CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 21 octobre 2025, n° 24/04967
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Keppel Seghers Engineering Singapore Pte Ltd (Sté)
Défendeur :
Public Works Authority of Qatar
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Vice-président :
M. Le Vaillant
Conseiller :
Mme Ghorayeb
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Malinvaud, Me Willaume, Me De Maria, Me Pellerin, Me Kecsmar
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence n° 27050/ELU (c. 27611/ELU) rendue à [Localité 4] le 6 décembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant la société de droit singapourien Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd (ci-après désignée « la société Keppel ») à Public Works Authority of Qatar, Ashghal (ci-après désigné « PWA »).
2. En juin 2006, PWA a lancé un appel d'offres international pour la conception et la construction (D&B Works) ainsi que l'exploitation et l'entretien (O&M Works) d'une station d'épuration à [2], initié sur la base de documents intitulés « Conditions of contract » dont la clause 20 intitulée « Claims and Disputes » stipulait notamment, en son article 20.4, une clause attributive de juridiction au profit du tribunal qatari compétent en cas de différend entre les parties au contrat à venir.
3. Le 19 décembre 2006, la société Keppel a soumis sa réponse à l'appel d'offres avec la formulation de réserves et demandes de modification portant notamment sur la substitution d'une clause compromissoire à la clause attributive de juridiction.
4. Des accords sont intervenus entre PWA et la société Keppel dans le cadre du processus d'examen des candidatures à cet appel d'offres.
5. PWA et la société Keppel se sont réunies le 26 septembre 2006 afin de discuter du mécanisme de règlement des différends demeurant en débat entre elles et ont alors examiné deux documents intitulés « Points of Talks/Negotiations » et « Resolution Flow Chart » incluant une référence à une phase d'arbitrage.
6. La société Keppel a adressé deux courriers à PWA le même jour afin d'acter les termes de cette réunion. PWA n'a pas apporté de réponse à ces deux courriers.
7. Par lettre du 27 septembre 2007, intitulée « Awarding letter », PWA a attribué le marché à la société Keppel, qui l'a accepté.
8. A l'issue d'une phase de compilation en neuf volumes des documents contractuels, les parties ont signé un document intitulé « Contract Agreement », le 9 décembre 2007.
9. Dans le courant de l'année 2014, des différends sont survenus entre les parties à la suite de retards dans la réalisation tant des « D&B Works » que des « O&M Works ».
10. Après soumission de ces différends à l'examen de l'Ingénieur désigné par PWA, KEO International Consultants, puis une tentative de mise en 'uvre d'une procédure de médiation CCI à Doha, la société Keppel a déposé une première requête d'arbitrage relative aux « D&B Works » auprès de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI à [Localité 4] le 31 mai 2022. Elle a déposé une deuxième requête d'arbitrage relative aux « O&M Works » le 22 février 2023.
11. Les deux procédures arbitrales ont été jointes le 23 juin 2023.
12. Au cours de la procédure d'arbitrage, PWA a contesté la compétence du tribunal arbitral, déniant l'existence d'une convention d'arbitrage entre les parties et invoquant l'application de la clause attributive de juridiction stipulée dans les « Conditions of contract » remises aux soumissionnaires au moment de l'appel d'offres.
13. Par sentence finale sur la compétence du 6 décembre 2023, le tribunal arbitral a statué dans les termes suivants :
' 319 In view of the above the Tribunal decides and declares as follows:
a) The Tribunal does not have jurisdiction over the Claimant's claims and the Parties are bound by Clause 20 of the Conditions of Contract.
b) The Tribunal equally has no jurisdiction to determine the Respondent's claim seeking the dismissal of the Claimant's claims and alleged damages.
c) Each Party shall bear its own legal and other costs incurred for the Arbitration.
d) Each Party shall pay half of the costs of the arbitration fixed by the ICC Court at USD 786,000, i.e., USD 393,000 per Party. In light of the advance paid by the Claimant (USD 450,000) and the Respondent (USD 350,000), the Respondent shall pay USD 43,000 to the Claimant.
e) All other requests and claims raised in this phase of the proceedings are rejected.'
Traduction fournie par la société Keppel :
« Au regard de ce qui précède, le tribunal décide ce qui suit :
a) Le Tribunal n'a pas compétence pour connaître des demandes formées par le Demandeur et les Parties sont liées par la clause 20 des Conditions du Contrat.
b) Le tribunal n'a pas non plus compétence pour trancher la demande par laquelle le Défendeur demande le rejet des prétentions et dommages allégués du Demandeur.
c) Chaque partie supporte les frais juridiques ou autres qu'elle a engagés aux fins de l'Arbitrage.
d) Chaque Partie s'acquitte de la moitié des frais d'arbitrage fixés par la Cour de la CCI, d'un montant total de 786 000 USD, soit 393 000 USD par partie. Compte tenu des montants des avances respectivement versées par le Demandeur (450 000 USD) et le Défendeur (350 000 USD), le Défendeur verse 43 000 USD au Demandeur.
e) Toutes les autres demandes et prétentions soulevées au cours de la présente phase de la procédure sont rejetées. »
14. La société Keppel a introduit un recours en annulation par déclaration de saisine du 29 février 2024.
15. La clôture a été prononcée le 17 juin 2025 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 30 juin 2025.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2025, la société Keppel demande à la cour, au visa de l'article 1520, 1° du code de procédure civile, de bien vouloir :
- Déclarer recevable et bien fondé le recours en annulation formé par la société Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd., à l'encontre de la Sentence du 6 décembre 2023 rendue dans le cadre de la procédure d'arbitrage CCI n° 27050/ELU (c. 27611/ELU) ;
Y faisant droit,
- Annuler la Sentence rendue à Paris le 6 décembre 2023, sous l'égide de la CCI (affaire n°27050/ELU (c. 27611/ELU)), par le Tribunal arbitral composé de Monsieur [I] [J] (président), Madame [Y] [V] [R] (co-arbitre) et Monsieur le Prof. Dr. [G] [S] (co-arbitre) ;
- Débouter la société Public Works Authority de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la société Public Works Authority à verser à la société Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd. la somme de 300 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société Public Works Authority aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl LX [Localité 4]-VERSA ILLES-REIMS.
