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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 11, 21 octobre 2025, n° 22/08241

PARIS

Autre

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Club Mediteranee (SAS)

Défendeur :

Club Mediteranee (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidente :

Mme Lecoq-Caron

Vice-présidente :

Mme Hartmann

Conseillère :

Mme Valantin

Avocats :

Me Nianghane, Me Coste Floret

Cons. prud'h. Paris, du 18 juill. 2022, …

18 juillet 2022

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [J] [O], né en 1988, a été engagé par la SAS Club Med, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er novembre 2016, avec reprise d'ancienneté au 1er novembre 2014, en qualité de " G.O village ", statut agent de maîtrise.

Antérieurement à cette relation de travail, il avait été engagé par plusieurs contrats de travail à durée déterminée saisonniers.

En dernier lieu, M. [O] exerçait les fonctions de 'chef de village' au sein du village de [Localité 6] situé en Gaudeloupe.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale d'Etablissement.

Par lettre du 12 juin 2020, M. [O] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

A la date de la prise d'acte, M. [O] avait une ancienneté de plus de deux ans et la société Club Med occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant la requalification de contrats de travail à durée déterminée antérieurs à la relation de travail en contrat à durée indéterminée, soutenant que la prise d'acte de la rupture doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, outre une indemnité au titre de la contrepartie au repos, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, pour non-respect des durées maximales de travail, pour manquement à l'obligation de sécurité, une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ainsi que des rappels de salaires pour heures supplémentaires, M. [O] a saisi le 17 juin 2020 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 18 juillet 2022, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- déboute M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- déboute la SAS Club Med de ses demandes,

- condamne M. [O] aux entiers dépens.

Par déclaration du 23 septembre 2022, M. [O] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 1er septembre 2022.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er juillet 2025 M. [O] demande à la cour de :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné M. [O] aux entiers dépens,

statuant à nouveau :

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [O] aux torts de la société Club Med produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence :

- condamner la société Club Med à payer à M. [O], les sommes suivantes :

au titre de la rupture du contrat de travail :

- 120.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 16.008,87 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.600,88 euros de congés payés afférents,

- 28.015,51 euros à titre d'indemnité de licenciement,

au titre de l'exécution du contrat de travail :

- 140.290,27 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 14.092,02 euros de congés payés afférents,

- 80.110,12 euros au titre de la contrepartie au repos,

- 32.017,74 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 40.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximum de travail,

- 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

en tout état de cause :

- 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

- débouter la société Club Med de l'ensemble de ses demandes,

- ordonner à la société club Med de remettre à M. [O] des bulletins de salaires rectifiés depuis mai 2017 conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans les 8 jours suivant la décision à intervenir,

- ordonner à la société Club Med de remettre à M. [O], un certificat de travail, une attestation pôle emploi, un reçu pour solde de tout compte et un bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans les 8 jours suivant la décision à intervenir,

- se réserver le droit de liquider l'astreinte,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux nationaux au choix de M. [O] et aux frais de la société Club Med,

- juger que les condamnations prononcées produiront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance avec capitalisation.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 juin 2025 la société Club Med demande à la cour de :

- recevoir la société SAS Club Med en ses écritures et l'y déclarer bien fondée,

- confirmer le jugement intervenu le 18 juillet 2022 sauf en ce qu'il a débouté la SAS Club Med de ses demandes au titre du préavis non exécuté, des dommages et intérêts pour procédure abusive, de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens,

statuant à nouveau,

- prendre acte du désistement de M. [O] concernant sa demande de requalification de ses contrats de travail à durée déterminée,

- juger que M. [O] avait la qualité de cadre dirigeant et n'est en conséquence pas soumis à la durée du travail,

- juger que la prise d'acte de M. [O] produit les effets d'une démission,

- juger que M. [O] n'a réalisé aucune heure supplémentaire,

- juger que le contrat de travail a été effectué loyalement,

- juger que la société Club Med n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

en conséquence,

- débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [O] à verser à la société Club Med la somme de 12.186 euros au titre du préavis non exécuté,

