CA Besançon, 1re ch., 9 octobre 2025, n° 25/00016
BESANÇON
Ordonnance
Autre
PARTIES
Défendeur :
Agent judiciaire de l'État
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maizy
Avocats :
Me Truchy, Me Ponçot, Me Henriet, M. Prélot
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [D] [L], né le [Date naissance 3] 1977, a été mis en examen le 9 juillet 2021 du chef de menaces ou acte d'intimidation pour déterminer une victime à ne pas porter plainte ou à se rétracter, commis entre le 1er janvier et le 18 juin 2021 et le 6 novembre 2020, extorsion commise par une personne dissimulant volontairement son visage afin de ne pas être identifiée, commis entre le 6 novembre 2020, acquisition, détention, non autorisées de matériel de guerre, arme, munition et de leurs éléments de catégorie A, commis entre le 1er janvier et le 6 novembre 2020, et participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, commis entre le 1er septembre et le 6 novembre 2020.
Par ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention a ordonné son placement en détention provisoire. Il a été remis en liberté le 22 octobre 2021, soit après 105 jours de détention.
Par jugement en date du 8 octobre 2024, le tribunal correctionnel de Lons le Saunier a prononcé la relaxe de M. [D] [L] pour les faits qui restaient reprochés, menaces ou acte d'intimidation pour déterminer une victime à ne pas porter plainte ou à se rétracter, commis entre le 1er janvier et le 18 juin 2021.
Par requête réceptionnée le 26 février 2025, ce dernier a sollicité l'indemnisation du préjudice résultant de la détention provisoire injustifiée et a demandé :
- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- 4.748,92 euros au titre de son préjudice matériel ;
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de sa requête, il fait valoir :
- que l'atteinte portée à sa liberté lui avait nécessairement causé un préjudice moral ouvrant droit à réparation ;
- que père de quatre enfants dont un fils né le [Date naissance 5] 2020, il a été injustement privé de la possibilité d'apporter à sa compagne et ses enfants le soutien qui leur est nécessaire ;
Par mémoire reçu le 23 juillet 2025, M. [D] [L] a maintenu ses demandes.
Par conclusions reçues le 23 juin 2025, l'agent judiciaire de l'état a proposé :
- à titre principal, de déclarer irrecevable la requête de M. [D] [L] ;
- à titre subsidiaire, de dire que la durée de la période de détention indemnisable s'étend du 9 juillet 2021 au 22 octobre 2021 soit 105 jours ;
- de réparer son préjudice moral en lui allouant à la somme de 5 000 euros ;
- de rejeter la demande au titre du préjudice matériel et de réduire le montant de l'article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.
Par conclusions reçues le 12 mai 2025, le parquet général faisait sienne l'argumentation développée par l'agent judiciaire de l'Etat, requérant que l'indemnisation soit ramenée à la somme de 5 000 euros.
A l'audience du 11 septembre 2025, les parties ont réitéré leurs demandes et conclusions respectives.
L'affaire a été mise en délibéré au 9 octobre 2025.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la requête
L'Article 149 du code de procédure pénale dispose :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.
Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa). »
L'article 149-2 du même code dispose en son premier alinéa que :
« Le premier président de la cour d'appel, saisi par voie de requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, statue par une décision motivée. »
L'article R. 26 du code de procédure pénale énonce que la requête contient « l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles, notamment en ce qui concerne :
1° La date et la nature de la décision qui a ordonné la détention provisoire ainsi que l'établissement pénitentiaire où cette détention a été subie ;
2° La juridiction qui a prononcé la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement ainsi que la date de cette décision;
3° L'adresse où doivent être faites les notifications au demandeur. »
En l'espèce, le tribunal correctionnel de Lons le Saunier a rendu son jugement de relaxe le 8 octobre 2024.
Il ressort du certificat de non-appel en date du 12 mai 2025 versée au dossier que cette décision est devenue définitive.
