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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 21 octobre 2025, n° 25/05081

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MB Lease (SAS)

Défendeur :

Leaseway (SAS), MJC2A (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseiller :

M. Varichon

Conseillère :

Mme Rohart

Avocats :

Me Ingold, Me de Fresse de Monval, Me Dereux, Me Andrez, Me Przyborowski

T. com. Évry, du 18 mars 2025, n° 2024P0…

18 mars 2025

FAITS ET PROCÉDURE:

La société par actions simplifiée MB Lease exerce une activité de loueur de véhicules en Ile de France depuis le mois d'octobre 2020.

Par acte du 22 octobre 2021, modifié par avenant du 21 février 2022, la société Leaseway s'est engagée à mettre à disposition à la société MB Lease plusieurs véhicules à usage professionnel, cette dernière lui versant en contrepartie un loyer correspondant à la durée de la location et au kilométrage convenu. Après résiliation du contrat, la société Leaseway a mis en demeure, le 8 novembre 2023, la société MB Lease de lui restituer les véhicules.

Sur requête du 31 octobre 2024 de la société MB Lease, par ordonnance du 19 décembre 2024, le président du tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de conciliation judiciaire au profit de la société MB Lease et désigné le cabinet AJAssociés en la personne de Me [Y] en qualité de conciliateur.

Sur assignation du 25 octobre 2024 de la société Leaseway, invoquant une créance de 427 620,70 euros, et par jugement du 18 mars 2025, le tribunal de commerce d'Evry a constaté l'état de cessation des paiements, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société MB Lease, ouvert une période d'observation de six mois, fixé provisoirement au 10 janvier 2025 la date de cessation des paiements, nommé la SELARL MJC2A, prise en la personne de Me [R], mandataire judiciaire, et employé les dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.

Le 21 mars 2025, la société MB Lease a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 11 avril 2025, le délégataire du premier président à suspendu l'exécution provisoire attachée au jugement du 18 mars 2025.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 septembre 2025, la société MB Lease demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, débouter la société Leaseway et la SELARL MJC2A, ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, prononcer l'irrecevabilité des demandes formées par la société Leaseway d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et/ou d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, en conséquence, juger que le tribunal ne pouvait statuer sur les demandes de la société Leaseway et ouvrir une procédure de redressement judiciaire à son égard, et condamner la société Leaseway à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 1er septembre 2025, la société Leaseway demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements et ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société MB Lease, en cas d'infirmation, constater l'état de cessation des paiements de la sociétés MB Lease, en conséquence, ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou le cas échéant une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société MB Lease, en tout état de cause, condamner la société MB Lease à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 559 du code de procédure civile, et condamner la société MB Lease à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 23 juillet 2025, la SELARL MJC2A, ès qualités, demande à la cour de, à titre principal, débouter la société MB Lease de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables les demandes formées par la société Leaseway d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et/ou d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, constater l'état de cessation des paiements, confirmer le jugement, débouter la société MB Lease de toute prétention, débouter la société Leaseway de ses demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et au titre des dépens à l'encontre de la société MB Lease, employer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une réformation du jugement, ordonner la prise en charge par la société MB Lease du droit fixe et de l'émolument revenant au mandataire judiciaire en application des articles R. 663-18, A 663-18 et R. 663-34 du code de commerce, condamner la société MB Lease à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamner la société MB Lease aux dépens.

Par ordonnance du 11 avril 2025, le délégataire du Premier Président a ordonné la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré.

Le dossier a été transmis au ministère public le 31 mars 2025.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 septembre 2025.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande d'ouverture de redressement judiciaire et subsidiairement de liquidation judiciaire

Selon les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, " constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ".