- condamner M. [O] à verser à la société Club Med la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en première instance et les dépens,

- condamner M. [O] à verser à la société Club Med la somme de 5.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente instance,

- condamner M. [O] à verser à la société Club Med la somme de 20.000 euros au titre de la procédure abusive et d'atteinte à sa réputation,

- condamner M. [O] aux entiers dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 juillet 2025 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 septembre 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate qu'il n'a pas été interjeté appel du dispositif du jugement qui a débouté le salarié de sa demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. La décision est donc définitive de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [O] soutient en substance que contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, il n'a pas la qualité de cadre dirigeant et qu'en conséquence, les heures supplémentaires réalisées doivent lui être payées.

La société Club Med réplique que M. [O] a la qualité de cade dirigeant de telle sorte qu'il n'est pas fondé à réclamer le paiement des heures supplémentaires.

En droit, aux termes de l'article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions légales relatives à la durée du travail, au repos et aux jours fériés. Ils sont définis comme ceux 'auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.'

Il est de droit que les critères énoncés par l'article L 3111-2 du code du travail, qui sont cumulatifs, impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l'entreprise.

Par application de ces dispositions, il importe d'examiner les conditions réelles d'exercice des fonctions de l'appelant au regard des critères cumulatifs ainsi définis, la qualité de cadre dirigeant ne pouvant être retenue ni à l'inverse écartée au seul vu des définitions conventionnelles ou des stipulations du contrat de travail.

En l'espèce, l'avenant au contrat de travail du 10 novembre 2016 précise qu'à compter du 19 novembre 2016, M. [O] exercera les fonctions de chef de village et relèvera du statut de cadre dirigeant. La fiche de poste du chef de village indique qu'il est responsable de tous les aspects liés à l'exploitation du village d'affectation, qu'il reporte directement au directeur des opérations de la zone qui est son manager hiérarchique, que la DRH GO Villages Monde assure le développement professionnel et personnel du chef de village ainsi que sa gestion de carrière en cohérence avec les évaluations réalisées par le N+1, que c'est elle qui décide de ses affectations dans les villages des différents Business Units, que le DRH [Adresse 7] est le manager fonctionnel du chef de village. Il est également précisé que compte tenu notamment de la taille du groupe, de son étendue géographique, de la diversité des activités ainsi que du niveau de responsabilité du chef de village, il est nécessaire que le chef de village puisse assurer en lieu et place de son N+1, un contrôle effectif et constant dans les domaines d'activité suivants : hygiène alimentaire, hygiène et sécurité, gestion et représentation du personnel, transport et législation économique applicable aux prestations de services vendues au sein du village.

La société Club Med produit aux débats une délégation de pouvoirs et de responsabilités du directeur des opérations au chef de village en date du 27 juin 2019 au bénéfice de M. [O] chef de village de la Caravelle dans les domaines de la santé, de l'hygiène y compris alimentaire et de la sécurité, du transport, de la conduite des activités commerciales, de la lutte contre la corruption, le trafic d'influence et les conflits d'intérêts, de l'utilisation d'internet et des réseaux sociaux et de la protection des données personnelles, de l'environnement.

La cour constate que contrairement à ce qui est prévu dans la fiche de poste, la délégation ne vise pas la gestion et la représentation du personnel et que si M. [O] disposait d'une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, les éléments produits aux débats n'établissent nullement d'une part qu'il pouvait également prendre des décisions de façon largement autonome, la délégation de pouvoir étant insuffisante à le démontrer en l'espèce, d'autre part qu'il percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués, étant relevé que son salaire mensuel de base était de 4 062 euros sur 13 mois et que la société Club Med ne produit pas la grille de salaires en vigueur au sein de l'entreprise, le tableau dit de comparaison entre la rémunération de M. [O] et celle d'un autre cadre dirigeant sans autre précision, établi pour les besoins de la cause n'emportant pas la conviction de la cour, et que donc il participait à la direction de la société. Le seul fait qu'il ait pu être invité à participer au comité de direction locale regroupant les différents chefs de village ne saurait démontrer qu'il participait à la direction de la société Club Med.

