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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 21 octobre 2025, n° 24/00285

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/00285

21 octobre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 21 OCTOBRE 2025

N° RG 24/00285 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NTEO

S EMMAÜS GIRONDE

c/

Association EMMAÜS AQUITAINE

S.C.P. SILVESTRE-BAUJET

S.E.L.A.S. ARVA

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 20/03889) suivant déclaration d'appel du 18 janvier 2024

APPELANTE :

S EMMAÜS GIRONDE, Société Coopérative d'intérêt collectif par actions simplifiée à capital variable, venant aux droits après transformation de l'Association EMMAÜS GIRONDE, immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n° 399 536 705, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

demeurant [Adresse 3]

Représentée par Me Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistée de Me Sylvain GALINAT de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Association EMMAÜS AQUITAINE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistée de Me Nicolas NAVARRI, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTES :

S.C.P. SILVESTRE-BAUJET, prise en la personne de Maître [Z], ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société EMMAÜS GIRONDE, nommée à cette fonction par le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 9 février 2024

demeurant [Adresse 2]/FRANCE

S.E.L.A.S. ARVA, prise en la personne de Maître [D] [T], ès qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société EMMAÛS GIRONDE, nommée à cette fonction par le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 9 février 2024

demeurant [Adresse 8]

Représentées par Me Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistées de Me Sylvain GALINAT de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 09 septembre 2025 en audience publique, devant la cour composée de :

Laurence MICHEL, présidente

Bénédicte LAMARQUE, conseiller

Tatiana PACTEAU, conseiller

Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE

En présence de : Anna PEREIRA, attachée de justice de la 1ère chambre civile

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1 - La structure Emmaüs France est organisée au niveau départemental par :

- Emmaüs Aquitaine (branche communauté), association 1901, présidée jusqu'en décembre 2019 par M. [B],

- Emmaüs 33 (branche action sociale et logement) et Emmaüs développement (branche économie solidaire et insertion), réunies par la fusion de 2016 sous la désignation d'Emmaüs Gironde, association 1901, transformée le 25 février 2021 en société coopérative d'intérêt collectif par action simplifiée (SCICAS) et présidée par M. [B].

2 - Le 1er janvier 2004 ont été signées entre Emmaüs Aquitaine et Emmaüs Développement deux conventions :

- 'Convention 2004, immeuble du [Adresse 4]' , portant sur la mise à disposition de locaux situés au [Adresse 4] Somme pour un 'loyer d'un montant équivalent à l'emprunt contracté à savoir 30.000 euros', lieu d'insertion par la récupération , la valorisation et la vente du produit des collectes auprès des particuliers,

- et 'Convention 2004, immeuble centre Daney', portant sur la mise à disposition de locaux situés à la [Adresse 9], pour 'un loyer d'un montant équivalent à l'emprunt contracté à savoir 18.000 euros', pour l'activité 'textile' de l'association proposant une activité professionnelle à des personnes en grande exclusion.

Elles ont toutes deux été signées par Mme [P], ès qualité de présidente d'Emmaüs Aquitaine (le bailleur) et par M. [B], ès qualité de président d'Emmaüs développement, devenus Emmaüs Gironde (le preneur).

Les conventions prévoyaient la prise en charge finale par le preneur tant des frais d'entretien et petites réparations, que du coût de l'assurance des locaux.

Elles étaient renouvelables annuellement par tacite reconduction.

3 - Le 25 octobre 2019, par deux lettres signifiées par voie d'huissier en date du 7 novembre 2019, le nouveau président d'Emmaüs Aquitaine a mis fin aux deux conventions au 31 décembre 2019, accordant néanmoins au preneur le droit d'occuper les locaux jusqu'au 30 avril 2020.

4 - Le 26 mai 2020, Emmaüs Aquitaine a émis dix factures au titre des loyers des deux locaux pour les années 2015 à 2019 incluses.

5 - Par exploit d'huissier en date du 28 avril 2020, l'association Emmaüs Gironde a assigné l'association Emmaüs Aquitaine à comparaître devant le tribunal judiciaire de Bordeaux afin d'interpréter les deux conventions d'occupation d'immeubles régularisés le 1er janvier 2004 et de contester la validité des deux congés délivrés par Emmaüs Aquitaine.

Dans le cadre de l'instruction du dossier et par ordonnance du tribunal judiciaire de Bordeaux du 22 février 2022, le juge de la mise en état a rejeté la demande de production de pièces formée par la société Emmaüs Gironde.

