Livv
Décisions

CA Reims, ch.-1 civ. et com., 21 octobre 2025, n° 24/01304

REIMS

Arrêt

Autre

CA Reims n° 24/01304

21 octobre 2025

R.G. : N° RG 24/01304 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FRAS

ARRÊT N°

du : 21 octobre 2025

Formule exécutoire le :

à :

la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS

la SELARL SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2025

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 28 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Troyes (RG 22/01174)

S.A.S. ME Conseils

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Angelique BAILLEUL de la SCP SCRIBE-BAILLEUL-SOTTAS, avocat au barreau de l'AUBE, Me Valérie MALLARD, avocat au barreau de LYON,

INTIMÉE :

Association APEI DE L'[Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Aurélien CASAUBON de la SELARL SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES, avocat au barreau de l'AUBE, Me Xavier PELISSIER, avocat au barreau de STRASBOURG.

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 octobre 2025, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et Mme Anne POZZO DI BORGO, conseiller, ont entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ces magistrats en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Mme Sandrine PILON, conseiller

Mme Anne POZZO DI BORGO, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Mme Lozie SOKY, greffier placé, lors des débats et Mme Lucie NICLOT, greffier, lors du délibéré,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Mme Anne POZZO DI BORGO, conseiller, en remplacement de Mme DIAS DA SILVA, présidente de chambre, régulièrement empêchée conformément à l'article 456 du code de procédure civile et par Mme NICLOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Expose du litige

Le 20 mars 2020, la SASU ME Conseils a conclu avec l'association de parents d'enfants inadaptés et de personnes en situation de handicap (l'APEI) de l'[Localité 5], représentée par son directeur général, M. [W] [T], un contrat de prestation de conseils en gouvernance et gestion de crise moyennant une base tarifaire de 2 100 euros par journée réalisée.

Par courrier électronique du 26 octobre 2021, la SASU ME Conseils a sollicité auprès de la directrice financière de l'APEI le paiement de 3 factures émises en exécution de cette convention les :

- 4 mai 2021, pour un montant de 7 560 euros TTC pour 3 journées de mentoring dirigeant réalisées en avril,

- 4 juin 2021, pour un montant de 7 560 euros TTC pour 3 journées de mentoring dirigeant réalisées en mai,

- 1er juillet 2021, pour un montant de 10 080 euros TTC pour 4 journées de mentoring dirigeant réalisées en juin.

Faute de règlement, par exploit du 25 mai 2022, la SASU ME Conseils a fait assigner l'association APEI de l'[Localité 5].

Par jugement du 28 juin 2024 le tribunal judiciaire de Troyes a :

- débouté la SASU ME Conseils de ses demandes en paiement,

- condamné celle-ci à payer à l'association APEI de l'[Localité 5] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au entiers dépens.

Par déclaration du 12 août 2024, la SASU ME Conseils a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 6 février 2025 elle demande à la cour de :

- infirmer la décision,

statuant à nouveau,

- déclarer que la créance due par l'APEI est certaine, liquide et exigible,

- la condamner à lui verser la somme de 25 200 euros TTC avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts,

- la condamner à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 1240 du code civil en réparation de sa résistance abusive,

- la condamner à lui verser la somme de 120 euros au titre de l'article D. 441-5 du code de commerce,

- la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle soutient que les contestations relatives aux précédentes prestations réalisées ne sont pas dans le débat et qu'elle est bien fondée à obtenir le paiement de la somme réclamée au titre des factures émises dont elle établit qu'elle sont relatives à des interventions objet de la convention les liant. Elle ajoute que les factures litigieuses ont été signées par le directeur de l'association pour son compte ce qui atteste de la quantité des interventions et du tarif appliqué.

Elle indique également que la convention ayant été valablement conclue et n'ayant pas été résiliée avant son exécution, le paiement des prestations ne peut être remis en cause par l'association.

Elle affirme que l'APEI fait preuve de mauvaise foi et de résistance abusive pour se soustraire à ses obligations contractuelles.