17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2025, PWA demande à la cour au visa de l'article 1520, 1° du code de procédure civile, de bien vouloir :
- Déclarer mal fondé le moyen d'annulation soulevé par Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd à l'encontre de la sentence rendue à Paris le 6 décembre 2023 par un tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Chambre de Commerce Internationale, et composé de Mme [Y] [H], du Professeur Dr. [G] [S] et de M [I] [J], ce dernier assurant la fonction de président du tribunal arbitral ;
- Rejeter en conséquence le recours en annulation ;
- Débouter Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd de ses demandes au titre des frais et dépens ;
- Condamner Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd à supporter les dépens de l'instance relative au recours en annulation en application de l'article 696 du code de procédure civile ;
- Condamner Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd à verser à Public Works Authority la somme de 300.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens que celle-ci a exposés pour établir sa défense en application de l'article 700 du code de procédure civile.
18. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
A. Sur l'annulation de la sentence au motif que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort incompétent
i. Enoncé des moyens des parties
19. La société Keppel soutient qu'une convention d'arbitrage se substituant à la clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions du contrat a été conclue entre elle et PWA.
20. En premier lieu, elle fait valoir que le consentement des parties à l'arbitrage a été cristallisé lors des négociations précontractuelles puisque :
- Dans sa réponse à l'appel d'offre puis pendant toute la période d'instruction des soumissions, elle a constamment insisté sur la nécessité de recourir à l'arbitrage et de remplacer la clause donnant compétence aux juridictions qataries et ce à l'inverse de PWA dont la position a évolué au cours des négociations, indiquant dans un premier temps que la question de l'arbitrage serait traitée « séparément » et acceptant dans un second temps de remplacer la clause attributive de juridiction par une convention d'arbitrage.
- L'accord des parties à l'arbitrage est intervenu lors d'une réunion du 26 septembre 2007, qui a été l'occasion d'acter le principe du recours à l'arbitrage et d'en négocier les modalités, deux documents intitulés « Resolution Flow Chart » et « Points of Talks/Negotiations » détaillant le mécanisme de résolution des différends envisagé par le recours à une phase de médiation puis à une phase d'arbitrage, y ayant été discutés.
- L'accord sur l'arbitrage intervenu entre les parties au cours de cette réunion est par ailleurs retranscrit dans les deux courriers adressés à PWA le même jour puisque le premier courrier, qui contient le « Resolution Flow Chart » ainsi que les « Points of Talks/Negotiations » en pièces jointes, résume les événements de la réunion du 26 septembre 2007 et mentionne « l'accord de principe selon lequel tous les litiges doivent être soumis à la Médiation et à l'Arbitrage ». Le deuxième courrier confirme l'accord de la société Keppel avec « les principes de la clause compromissoire tels que discutés » lors de la réunion.
- L'émission par PWA de la « Letter of Award » au profit de la société Keppel le lendemain, immédiatement après la réunion du 26 septembre 2007, confirme le consentement de PWA à l'arbitrage tel qu'exprimé lors de cette réunion, puisqu'il s'agissait d'un aspect clé des négociations précontractuelles.
- Contrairement à ce que prétend PWA, le siège de l'arbitrage ne constituait pas, en droit comme en fait, un élément déterminant du consentement des parties, de sorte que l'accord relatif au siège n'était pas de nature à altérer l'existence d'un consentement des parties au principe même de l'arbitrage. Au demeurant, les parties se sont mises d'accord sur un siège à [Localité 4], comme en témoignent « l'Arbitration Approval Letter » et le premier courrier de la société Keppel du 26 septembre 2007.
21. En deuxième lieu, la société Keppel soutient que le consentement des parties à l'arbitrage a été réitéré au moyen de l'inclusion de la convention d'arbitrage et de « l'Arbitration Approval Letter » dans la documentation contractuelle juste avant la signature du contrat intervenue le 9 décembre 2007 puisque :
- L'inclusion par PWA des documents constituant la convention d'arbitrage et de « l'Arbitration Approval Letter » dans le contrat réitère la commune volonté des parties de recourir à l'arbitrage.
- « L'Arbitration Approval Letter » du 19 septembre 2007, émise quelques jours seulement avant la réunion du 26 septembre 2007, indique explicitement que le président du conseil d'administration de PWA donne son accord au directeur général de PWA pour octroyer le marché à la société Keppel et accepter un arbitrage CCI à [Localité 4] en tant que mécanisme de règlement des différends.
- Lors de la phase de compilation contractuelle qui a directement précédé la signature du contrat le 9 décembre 2007, PWA a elle-même intitulé cette lettre « Arbitration Approval Letter ». PWA l'a ensuite spécifiquement incluse dans la table des matières du contrat (en quatrième position, après les documents contractuels les plus importants) et a préparé une page de couverture spécifique.
- En choisissant d'inclure les documents constituant la convention d'arbitrage, ainsi que « l'Arbitration Approval Letter », dans les volumes 1 et 2 du contrat en décembre 2007, PWA a ainsi entendu manifester une nouvelle fois son consentement à l'arbitrage et au remplacement de la clause attributive de juridiction par un mécanisme de règlement des différends prévoyant la médiation et l'arbitrage.
