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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 21 octobre 2025, n° 25/02813

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 25/02813

21 octobre 2025

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°303

N° RG 25/02813 - N° Portalis DBVL-V-B7J-V6VL

(Réf 1ère instance : 2024000619)

Mme [U] [S]

C/

S.E.L.A.S. [Z]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me [G]

Me KERVIO

Copie certifiée conforme délivrée

le :

à : TC de VANNES

Mme [S] (LRAR)

[Z]

(LRAR)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller, Rapporteur

Assesseur : Mme Constance DESMORAT, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Frédérique HABARE, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée. Avis écrit de Monsieur Yves DELPERIE Avocat Général en date du 11.08.2025. Entendu en ses observations à l'audience du 02.09.2025.

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Septembre 2025

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 21 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [U] [S]

née le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 13]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Loïc LAVIGNE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 352382025003080 du 22/05/2025 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)

INTIMÉE :

La SELAS [7] prise en la personne de Me [X] [R], es qualités de Mandataire liquidateur de la SARL [10] immatriculée au RCS de VANNES sous le numéro [N° SIREN/SIRET 5], désignée en cette qualité par jugement du tribunal de commerce de VANNES en date du 22 février 2023

[Adresse 11]

[Localité 4]

Représentée par Me Vanessa KERVIO de la SELARL SELARL GUENNO-LE PARC CHEVALIER KERVIO LE CADET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

Mme [S] est ou était la gérante de :

- la société [14], dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 22 octobre 2014,

- la société [10] Pontivy, placée en liquidation judiciaire, au cours de laquelle Mme [S] a été condamnée par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 20 septembre 2022 en responsabilité pour insuffisance d'actif au remboursement d'une somme de 15 000 €,

- la société [15].

Mme [S] est également la gérante de la société à responsabilité limitée [10], immatriculée à Vannes, qui a pour activité la vente au détail d'alimentation générale, l'import- export de produits divers, traiteur et réalisation de tressage africain.

La société [10] exploitait deux magasins : l'un à Vannes, l'autre à [Localité 12].

Le 7 février 2023, Mme [S] a déclaré l'état de cessation des paiements de cette société.

Par jugement du 22 février 2023, le tribunal de commerce de Vannes a ordonné l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société [10], fixé la date de cessation des paiements au 1er mai 2022 et désigné la société [7], prise en la personne de M. [R], en qualité de liquidateur judiciaire.

Estimant que Mme [S] avait omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans les 45 jours, ne justifiait pas de certains paiements douteux, n'avait pas respecté la procédure de licenciement pour ses salariés, avait poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire, avait fait des biens ou du crédit de l'entreprise un usage contraire à son intérêt à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale à laquelle elle était intéressée, avait souscrit pour le compte d'autrui des engagements trop importants par rapport à la situation de la personne morale, avait fait disparaître les documents comptables, n'avait pas tenu de comptabilité ou avait tenu une comptabilité fictive, incomplète ou irrégulière, la société [7], ès qualités, l'a assignée devant le tribunal de commerce de Vannes en responsabilité pour insuffisance d'actif et pour la voir sanctionnée par la faillite personnelle et l'interdiction de gérer.

Par jugement du 12 mars 2025, le tribunal de commerce de Vannes a :

- déclaré recevable et partiellement bien fondée la demande de condamnation de Mme [U] [S] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif, ainsi qu'au prononcé de sa faillite personnelle,

- condamné Mme [U] [S] à supporter au titre de l'insuffisance d'actif révélée par les opérations de la liquidation judiciaire de la SARL [10], la somme de 70 000 € pour les causes sus énoncées,

- l'a condamnée parallèlement à une sanction de faillite personnelle pour une durée de dix ans, pour les causes sus énoncées,

- ordonné que l'exécution provisoire du jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation quant à la condamnation de Mme [S] à une faillite personnelle, pour les causes sus énoncées,

- ordonné que la mesure de faillite personnelle à laquelle Mme [S] est condamnée soit notamment publiée au fichier national des interdits de gérer,

- ordonné la signification du jugement à la diligence du greffe, par acte de commissaire de justice, à Mme [S], outre les autres mesures de publicité prévues par la loi, et ce nonobstant les voies de recours,

- condamné Mme [S] aux entiers dépens, lesquels seront employés en frais de privilégiés de procédure,

- arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le greffe du tribunal de commerce à la somme de 98,55 €, dont TVA 13,79 €.