6 - Par jugement du 21 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- condamné l'association Emmaüs Gironde à laquelle vient aux droits la SCICAS Emmaüs Gironde à régler à l'association Emmaüs Aquitaine une somme de 240.000 euros au titre des cinqs échéances annuelles de loyers impayées pour l'occupation des bâtiments sis [Adresse 4] et [Adresse 6], assortie des intérêts légaux à compter du prononcé du jugement,

- ordonné la capitalisation par application des articles 1343-2 du code civil,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à l'association Emmaüs Aquitaine une somme globale de 180.000 euros au titre des indemnités d'occupation pour la période comprise entre le 1er janvier 2020 et la date du présent jugement,

- fait droit à la demande de délai de grâce pour ces deux dettes d'un montant global de 428.000 euros et a accordé un échelonnement de ces deux dettes selon les modalités suivantes :

- à compter du jugement, le premier de chaque mois, vingt-trois mensualités de 18.000 euros,

- une dernière mensualité de 14.000 euros, augmentée des intérêts calculés comme indiqué ci-avant,

- ces 24 versements s'entendent en plus du paiement de l'éventuelle indemnité d'occupation due pour la période postérieure au jugement,

- à défaut de respect de cet échelonnement, l'ensemble de la dette sera immédiatement exigible dès le premier incident de paiement et la condamnation reprendra tous ses effets,

- ordonné l'expulsion de la SCICAS Emmaüs Gironde et de tous occupants et biens de son chef des lieux situés [Adresse 4] et au [Adresse 5] avec si besoin le concours d'un serrurier et de la force publique,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à l'association Emmaüs Aquitaine :

- une indemnité d'occupation mensuelle de 1.500 euros (18.000/12 mois) par mois pour les locaux sis [Adresse 7],

- une indemnité d'occupation mensuelle de 2.500 euros (30.000/12 mois) par mois pour les locaux sis [Adresse 4] ; ce à compter de la date du jugement et jusqu'à parfaite évacuation des lieux occupés,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à Emmaüs Aquitaine la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties,

- rappelé que le présent jugement est assorti de plein droit de l'exécution provisoire.

7 - Par déclaration électronique notifiées en date du 18 janvier 2024, la société Emmaüs Gironde a interjeté appel de l'intégralité des chefs du jugement rendu par le tribunal judiciaire en date du 21 décembre 2023.

8 - Par jugement du 9 février 2024, le tribunal judiciaire de Bordeaux a constaté l'état de cessation des paiements de la société Emmaüs Gironde, a fixé provisoirement au 10 janvier 2024 la date de cessation des paiements, et ouvre une procédure de redressement judiciaire à son égard, nommant la scp [Z]-Baujet, ès qualité de mandataire judiciaire, et la selas Arva, ès qualité d'administrateur judiciaire, pour la représenter dans l'accomplissement du mandat confié.

9 - Par ordonnance du 13 mars 2025, la première présidente de chambre à la cour d'appel de Bordeaux a débouté la SCICAS Emmaüs Gironde, la scp [Z] Baujet et la selas Arva, ès qualités, de leur demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire résultant du jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 21 décembre 2023, et a dit que la SCICAS Emmaüs Gironde sera tenue aux entiers dépens de la présente instance.

10 - Par dernières conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats, en date du 25 août 2025, la société Emmaüs Gironde, la scp [Z]-Baujet et la selas Arva demandent à la cour d'appel de Bordeaux de :

- donner acte à la scp [Z]-Baujet prise en la personne de Me [Z] de son intervention volontaire ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Emmaüs Gironde,

A titre principal :

Constatant le défaut de capacité de Mme [P] à signer les conventions du 1er janvier 2004,

Et/ou constatant le défaut d'authenticité est avéré des conventions en date du 1er janvier 2004,

Et/ou constatant la nullité d'objet de la convention du 1er janvier 2004 portant sur la [Adresse 10] à défaut de cessibilité de la convention d'occupation temporaire conclue avec le port de Bordeaux :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 21 décembre 2023 et donc en ce qu'il a :

- condamné l'association Emmaüs Gironde à laquelle vient aux droits la SCICAS Emmaüs Gironde à régler à l'association Emmaüs Aquitaine une somme de 240.000 euros au titre des cinqs échéances annuelles de loyers impayées pour l'occupation des bâtiments sis [Adresse 4] et [Adresse 6], assortie des intérêts légaux à compter du prononcé du jugement,

- ordonné la capitalisation par application des articles 1343-2 du code civil,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à l'association Emmaüs Aquitaine une somme globale de 180.000 euros au titre des indemnités d'occupation pour la période comprise entre le 1er janvier 2020 et la date du présent jugement,

- fait droit à la demande de délai de grâce pour ces deux dettes d'un montant global de 428.000 euros et a accordé un échelonnement de ces deux dettes selon les modalités fixées au dispositif,

