017, ils bénéficiaient au titre de l'article 2312 du code civil d'un recours subrogatoire à l'encontre de Mme [Y], cofidéjusseur.
Par ailleurs, le prêt cautionné était également garanti par le nantissement du fonds de commerce. Ce dernier a été cédé pour la somme de 125 000 euros mais les opérations de liquidation n'étant pas encore clôturées, ce montant n'a pas encore été reversé aux divers créanciers. Selon les pièces versées par la Caisse d'Epargne, notamment le certificat d'admission du 19 juillet 2021, les intimés bénéficient toujours de leur recours subrogatoire à cet égard.
Concernent le recours subrogatoire de M. [I] et M. [P] contre Mme [Y], ils l'ont effectivement perdu, puisque selon l'acte de cession, réalisé en juin 2019, il y était précisé « il est ici rappelé aux cédants [B] [I] et [X] [P] qu'ils demeurent personnellement cautions de la société, bien qu'ils en aient cédé les actions. Ils doivent donc garantir le remboursement du prêt bancaire alors qu'ils perdent le contrôle de la société et n'en assurent plus la gestion, risque qu'ils acceptent formellement après trois mois de réflexion.
Mme [Y] a obtenu un accord écrit de la Caisse d'Epargne accordant la mainlevée de la caution donnée par elle avec l'engagement des cessionnaires [W] et [N] [D] de se porter caution en lieu et place (Annexe 10) ». Cette annexe correspondant à l'attestation d'accord de la Caisse d'Epargne indique : « remplacement de la caution de Mme [R] par celle de M. et Mme [D] ['] Maintien des cautions de M. [P] et M. [I]. ».
Ils ont au surplus perdu tout recours subrogatoire au titre de l'article 2310 du code civil puisqu'il s'est avéré que les époux [D] n'ont jamais contracté d'engagement de caution en remplacement de celui de Mme [Y].
Or, contrairement aux dires de la banque, les intimés n'ont pas seulement accepté la perte du cautionnement de Mme [Y] dans l'acte de cession, ils l'ont accepté à la condition qu'il soit remplacé par celui des époux [D], ce qui leur aurait permis de conserver leur droit préférentiel.
La faute de la Caisse d'Epargne ne saurait être l'absence de cautionnement des époux [D], cette dernière ne pouvant les obliger à contracter un tel engagement, mais d'avoir acté la décharge de la caution de Mme [Y] alors même que la banque n'avait pas obtenu le cautionnement des cessionnaires comme prévu.
La décharge prévue à l'article 2314 du code civil s'applique aussi bien au cas où une simple négligence du créancier a rendu la subrogation impossible que lorsque cette impossibilité provient d'un fait direct et positif de sa part.
Par suite, aux fins d'éviter toute décharge, il appartient au créancier d'établir l'absence de préjudice de la caution, ce que la Caisse d'Epargne omet de rapporter.
Néanmoins, au titre de ce préjudice, la caution n'est déchargée qu'à concurrence de la valeur des droits pouvant lui être transmis par subrogation et dont elle a été privée par le fait du créancier.
Il est constant qu'au titre du recours subrogatoire entre cofidéjusseurs, la caution a un recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion, ce recours n'ayant pour effet de la décharger de sa propre part et portion. De plus, entre cofidéjusseurs s'étant engagés à couvrir toute la dette, le recours s'opère, en principe, par parts viriles, soit une part égale pour chaque caution.
Ainsi, M. [I], M. [P] et Mme [Y] s'étant engagés dans la limite chacun de 286 000 euros, la part virile est égale à 95 333 euros.
En conséquence, il convient de réduire les cautionnements de M. [I] et M. [P] à la somme de 190 667 euros (286 000 ' 95 333).
Au vu de la déclaration de créance de la banque et du décompte des sommes dues, la créance de la société Bam s'élève au total à la somme de 198 946,91 euros.
Dès lors, M. [I] et M. [P] seront solidairement condamnés à payer la somme de 190 667 euros au titre de leurs engagements de caution du 4 juillet 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 1er décembre 2020, date de la mise en demeure, et avec anatocisme.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur la responsabilité de la Caisse d'Epargne
Les intimés font valoir que la Caisse d'Epargne a commis une faute en renonçant au cautionnement de Mme [Y] et en ne prenant pas le cautionnement des époux [D]. Ils ajoutent qu'en agissant ainsi, cela a permis à M. [D] de négliger la gestion de la société débitrice, la conduisant à la liquidation judiciaire et ils réclament la résolution judiciaire de leurs cautionnements.
Or, comme démontré précédemment, il ne peut être retenu à l'encontre de la Caisse d'Epargne de ne pas avoir réussi à obtenir les cautionnements des époux [D], ces derniers étant libre d'y consentir ou non. De plus, les intimés ne font état que de suppositions et n'apportent aucune preuve du lien de corrélation entre l'absence de cautionnement des époux [D] et la liquidation judiciaire de la société débitrice.
Concernant la faute de la banque d'avoir déchargé Mme [Y] alors qu'elle n'avait obtenu le cautionnement des époux [D], les intimés ne démontrent pas l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà établi précédemment en application de l'article 2314 du code civil.
Par conséquent, leur demande de résolution judiciaire sera rejetée.
Les intimés soutiennent également que la banque aurait laissé à M. [D] l'accès aux comptes de la société, alors qu'il n'était pas gérant de droit.
Néanmoins, ils ne rapportent aucun commencement de preuve d'une quelconque faute à cet égard, étant observé que, comme le souligne justement la Caisse d'Epargne, un important contentieux est né entre les cédants et les cessionnaires ayant conduit à un jugement du tribunal de commerce de Béziers du 20 septembre 2021 retenant que M. [D] était président de la société BAM depuis le 28 juin 2019.
En conséquence, les intimés seront également déboutés de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de la créance de la banque.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne solidairement M. [B] [I] et M. [X] [P] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon la somme de 190 667 euros au titre de leurs engagements de caution du 4 juillet 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 1er décembre 2020, date de la mise en demeure, et anatocisme ;
Condamne in solidum M. [B] [I] et M. [X] [P] aux dépens de première instance et d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [B] [I] et M. [X] [P], et les condamne in solidum à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon somme de 3 500 euros.
Le greffier La présidente