Par déclaration du 20 mai 2025, Mme [S] a interjeté appel de cette décision. La société [7] ès qualités a formé appel incident.

Les dernières conclusions de l'appelante ont été déposées le 28 août 2025 ; celles de l'intimée, le 29 juillet 2025.

L'avis du ministère public a été adressé le 11 août 2025.

L'ordonnance de clôture a été rendue, avant l'ouverture des débats, le 2 septembre 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Mme [S] demande à la cour de :

- déclarer Mme [S] recevable et bien fondée en son appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de VANNES le 12 mars 2025 sous le rôle n° 2024 000619,

y faisant droit :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Vannes le 12 mars 2025 sous

le rôle n° 2024 000619, en ce qu'il a :

- Déclaré recevable et partiellement bien fondée la demande de condamnation de Madame [S] [U], au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif, ainsi qu'au prononcé de sa faillite personnelle ;

- Condamné Madame [S] [U] à supporter au titre de l'insuffisance d'actif révélée par les opérations de la liquidation judiciaire de la SARL [10], la somme de soixante-dix mille Euros (70.000,00 €), pour les causes sus énoncées ;

- L'a condamné parallèlement à une sanction de faillite personnelle pour une durée de dix ans, pour les causes sus énoncées ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation quant à la consignation de Madame [S] [U] à une faillite personnelle, pour les causes sus énoncées ;

- Ordonné que la mesure de faillite personnelle à laquelle Madame [S] [U] est condamnée, soit notamment publiée au Fichier Nationale des Interdits de Gérer ;

- Ordonné la signification du présent jugement à la diligence du Greffe, par acte de Commissaire de Justice, à Madame [S] [U], outre les autres mesures de publicité prévues par la loi, et ce, nonobstant, toutes voies de recours ;

- Condamné Madame [S] [U] aux entiers dépens, lesquels seront employés en frais de privilégiés de procédure ;

- Arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe du Tribunal à la somme de 98.55 euros, dont la TVA 13,79 euros.

et statuant de nouveau sur la mesure de faillite personnelle et d'interdiction de gérer :

à titre principal :

- débouter la SELAS [7] en qualité de liquidateur de la SARL [10], de sa demande de prononcé d'une mesure de faillite personnelle et d'interdiction de gérer à l'encontre de Mme [U] [S],

à titre subsidiaire :

- réduire à de plus justes proportions le quantum de la sanction prononcée,

sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

à titre principal :

- débouter la SELAS [7] en qualité de liquidateur de la SARL [10], de sa demande de condamnation de Mme [S] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif de la SARL [10],

à titre subsidiaire :

- réduire à de plus justes proportions le quantum de la condamnation prononcée,

- ordonner que Mme [S] bénéficie d'un délai de grâce sous la forme d'un différé de paiement d'une durée de 23 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

sur les frais et dépens :

- condamner la société [7] en qualité de liquidateur de la SARL [10], à payer à M. [D] [G] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700, 2° du code de procédure civile ;

- condamner la SELAS [7] en qualité de liquidateur de la SARL [10], aux entiers dépens de première instance et d'instance d'appel ;

en tout état de cause :

- débouter la SELAS [7] en qualité de liquidateur de la SARL [10], de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La société [7], ès qualités, demande à la cour de :

- débouter Mme [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [S] à une sanction de faillite personnelle pour une durée de 10 ans et ordonné que cette mesure soit publiée au Fichier National des interdits de gérer,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [S] à supporter au titre de l'insuffisance d'actif révélée par les opérations de liquidation judiciaire de la SARL [10], la somme de 70 000 €,

statuant à nouveau,

- condamner Mme [S] à payer à la société [7], en qualité de liquidateur de la société [10], la somme de 206 934,73 € au titre de l'insuffisance d'actif, outre les intérêts légaux sur cette somme à compter du 12 février 2024,

- condamner Mme [S] à payer à la société [7], en qualité de liquidateur de la société [10] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner Mme [S] à payer à la société [7], en qualité de liquidateur de la société [10] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le ministère public est d'avis de confirmer la décision quant au principe et au quantum de la sanction de faillite personnelle mais de l'infirmer pour retenir une responsabilité pour insuffisance d'actif à hauteur de 200 765 €.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.