- ordonné l'expulsion de la SCICAS Emmaüs Gironde et de tous occupants et biens de son chef des lieux situés [Adresse 4] et au [Adresse 5] avec si besoin le concours d'un serrurier et de la force publique,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à l'association Emmaüs Aquitaine:

* une indemnité d'occupation mensuelle de 1.500 euros (18.000/12 mois) par mois pour les locaux sis [Adresse 7],

* une indemnité d'occupation mensuelle de 2.500 euros (30.000/12 mois) par mois pour les locaux sis [Adresse 4] ; ce à compter de la date du jugement et jusqu'à parfaite évacuation des lieux occupés,

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

- condamné la SCICAS Emmaüs Gironde à payer à Emmaüs Aquitaine la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties,

Statuant à nouveau,

- prononcer la nullité des conventions en date du 1er janvier 2004,

- débouter l'association Emmaüs Aquitaine de l'ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que les conventions

litigieuses sont régulières,

Constatant que les conventions en date du 1er janvier 2004 relèvent de la qualification du commodat à compter du remboursement des emprunts en 2014 et 2015.

- déclarer irrégulière la reprise des locaux par l'association Emmaüs Aquitaine,

- déclarer sans effet les lettres d'éviction des locaux transmises par voie d'huissier,

- débouter l'association Emmaüs Aquitaine de l'ensemble de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que les conventions litigieuses sont régulières et qu'elles relèvent de la qualification de bail civil,

Constatant que le délai de préavis du congé donné est en tout état de cause irrégulier,

- déclarer irrégulière la résiliation des conventions en date du 1er janvier 2004 par l'association Emmaüs Aquitaine,

- déclarer sans effet les lettres d'éviction des locaux transmises par voie d'huissier,

- débouter l'association Emmaüs Aquitaine de l'ensemble de ses demandes,

A titre encore plus infiniment subsidiaire, si la cour devait statuer en faveur d'une qualification de bail, reconnaître la validité du congé délivré en ordonnant l'expulsion et entrer en voie de condamnation s'agissant du règlement du rappel des loyers,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 21 décembre 2023, sauf en ce qu'il a accordé un report et un échelonnement de l'obligation de paiement à Emmaüs Gironde.

En tout état de cause :

- condamner l'association Emmaüs Aquitaine au paiement à la société Emmaüs Gironde d'une somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

11 - Par conclusions notifiées par RPVA en date du 25 août 2025, l'association Emmaüs Aquitaine demande à la cour d'appel de Bordeaux de :

- débouter l'association Emmaüs Gironde à laquelle vient aux droits la société Emmaüs Gironde de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner l'association Emmaüs Gironde à laquelle vient aux droits la société Emmaüs Gironde à payer à l'association Emmaüs Aquitaine une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

12 - L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 9 septembre 2025.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 26 août 2025.

13 - A l'audience, avant les plaidoiries, le conseil d'Emmaüs Gironde a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture sans la formaliser par conclusions, pour lui permettre de verser au dossier le rapport du commissaire aux comptes de l'année 2015, ce à quoi s'est opposé le conseil d'Emmaüs Aquitaine.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

14 - La cour constate que les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées par le RPVA le jour de l'ordonnance de clôture, avec la pièce supplémentaire n°23, communiquée, obligeant l'intimé à y répondre le jour même. Il n'est pas démontré l'utilité de révoquer l'ordonnance de clôture pour permettre la production de la nouvelle pièce n°24 datant de 2015, qu'Emmaüs Gironde avait en possession depuis l'origine. La demande sera rejetée.

Sur la validité des conventions d'occupation

15 - Le litige se présente devant la cour dans les mêmes termes qu'en première instance, Emmaüs Gironde sollicitant l'infirmation totale du jugement déféré.

Elle soutient principalement que les conventions d'occupation, objets du litige, sont entachées de nullité pour diverses irrégularités et que subsidiairement, elles devraient être requalifiées de prêt à usage ou commodat mais non de bail civil dont les congés avec un préavis inférieurs à deux mois étaient en tout état de cause invalides.

16 - Au soutien de l'infirmation du jugement, l'appelante conteste tout d'abord la validité des deux conventions signées par Mme [P] en qualité de président d'Emmaüs Gironde alors que contrairement au renversement opéré par le premier juge, c'est à Emmaüs Aquitaine d'apporter la preuve que Mme [P] détenait bien ce pouvoir pour représenter l'association. Elle relève qu'elle était présidente sortante en juin 2003 et n'a été nommée à nouveau présidente du conseil d'administration qu'à compter du mois de mai 2004.