- L'argument de PWA selon lequel le consentement des parties à l'arbitrage devait nécessairement passer par la procédure contractuelle de l'appel d'offres ne saurait prospérer puisque les règles matérielles de droit français n'imposent aucune exigence de forme à la convention d'arbitrage, laquelle doit être recherchée indépendamment de toute éventuelle procédure contractuelle.
- De même, l'absence de suppression de la clause 20.4 des « Conditions of Contract » n'altère pas l'efficacité de la convention d'arbitrage puisque la société Keppel n'a jamais accepté la clause attributive de juridiction, que ce soit lors de la négociation du contrat, de sa signature ou de son exécution. Une convention d'arbitrage longuement débattue et négociée entre les parties, qui a fait l'objet de réunions et de courriers spécifiques, prime sur une clause type qui a été constamment rejetée et dont la suppression du contrat a simplement été omise. La pratique contractuelle des parties témoigne de ce que les « Conditions of Contract » n'étaient pas systématiquement modifiées pour refléter toutes les modifications convenues.
22. En troisième lieu, la société Keppel fait valoir que le consentement des parties à l'arbitrage a été confirmé par leur comportement lors de l'exécution du contrat puisque :
- Les échanges intervenus entre les parties et/ou avec l'Ingénieur désigné par PWA en 2014 puis en 2021 ainsi que la participation sans réserve de PWA aux deux médiations prévues dans la convention d'arbitrage, en particulier dans le « Resolution Flow Chart », confirment que PWA avait consenti à résoudre tout différend avec la société Keppel en accord avec le mécanisme prévu dans ce document.
- En 2014, dans le cadre d'échanges entre l'Ingénieur et la société Keppel, l'Ingénieur a reconnu à plusieurs occasions, par courriers, que les parties avaient conclu une convention d'arbitrage.
- PWA était en copie de l'ensemble de ces correspondances et n'a jamais contesté la teneur de ces échanges ni l'application du mécanisme de règlement des différends défini dans la convention d'arbitrage. Ce silence de PWA confirme qu'elle entendait pleinement adhérer à ce mécanisme de résolution des litiges.
- En 2021, PWA a participé aux deux procédures de médiation introduites par KSES sans jamais s'y opposer, alors que la médiation (comme l'arbitrage) n'était pas prévue dans la clause 20 des « Conditions of Contract » mais uniquement dans les documents constituant la convention d'arbitrage.
- PWA a elle-même revendiqué, dans le cadre de ces procédures, la stricte application du « Resolution Flow Chart ».
- PWA n'a pas contesté la compétence du tribunal arbitral dans sa réponse à la demande d'arbitrage déposée le 16 août 2022 ; ce n'est que dans un courriel non sollicité du 10 octobre 2022 qu'elle a soulevé une exception d'incompétence pour la première fois, par la voix du ministère de la justice qatari.
23. En réponse, PWA expose que :
- Dans les « General Conditions of Contract » de l'appel d'offres figure l'article 20 intitulé « Claims and Disputes » prévoyant une procédure détaillée de règlement des litiges en plusieurs étapes, dont une clause de règlement des différends renvoyant clairement à la compétence des tribunaux qataris.
- Le régime de l'appel d'offres et le processus de négociation à suivre en cas de discussion sur des aspects des conditions générales étaient définis dans un document intitulé « Instructions to Tenderers », aux termes duquel les soumissionnaires devaient soit soumettre une offre conforme en tous points aux conditions de l'appel d'offres, soit proposer une modification d'une des clauses du contrat, auquel cas cette demande de modification devait être présentée par le soumissionnaire à PWA et celui-ci devait l'accepter par un accord écrit et ce, avant l'attribution du marché. Ce processus a été appliqué pour toutes les modifications aux conditions contractuelles qui ont été réalisées à la suite des discussions intervenues entre PWA et la société Keppel, mais ces modifications acceptées n'incluent pas l'article 20 des conditions générales du contrat.
24. PWA fait valoir qu'il incombe à la société Keppel d'apporter la preuve de l'existence d'un consentement des parties de soumettre le litige à l'arbitrage et d'écarter la clause attributive de juridiction figurant dans les conditions contractuelles.
25. Il soutient que la preuve d'une telle volonté commune de recourir à l'arbitrage fait défaut en l'espèce puisque :
- Les documents invoqués par la société Keppel au soutien de sa demande d'annulation de la sentence arbitrale (courriers, « Resolution Flow Chart », « Points of Talks/Negotiations ») ne manifestent pas un échange de consentement. Au contraire, le rappel de l'article 20 par le représentant de PWA dans le document « Points of Talks/Negotiations » par l'insertion de la locution « without prejudice to Article 20 » montre que, au cours de la réunion du 26 septembre 2007, aucun accord n'a pu être conclu concernant la stipulation d'une clause d'arbitrage. Les déclarations du témoin de la société Keppel vont en ce sens.
- Les deux documents intitulés « Resolution Flow Chart » et « Points of Talks/Negotiations » ne sont que des documents de travail comme en atteste l'emploi du terme « disputed » dans le schéma du « Resolution Flow Chart » tant pour la phase de médiation que pour la phase d'arbitrage.
- En outre, les parties ont persisté à s'opposer sur le lieu de l'arbitrage, à savoir [Localité 4] pour la société Keppel et Doha pour PWA or le choix du lieu de l'arbitrage ne constituait pas une modalité mais un élément essentiel qui, faute d'accord sur ce point, faisait obstacle à la conclusion d'une clause d'arbitrage.
- Au surplus, malgré la demande de la société Keppel formulée dans son premier courrier en date du 26 septembre 2007 afin d'obtenir une proposition de clause d'arbitrage écrite, PWA n'a pas répondu. Cette absence de réponse s'inscrit dans le processus obligatoire de modification des clauses de l'appel d'offres. Le refus persistant de PWA, malgré l'insistance de la société Keppel, illustre l'absence de consentement de PWA à accepter une convention d'arbitrage mais, au contraire, sa volonté de maintenir la compétence des juridictions qataries.