En conséquence, la cour retient que M. [O] n'était pas un cadre dirigeant et qu'il était donc soumis aux dispositions légales relatives à la durée du travail, au repos et aux jours fériés.

L'article L.3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine.

L'article L.3121-28 du même code précise que toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, à l'appui de sa demande, M. [O] présente les éléments suivants :

- un décompte hebdomadaire des heures travaillées et des heures supplémentaires depuis la semaine 22 de l'année 2017 ;

- des avis de clients du village où M. [O] était affecté et soulignant son omniprésence;

- des copies de son agenda.

Le salarié présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il dit avoir réalisées, permettant à la société Club Med qui assure le contrôle des heures effectuées d'y répondre utilement.

A cet effet, la société fait valoir que M. [O] étant cadre dirigeant, il n'était pas soumis à la durée légale de travail ; qu'en tout état de cause, il n'apporte pas d'éléments probants quant aux heures supplémentaires qu'il prétend avoir réalisées ; que les pièces produites par le salarié démontrent qu'il vaquait librement à ses occupations étant rappelé qu'il avait un libre accès au restaurant et au bar du village ; que son agenda démontre l'absence d'heures supplémentaires.

La cour retient que c'est en vain que la société fait valoir que les heures supplémentaires doivent avoir été accomplies à la demande de l'employeur et qu'elles ne peuvent être rémunérées que si leur réalisation a été nécessaire par la tâche à accomplir.

Eu égard aux éléments présentés par le salarié et aux observations de l'employeur, la cour a la conviction que M. [O] a exécuté des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées mais dans une moindre mesure que ce qu'il réclame et après analyse des pièces produites, par infirmation du jugement déféré, condamne la société Club Med à lui verser les sommes suivantes en paiement de ses heures supplémentaires :

- 14 443,13 euros pour l'année 2017 outre 1.444,31 euros de congés payés afférents ;

- 27 406,80 euros pour l'année 2018 outre 2.740,68 euros de congés payés afférents ;

- 25 181,79 euros pour l'année 2019, outre 2.518,18 euros de congés payés afférents ;

- 5 690,50 euros pour l'année 2020 outre 569,05 euros de congés payés afférents

Soit un total de 72 722,22 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 7.272,22 euros de congés payés afférents.

L'article L. 3121-30 du code du travail dispose que des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale.

En application de l'article L. 3121-33 du même code, la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l'article L. 3121-30 du code du travail est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.

Il est de droit que le salarié qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur en temps utile, a droit à l'indemnisation du préjudice subi'; celle-ci comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents.

En l'espèce, compte tenu des heures supplémentaires retenues par la cour, il appert que le salarié a exécuté des heures de travail au-delà du contingent annuel et qu'il est en droit de percevoir en contrepartie une indemnité 15 866,40 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la durée maximale de travail

Eu égard aux éléments retenus par la cour quant aux heures travaillées par M. [O], il en découle que la durée maximale de travail de 48 heures hebdomadaires a été dépassée, ce qui cause nécessairement un préjudice au salarié qui sera réparé par la condamnation de la société Club Med à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [O] fait valoir essentiellement que la société lui a appliqué le statut de cadre dirigeant alors qu'elle savait que c'était injustifié, qu'il s'est trouvé dans l'incapacité d'exercer pleinement ses missions compte tenu de l'état déplorable du village et des travaux encore en cours lors de l'accueil des clients, qu'il a été sollicité durant la période d'activité partielle totale à compter du 26 mars 2020, qu'il a été privé de son droit à repos et le contingent annuel d'heures supplémentaires a été largement dépassé, qu'il a été témoin de propos à caractère raciste et il lui a été demandé de commettre une infraction pénale.

