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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 28 février 2024, n° 21/19194

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

BANQUE POPULAIRE BOURGOGNE FRANCHE-COMTE (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. BRAUD, M. BAILLY

Conseiller :

Mme CHAINTRON

Avocats :

Me Christophe PACHALIS, Me Alain THUAULT

CA Paris n° 21/19194

27 février 2024

Au mois de janvier 2005, M. [J] [S] a acquis un fonds de commerce de détail de journaux et papeterie situé [Adresse 6] à [Localité 5] (Yonne).

Cet achat a été financé au moyen d'un prêt n° 07113891 souscrit auprès de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté d'un montant de 260 000 euros au taux de 3,1740 %, remboursable en 84 mensualités d'un montant de 3 824,09 euros après une franchise totale de 4 mois, pour lequel son père M. [B] [S] s'était porté caution le 17 décembre 2004 dans la limite de la somme de 306 354,64 euros.

Par acte en date du 1er octobre 2007, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté a consenti à M. [J] [S] un prêt de consolidation n° 07085048 d'un montant de 228 000 euros, remboursable en 120 mensualités d'un montant de 2 711,67 euros chacune moyennant un taux d'intérêt de 6,30 %, destiné à financer le rachat du prêt en cours ainsi qu'un découvert.

Le remboursement de ce prêt était garanti par un nantissement en second rang sur un fonds de commerce de Diffuseur de Presse Carterie Librairie et par le cautionnement de M. [B] [S] dans la limite de la somme de 327 547,84 euros avec le consentement exprès de Mme [M] [S] en date du 7 septembre 2007.

En raison de nouvelles difficultés de paiement, un protocole d'accord a été homologué par le tribunal de commerce de Sens le 6 septembre 2011.

Par jugement du tribunal de commerce de Sens en date du 6 juin 2015, M. [J] [S] a été placé en redressement judiciaire, converti le 16 juin 2015 en liquidation judiciaire.

Le 9 juillet 2015, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté a déclaré sa créance au passif de M. [J] [S] pour la somme totale de 161 648,57 euros, dont 161 000,79 euros au titre du prêt d'un montant de 228 000 euros et 647,78 euros au titre du solde débiteur en compte.

Par courrier recommandé daté du 9 juillet 2015, M. [B] [S] a été mis en demeure d'honorer son engagement de caution à hauteur de la somme de 161 000,79 euros.

Un accord a été trouvé au mois de septembre 2015 aux termes duquel M. [B] [S] devait verser la somme mensuelle de 100 euros par mois à compter du mois de juillet 2016 avec un règlement du solde sous un an, dans l'attente de la vente de sa résidence principale de [Localité 8], laquelle n'a cependant pas pu être vendue.

Par acte d'huissier en date du 7 mars 2018, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté a fait assigner M. [B] [S] devant le tribunal judiciaire d'Auxerre afin de :

- le voir condamner à lui payer au titre de son engagement de caution en date du 7 septembre 2007, la somme de 185 582,88 euros, arrêtée au 1er février 2018, outre les intérêts au taux de 6,30 % jusqu'à complet règlement ;

- voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- le voir condamner à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 6 avril 2021, le tribunal judiciaire d'Auxerre a :

- dit que l'engagement de caution souscrit par M. [B] [S] auprès de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté en date du 7 septembre 2007 en garantie du prêt n° 07085048, dans la limite de la somme de 327 547,84 euros avec le consentement exprès de Mme [M] [S], n'est pas manifestement disproportionné par rapport aux revenus et biens de M. [B] [S];

- dit que la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté n'a pas respecté son obligation d'information annuelle de la caution ;

En conséquence,

- condamné M. [B] [S] à payer à la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté la somme de 86 735,96 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juillet 2015 ;

- dit que la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté a manqué à son obligation de mise en garde ;

En conséquence,

- condamné la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à payer à M. [B] [S] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice résultant de la perte de chance de ne pas souscrire l'engagement de caution ;

- ordonné la compensation à due concurrence entre ces créances réciproques ;

- condamné M. [B] [S] à payer à la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [B] [S] aux dépens de l'instance ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration du 3 novembre 2021, M. [S] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 décembre 2023, M. [B] [S] demande au visa des articles L. 332-1 et L.343-4 du code de la consommation, à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Infirmant partiellement le jugement entrepris,

A titre principal :

- dire et juger que l'engagement de caution souscrit au bénéfice de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus ;

- En conséquence, déclarer cet engagement de caution inopposable à son encontre ;

A titre subsidiaire :

- condamner la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à lui payer une indemnité de 65 000 euros en réparation du préjudice consécutif au manquement de la banque à son devoir de mise en garde ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté devait être déchue du droit au montant des intérêts comptabilisé pour la période du 31 mars 2008 au 9 juillet 2015, et en ce qu'il a fixé la créance de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à son encontre, après déduction des intérêts, à la somme de 86 735,96 euros ;

- ordonner la compensation à due concurrence entre les créances réciproques ;

En tout état de cause :

- débouter la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à lui verser la somme de 3 000 euros pour ses frais irrépétibles de première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté aux entiers dépens de première instance,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- condamner la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à lui verser la somme de 4 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté aux entiers dépens d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2023, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté demande à la cour de confirmer le jugement déféré et prononcé le 6 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Auxerre.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023 et l'audience fixée au 15 janvier 2024.