26. PWA soutient que le contrat final a maintenu la clause attributive de juridiction aux tribunaux qataris puisqu'il a été accepté par les parties le 27 septembre 2007 et signé de manière officielle un mois plus tard, sans que ne soit modifié l'article 20 et que la société Keppel ne formule aucune réserve ou observation ou rappel de la clause d'arbitrage dont elle avait demandé la transmission dans sa lettre du 26 septembre 2007.
27. PWA considère que cette attitude de la société Keppel démontre que les négociations sur l'arbitrage à [Localité 4] avaient échoué et qu'elle avait renoncé à une clause compromissoire et accepté la juridiction des tribunaux étatiques qataris.
28. PWA fait également valoir que la lettre datée du 19 septembre 2007 sur laquelle se fonde la société Keppel pour invoquer un accord de PWA de recourir à l'arbitrage à [Localité 4] n'est qu'une lettre interne à PWA, échangée entre ses services, comme en atteste son contenu et sa rédaction en langue en arabe. Elle expose que cette lettre interne n'a pas été remise à la société Keppel au cours des discussions précontractuelles ou avant la signature d'un quelconque document contractuel et qu'elle n'a pu y avoir accès qu'ultérieurement, sans traduction, dans la compilation administrative du contrat, parmi les documents ayant donné lieu aux négociations entre les parties qui y ont été regroupés indépendamment de leur sens. PWA considère que cette lettre interne n'a donc jamais pu fonder un échange de consentement entre les parties.
29. PWA soutient que l'interprétation de cette lettre présentée par la société Keppel contredit tous les événements et documents intervenus entre les parties après sa date et, en particulier, les termes et l'issue de la réunion du 26 septembre 2007.
30. Il conclut que cette lettre et son inclusion au sein des documents compilés lors d'une phase purement administrative, ainsi que la dénomination qui lui a alors été donnée ou encore son emplacement dans la documentation contractuelle ne peuvent établir que les parties sont convenues de conclure une clause d'arbitrage et qu'elle ne peut suppléer le processus d'acceptation des modifications contractuelles que les parties ont respecté pendant toute la phase de discussions précontractuelles.
31. Enfin, PWA fait valoir que les démarches de médiation entre 2021 et 2022 montrent une tentative ad hoc d'instaurer un processus alternatif de règlement, jamais aboutie et qu'aucun comportement postérieur non équivoque ne peut faire naître une clause compromissoire en l'absence d'accord préalable, contre une clause de règlement des différends prévoyant expressément la compétence de juridictions étatiques, ici les juridictions qataris.
ii. Appréciation de la cour
32. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile, ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
33. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, ce contrôle étant exclusif de toute révision au fond de la sentence.
34. En vertu d'une règle matérielle du droit international de l'arbitrage, la clause compromissoire, qui selon l'article 1507 du code de procédure civile n'est soumise à aucune condition de forme, est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, qui seule investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.
35. Il y a lieu à cet effet de rechercher la commune volonté des parties à la lumière :
- du principe d'interprétation de bonne foi des conventions, qui implique de ne pas permettre à l'une d'elles de se soustraire à des engagements librement consentis mais exprimés de manière maladroite ou confuse et
- du principe d'effet utile, selon lequel lorsque les parties insèrent une clause d'arbitrage dans leur contrat, il y a lieu de présumer que leur intention a été d'établir un mécanisme efficace pour le règlement des différends.
36. En l'espèce, les parties s'opposent sur le fait qu'un échange de consentement de recourir à l'arbitrage aux fins de régler les différends afférents au marché de travaux portant sur la conception et la construction (D&B Works) ainsi que sur l'exploitation et l'entretien (O&M Works) d'une station d'épuration à [2] soit intervenu entre elles avant l'attribution de ce marché par PWA et son acceptation par la société Keppel, alors que les conditions générales du contrat remises lors de la diffusion de l'appel d'offres contiennent une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux qataris.
37. Il est acquis aux débats que la société Keppel a assorti sa candidature du 19 décembre 2006 à l'appel d'offres émis par PWA de réserves et de demandes de modification incluant le fait que tout litige non résolu par l'Ingénieur désigné par PWA selon la procédure contractuelle puisse être réglé par voie d'arbitrage sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, le tribunal arbitral devant avoir Paris pour siège, sollicitant expressément la modification de la clause 20.4 des conditions générales du contrat stipulant une clause attributive de juridictions au tribunaux qataris (paragraphe 2.7 de la soumission à l'appel d'offre de la société Keppel du 19 décembre 2006, pièce Keppel n° 4).
38. Au cours des négociations des modifications des conditions générales du contrat, prenant acte de certaines modifications validées par PWA, la société Keppel a réitéré sa demande de stipulation d'une convention d'arbitrage. Elle l'a fait par courriers des 27 août 2007 (pièce Keppel n° 5 et pièce n° 8 de PWA), 9 septembre 2007 (pièce Keppel n° 6 et pièce n° 8 de PWA), 10 septembre 2007 (pièce Keppel n° 7 et pièce n° 8 de PWA), 15 septembre 2007 (pièce Keppel n° 9 et pièce n° 8 de PWA) et 16 septembre 2007 (pièce Keppel n° 11 et pièce n° 8 de PWA).