Elle fait valoir enfin que l'APEI est également redevable des frais de recouvrement qu'elle a engagés.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 8 novembre 2024, l'APEI demande à la cour de :

- rejeter les demandes de l'appelante,

- juger qu'il n'y a eu aucune prestation de sa part,

- confirmer le jugement querellé,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que les prestations en cause, qui ont été effectuées pour la défense des intérêts du directeur et non pour le compte de l'association, ne correspondent pas au contrat dont se prévaut l'appelante. Elle ajoute que celui-ci n'a reçu aucune délégation de pouvoirs pour s'accorder un coaching.

Elle fait valoir au surplus que l'appelante ne démontre pas la réalité de la prestation réalisée, faute de justifier des heures et jours d'intervention.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 16 septembre 2025.

Motifs de la décision

Il résulte des articles 1103 et 1104 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et qu'ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Selon l'article 1153 de ce même code c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver. Réciproquement, celui que se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, le contrat de prestation de « conseils en gouvernance et gestion de crise » conclu par les parties le 20 mars 2020 (pièce 1 de l'appelante), pour une durée maximale de 36 mois, stipule en son article 1 « mission » que « cette mission de conseil est prévue pour appréhender la situation et aider à formuler une réponse adéquate aux moyens de l'APEI de l'[Localité 5] pour faire face à cette situation pandémique extraordinaire. Elle sera orientée vers l'adaptation des organisations tant siège que celles des établissements pour accompagner ses différentes phases.

La mise en place de ces stratégies se fera au travers d'échanges réguliers afin d'analyser objectivement les circonstances vécues, la réaction des managers, leurs capacités à innover dans un contexte tendu, leur capacité de réaction dans un contexte incertain selon l'extension de la pandémie(...).

Les pistes étudiées seront de différentes natures :

1. Dynamique de groupe

2. Gestion des managers

3. Réflexion organisationnelles et stratégiques

Réflexion économiques (budget, investissements)

Tout sujet majeur ».

L'article 3 précise les obligations du « conseil » comme suit : « le conseil s'engage à déployer ses meilleurs efforts pour accompagner Monsieur [T] [W] dans sa mission de Directeur général ».

L'APEI ne conteste pas les pouvoirs du directeur général pour l'engager dans le cadre de cette convention laquelle a donc été régulièrement signée.

Il est constant par ailleurs que cette dernière faite suite à une première mission de mentoring réalisée en 2019 pour permettre à M. [T] de prendre en charge le poste de directeur général de l'APEI à compter de septembre 2019 et que les factures émises dans ce cadre puis au titre de la convention litigieuse ont été acquittées sans difficulté jusqu'en avril 2021 (pièce 3 de l'appelante).

Si le second contrat comporte une mission distincte de la première en ce qu'elle vise à mettre en 'uvre ou adapter l'organisation et les moyens de l'APEI pour faire face à la pandémie de covid, son objet reste identique et général puisqu'il doit permettre d'accompagner son directeur général dans sa mission sans autre précision.

Aucun objectif précis n'a été convenu par les parties en amont de la réalisation de cette seconde mission contrairement à la première, avant la mise en place de laquelle un courriel avait été adressé par le prestataire des conseils le 30 octobre 2018 (pièce 10 de l'appelante) au directeur, M. [T], mais également à la présidente de l'APEI (Mme [K] [Z]). L'intervenant y présentait le projet de coaching, ses phases, les modalités de rencontres, leur fréquence et durée et précisait que la présidente de l'association serait associée au bilan final.

Les parties n'étaient par ailleurs convenues d'aucun rythme particulier pour leurs échanges, le contrat mentionnant uniquement que les moyens numériques seront privilégiés et le mode d'échange par visio-conférence recommandé avec un échange de documents par mails.

Pour justifier de l'exécution de la prestation, la société ME Conseils verse aux débats (sa pièce 6) une synthèse des actions effectuées listées comme suit :

- développement d'une interface de gestion dynamique des entretiens annuels,

- développement d'une interface de gestion dynamique du parc technique (identification des ressources humaines, en matériels, amélioration de l'échange entre les personnels technique).