La requête de M. [D] [L] a été déposée le 26 février 2025, soit dans le délai imparti de 6 mois. Il a justifié dans le cours de la procédure son adresse de domiciliation.
Elle est par conséquent recevable.
Sur la durée de la détention provisoire indemnisable
L'article 149 du code de procédure pénale précise que : « (') la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe où d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Toutefois, aucune réparation n'est due (') lorsque la personne était dans le même temps, détenue pour autre cause. ('). »
M. [D] [L] a été placé en détention provisoire le 9 juillet 2021.
Le bulletin n°1 de son casier judiciaire confirme qu'il a été condamné à plusieurs reprises, avec une dernière condamnation à 5 mois d'emprisonnement en répression de faits de récidive de recel de bien provenant d'un crime ou d'un délit, par le tribunal correctionnel de Chartres le 18 avril 2016.
La fiche pénale ne révèle pas l'exécution d'une peine pendant la période de détention provisoire dont il est demandé indemnisation.
Par conséquent, la période indemnisable au titre de la détention provisoire injustifiée s'étend du 9 juillet au 22 octobre 2021, soit 105 jours au total.
Sur l'indemnisation du préjudice moral
La mesure privative de liberté a nécessairement causé un préjudice moral au requérant dès lors qu'il a été relaxé des faits qui lui étaient reprochés.
Ce préjudice doit être indemnisé en fonction, notamment, de la durée de sa détention, de ses conditions particulières, de sa répercussion sur l'état de santé physique et psychique de l'intéressé, de la personnalité et de la situation familiale de celui-ci.
Même si M. [D] [L] a été incarcéré auparavant à plusieurs reprises, il reste concevable que cette incarcération ait été de nature à l'affecter.
Il n'en demeure pas moins qu'au regard des règles ordinaires d'administration de la preuve, pèse sur le requérant la charge d'établir l'existence des éléments ayant incarné et éventuellement majoré son préjudice.
Les références à la jurisprudence habituelle de la commission nationale de réparation de la détention sont à cet égard insuffisantes dès lors qu'aucune des pièces versées ne vient étayer l'affirmation selon laquelle l'incarcération ordonnée aurait entrainé la perte d'un revenu, paramètre certes économique mais qui aurait pu être pris en compte dans la consistance d'un préjudice moral induit par son incapacité à subvenir aux besoins de ses proches.
On doit en conclure que M. [D] [L] ne justifie d'aucune conséquence particulière de la détention provisoire sur le plan personnel ou familial.
Il convient donc de fixer son indemnisation à l'aune d'un préjudice moral principiel tiré de la privation de liberté considérée en tant que telle. La somme de 5 000 euros y satisfera.
Sur l'indemnisation du préjudice matériel
La mesure privative de liberté peut avoir causé un préjudice matériel au requérant. Il appartient à ce dernier de justifier d'une perte de revenus subies pendant la durée d'emprisonnement et, après la libération, pendant la période nécessaire à la recherche d'un emploi sinon d'une perte de chance, lorsque celle-ci est sérieuse, de percevoir des salaires, de suivre une scolarité ou une formation ou de réussir un examen entraînant l'obligation de recommencer une année scolaire.
Au cas présent, au vu de la seule pièce communiquée sur la situation de M. [D] [L], à savoir une attestation de droits par prestation datée du 20 mai 2025, indiquant que l'intéressé perçoit depuis le 1er juillet 2021 le revenu de solidarité active, il n'est justifié d'une perte de salaire ni d'une perte de chance telle que décrite ci-dessus.
Aussi, la demande de ce chef sera rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande d'allouer au requérant une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE la demande de Monsieur M. [D] [L] recevable ;
FIXE la durée de la détention indemnisable du 9 juillet au 22 octobre 2021, soit 105 jours au total ;
ALLOUE à M. [D] [L] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
REJETTE la demande de réparation du préjudice matériel ;
ALLOUE à M. [D] [L] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public.