39. Il ressort des termes des courriers de la société Keppel des 9 et 10 septembre 2007 que la demande de recours à l'arbitrage était une condition essentielle de la soumission de la société Keppel à l'appel d'offre puisqu'elle y indique ce qui suit : " We are unable to withdraw this point as we believe arbitration per our proposal is in the best interest of both Parties " (pièce Keppel n° 6) ce qui signifie : « Nous ne sommes pas en mesure de retirer ce point car nous considérons que l'arbitrage tel que nous l'avons proposé est dans le meilleur intérêt des deux Parties. » (traduction proposée par la cour)
40. Se référant à une discussion intervenue entre les parties, la société Keppel a ajouté, dans son courrier du 10 septembre 2007 qu'elle confirmait qu'elle n'avait pas d'objection à l'introduction d'une phase intermédiaire de médiation dans le processus de règlement des différends (pièce Keppel n° 7).
41. Dans le cadre de ces discussions précontractuelles, il est établi que PWA a pris en considération cette demande et y a répondu sans y opposer une interdiction légale de déroger à la clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions générales du contrat ou un refus de principe.
42. Par lettres des 13 et 16 septembre 2007 (pièce n° 8 de PWA et pièces Keppel n° 8 et 10), PWA a en effet indiqué, au point 4 de ces courriers, ce qui suit :
' 4. With regard to your position in respect of arbitration proceedings to be held outside of the State of Qatar and your subsequent acceptance of an intermediate step of "Mediation" prior to "Arbitration", the PWA shall respond separately on this issue in due course.'
Ce qui signifie : « 4. En ce qui concerne votre position selon laquelle la procédure d'arbitrage doit se dérouler en dehors de l'Etat du Qatar et votre acceptation ultérieure d'une étape intermédiaire de " Mediation " avant " l'Arbitrage ", PWA y répondra séparément en temps utiles. (traduction proposée par la cour)
43. Ces deux courriers indiquent en conclusion ce qui suit : ' [Localité 5] leaves only item 4 unresolved, which shall be dealt with as a separate issue. '.Ce qui signifie : " Cela laisse seulement le point 4 non résolu, lequel sera traité séparément. " (traduction proposée par la cour)
44. Il résulte des termes de cette réponse de PWA qu'à la date du 16 septembre 2007, un échange de consentement était intervenu entre les parties sur l'ensemble des modifications des conditions générales du contrat à opérer et que, concernant la demande de la société Keppel de stipuler une convention d'arbitrage, après l'accord de cette dernière d'introduire une phase intermédiaire de médiation, ce n'était plus tant le principe de cette convention d'arbitrage qui demeurait en débat, ce principe n'étant pas remis en cause par les lettres précitées des 13 et 16 seeptembre 2027, mais le fait que le tribunal arbitral devait avoir son siège en dehors du Qatar ainsi qu'il résulte des termes de ces missives.
45. C'est à la lumière de ces échanges écrits dépourvus d'ambiguïté que doivent être compris la réunion intervenue entre les parties le 26 septembre 2007 et les deux documents qui y ont été examinés par les parties, correspondant à l'étape annoncée de traitement du dernier point en discussion entre elles.
46. La lettre adressée le 19 septembre 2007 par le vice-président du conseil d'administration et président du comité exécutif de PWA au directeur général de PWA, avec référence à des discussions qui se sont tenues le 18 septembre 2007 lors de la réunion du comité exécutif, intervient dans ce cadre et caractérise l'intention de PWA non seulement quant à l'attribution du marché à la société Keppel mais également quant au traitement à accorder à la dernière modification des conditions générales du contrat encore en discussion entre les parties (pièce n° 12 de Keppel et n° 3 de PWA).
47. Il convient de relever que le destinataire de cette lettre est également le signataire de la lettre d'attribution de l'appel d'offres adressée à la société Keppel le 27 septembre 2007 (pièce Keppel n° 18 et pièce n° 7 de PWA).
48. L'affirmation de la société PWA dans le cadre de la présente procédure selon laquelle le vice-président du conseil d'administration n'aurait pas pouvoir pour décider d'une modification des conditions générales du contrat en acceptant la substitution d'une clause compromissoire à une clause attributive de juridictions, au motif que ce pouvoir aurait uniquement appartenu à la Commission des appels d'offres, n'est étayée par aucune pièce justificative.
49. S'il est incontestable que cette lettre était, à la date de son émission, à usage interne et qu'elle n'a pas été transmise à la société Keppel avant la réunion du 26 septembre 2007 ou avant la remise de la lettre d'attribution du marché du 27 septembre 2007, ses termes sont suffisamment clairs et précis pour manifester sans ambiguïté le mandat de négociation confié à son destinataire, « pour prise des mesures nécessaires », lequel a veillé au demeurant, à réception le 23 septembre 2007, à indiquer qu'elle devait être « soumise à la Commission des appels d'offres ».
50. Le débat existant actuellement entre les parties sur l'exactitude des traductions certifiées produites par chacune d'elles est sans emport dès lors que la formulation proposée par la société Keppel, à savoir « Nous souhaitons vous informer de l'accord d'attribution de l'appel d'offres à la société Keppel/Seghers (') ainsi que l'accord sur la clause d'arbitrage prévoyant un arbitrage devant la Chambre de Commerce Internationale à [Localité 4] » est équivalente à la formulation proposée par PWA, en ce qu'elle exprime le même accord, puisque cette dernière est la suivante : « (') nous vous informons de l'approbation de l'attribution de l'appel d'offres à la société Keppel/Seghers ('). Cette approbation inclut également la clause d'arbitrage par le biais de la Chambre de Commerce Internationale à [Localité 4]. »
51. Il est constant que les parties se sont réunies le 26 septembre 2007 afin de discuter du mécanisme de résolution des différends et que deux documents intitulés « Resolution Flow Chart » pour l'un et « Points of Talks/Negotiations » pour l'autre ont été examinés au cours de cette réunion, le débat qui existe entre elles devant la cour sur l'origine de ces documents étant indifférent dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils ont servi de base de discussion et qu'ils délimitent l'ultime débat intervenu entre les parties avant l'attribution de l'appel d'offres dès le lendemain (pièces Keppel n° 14 et 15 et pièce n° 8 de PWA).