DISCUSSION

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce :

« lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. (...) Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »

Il appartient au liquidateur de démontrer l'existence d'une insuffisance d'actif et de prouver la faute de gestion, antérieure au jugement d'ouverture, imputable au dirigeant, hors une simple négligence, et sa relation de causalité avec l'insuffisance d'actif. Il suffit que la faute de gestion ait seulement contribué à l'insuffisance d'actif.

- sur le montant de l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le montant du passif (créances antérieures au jugement d'ouverture, vérifiées et admises) et le montant de l'actif, disponible ou non (valeur de réalisation du patrimoine).

Son existence et son montant doivent être appréciés au moment où la juridiction saisie de l'action en responsabilité statue.

La société [7] justifie d'un état du passif définitif de 206 934,73 € déposé au greffe du tribunal de commerce le 11 août 2025.

Mme [S] fait valoir que le montant du passif définitif doit être diminué d'une somme de 49 527,70 €, remboursée postérieurement au [8] en sa qualité de caution d'un crédit de trésorerie et d'un prêt professionnel de la société [10].

Mme [S] a été condamnée par jugement du 27 novembre 2023 à payer au [8] les sommes de 10 000 € et 49 666,56 € en sa qualité de caution au titre d'un prêt professionnel et d'un crédit de trésorerie consentis à la société [10].

Elle justifie qu'à l'issue d'une vente immobilière, après mainlevée des hypothèques, il restait un solde de prix de 49 527,70 € à destination du [8].

Le notaire a fait verser le solde du prix à la demande de Mme [S] sur le compte [8] Vannes [10].

Mme [S], en sa qualité de caution, pouvait rembourser le [8] et diminuer, corrélativement, la dette de la société [10].

Ainsi, Mme [S] rapporte la preuve d'une diminution du passif définitif qu'il convient de fixer à la somme de 157 407,03 € (206 934,73 € - 49 527,70 €).

Le liquidateur judiciaire déclare que la valeur de la réalisation des actifs est de 23 830 €. Ce montant n'est pas discuté par Mme [S].

Ainsi, il en résulte une insuffisance d'actif de 133 577,03 €.

- sur les fautes de gestion reprochées à Mme [S]

Le liquidateur judiciaire reproche principalement à Mme [S] : l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, l'opacité de sa gestion, le défaut d'établissement du bilan 2021, l'absence de respect des procédures de licenciement du personnel et la cession sans contrepartie du stock du magasin de [Localité 12].

- l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements

Selon l'article L.631-4 du code de commerce,

« l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

L'état de cessation des paiements a été fixé rétroactivement au 1er mai 2022 par le tribunal de commerce à l'ouverture de la procédure collective.

Mme [S] admet avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal.

Mme [S] n'a déclaré l'état de cessation des paiements que le 7 février 2023.

Entre-temps, Mme [S] a pourtant été alertée par l'expert comptable de la société [10], par courriel du 29 octobre 2022, de ce que le bilan était déficitaire, qu'il était recommandé « compte tenu de la situation des différents magasins », « un redressement judiciaire de toutes les sociétés ou même une liquidation ».

Il ressort des pièces versées par le liquidateur judiciaire qu'à cette date, le passif s'aggravait encore puisque la société [10] avait été condamnée le 7 octobre 2022 par jugement exécutoire par provision du tribunal de commerce de Vannes à payer à la société [9] une somme de 9 310 € au titre de factures impayées, outre les frais de justice, et qu'à la fin octobre 2022, le solde intermédiaire du compte bancaire de la société [10] était durablement déficitaire.

Au surplus, Mme [S] a été condamnée par la cour d'appel de Rennes le 20 septembre 2022 en responsabilité pour insuffisance d'actif de la société [10] Pontivy et l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements avait déjà été retenue à son encontre.

Ainsi, l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements, pourtant connu de Mme [S], constitue une faute de gestion ayant permis le maintien de l'activité déficitaire et, partant, l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société [10].

