CA Versailles, ch. com. 3-2, 21 octobre 2025, n° 24/02642
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 36E
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 21 OCTOBRE 2025
N° RG 24/02642 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WP2D
AFFAIRE :
S.A.R.L. [15]
...
C/
[B] [H]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Mars 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre : 01
N° RG : 2023F02422
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Dan ZERHAT
Me Laurence HERMAN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTS :
S.A.R.L. [15]
n° Siret : [N° SIREN/SIRET 11] RCS [Localité 24]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 13]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078064
Plaidant : Me Daphné BES DE BERC de la SELEURL DAPHNE BES DE BERC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0030
S.A.S. [14]
n° Siret : [N° SIREN/SIRET 7] RCS [Localité 24]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 13]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078064
Plaidant : Me Daphné BES DE BERC de la SELEURL DAPHNE BES DE BERC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0030
****************
INTIMES :
Monsieur [B] [H]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 25]
[Adresse 8]
[Localité 17] France
Représentant : Me Laurence HERMAN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Plaidant : Me Christelle VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.R.L. SOCIÉTÉ [30], absorbée par S.A.R.L. SOCIÉTÉ [21]
représentés par Me Laurence HERMAN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Me Christelle VERRECCHIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.R.L. SOCIÉTÉ [21]
n° SIRET : [N° SIREN/SIRET 5] RCS [Localité 29]
Ayant son siège
[Adresse 10]
[Localité 6]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
représentés par Me Laurence HERMAN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Me Christelle VERRECCHIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.S. [19] ayant son siège social [Adresse 9], prise en la personne de La SELARL [K] [C], intervenant en qualité de mandataire ad hoc désignée à cette fonction par ordonnance du Tribunal de commerce de Nanterre du 19 décembre 2023
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4] RCS [Localité 24]
[Adresse 2]
[Localité 12]
Défaillante - déclaration d'appel signifiée à personne habilitée
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2025, Monsieur Cyril ROTH, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Véronique PITE, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Rosanna VALETTE
Greffier, lors du délibéré : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Créée en 2009, la SAS [19] exerce une activité d'audit et de conseil dans le domaine de l'énergie.
Son capital est détenu :
- Pour moitié par M. [H] et par la société [21] dont il a le contrôle ;
- Pour moitié par M. [D] et par la société [14] dont il a le contrôle.
Le 12 octobre 2021, l'assemblée générale de la société [19] a nommé président la société [30], contrôlée par M. [H], et directeur général la société [15], contrôlée par M. [D].
Le 25 septembre 2023, la société [30] a signifié à la société [15] sa révocation.
Le 19 décembre 2023, le président du tribunal de commerce de Nanterre a autorisé les sociétés [14] et [15] à assigner à bref délai M. [H], les sociétés [30], [21] et [19] en réparation du préjudice causé par la révocation abusive de la société [15] et, pour obtenir, agissant ut singuli au nom de la société [19], réparation des fautes de la société [30], ainsi que la désignation d'un administrateur provisoire.
Le 20 décembre 2023, à la requête des sociétés [14] et [15], ce juge a nommé la société [K] [C] mandataire ad hoc de la société [19] pour la représenter à la procédure.
Le 27 décembre 2023, les société [14] et [15] ont ainsi assigné M. [H] ainsi que les sociétés [30], [21] et [K] [C] devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 20 mars 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- dit la demande de la société [15] de dommages et intérêts irrecevable ;
- dit prescrits les faits allégués de dommageables par la société [14] dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de condamner solidairement la société [30] et M. [H] à payer à la société [19], prise en la personne de la société [K] [C] en sa qualité de mandataire ad hoc, la somme de 1 280 643 euros à titre de dommages intérêts ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de nomination d'un expert judiciaire ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de nomination d'un administrateur provisoire ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de communication des relevés bancaires et des extraits des grands livres de la société [19] pour la période de décembre 2023 à janvier 2024 ;
- débouté M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné solidairement les sociétés [14] et [15] à payer à M. [H] et aux sociétés [30] et [21], chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société [19], prise en la personne de la société [K] [C] en sa qualité de mandataire ad hoc, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné solidairement les sociétés [14] et [15] aux dépens.
Le 25 avril 2024, les sociétés [15] et [14] ont interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'il a débouté M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et a débouté la société [19] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 8 janvier 2025 a été publiée au registre du commerce et des sociétés l'annonce de dissolution de la société [30] à effet du 1er janvier 2024 et de la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société [21].