Il ressort des dispositions de l'article L. 631-5 du code de commerce que : " lorsqu'il n'y a pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Sous cette même réserve, la procédure peut aussi être ouverte sur l'assignation d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance. Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d'un an à compter de:

1° La radiation du registre du commerce et des sociétés. S'il s'agit d'une personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation ;

2° La cessation de l'activité, s'il s'agit d'une personne exerçant une activité artisanale, d'un agriculteur ou d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

3° La publication de l'achèvement de la liquidation, s'il s'agit d'une personne morale non soumise à l'immatriculation. (') "

La société MB Lease soutient que la demande en ouverture de redressement judiciaire est irrecevable car une procédure de conciliation a été ouverte à son bénéfice par ordonnance du président du tribunal de commerce d'Evry le 10 décembre 2024, qu'ainsi le fait que l'assignation ait été délivrée par son créancier alors qu'elle bénéficiait d'une procédure de conciliation constitue une fin de non-recevoir insusceptible de régularisation. Elle souligne qu'en raison de la confidentialité afférente à la procédure de conciliation, elle n'est pas tenue d'en mentionner son contenu au mandataire judiciaire.

La société Leaseway réplique, au visa des articles L. 631-1 et L.631-5 du code de commerce, qu'en l'absence de décision sur l'irrecevabilité d'une assignation tendant à l'ouverture d'une procédure collective antérieure à l'ouverture d'une procédure de conciliation, cette assignation ne peut en aucun cas être irrecevable. Elle précise que la durée de la conciliation avait été fixée par le président du tribunal à quatre mois, soit jusqu'au 19 avril 2025, et que la demande en ouverture de la conciliation est intervenue postérieurement à son assignation en redressement judiciaire, que dès lors sa demande en ouverture est parfaitement recevable car antérieure, qu'ainsi c'est à bon droit que le tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire, constatant que la société MB Lease ne pouvait plus faire face à son passif avec son actif disponible. Aussi, elle considère que la procédure de conciliation a pris fin car, par courrier du 28 avril 2025, et le 21 mai 2025, elle a mis en demeure la société MB Lease de justifier d'avoir sollicité la prorogation de la procédure de conciliation, correspondances qui sont restées lettres mortes. En outre, elle souligne que même en cas de prononcé d'irrecevabilité de la demande d'ouverture de redressement judiciaire, l'assignation étant valable et l'effet dévolutif jouant, la cour demeure saisie de l'affaire, et il lui est demandé d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire, ou subsidiairement, une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société appelante.

La SELARL MJC2A, ès qualités, rappelant qu'il est incontestable que la société Leaseway a fait délivrer une assignation avant que la société MB Lease ne sollicite l'ouverture d'une procédure de conciliation, en déduit que la demande d'ouverture de redressement judiciaire et subsidiairement de liquidation judiciaire était ainsi recevable. Elle considère que la société appelante ne justifie pas à ce jour qu'une procédure de conciliation soit en cours, or telle est l'exigence posée par l'article L. 631-5 du code de commerce, et non pas seulement que cette procédure ait été ouverte. Elle souligne que la société Leaseway n'a jamais été contactée par le conciliateur et que la société appelante est restée muette lorsqu'il lui a été demandé de justifier de sa demande de prorogation de la procédure de conciliation. Il en est déduit que la conciliation ayant été ouverte pour une durée de quatre mois et la société appelante ne justifiant pas d'une prorogation de ce délai, il pourra être constaté qu'elle est aujourd'hui clôturée, de sorte que la demande en ouverture d'une procédure collective est nécessairement recevable.

Sur ce,

Il ressort des dispositions de l'article L. 631-5 du code de commerce que le tribunal ne peut ouvrir une procédure de redressement judiciaire, sur requête du ministère public ou sur assignation d'un créancier que : " lorsqu'il n'y a pas de procédure de conciliation en cours".

Il s'agit d'une fin de non-recevoir telle que prévue par les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, qui peut être soulevée en tout état de cause.

Au jour où la cour statue, la procédure de conciliation n'est plus en cours, de sorte que la demande en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire est recevable.

En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'une procédure de conciliation sera rejetée.

Sur l'ouverture du redressement judiciaire

L'article L. 631-1 du code de commerce que :" Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements ".