- l'opacité de la gestion

Le liquidateur judiciaire fait valoir que Mme [S] n'a pu expliquer plusieurs virements effectués au profit de la société [15] (1 000 € et 1 300 €), de la société [10] [Localité 6] (gérée par Mme [P] [S] : 1 498,22 €), de « lidoe » (4 X 500 €) et d' « [E] » (1 300 €), entre le 27 août 2022 et le 14 décembre 2022.

Par courriel du 12 juillet 2023 adressé au liquidateur judiciaire, Mme [S] a expliqué ces mouvements de la manière suivante : « virement [L] sont mes salaires. Lidoe remboursement fournisseur factures échu. Hibiscus [Localité 6] rachat de stock. [E] remboursement fournisseur ». Malgré les demandes de précision et de justificatifs, Mme [S] n'a pas répondu.

Mme [S] ne produit aucune facture fournisseur ni les conventions éventuellement passées avec les sociétés [15] et/ou [10] [Localité 6].

L'expert comptable a confirmé au liquidateur judiciaire le 8 mars 2023 : « nous ne pouvons nous prononcer sur ces irrégularités, mais nous avons énormément de mal à avoir des documents fiables et à rapprocher les caisses ».

Mme [S] fait valoir que séparée de son ex-conjoint en avril 2022, elle n'a pu récupérer ses affaires à son domicile, et justifie avoir déposé plainte à son encontre. Pour autant, il n'est pas établi que les documents comptables de sa société ou de la société [15] aient été conservés par cet homme.

Mme [S] ajoute que le défaut de production des justificatifs constitue tout au plus une négligence.

Toutefois, il est relevé que ces débits sans cause ni contrepartie établies constituent nécessairement des fautes de gestion, voire des détournements de Mme [S], ayant participé à l'insuffisance d'actif de la société [10] à des dates où l'état de cessation des paiements aurait déjà dû être déclaré.

- le défaut d'établissement du bilan 2021

Le liquidateur judiciaire reproche à Mme [S] de ne pas avoir mis en mesure son expert comptable d'établir le bilan 2021. Ainsi celui-ci lui a t-il écrit par courriel du 29 octobre 2022 : « nous n'arrivons pas à reconstituer les comptes fournisseurs car nous avons des sommes de 2020 qui restent dues ou payées d'avance et la même chose pour 2021. Le chiffre d'affaires a été reconstitué avec les encaissements, nous pouvons penser que les encaissements supplémentaires de la caisse correspondent aux ventes hors magasin. Nous n'avons pas la facture de votre véhicule 24 000 HT, nous l'avons intégré en compta. Nous n'arrivons pas à reconstituer tous les flux entres Vannes et [Localité 16]. Il y a les mêmes difficultés sur [Localité 6]. Pour ces deux sociétés créées en 2021, une nouvelle fois nous n'avons pas sorti le bilan car nous n'arrivons pas à nous prononcer sur la réciprocité des comptes ».

Le flou entretenu dans la gestion de ses affaires par Mme [S] et plus particulièrement pour la gestion de la société [10] l'a privée d'éléments indispensables à l'appréciation de la situation financière de sa société. Il n'est toutefois pas établi de lien de causalité entre cette dernière faute alléguée et l'insuffisance d'actif.

- le défaut de respect de la procédure de licenciement

Le liquidateur judiciaire reproche à Mme [S] de ne pas avoir respecté la procédure de licenciement pour deux salariés, l'obligeant à reprendre le licenciement de celles-ci postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire en augmentant d'autant l'insuffisance d'actif.

Mme [S] admet ne pas pouvoir justifier de la convocation à un entretien préalable des salariées ni de l'expédition de lettres de licenciement.

L'absence de respect de ses obligations légales en droit du travail pour un gérant de société constitue une faute de gestion grave, laquelle a conduit le liquidateur judiciaire ès qualités à devoir rétrospectivement régulariser la procédure en tenant compte des salaires et charges qui avaient continué à courir dès avant l'ouverture de la procédure collective. Cette faute de gestion a ainsi conduit à participer à l'insuffisance d'actif.

- la récupération du stock du magasin de [Localité 12] par l'une des salariées sans contrepartie

Le liquidateur judiciaire fait valoir que Mme [S] a transmis à l'une des salariées licenciées, sans contrepartie, le stock de marchandises du magasin de [Localité 12] afin que celle-ci l'exploite en qualité d'auto-entrepreneur.