Elle soulève également le défaut d'authenticité de la signature électronique non manuscrite portée par M. [B] entraînant un défaut d'authenticité des conventions elles-mêmes.

L'appelante soutient également qu' Emmaüs Aquitaine ne justifie pas du titre de propriété sur les lieux litigieux qui lui aurait donné qualité pour signer une convention d'occupation avec Emmaüs Gironde et notamment de ceux situés dans la zone d'activité de Daney, la convention d'occupation temporaire initiale entre le Port de Bordeaux et la SCI Nordifica ayant été cédé par acte notarié du 30 décembre 1999 à Emmaüs Aquitaine, la portant au bénéfice de cette dernière par avenant du 12 janvier 2001, laquelle prévoit que 'le bénéficiaire est tenu d'occuper lui-même et d'utiliser directement en son nom et sans discontinuité les biens mis à sa disposition'. Cette clause rendrait nulle la convention d'occupation à Emmaüs Gironde, personne morale distincte de la preneuse de la convention d'occupation temporaire.

17 - L'intimée sollicite la confirmation du jugement déféré, se basant sur les actes signés par l'ancien président d'Emmaüs Aquitaine, M. [B], toujours président d'Emmaüs Gironde.

L''intimée verse aux débats les deux conventions contestées signées de M. [B] alors président d'Emmaüs Aquitaine et d'Emmaüs Développement ainsi que l'enregistrement de ces conventions en 2009 auprès du commissaire aux compte des deux associations, avec la mention d'un loyer à payer et confirme que Mme [P] était secrétaire de l'association à la date de la signature.

Elle rappelle en outre l'impossibilité pour elle de produire les procès verbaux d'assemblée générales de 2003 notamment permettant d'attester de la qualité de Mme [P], pour signer les conventions, ce document faisant partie des documents sociaux et comptables réclamés à M. [B] après sa démission en 2019 qu'il a toujours refusé de communiquer à la nouvelle direction d'Emmaüs Aquitaine.

Elle produit l'acte d'acquisition du bien situé cours de la Somme, ainsi que la convention d'autorisation d'occupation à titre temporaire régularisée entre Emmaüs Aquitaine et le Port autonome de Bordeaux le 24 avril 2003, rappelant qu'elle avait alors été signée par M. [B] en sa qualité de président d'Emmaüs Aquitaine.

Sur ce :

18 - Aux termes de l'article 1108 du code civil, applicable à la date de signature des conventions, 'quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : le consentement de la partie qui s'oblige ; sa capacité de contracter ; un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l'obligation'.

S'agissant d'une personne morale, sa capacité est limitée par les règles applicables et définie par ses statuts.

19 - En l'espèce, les deux conventions d'occupation du 1er janvier 2004 sont signées par Mme [P] sous la qualification de présidente du bailleur, Emmaüs Aquitaine et par M. [J] [B] sous celle de président de l'occupant, Emmaüs Gironde, sans que le caractère numérisé ou non de la signature remette en cause celle-ci.

20 - Le juge de la mise en état a, par ordonnance du 22 février 2022 a débouté Emmaüs Gironde de sa demande de voir Emmaüs Aquitaine produire certains documents dont les procès verbaux des assemblées générales, laquelle a en tout état de cause fait connaître son 'impossibilité au motif que depuis la date des assemblées réclamées jusqu'en 2019, la même personne physique était jusqu'à sa démission à la fois président de l'association Emmaüs Développement devenue Emmaüs Gironde mais aussi de l'association Emmaüs Aquitaine et qu'après la démission en 2019, il n'a pas transmis les éléments sociaux et comptables à la nouvelle direction de l'association Emmaüs Aquitaine'.

21 - Faisant peser la charge de la preuve de la capacité de Mme [P] à signer les conventions du 1er janvier 2004 sur Emmaüs Gironde, qui aurait dû produire sa désignation par l'assemblée générale de l'association, le jugement déféré a déclaré les conventions régulières en ce que 'bien que sortante, la poursuite de mandat de Mme [P] était concevable, ne serait ce qu'à titre intérimaire' en relevant également que le président d'Emmaüs Aquitaine n'a pas déféré aux sommations de communiquer que lui a délivré Emmaüs Gironde le 21 mai 2021 portant notamment sur les assemblées générales pour les exercices 2003 à 2005.

22 - La cour relève que M. [B], président d'Emmaüs Gironde n'avait pas de son côté donné suite au courrier recommandé en date du 10 août 2019 d'Emmaüs Aquitaine lui demandant de lui transmettre les documents sociaux et comptables et notamment l'ensemble des contrats et engagements en cours de l'association ainsi que les archives.