La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2025 et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 23 juin 2025.
Le 13 juin 2025, le conseiller de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture et reporté l'audience au 8 septembre 2025.
La clôture a été à nouveau prononcée le 4 septembre 2025.
Par dernières conclusions du 6 juin 2025, les sociétés [14] et [15] demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris et,
Statuant de nouveau :
- déclarer recevables les demandes formées par la société [15] au titre de sa révocation abusive de ses fonctions de directeur général ;
- condamner solidairement les sociétés [19] et [21], en ce qu'elle vient aux droits et obligations de la société [30], et M. [H] à payer à la société [15] la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- condamner solidairement la société [21], en ce qu'elle vient aux droits et obligations de la société [30], et M. [H] à payer à la société [19] à titre de dommages-intérêts les sommes de :
- 32 600 euros au titre du surplus de rémunération fixe et de la prime que s'est octroyée la société [30] en violation des statuts, augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 38 790 euros au titre des dépenses non validées par le directeur général relatives au contrat conclu avec la société [28], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 40 600 euros au titre de la part de la rémunération des assistantes de la société d'[19] qui aurait dû être refacturée à la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 70 774 euros - ou à tout le moins 68 329 euros s'il devait être tenu compte de l'avantage octroyé par la mise à disposition par la société [18] de la salle de conférence et l'espace restauration - au titre de la part du coût des locaux de la société [19] qui aurait dû être refacturée à la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 33 477,09 euros au titre de la perte de chance pour la société [19] de faire fructifier les 360 707,75 euros de trésorerie mobilisés au profit de la société [18] ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération versée par la société [19] à M. [H] puis à la société [30] qui aurait dû être supportée par la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 456 249 euros à parfaire, au titre de la perte de marge brute d'ores et déjà subie par la société [19] résultant de la perte de clients et de salariés en lien avec la révocation de son directeur général ;
A titre subsidiaire,
- nommer un expert avec pour mission d'évaluer l'entier préjudice subi par la société [19] en raison des fautes commises par la société [30] ;
- désigner tel administrateur provisoire qu'il plaira avec un mandat général de représentation et de gestion de la société [19], ayant notamment pour mission à ce titre de :
- veiller à l'intérêt social de la société [19] et à la préservation de ses actifs ;
- assurer la bonne gestion de la société [19] ;
- prendre tous les actes conservatoires et d'administration nécessaires ;
- représenter la société [19] en justice dans toutes les éventuelles actions judiciaires actuelles ou futures l'impliquant ;
- réunir les actionnaires de la société en assemblée générale, dans les six mois de sa désignation, afin de nommer un nouveau président de la société ; ou concilier les actionnaires de la société [19] afin de rechercher une solution durable au conflit les opposant ;
- et dont la mission prendra fin une fois qu'un nouveau président de la société [19] aura été nommé ;
- condamner M. [H] et la société [21] in solidum à supporter l'entière charge de la rémunération de l'administrateur provisoire à fixer par la cour ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] à leur payer la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] aux entiers dépens de première instance ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté :
- M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- la société [19] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter les sociétés [19], [30] et [21] ainsi que M. [H] de leurs demandes, fins et prétentions ;
- condamner in solidum la société [21] et M. [H] à leur payer la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] aux entiers dépens de l'appel.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 15 juillet 2025, M. [H] et les sociétés [30] et [21] demandent à la cour de :
Sur les demandes au titre de la révocation de la société [15] de ses fonctions de Directeur Général :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes présentées contre la société [19] représentée par M. [C], en sa qualité de mandataire ad hoc ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [15] de sa demande tendant à voir condamner M. [H] et la société [30], solidairement avec la société [19], à lui verser une somme de 250 000 euros titre de sa révocation prétendument abusive ;
- en conséquence, débouter la société [15] de sa demande tendant à obtenir une somme de 250 000 euros au titre de sa prétendue révocation abusive ;
Sur les demandes formées ut singuli au titre des prétendues violations des statuts et fautes de gestion :
- confirmer le jugement en qu'il a déclaré prescrits les faits allégués de dommageables par la société [14] dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 et l'a déboutée du surplus de ses demandes ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [14] de ses demandes liées aux prétendues violations des statuts et fautes de gestion solidairement contre eux au profit de la société [19] pour la somme globale de 1 280 643 euros à titre de dommages et intérêts au titre de :