52. Ces deux documents attestent que les parties ont entendu définir avec précision un mécanisme complet de résolution des litiges, en trois étapes successives, la deuxième, à savoir le recours à la médiation et la troisième, à savoir le recours à l'arbitrage, différant en tous points des prévisions de l'article 20.4 des conditions générales du contrat qui prévoit uniquement la saisine des juridictions qataris en cas de contestation de la décision de l'Ingénieur désigné par la société PWA selon les stipulations du contrat.
53. La matérialisation de ce mécanisme en plusieurs phases dans ces deux documents est cohérente avec les termes du point en débat arrêtés par PWA dans ses courriers des 13 et 16 septembre 2007.
54. Il ne peut dès lors être déduit, sauf à priver de toute signification les échanges préalables intervenus entre les parties et les termes des documents examinés le 26 septembre 2007, que la mention au point 1 du document intitulé « Points of Talks/Negotiations » selon laquelle le mécanisme et les procédures de médiation et d'arbitrage seront « without prejudice to article (20) - Claims and Disputes - Conditions of contract » puisse manifester la volonté de PWA de maintenir inchangée la clause 20.4, à savoir la stipulation d'une clause attributive de juridiction.
55. En effet, la référence à l'article 20 des conditions générales du contrat est générale. Elle ne se limite pas à l'article 20.4. Or l'article 20 des conditions générales contient de nombreuses stipulations, aux paragraphes 20.1, 20.2, 20.3 et 20.6 que le mécanisme de résolution des litiges examinés le 26 septembre 2007 n'affecte pas.
56. En outre, cette mention du point 1 des « Points of Talks/Negotiations » n'est pas formulée comme une réserve de la part de PWA dont la levée serait conditionnée par l'acceptation par la société Keppel des six points suivants du document, détaillant le mécanisme de résolution des différends.
57. Il en résulte qu'elle ne peut signifier une intention d'opérer une référence à l'article 20.4 des conditions générales du contrat car, à défaut, elle introduirait dans ce document une contradiction irréductible privant la manifestation de volonté des parties de tout objet.
58. Enfin, il n'est produit aucun élément par PWA au soutien de son affirmation selon laquelle la mention « (disputed) » insérée dans le « Resolution Flow Chart » à l'issue de la notification de décision de l'Ingénieur et de la phase de médiation fasse référence à un point en litige entre les parties à la date du 26 septembre 2007 plutôt qu'à une simple explicitation du fait déclenchant le passage d'une phase du mécanisme de résolution des litiges à une autre, à savoir la contestation de la décision de l'Ingénieur ou l'échec de la procédure de médiation.
59. Il ne peut à cet égard être tenu compte des déclarations de M. [A] [N] [D], secrétaire général de la Commission des appels d'offres à l'époque des faits, effectuées au cours de la procédure arbitrale (pièce Keppel n° 13) dès lors qu'elles apparaissent contradictoires avec les documents écrits échangés entre les parties avant le 26 septembre 2007 tels qu'examinés par la cour précédemment, notamment en ce que M. [D] y affirme que la direction de PWA n'avait pas reçu d'instructions de convenir du recours à l'arbitrage.
60. Il convient en outre de relever qu'il résulte de ces déclarations que M. [D] reconnaît ne pas avoir participé à l'ensemble du processus de négociation puisqu'il déclare qu'il avait personnellement participé aux négociations avec la société Keppel sur deux ou trois jours à la fin du mois de septembre 2007 (page 5 des déclarations de M. [D]), ce dont il se déduit qu'il n'avait pas une parfaite connaissance des termes des échanges préalables intervenus entre les parties.
61. Il en résulte que les lettres adressées par la société Keppel le 26 septembre 2007 confirmant ses accords sur les deux documents discutés lors de la réunion du même jour, à savoir le « Resolution Flow Chart » et les « Points of Talks/Negotiations », sans autre précision qu'une demande de confirmation que la référence à l'article 20 incluant les paragraphes 20.4, 20.5, 20.7 et 20.8 ne vient pas contredire l'accord de soumettre tout litige au mécanisme de médiation et d'arbitrage, caractérise l'échange de consentement des parties sur la stipulation d'une convention d'arbitrage (pièces Keppel n° 16 et 17 et pièce n° 8 de PWA).
62. Le fait qu'il soit pris acte par la société Keppel d'un accord pour que le lieu de l'arbitrage soit à [Localité 4] et non à Doha comme indiqué au point 3 des « Points of Talks/Negotiations » atteste d'un accord intervenu au cours de la réunion qui apparaît cohérent avec les termes de la lettre interne de PWA du 19 septembre 2007 et qui, en tout état de cause, n'est plus spécifié comme étant de nature à mettre en cause, pour l'une ou l'autre des parties, le principe du recours à l'arbitrage.
63. Il est acquis que PWA a délivré la lettre d'attribution du marché à la société Keppel le 27 septembre 2007 sans émettre au préalable la moindre réserve sur les termes des courriers de cette dernière du 26 septembre 2007, ce qui, contrairement à ce qu'elle soutient à présent, est significatif de son accord au mécanisme de règlement des différends incluant une convention d'arbitrage car la pratique préalable des parties démontre que PWA ne laissait en suspens aucun point de désaccord et sans indiquer par écrit ce qu'il restait à discuter et à résoudre définitivement.