Mme [S] affirme que ce stock appartenait à la société [10] [Localité 6] et que les armoires et congélateurs étaient les siens, que le magasin de 20 m² n'accueillait qu'un faible stock, que celui-ci, laissé sur place par l'ancienne salariée, a finalement été vendu par le liquidateur judiciaire.

Ce disant, Mme [S] ne conteste pas la cession du stock à son ancienne salariée.

Elle n'établit nullement que ce stock, présent dans les locaux du magasin exploité par la société [10], ait appartenu à une société tierce voire à elle-même.

Cette cession sans contrepartie constitue une faute de gestion, voire un détournement.

La société [10] gérait deux magasins dont le stock total était évalué au bilan 2021 à 168 073 €. Aucun élément n'est communiqué par le liquidateur judiciaire quant à la localisation du stock du magasin de Vannes et à son importance, pour pouvoir comparer avec celui de [Localité 12]. Il n'est pas produit l'inventaire des biens à l'issue de l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Surtout, le liquidateur judiciaire qui admet dans ses écritures (page 11) que la « vente » postérieure du stock a été autorisée par le juge commissaire n'en communique pas le prix.

Dès lors, il ne peut être établi de lien de causalité entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif.

Sur la condamnation à prendre en charge l'insuffisance d'actif

Le montant de la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif s'apprécie en fonction du nombre et de la gravité des fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif sans qu'il y ait lieu de prendre en considération le patrimoine et les revenus du dirigeant fautif.

Mme [S] fait valoir qu'elle était dans une situation personnelle difficile sur la période considérée après la séparation conflictuelle avec son ex-compagnon et l'hospitalisation de son jeune fils en réanimation en mars 2022.

S'il ne peut être fait abstraction des difficultés personnelles de Mme [S] dont elle justifie, il convient néanmoins de tenir compte du fait qu'elle a multiplié les fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif. Ces fautes sont d'autant plus graves qu'elle avait été alertée des incohérences de sa gestion par son expert comptable et plus encore, condamnée par la cour d'appel de Rennes le 20 septembre 2022 pour des faits similaires sans qu'elle ne réagisse de manière appropriée. L'accumulation de ses fautes après l'état de cessation des paiements malgré ces alertes doit être pris en compte.

En conséquence, au vu de l'incidence des fautes de gestion retenues supra sur l'aggravation du passif, elle sera condamnée à prendre en charge la somme de 90 000 € au titre de l'insuffisance d'actif.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Mme [S] a de fait déjà bénéficié de délais importants depuis la première instance pour rembourser une partie de l'insuffisance d'actif. Dès lors, et bien qu'elle justifie d'une situation financière précaire, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de « délai de grâce ».

Les sanctions

L'article L653-1 du code de commerce dispose :

« I.-Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables:

(...)

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales. »

Selon l'article L.653-2 du même code :

« La faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale. »

Selon l'article L653-4 du code de commerce :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

En outre, selon l'article L653-5 du code de commerce :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée. »

Enfin, l'article L.653-11 du même code dispose :

« Lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, il fixe la durée de la mesure, qui ne peut être supérieure à quinze ans. Il peut ordonner l'exécution provisoire de sa décision (...)»

- sur la poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale

La poursuite abusive d'une activité déficitaire n'est sanctionnée que lorsqu'elle est effectuée dans un intérêt personnel.

Si des virements inexpliqués ont été réalisés entre les sociétés gérées par Mme [S] ou des membres de sa famille et si la société [10] détenait des créances à l'encontre de ces sociétés, il n'est pas établi que Mme [S] ait volontairement poursuivi l'activité de la société [10] en vue de les favoriser et qui plus est, dans un intérêt personnel. Le fait que Mme [S] n'ait pas tenté de recouvrer lesdites créances contre ces sociétés, ne peut établir à lui seul son intérêt personnel.

Ce grief n'est pas retenu.

- sur l'usage contraire à l'intérêt de la société de ses biens ou de son crédit à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement

Il apparaît au bilan de la société [10] au 31 décembre 2021 :

- une créance de 34 000 € sur la société [15], jamais recouvrée,

- une créance de 20 636 € sur la société [10] [Localité 12], laquelle n'a pas été déclarée à la procédure collective de la société [10] [Localité 12] par Mme [S].