La société Club Med conteste toute exécution déloyale du contrat de travail.

La cour a condamné la société au titre des heures supplémentaires, du dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires et du non respect de la durée maximale du travail. M. [O] ne justifie pas d'un préjudice distinct qui n'aurait pas été réparé par les sommes allouées ou par les intérêts moratoires courant sur ces sommes.

Il ne justifie pas d'un préjudice qui serait lié aux conditions d'ouverture du village dont il était le chef en raison des travaux qui étaient encore en cours lors de l'arrivée des clients.

S'agissant des propos racistes, il appert qu'une photo des employés du village du [Localité 5] prise en Martinique a scandalisé les internautes en ce qu'elle ne représentait que des jeunes gens caucasiens à l'exclusion des martiniquais. Pour autant, il n'est nullement établi que l'employeur de M. [O] a tenu des propos racistes ou qu'il lui a demandé de commettre une infraction pénale en instrumentalisant les personnes de couleur.

S'agissant des courriels qui lui ont été envoyés durant ses congés, ils n'appelaient pas de réponse immédiate de sa part.

Enfin, s'agissant des demandes faites durant la période de chômage partiel, le fait de solliciter le salarié pour la préparation d'une synthèse en vue de l'animation d'une réunion prévue en visio conférence ne ressort pas de l'exécution déloyale du contrat de travail mais de la volonté de la direction de préserver la cohérence et la motivation de ses équipes durant la période de confinement dont personne ne savait alors quel serait son terme. De même, il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir demandé à M. [O] de finaliser l'évaluation de ses subordonnés pour valider le versement de primes ou de contrôler leur paie, ce qui ne ressort pas de l'exécution déloyale du contrat de travail.

Le cour déboute donc le salarié de sa demande de dommages-intérêts et la décision sera confirmée de ce chef.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article'L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article'L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, il n'est pas établi que c'est de manière intentionnelle en vue de dissimuler l'emploi de M. [O] et de se soustraire à ses obligations que la société Club Med a sollicité le salarié durant la période d'activité partielle liée au Covid 19.

C'est donc à juste titre que M. [O] a été débouté de sa demande d'indemnité forfaitaire.

Sur l'obligation de sécurité

Pour infirmation de la décision critiquée, M. [O] soutient essentiellement que la durée excessive ainsi que la charge de travail ont mis en péril sa santé.

La société Club Med conteste avoir manqué à son obligation de sécurité et fait valoir que cette demande de dommages-intérêts tend à indemniser le même préjudice que celui reposant sur la non respect de la duré maximale de travail.

La cour retient que M. [O] n'établit pas l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'octroi de dommages-intérêts au titre du préjudice causé par le dépassement de la durée maximale de travail alors que ses deux demandes reposent sur le même moyen de fait.

Il doit donc être débouté de sa demande et la décision sera confirmée de ce chef.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Pour infirmation sur ce point, M. [O] fait valoir que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l'employeur a manqué à ses obligations en appliquant un statut de cadre dirigeant fictif, en ne rémunérant pas les heures supplémentaires, en dépassant de façon significative le contingent annuel d'heures supplémentaires, en ne respectant pas les durées maximum de travail, en le privant des repos quotidiens et hebdomadaire, en le sollicitant pendant les congés payés et pendant l'activité partielle, en lui demandant de commettre des faits discriminatoires, en manquant à l'obligation de sécurité ; que ces manquements sont d'une gravité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La société Club Med conteste tout manquement à ses obligations et conclut que la prise d'acte doit produire les effets d'une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse , si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

La cour retient que le non paiement de la rémunération intégrale due au salarié en ce compris les heures supplémentaires et le non-respect de la durée maximale de travail et donc du repos du salarié constituent des manquements graves de l'employeur à ses obligations contractuelles de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail de telle sorte que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 12 juin 2020. La décision entreprise sera infirmée de ce chef.