Sur le caractère disproportionné de l'engagement de caution

En premier lieu, M. [B] [S] soulève, au visa des articles L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, le caractère disproportionné de son cautionnement à ses biens et revenus.

Il fait valoir que :

- son épouse et lui-même disposaient de revenus mensuels d'un montant de 5 467 euros, dont 4 800 euros de pension de retraite et 667 euros au titre de revenus fonciers du terrain qu'ils possédaient à [Localité 8], représentant un revenu imposable, en 2007, de 54 192 euros,

- le cautionnement donné à hauteur de la somme de 327 547,84 euros équivalait à plus de 5,5 années de revenus des époux [S],

- la charge mensuelle de remboursement du prêt cautionné d'un montant de 228 000 euros, s'élevait à la somme de 2 711,67 euros, et représentait près de 56 % de ses revenus mensuels cumulés à ceux de son épouse,

- contrairement à ce qu'il a indiqué sur la fiche de renseignement produite par la banque, il n'était pas propriétaire indivis avec son fils d'un appartement situé à [Localité 7] estimé à la somme de 350 000 euros, mais usufruitier de ce bien, dont M. [J] [S] détenait la totalité de la nue-propriété,

- le terrain situé à [Localité 8] estimé à 80 000 euros était en cours de vente,

- son patrimoine immobilier s'établissait ainsi à la somme de 255 000 euros (75 000 euros au titre de sa maison située à [Localité 8], 140 000 euros au titre de la valeur de l'usufruit de l'appartement situé à [Localité 7] selon la méthode de valorisation appliquée par la banque, 40 000 euros au titre du terrain de [Localité 8]),

- la méthode de valorisation retenue par la banque pour chiffrer son usufruit est contestable et quelle que soit la valeur de son patrimoine au moment de la conclusion du contrat, d'un montant selon lui de 255 000 euros ou selon la banque de 290 000 euros, celle-ci est en tout état de cause inférieure à son engagement de caution, de sorte que la disproportion est manifeste.

En second lieu, M. [S] soutient que la banque ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'au moment où elle a appelé la caution, son patrimoine lui permettrait de faire face à son obligation de paiement, aucun débat n'ayant eu lieu sur ce point.

Il en déduit que l'engagement de caution lui est inopposable.

La Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté réplique que c'est à juste titre que le tribunal a rejeté le moyen tiré du caractère disproportionné de l'engagement de caution, en relevant que la fiche de renseignements récapitulant la situation financière de la caution en 2007 révélait que M. [S] disposait d'un revenu de 54 192 euros et d'un patrimoine immobilier important, et que la banque n'avait pas à en vérifier l'exactitude sauf anomalies apparentes.

En application des dispositions de l'article L. 341-4, ancien, du code de la consommation devenu l'article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution qui entend opposer au créancier les dispositions des textes précités du code de la consommation, de rapporter la preuve du caractère disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus. La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu'elle s'engage, dans l'impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus (Com., 28 fév. 2018, no 16-24.841). Cette disproportion s'apprécie lors de la conclusion de l'engagement, au regard du montant de l'engagement, de l'endettement global, des biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

Aux termes de l'acte de cautionnement souscrit par M. [S] le 7 septembre 2007, Mme [S] a donné son 'consentement express du cautionnement donné à concurrence de 100 % de l'encours restant dû de la somme de 327 547,84 euros couvrant le paiement du principal, tous les intérêts, commissions, frais et accessoires y compris l'indemnité de résiliation anticipée comme indiqué ci-dessus' (pièce n° 11 de l'appelant).

Les époux [S] étant mariés sous le régime de la communauté ainsi que cela résulte de la fiche de renseignements produite par la banque, il y a lieu de prendre en compte l'ensemble du patrimoine du couple dans l'appréciation de la disproportion (pièce n° 9 de l'intimée).

