Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-17.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Canivet-Beuzit
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Waquet, Farge et Hazan
Vu leur connexité, joint les pourvois n° J 13-17. 287 et K 13-17. 288 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la Société générale (la banque) a, le 31 mars 2006, consenti à la société Jean et Dominique X... (la société) un prêt de 200 000 euros, dont MM. Jean et Dominique X..., ses dirigeants, se sont rendus cautions, chacun à concurrence de 130 000 euros ; que ceux-ci se sont par ailleurs portés avalistes d'un billet à ordre d'un montant de 112 500 euros, souscrit par la société en contrepartie d'un crédit de trésorerie consenti par la banque ; que la société ayant été mise en redressement judiciaire le 30 juin 2009, la caisse a assigné MM. X... qui ont recherché sa responsabilité pour soutien abusif ;
Sur les seconds moyens des deux pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que MM. X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à verser à la banque la somme de 113 267, 41 euros avec intérêts au taux de 7, 25 % à compter du 2 septembre 2009 au titre du billet à ordre et celle de 121 434, 25 euros avec intérêts au taux de 8, 20 % à compter du 3 novembre 2009 au titre du prêt et d'avoir rejeté leurs demandes de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige, tel qu'il est fixé par les conclusions respectives des parties ; qu'en l'espèce, MM. X..., après avoir rappelé dans leurs conclusions d'appel que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, faisait valoir qu'il était fondé à demander réparation de la faute délictuelle que constituait, à son égard, le manquement de la banque à ses obligations contractuelles envers la société pour avoir octroyé un crédit à cette emprunteuse non avertie sans l'avoir mise en garde sur ses capacités financières et son endettement ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que MM. X... n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de l'établissement de crédit pour manquement à son obligation de mise en garde, au motif essentiel que MM. X... étaient informés des difficultés susceptibles d'être rencontrées par l'entreprise et des risques encourus, la cour d'appel, qui n'a pas statué sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde envers l'emprunteur, mais sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde envers les cautions, qui n'était pas invoqué, a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ que l'auteur d'une faute qui a causé un dommage est tenu à entière réparation envers la victime, une faute de celle-ci pouvant seule l'exonérer en partie quand cette faute a concouru à la production du dommage ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour écarter toute responsabilité de la banque envers MM. X..., tiers aux concours bancaires accordés par celle-ci à la société, sur le fait qu'ils auraient eu connaissance de la situation de la société cautionnée ou pour laquelle il se sont portés avalistes, lors de leur engagement, sans caractériser en quoi cette connaissance constituait une faute de nature à exonérer la banque de sa responsabilité délictuelle à leur égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que MM. X..., exerçant depuis 1975 une activité d'ébénisterie et de fabrication industrielle de meubles et ayant pris, en 1995, la direction et le contrôle de l'entreprise fondée par leur père, étaient des professionnels expérimentés dans leur domaine de compétence et avaient connaissance des bilans et résultats de la société ; qu'ayant ainsi fait ressortir que cette dernière, par l'intermédiaire de ses dirigeants, professionnels avertis, était elle-même un emprunteur averti, de sorte que la banque, dont il n'est ni allégué ni démontré qu'elle aurait disposé sur ses revenus d'informations qu'elle même aurait ignorées, n'était pas tenue à son égard d'un devoir de mise en garde, la cour d'appel, sans méconnaître les termes du litige, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur les premiers moyens des pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation ;
Attendu que pour condamner MM. X... à verser à la banque la somme de 121 434, 25 euros avec intérêts au taux de 8, 20 % à compter du 3 novembre 2009 au titre du prêt, et rejeté leurs demandes de dommages-intérêts et de délais de paiement, l'arrêt retient que la banque disposait d'une déclaration afférente à leur patrimoine signée par eux en 2003, faisant apparaître qu'ils étaient, chacun, propriétaire d'un immeuble d'une valeur respective de 360 000 et 380 000 euros et de 45 % des actions de la société, dont les fonds propres s'élevaient à 1 268 000 euros au 31 mars 2006, ainsi que titulaires, dans ses livres d'un compte courant d'un montant d'au moins 124 000 euros ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les cautionnements litigieux, souscrits le 24 mars 2006, n'étaient pas, à cette date, manifestement disproportionnés aux biens et revenus de MM. X..., quand ceux-ci faisaient valoir qu'ils avaient souscrit entre 2003 et 2006 d'autres engagements auprès d'un pool d'établissements dont faisait partie la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils ont condamné MM. X... à payer à la banque la somme de 121 434, 25 euros avec intérêts au taux de 8, 20 % à compter du 3 novembre 2009 à raison du prêt, les arrêts rendus le 28 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée ;
Condamne la Société générale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;