Sur les conséquences financières

Il est admis par les parties que M. [O] a bénéficié d'une reprise d'ancienneté au 1er novembre 2014. A la date de la rupture, il avait donc 5 ans, 7 mois et 11 jours d'ancienneté.

En application de la convention d'établissement, l'indemnité de licenciement est égale à 75% du salaire mensuel de base du dernier mois de l'emploi par année de présence dans l'entreprise sauf conditions plus avantageuses de la législation du travail.

Les deux parties concluent à l'application de cette convention.

Mais cependant, M. [O] considère que le salaire mensuel visé par la convention est la moyenne des 12 derniers mois, tandis que la société retient comme assiette de calcul le salaire mensuel de base du dernier mois.

La cour retient que l'assiette de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement est le salaire mensuel de base du dernier mois hors période d'activité partielle et en ce compris les heures supplémentaires allouées, soit 4 631,05 euros.

En conséquence, la société Club Med devra verser à M. [O] la somme de 19 498,83 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Elle devra également lui payer la somme de 13 893,16 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 389,31 euros de congés payés afférents.

Sur la demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié conteste l'application du barème prévu par l'article L.1235.3 du code du travail motifs pris que seule la juridiction prud'homale est à même de juger d'une indemnisation appropriée conforme à l'article 24 de la Charte des droits sociaux et à l'article 10 de la convention de l'OIT.

Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

En conséquence, il convient d'appliquer l'article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit qu'en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut allouer au salarié une indemnité en fonction de son ancienneté, soit en l'espèce d'un montant fixé entre 3 et 6 mois de salaire.

Eu égard à l'ancienneté du salarié, à sa situation au postérieure à la rupture, M. [O] ayant été ensuite General Manager à l'hôtel Coeur de Genève et se consacrant depuis à son restaurant, la cour condamne la société Club Med à lui verser la somme de 18 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité chômage

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne d'office le remboursement par la société Club Med des indemnités de chômage versées à M. [O] dans la limite de 6 mois.

Sur les documents de fin de contrat

La société Club Med devra remettre à M. [O] un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de sa signification sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Il n'y a pas lieu de condamner la société à lui remettre des bulletins rectifiés depuis mai 2017.

Sur les autres demandes

M. [O] doit être débouté de sa demande de publication de la décision dans trois journaux qu'il formule sur le fondement de l'article 24 du code de procédure civile à défaut d'établir un quelconque manquement au respect dû à la justice.

La société Club Med sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et atteinte à sa réputation compte tenu de la solution du litige ainsi que de sa demande de paiement du préavis.

La décision déférée sera confirmée de ces chefs.

Sur les frais irrépétibles

La société Club Med sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à M. [O] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans la limite de l'appel, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [J] [O] de ses demandes de paiement des heures supplémentaires, de contrepartie en repos, de dommages-intérêts pour non-respect de la durée maximale de travail, de ses demandes relatives à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ;

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés et y ajoutant ;

JUGE que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SAS Club Med à verser à M. [J] [O] les sommes suivantes :

- 72 722,22 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 7.272,22 euros de congés payés afférents ;

- 15 866,40 euros d'indemnité au titre du repos compensateur ;

- 5 000 euros de dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale de travail ;

- 19 498,83 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 13 893,16 euros d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 389,31 euros de congés payés afférents ;

- 18 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;

ORDONNE le remboursement par la SAS Club Med à France Travail des indemnités chômage versés à M. [J] [O] dans la limite de 6 mois ;

ORDONNE la remise par la SAS Club Med à M. [J] [O] d'un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de sa signification sans qu'il y ait lieu à astreinte ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

CONDAMNE la SAS Club Med aux entiers dépens ;

CONDAMNE la SAS Club Med à verser à M. [J] [O] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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