Les explications données par Mme [S] ne sont étayées par aucun justificatif.

Les virements au profit de la société [15] des 27 août 2022 et 15 septembre 2022 d'un montant de 1 000 € et 1 300 € n'ont pas plus été justifiés. Il en est de même s'agissant d'un virement de 1 498,22 € en date du 18 octobre 2022 au profit de la société [10] [Localité 6].

L'expert comptable avait d'ailleurs vainement alerté Mme [S] par son courriel du 29 octobre 2022 susvisé de son impossibilité à expliciter les rapports comptables entre les sociétés.

Il est ainsi établi des mouvements douteux entre les sociétés, favorisant les autres sociétés et préjudiciables à la société [10], dont Mme [S] est seule à l'initiative.

Mme [S] ne conteste pas avoir des intérêts dans ces trois sociétés. Il est précisé que la société [15] est associée de la société [10] [Localité 6]. Mme [S] est ou était, au demeurant, la gérante des sociétés [10] [Localité 12] et [15].

Le grief sera retenu.

- sur la souscription, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, d'engagements trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale

Comme vu supra, le liquidateur judiciaire n'a versé aucune pièce permettant de vérifier la consistance vraisemblable de ce stock du magasin de [Localité 12] de sorte que, si la cession gratuite ou la mise à disposition de celui-ci au profit de l'ancienne salariée était contraire à l'intérêt de la société, il n'est pas établi qu'il s'était agi d'un engagement trop important eu égard à la situation de la société [10].

Le grief est écarté.

- sur la disparition des éléments comptables, l'absence de comptabilité ou la tenue d'une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière

Les courriels de l'expert comptable du 29 octobre 2022 à Mme [S] et celui du 8 mars 2023 au liquidateur judiciaire mentionnés supra sont suffisamment clairs pour établir que Mme [S] n'était pas en mesure de faire établir une comptabilité complète et régulière pour les comptes de l'exercice 2021 qui n'ont pu être arrêtés de manière définitive.

Mme [S] n'a pas non plus été en mesure de justifier des incohérences pointées par le liquidateur judiciaire par la suite.

Une partie des imprécisions est antérieure aux difficultés personnelles rencontrées par Mme [S].

Le grief est retenu.

La société [10] est la troisième société gérée par Mme [S] qui fait l'objet d'une liquidation judiciaire en moins de dix années sans qu'elle n'ait tiré les leçons des précédents échecs ni amélioré durablement ses méthodes de gestion comptable. Ces liquidations successives ont conduit à la création de passifs importants qui ne pourront être intégralement recouvrés. Les fautes retenues à l'encontre de Mme [S] sont d'autant plus graves qu'elle a été alertée et qu'elle était accompagnée d'un expert comptable.

Mme [S], s'agissant de la sanction et de sa durée, se contente de faire valoir qu'elle n'a jamais été condamnée précédemment et qu'elle entend désormais exercer une activité salariée.

Le prononcé d'une faillite personnelle n'apparaît pas disproportionnée à la situation personnelle qu'elle allègue puisqu'elle ne l'empêchera pas d'exercer une activité professionnelle salariée.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, de la gravité et de la répétition des griefs retenus et en tenant compte de la situation de Mme [S], il convient de prononcer sa faillite personnelle emportant l'interdiction de gérer. Pour les mêmes raisons, cette sanction est prononcée pour une juste durée de 10 années.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Dépens et frais irrépétibles

Le jugement est confirmé.

Succombant à l'instance, Mme [S] sera condamnée aux dépens.

L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société [7] ès qualités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- condamné Mme [U] [S] à supporter au titre de l'insuffisance d'actif révélée par les opérations de la liquidation judiciaire de la SARL [10], la somme de 70 000 € pour les causes sus énoncées,

Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Mme [U] [S] à payer à la société [7] prise en la personne de M. [R] en qualité de liquidateur de la société [10] (RCS de Vannes n°[N° SIREN/SIRET 5]) la somme de 90 000 € au titre de l'insuffisance d'actif,

Rejette la demande de délais de grâce de Mme [S],

Condamne Mme [U] [S] aux dépens de l'appel,

Rejette toute autre demande,

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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