64. Il ne peut en revanche être donné aucun effet, pour l'appréciation de l'expression d'une volonté commune des parties de conclure une convention d'arbitrage, à l'absence de transmission par PWA d'une clause d'arbitrage écrite sollicitée par la société Keppel dans sa lettre du 26 septembre 2007 adressée au directeur CEBA de PWA dans la mesure où cela ne concerne que les modalités de forme de la convention d'arbitrage et n'affecte donc ni son existence ni son efficacité.
65. Ultérieurement, un travail de compilation des documents annexés au contrat a été effectué en présence de représentants de la société Keppel et de PWA.
66.Si, comme le soutient exactement PWA, cette phase était purement administrative, cela implique précisément qu'aucune pièce contractuelle ne pouvait être ajoutée ou retranchée à ce stade.
67. Il n'en résulte pas pour autant que le document final constitué de neuf volumes, issu de ce travail de compilation, n'a pas dans son ensemble de valeur contractuelle.
68. Cela est au contraire expressément prévu par l'article 2 du " Contract Agreement " du 9 décembre 2007 (pièce Keppel n° 25 et pièce n° 7 de PWA) qui stipule que :
' The Contract shall comprise this Agreement together with the following documents :
a)The Conditions of Contract.
b)The Specifications and Drawings.
c)The Schedule of Prices.
d)The Tender and Accompanying Documents.
e)The Letter of award of the Tender.
f)The Performance Bond.
g)Contractor's proposal.
h)All the Documents in volumes (1-9)
All these documents constitute an integral part of the contract, and are deemed to be complementary to each other. In the case of any ambiguity or discrepancy between this Agreement and these documents then the provisions, words and figures of this Agreement shall prevail over those in any of the Documents.'
Ce qui signifie (traduction proposée par la cour) :
« Le contrat comprend le présent Accord ainsi que les documents suivants :
a)Les Conditions du Contrat.
b)Les Spécifications et Plans.
c)Le Prévisionnel de Prix.
d)L'Appel d'offres et les Documents d'accompagnement.
e)La Lettre d'attribution de l'Appel d'offres.
f)La Garantie de bonne exécution.
g)La proposition de l'entrepreneur.
h)Tous les documents dans les volumes (1-9).
Tous ces documents font partie intégrante du contrat et sont considérés comme complémentaires les uns des autres. En cas d'ambiguïté ou de divergence entre le présent Accord et ces documents, les stipulations, termes et chiffres de l'Accord prévaudront sur ceux contenus dans tous ces Documents. »
69. Les parties ont donc entendu spécifier que tous les documents réunis dans les volumes 1 à 9 font partie intégrante du contrat et ont, par suite, valeur contractuelle.
70. Or, le volume 1 du contrat ainsi défini contient en quatrième position, sous un titre de rubrique dédié, à savoir « Arbitration approval letter » (soit « Lettre d'accord à l'arbitrage ») une copie, en langue arabe, de la lettre adressée le 19 septembre 2007 par le vice-président du conseil d'administration et président du comité exécutif de PWA au directeur général de PWA ayant informé ce dernier, qui a signé la lettre d'attribution de l'appel d'offres du 27 septembre 2007 insérée immédiatement avant dans le volume 1, de l'accord d'attribution du marché à la société Keppel, y inclus l'acceptation de la convention d'arbitrage devant la CCI à [Localité 4] (pièce Keppel n° 25 et pièce n° 7 de PWA).
71. En outre, le volume 2 du contrat contient l'ensemble des « Tender Clarifications » (soit les modifications à l'Appel d'offres). Il débute par une nouvelle insertion de la lettre susvisée du 19 septembre 2007 sous l'intitulé en rubrique " Arbitration approval letter " qui se détache des autres documents de ce volume comme étant insérée en dehors de l'ordre chronologique appliqué à ceux-ci.
72. Ces autres documents sont les échanges de courriers intervenus entre les parties dans le cadre de leur discussion précontractuelle ou finalisant la mise en place du contrat après cette attribution intervenue le 27 septembre 2007. Ils sont classés dans l'ordre du plus récent au plus ancien. S'y retrouve ainsi les deux courriers de la société Keppel du 26 septembre 2007 accompagnés du « Resolution Flow Chart » et des « Points of Talks/Negotiations » ainsi que tous les courriers susvisés relatifs à l'accord d'arbitrage échangés entre la société Keppel et PWA entre le 27 août et le 16 septembre 2007.
73. Il en résulte que les parties ont entendu ainsi donner une valeur contractuelle non seulement à la lettre interne de PWA du 19 septembre 2007 mais également aux lettres de la société Keppel du 26 septembre 2007 actant l'accord des parties sur le mécanisme dédié de règlement des différends décrit dans le « Resolution Flow Chart », notamment par le recours à l'arbitrage à [Localité 4] sous l'égide du règlement de la CCI.
74. Tout autre interprétation porterait atteinte à l'expression claire de la volonté des parties, sauf à ce qu'il soit démontré que l'insertion de « l'Arbitration approval letter » et des lettres de la sociétés Keppel du 26 septembre 2007 relèvent d'une erreur non seulement des représentants des parties ayant procédé au travail de compilation au début du mois de décembre 2007 mais également des signataires de l'Accord du 9 décembre 2007, erreur que PWA, qui seule conteste la portée du travail de compilation et la valeur contractuelle des documents qui ont été réunis, ne prouve pas.
75. La confirmation de la volonté commune des parties de convenir d'une convention d'arbitrage se substituant à la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 20.4 des conditions générales du contrat qu'opère l'Accord du 9 décembre 2007 et les documents compilés en neuf volumes formant la version intégrale du contrat, n'est pas efficacement mise en cause par la procédure de modification des conditions générales du contrat prévue par les « Instructions to tenderers » (soit les « Instructions aux soumissionnaires ») qu'invoque PWA devant la cour.