Aux termes de cette fiche datée du 9 août 2007 et signée par les époux [S], ces derniers ont déclaré :

- au titre de leurs revenus mensuels, percevoir M. [S] 4 000 euros et Mme [S] 800 euros, soit des revenus annuels de 57 600 euros, outre un revenu foncier d'un montant de 8 000 euros par an au titre de la location d'un terrain situé à [Localité 8],

- au titre de leur patrimoine, être propriétaires d'une maison située [Adresse 4] à [Localité 8] estimée à la somme de 150 000 euros, d'un terrain à [Localité 8] estimé à 80 000  euros et d'un appartement situé à [Localité 7] estimé à 350 000 euros en indivision avec leur fils, M. [J] [S].

Les époux [S] ont fait précéder leurs signatures de la mention manuscrite suivante : 'Renseignements certifiés sincères et véritables'.

Il résulte de cette fiche que l'ensemble des revenus et du patrimoine déclarés par les époux [S] était évalué à la somme totale de 645 600 euros (65 600 euros au titre des revenus annuels + 580 000 euros au titre de la valorisation nette du bien immobilier).

M. [S] ne démontre pas avoir déclaré à sa conseillère au sein de la banque qu'il n'était en réalité qu'usufruitier de l'appartement situé à [Localité 7], ni que le terrain situé à [Localité 8] était en cours de vente.

Ses déclarations ne sont entachées d'aucune anomalie apparente, si bien que la banque pouvait légitimement s'y fier.

Au regard des revenus, de l'absence de charges et du patrimoine déclaré par les époux [S], c'est à juste titre que le tribunal a considéré que l'engagement de caution souscrit par M. [S] le 7 septembre 2007 dans la limite de la somme de 327 547,84 euros, n'était pas alors manifestement disproportionné et que la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté était par voie de conséquence fondée à s'en prévaloir. Le jugement sera par conséquent confirmé de ce chef.

Sur l'obligation de la caution

M. [S] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a considéré que faute pour la banque de rapporter la preuve qu'elle avait respecté son devoir d'information annuelle de la caution, celle-ci devait être déchue du droit au montant des intérêts comptabilisés pour la période du 31 mars 2008 au 9 juillet 2015 et fixé en conséquence la créance de la banque à son encontre, après déduction des intérêts, à la somme de 86 735,96 euros.

La banque sollicite la confirmation du jugement de ce chef.

Le jugement déféré n'étant pas autrement critiqué en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de la banque pour défaut d'information annuelle de la caution et condamné en conséquence M. [B] [S] en qualité de caution, à payer à la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté la somme de 86 735,96 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juillet 2015, il sera confirmé de ce chef, sauf à préciser que cette condamnation est prononcée dans la limite de la somme de 327 547,84 euros.

Sur la responsablité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde

À titre subsidiaire, M. [B] [S] entend voir engager la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. Il rappelle que la banque est tenue à l'égard de la caution non avertie d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités à faire face au cautionnement et au risque d'endettement supporté par l'emprunteur.

Il soutient que :

- il n'était pas une caution avertie dès lors qu'au moment de la souscription de son engagement, il était âgé de 62 ans et retraité depuis deux ans après avoir exercé la profession de commercial dans le charbon domestique, le fioul domestique et les lubrifiants moteur, ce qui ne lui conférait en aucun cas les connaissances financières requises par la jurisprudence pour caractériser une caution 'avertie',

- le financement consenti à M. [J] [S] n'était pas adapté aux capacités financières de son entreprise et le risque de défaillance de l'emprunteur était très élevé dès le moment de l'octroi du prêt,

- de surcroît, ce risque était d'ores et déjà réalisé, dès lors que dès 2005, M. [J] [S] n'était pas en capacité d'honorer les mensualités du premier prêt accordé par la banque en 2004 qui était déjà assorti de son cautionnement,

- malgré cette situation, la banque a consenti à M. [J] [S] un second crédit destiné à 'consolider' le premier consenti à un taux de 6,30 %, soit le double du taux du premier financement, et a sollicité de nouveau son cautionnement sans l'avertir de l'incapacité du débiteur principal de faire face au premier prêt.

Il en déduit que la banque ne démontre pas avoir satisfait à son obligation de mise en garde, le privant de la chance de ne pas contracter et d'éviter le risque qui s'est réalisé, perte de chance constitutive d'un préjudice qu'il évalue à 35 % du montant de la dette réclamée par la banque, soit 185 582,88 euros, justifiant l'octroi d'une indemnité de 65 000 euros venant en compensation avec le montant de la dette.

La banque sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a limité la perte de chance invoquée du fait du défaut de mise en garde et de l'appréciation du préjudice en résultant à la somme de 10 000 euros.

Aux termes de l'article 1147, ancien du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ce texte que la banque est tenue lors de la conclusion du contrat, à l'égard d'une caution dont elle n'a pas constaté le caractère averti, d'un devoir de mise en garde à raison des capacités financières de la caution et des risques d'endettement né de l'octroi du prêt en cas de mise en 'uvre de son engagement (1re Civ., 14 oct. 2015, no 14-14.531).