S'y ajoutent d'autres missions réalisées « durant la période de crise vécue par le DG (') pour l'épauler alors qu'il subissait une pression permanente ».

Elle produit également (sa pièce 8) un listing et la copie des 38 mails échangés entre M. [F] [P] pour le compte de la société de conseil et M. [T], directeur général, entre le 17 mars 2020 et le 28 juin 2021, dont 25 sur la période litigieuse de avril à juin 2021.

La société appelante démontre ainsi la réalité de son accompagnement et la quantité des interventions réalisées.

Si les échanges en cause, relatifs principalement à des conseils de rédaction sur différents thèmes intéressant la direction de l'association, dépassent, pour certains, la seule question de son organisation durant la pandémie, il apparaît, à la lecture des mails antérieurs à la période contestée, que cette pratique s'est instaurée dès la signature de la convention de 2020 sans contestation de la part de l'association durant une année, les factures ayant toutes été payées. Au demeurant, les échanges s'inscrivent tous dans un objectif d'accompagnement du dirigeant, dans ses relations internes et externes à la structure, dans le respect des obligations du conseil telles que définies dans l'article 3 de la convention litigieuse.

Les 3 factures émises par la SASU EM Conseils les 4 mai, 4 juin et 1er juillet 2021 en exécution de cette convention (sa pièce 2), mentionnent toutes la désignation suivante « accompagnement du directeur général de l'APEI » et sont toutes afférentes à des journées de mentoring avec la précision « DIRIGEANT ».

Si le détail des jours et heures n'y est pas précisé, force est de constater qu'il ne l'était pas davantage dans la plupart des factures antérieures produites et réglées sans difficulté par l'intimée (ses pièces 7 et 8) lesquelles précisent uniquement « coaching téléphonique 1 jour » ou « 2 jours ».

Elles entrent donc dans l'objet de la convention et la société appelante est bien fondée à en réclamer le paiement.

Il convient dès lors de condamner l'APEI à régler à la SASU ME Conseils la somme de 25 200 euros réclamée avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

L'appelante le sollicitant, la capitalisation des intérêts doit être ordonnée sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil à compter de la date à laquelle ils sont dus pour la première fois pour une année entière.

Le jugement querellé est infirmé en ce sens.

Aux termes de l'article L. 441-9 du code de commerce, « la facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir. Elle précise les conditions d'escompte applicables en cas de paiement à une date antérieure à celle résultant de l'application des conditions générales de vente, le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement ».

Au vu des mentions portées sur les factures en cause et dans la mesure où les prestations facturées l'ont été pour les besoins de l'activité professionnelle de l'intimée, une indemnité forfaitaire de 40 euros par facture impayée doit être mise à la charge de l'APEI pour les frais de recouvrement due à la société appelante. Compte tenu du nombre de factures, une somme de 120 euros (3 x 40 euros) lui sera accordée. Le jugement est également infirmé en ce sens.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas en soi constitutif d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.

La société appelante ne verse aucun élément permettant de caractériser l'éventuelle malice, mauvaise foi ou erreur grossière dont aurait pu faire preuve l'APEI de sorte que le caractère abusif de sa défense n'est pas caractérisé.

La demande d'indemnisation formée par l'appelante pour résistance abusive est rejetée et le jugement querellé est confirmé sur ce point.

L'APEI, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Déboutée de ses prétentions, elle ne peut prétendre à une indemnité pour les frais de procédure engagés. Le jugement querellé est infirmé sur ces points.

L'équité justifie d'allouer à la SASU ME Conseils la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la SASU ME Conseils pour résistance abusive ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne l'APEI de l'[Localité 5] à verser à la SASU ME Conseils la somme de 25 200 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne l'APEI de l'[Localité 5] à payer à la SASU ME Conseils la somme de 120 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour les frais de recouvrement prévue par l'article L. 441-9 du code de commerce ;

Condamne l'APEI de l'[Localité 5] aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne l'APEI de l'[Localité 5] à payer à la société ME Conseils la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande formée à ce titre.

Le greffier Le conseiller

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site