En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

La société MB Lease demande à la cour de ne pas faire droit à la demande de la société Leaseway d'ouvrir son redressement judiciaire car elle perdrait la garantie du double degré de juridiction, et n'aurait pas la possibilité de demander l'ouverture d'un redressement judiciaire en chambre du conseil couvert par la confidentialité des débats. En effet, elle fait valoir que l'assignation en redressement judiciaire alors que la procédure de conciliation était en cours a entraîné son arrêt et l'a précipitée en cessation des paiements, alors que sans cette assignation, elle aurait pu conclure un accord au titre de la conciliation, ou ouvrir une procédure de redressement judiciaire en déposant une déclaration de cessation des paiements. Dès lors, elle sollicite de la cour qu'elle ne fasse pas droit à la demande du créancier poursuivant afin de lui permettre de déposer sereinement sa déclaration de cessation des paiements auprès du tribunal

La société Leaseway soutient que la société MB Lease se trouve en état de cessation des paiements. Elle rappelle qu'antérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire, au mois de juin 2024, les saisies opérées sur les comptes de la société appelante ne lui ont permis de récupérer seulement 12 668,17 euros sur un total de 726 804 euros dont elle estime être créancière. Elle fait valoir que les quatre tentatives de saisie-attribution qu'elle a effectuées le 16 juin 2025 ont révélé que les quatre comptes bancaires de la société appelante sont débiteurs à hauteur de -154 886,14 euros.

La SELARL MJC2A, ès qualités, souligne que la société appelante ne formule aucune observation ni ne produit aucune pièce ne permettant à la cour d'apprécier, sur le fond, que l'ouverture du redressement judiciaire était justifiée à son égard. Il est fait valoir qu'à ce jour le montant du passif déclaré s'élève à 5 312 688,56 euros, dont 2 237 106,17 euros à titre échu et 3 075 440,39 euros à échoir, que ce passif est essentiellement composé de contrats en cours mais comprend aussi une créance fiscale à hauteur de 385 398,50 euros. Il en est déduit que la société MB Lease apparaît bien en état de cessation des paiements dès lors qu'elle ne justifie d'aucun actif disponible, étant précisé que l'inventaire n'a pas été dressé par le commissaire-priseur en raison de la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement d'ouverture. S'agissant des perspectives de redressement, le mandataire se révèle réservé dès lors qu'avant le prononcé de la suspension de l'exécution provisoire, le dirigeant n'a pas participé aux opérations de la procédure collective et n'a notamment pas remis la liste des créanciers.

Sur ce,

La société MB Lease ne conteste pas être en état de cessation des paiements, mais se borne à demander de ne pas faire droit à la demande de la société Leaseway afin de lui permettre de " déposer sa déclaration de cessation des paiements auprès du tribunal de commerce sereinement " et ne fournit aucun élément sur son actif disponible et sur son passif exigible.

L'état des créances mentionne un passif échu de 2.237.248,17 euros et un passif à échoir de 3.075.440,39 euros et il n'est fait état d'aucun actif disponible.

L'état de cessation des paiements est caractérisé, et faute d'autres éléments sur le caractère manifestement impossible d'un redressement, il convient de confirmer le jugement qui a ouvert à l'égard de la société MB Lease une procédure de redressement judiciaire.

Sur la demande indemnitaire au titre du caractère abusif de l'appel

La société Leaseway, considérant que l'appel est manifestement abusif, demande à la cour qu'elle condamne la société appelante à une amende civile de 10 000 euros sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile, et qu'elle lui paye cette somme sur ce même fondement.

La société MB Lease réplique que le jugement d'ouverture en redressement judiciaire a précipité son état de cessation des paiements, ce qui a conduit à l'échec de sa procédure de conciliation. Elle en déduit que son appel n'est ni abusif ni dilatoire au regard de la violation des dispositions de l'article L. 631-5 du code de commerce commise par les premiers juges, soulignant que cette violation était si flagrante qu'elle a conduit le ministère public à transmettre un avis favorable à sa demande de suspension de l'exécution provisoire.

Sur ce,

La société Leaseway ne démontre pas l'existence d'un abus de la part de la société MB Lease qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits.

Les demandes indemnitaires de la société Leaseway seront donc rejetée.

Sur les dépens et les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Rejette la demande d'irrecevabilité,

Confirme jugement,

Rejette la demande d'amende civile et de dommages et intérêts pour appel abusif,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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