76. En effet, ce moyen n'est pas pertinent dès lors qu'il est établi que les parties ont entendu matérialiser la modification de l'article 20.4 par la stipulation d'une convention d'arbitrage en procédant comme pour toutes les autres modifications acceptées des conditions générales du contrat, à savoir par une insertion dans le volume 2 du contrat consacré aux « Tenders Clarifications » de la lettre interne de PWA du 19 septembre 2007 et des lettres de la société Keppel du 26 septembre 2007 auxquelles étaient annexés le « Resolution Flow Chart » et les « Points of Talks/Negotiations » discutés entre les parties lors de leur dernière réunion du 26 septembre 2007.
77. L'intention des parties de traiter la stipulation d'une convention d'arbitrage en lieu et place de la clause attributive de juridiction prévue à l'article 20.4 des conditions générales du contrat comme une modification acceptée par PWA est donc dépourvue d'ambiguïté.
78. Il apparaît en outre qu'il ne peut être tiré aucune conclusion du fait que l'article 20.4 des conditions générales du contrat demeure stipulé tel qu'initialement rédigé dans les conditions générales remises aux soumissionnaires dès lors que cela est également le cas de toutes les autres clauses de ces conditions générales que les parties sont convenues de modifier, comme l'établit l'examen conjoint des conditions générales insérées dans le volume 1 du contrat (pièce n° 7 de PWA) et, par exemple, la lettre adressée par PWA à la société Keppel le 13 septembre 2007 acceptant notamment la modification de la clause 17.6 des conditions générales du contrat relative à une limitation de responsabilité (pièce n° 8 de PWA).
79. La structure du contrat adoptée par les parties suppose précisément que, conformément à l'article 2 de l'Accord du 9 décembre 2007, chaque document est complémentaire des autres de sorte que la stipulation finale effectivement applicable n'est pas celle initialement prévue dans les conditions du contrat mais celle se trouvant dans les « Tender Clarifications », dans le cadre des échanges intervenus entre les parties.
80. Enfin, il convient de relever que l'attitude des parties au cours de l'exécution du contrat atteste à nouveau qu'un échange de consentement sur la stipulation d'une convention d'arbitrage était intervenu entre elles avant l'attribution de l'appel d'offres.
81. En effet, lors de la survenance d'un litige dans le cadre de l'exécution de la phase de conception et de construction de la centrale d'épuration, l'Ingénieur désigné par PWA, avec délégation de pouvoirs et transfert d'autorité conformément aux stipulations de l'article 1.1.2.3 des conditions du contrat (pièce Keppel n° 27), la société KEO International Consultants, a spontanément fait référence au mécanisme de résolution des différends résultant du " Resolution Flow Chart " dans un courrier adressé à la société Keppel le 14 mai 2014, dont PWA était également destinataire (pièce Keppel n° 28).
82. L'Ingénieur a alors décrit avec précision le mécanisme prévu, le qualifiant de « bespoke dispute resolution process », c'est-à-dire de « mécanisme de résolution des différends sur mesure », indiquant que, selon les termes du contrat, ce mécanisme résultait de discussions intervenues entre les parties dans la phase de négociation du contrat et rappelant qu'il prévoyait une phase de médiation éventuellement suivie d'une phase d'arbitrage.
83. PWA n'a pas contesté cette analyse du contrat et de l'intention des parties effectué par l'Ingénieur qu'elle avait désigné.
84. Il est au contraire établi que PWA a expressément sollicité la stricte application du mécanisme prévu par le " Resolution Flow Chart " du 26 septembre 2007 dans un courrier adressé à la société Keppel le 10 octobre 2021 (pièce Keppel n° 36) et qu'elle a expressément accepté de participer à la phase de médiation à la suite de la notification qui lui a été faite par la société Keppel alors que cette phase de médiation résulte uniquement du mécanisme convenu entre les parties le 26 septembre 2007 mais n'était pas prévu dans les différents paragraphes de l'article 20 des conditions générales du contrat (pièces Keppel n° 38 et 39).
85. Il est également significatif à cet égard que PWA ait accepté d'intervenir dans la procédure d'arbitrage mise en 'uvre sur requête de la société Keppel adressée à la CCI sans contester immédiatement la compétence des arbitres mais au contraire en déposant un mémoire en réponse au fond dans le premier litige afférent aux « D&B Works » (pièce Keppel n° 46).
86. L'existence de la convention d'arbitrage issue de la commune volonté des parties pleinement et parfaitement exprimée avant l'attribution de l'appel d'offres à la société Keppel par PWA le 27 septembre 2007 est donc caractérisée et, par suite, c'est à tort que le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent par sentence en date du 6 décembre 2023. Il convient donc d'en prononcer l'annulation en application de l'article 1520, 1° du code de procédure civile.
B. Sur les frais du procès
87. Partie perdante au recours en annulation, PWA sera condamné aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl LX [Localité 4]-Versailles-Reims prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat au barreau de Paris, qui en fait la demande.
88. Pour ce motif, PWA sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamné à payer à la société Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd la somme de 300 000,00 euros en application de cet article.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Annule la sentence arbitrale rendue à Paris le 6 décembre 2023, sous l'égide de la CCI (affaire n°27050/ELU (c. 27611/ELU)), par le tribunal arbitral composé de M. [I] [J] (président), Mme [Y] [V] [R] (co-arbitre) et M. le professeur Dr. [G] [S] (co-arbitre) ;
2) Condamne Public Works Authority of Qatar (« Ashghal ») aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl LX [Localité 4]-Versailles-Reims prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
3) Déboute Public Works Authority of Qatar (« Ashghal ») de ses demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne Public Works Authority of Qatar (« Ashghal ») à payer à la société Keppel Seghers Engineering Singapore PTE Ltd la somme de trois cent mille euros (300 000,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.