En l'espèce, il est constant que M. [S] qui exerçait la profession de commercial dans le charbon domestique, le fioul domestique et les lubrifiants moteur, n'avait pas la qualité de caution avertie.

La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 15 nov. 2017, no 16-16.790).

Comme l'a relevé à juste titre le tribunal, le fait d'accorder un 'prêt de consolidation' le 1er octobre 2007, deux ans après l'octroi du premier prêt, alors que des incidents de paiement avaient déjà eu lieu, et à un taux d'intérêt de 6,30 % qui était deux fois supérieur à celui du premier prêt de 3,1740 %, démontre que la banque était parfaitement consciente des difficultés financières de M. [J] [S] et que le crédit n'était donc pas adapté à ses capacités financières, et ce d'autant qu'il ressort des clauses particulières de ce contrat de prêt que :

'Le présent crédit est destiné à suppléer l'insuffisance de capitaux propres de l'emprunteur et rétablir sa trésorerie afin de permettre la poursuite de ses activités. En conséquence, jusqu'à complet remboursement du prêt, les comptes de l'Emprunteur, ouverts dans les livres de la banque devront fonctionner sur soldes créditeurs, sauf exception dûment autorisée par le prêteur.'

L'objectif de ce nouveau crédit annoncé par la banque n'était donc pas d'accompagner l'emprunteur dans le développement de son activité, mais de pallier à son insuffisance de capitaux propres et de rétablir sa trésorerie afin de lui permettre de poursuivre son activité.

Or, il y a lieu de relever que le second cautionnement a été souscrit par M. [S] le 7 septembre 2007, soit un mois avant le second contrat de prêt souscrit par M. [J] [S] le 1er octobre 2007, de sorte que la caution n'a pas eu connaissance de la mention précitée portée au contrat de prêt qui aurait pu l'alerter sur la situation de son fils.

Par ailleurs, la banque a augmenté, d'une part, de trois ans la durée du second cautionnement consenti par M. [S] qui a été portée de 9 ans pour le cautionnement souscrit en 2004 à 12 ans pour celui de 2007 et, d'autre part, de 21 193,20 euros le montant du second cautionnement qui a été porté à 327 547,84 euros au lieu de 306 354,64 euros pour le premier, ce qui démontre qu'elle a entendu augmenter la garantie dont elle bénéficiait déjà et partant, sa connaissance de l'incertitude pesant sur la poursuite de l'activité de l'emprunteur.

La banque était donc tenue de mettre en garde M. [B] [S] du risque d'endettement excessif du débiteur principal, M. [J] [S], et donc du risque de défaillance de sa part, le lien de parenté existant entre l'emprunteur principal et la caution n'étant pas de nature à démontrer la connaissance qu'aurait eue la caution de la situation financière de son fils et à exonérer la banque de ses obligations, et ce d'autant que la caution n'était pas associée dans l'entreprise de son fils et n'avait aucun intérêt financier personnel dans cette entreprise.

Or, aucun élément du dossier ne démontre que la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté ait effectivement rempli son devoir de mise en garde à l'égard de M. [B] [S], de sorte que ce dernier est bien fondé à opposer aux réclamations de la banque la faute de cette dernière, qu'au demeurant elle ne conteste pas, et qui est directement à l'origine de son préjudice résultant de la mise en oeuvre de son engagement de caution.

Le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En l'espèce, la perte de chance pour M. [S] de ne pas souscrire l'engagement de cautionnement du 7 septembre 2007, si la banque avait satisfait à son devoir de mise en garde et avait porté à sa connaissance les informations qu'elle détenait, est constitutive d'un préjudice qu'il convient de réparer par l'allocation d'une indemnisation d'un montant de 65 000 euros, correspondant à 35 % du montant de la créance réclamée par la banque, devant venir en compensation avec le montant des sommes dues par M. [S] en exécution de son engagement de cautionnement.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il a fixé la perte de chance de ne pas contracter à la somme de 10 000 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'intimée sera donc condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont été contraintes d'engager dans la présente instance pour assurer la défense de leurs intérêts.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire d'Auxerre du 6 avril 2021, sauf en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnisation allouée à M. [B] [S] au titre de la perte de chance de ne pas contracter à la somme de 10 000 euros et à préciser que la condamnation prononcée à son encontre au titre de son engagement de cautionnement est limitée à la somme de 327 547,84 euros ;

Statuant à nouveau du chef de la décision infirmée et y ajoutant,

CONDAMNE la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à payer à M. [B] [S] la somme de 65 000 euros au titre de son préjudice résultant de la perte de chance de ne pas souscrire l'engagement de caution du 7 septembre 2007 ;

CONDAMNE la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté aux entiers dépens;

REJETTE toute autre demande.

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