23 - Ainsi, s'il n'est pas contesté que M. [B] était président des deux associations à la date de signature des conventions, l'appelante produit le procès verbal de l'assemblée générale d'Emmaüs Gironde du 17 juin 2003 qui porte mention des résultats des conseils d'administration d'Emmaüs Aquitaine en point E1, indiquant la qualité de membre sortant du conseil d'administration d'Emmaüs Aquitaine pour Mme [P], ainsi que de la mention de son nom en qualité de secrétaire en bas de la lettre de convocation à l'assemblée générale d'Emmaüs Aquitaine le 15 mars 2004, devenant présidente du conseil d'administration à l'issue de cette dernière assemblée, à la place de M. [B], président sortant.

24 -Ainsi, Mme [P] n'occupait plus le poste de président d'Emmaüs Aquitaine à la date de la signature des conventions d'occupation et qu'elle n'a repris l'exercice de ces fonctions que postérieurement à cette date.

25 - En outre qu'Emmaüs Aquitaine ne produit pas les statuts de l'association qui auraient prévu qu'en cas d'arrivé du terme des fonctions, le dirigeant reste en fonction et continue à exercer ses pouvoirs jusqu'à son renouvellement ou son remplacement effectif, pas plus que la secrétaire aurait détenue des pouvoirs de signature en lieu et place du président.

26 - Il se déduit de ces éléments que Mme [P] n'avait aucun titre pour signer les conventions d'occupation au nom d'Emmaüs Aquitaine le 1er janvier 2004.

27 - La communication au commissaire aux comptes de ces conventions en application de l'article L. 612-5 du code de commerce, lequel dans son rapport pour l'exercice de l'année 2009 dit en avoir été avisé ne saurait valoir quitus quant à la validité juridique de celles-ci, ne faisant que se prononcer sur la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans les documents sur la situation financière et les comptes annuels éventuellement adressés aux membres. L'intimée ne peut se baser sur la seule mention que ces conventions auraient été 'approuvées au titre des années antérieures' pour démontrer leur validité.

28 - L'argument d'Emmaüs Aquitaine opposé à Emmaüs Gironde de ne pouvoir soulever sa propre turpitude ayant signé les conventions le 1er janvier 2004 en sa double qualité de président des deux association, mais également la convention d'autorisation précaire avec le Port autonome de Bordeaux sont sans emport sur la validité des conventions, la personnalité juridique de l'association étant distincte de celle de son président, mais relèvent éventuellement de la responsabilité de l'ancien président sortant à l'égard de la nouvelle équipe dirigeante de l'association.

29 - L'appelante verse aux débats des éléments de preuve de ses allégations de l'absence de pouvoir de Mme [P], membre sortante en juin 2003 et désignée présidente remplaçante en mai 2004, sans qu'Emmaüs Aquitaine ne produise de son côté le pouvoir qui lui aurait été donné ainsi que l'autorisation donnée par l'assemblée générale de signer les conventions d'occupation avec Emmaüs Gironde.

30 - En l'absence d'élément probant quant à la qualité de Mme [P] signataire es présidente d'Emmaüs Aquitaine le 1er janvier 2004 et de pouvoir qui lui aurait été donné pour ce faire dans les conditions fixées par le conseil d'administration, les conventions signées sont nulles.

31 - Le jugement déféré sera infirmé de ce chef sans qu'il soit nécessaire d'examiner le deuxième moyen de nullité soulevé sur l'absence de titre de propriété des biens donnés en occupation.

32 - Les conventions étant nulles et de nulles effet, le jugement sera également infirmé en ce qu'il a fait application de ses dispositions pour condamner l'appelante à verser des loyers entre 2015 et 2019, valider les congés, ordonner son explusion en fixant une indemnité d'occupation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

33 - Emmaüs Aquitaine partie perdante sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à Emmaüs Gironde de la somme 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Constate l'intervention volontaire de la SCP [Z]-Baujet prise en la personne de Maître [Z] de son intervention volontaire en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Emmaüs Gironde,

Rejette la demande de réouverture des débats pour permettre la production par Emmaüs Gironde de la pièce n°24,

Infirme le jugement déféré y compris en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit nulles et de nul effet les deux conventions signées le 1er janvier 2024 portant occupation par Emmaüs Gironde de locaux situés au [Adresse 4] et de ceux situés à la [Adresse 9],

Déboute Emmaüs Aquitaine de ses demandes en application des-dites conventions,

Condamne Emmaüs Aquitaine à verser à Emmaüs Gironde la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne Emmaüs Aquitaine aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Laurence MICHEL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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