- la rémunération du président et de l'octroi de l'augmentation ;
- la prime perçue ;
- la rémunération des assistantes de la société [19] ;
- l'absence de refacturation à la société [18] des locaux mis à sa disposition ;
- l'intervention de la société [28] ;
- la gestion de trésorerie et de prestations envers la société [18] ;
- la perte de marge brute en lien avec la révocation du directeur général, la société [15] ;
- débouter la société [14] de ses demandes formées à nouveau devant la cour tendant à leur condamnation solidaire à payer à la société [19] les sommes de, toutes augmentées d'un intérêt au taux de 4 % :
- 32 600 euros au titre du surplus de rémunération fixe et de la prime ;
- 38 790 euros au titre des dépenses relatives au contrat conclu avec la société [28] ;
- 40 600 euros au titre de la part de la rémunération des assistantes de la société [19] qui aurait dû être refacturée à la société [18] ;
- 70 774 euros ou à tout le moins 68.329 euros au titre de la part du coût des locaux d'E-nergy qui aurait dû être refacturée à la société [18] ;
- 25 565,94 euros au titre de la perte de chance pour la société [19] de faire fructifier les 282 885 euros de trésorerie mobilisés au profit de la société [18] ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération versée par la société [19] à M. [H] puis à la société [30] qui aurait dû être supportée par la société [18] ;
- 456 249 euros à parfaire, au titre de la perte de marge brute d'ores et déjà subie par la société [19] résultant de la perte de clients et de salariés en lien avec la révocation de son directeur général ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération de M. [H] puis de la société [30] ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [14] de sa demande subsidiaire en désignation d'un expert judiciaire aux fins d'évaluation du prétendu préjudice subi par la société [19] en lien avec les prétendues fautes de gestion ;
Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à voir désigner un administrateur provisoire avec un mandat général de représentation et de gestion ;
- par conséquent, débouter les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à voir désigner un administrateur provisoire avec un mandat général de représentation et de gestion ;
- subsidiairement, débouter les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à les voir supporter l'entière charge de la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Sur l'appel incident tendant à voir condamner [14] et [15] au paiement d'une indemnité pour procédure et appel abusifs,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté les défendeurs de leur demande tendant à obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
- condamner in solidum les sociétés [14] et [15] à verser une somme de 10 000 euros à chacun des intimés à titre de dommages et intérêts, sans préjudice d'une amende civile complémentaire ;
En tout état de cause,
- débouter les sociétés [15] et [14] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner les sociétés [15] et [14] in solidum à verser 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société [19] le 26 juin 2024 par remise à personne habilitée. Les conclusions des appelantes lui ont été signifiées le 14 août 2024 par dépôt à l'étude. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
1. Sur la recevabilité de la demande indemnitaire dirigée contre la société [19]
Les appelantes prétendent qu'en déclarant irrecevable la demande indemnitaire formulée par la société [15] , le tribunal a violé le principe de la contradiction, le principe de la personnalité juridique des personnes morales et l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance du 19 décembre 2023 désignant la société [K] [C] ; que la mission de ce mandataire ad hoc couvre toutes les demandes formulées contre la société [19] au cours de l'instance.
Les intimés soutiennent que l'intervention du mandataire ad hoc prévue à l'article R. 223-32 du code de commerce est limitée aux actions sociales et aux cas de conflits d'intérêts ; que l'action en indemnisation pour révocation dirigée contre la société [19] n'est pas une "action sociale" car elle est dirigée contre la société elle-même, non contre ses dirigeants ; qu'elle aurait dû être dirigée contre la société [19] en la personne de sa représentante légale, la société [30] ; qu'il n'existe pas de risque de conflit d'intérêts entre la société [19] et, sa représentante légale ; que les parties ont pu présenter leurs observations sur l'irrecevabilité relevée par le tribunal.
Réponse de la cour
L'article R. 225-170 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées, dispose que lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs actionnaires, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 225-169, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux ; que le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux.
Si l'ordonnance désignant la société [K] [C] a été prise le 19 décembre 2023 au visa de ce texte, elle ne comporte, dans son dispositif, aucune restriction liée à son application, le mandataire ad hoc ayant été désigné pour représenter la société [19] dans le cadre de l'instance à venir sur l'assignation à délivrer par les sociétés [15] et [14].
L'action des sociétés [14] et [15] est donc recevable en ce qu'elle est dirigée contre la société [19], représentée par la société [K] [C], désignée à cet effet.
Au demeurant, la société [21] ne se présente pas, dans ses conclusions, comme agissant autrement qu'en son nom personnel.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme mal dirigée la demande de dommages-intérêts formulée par la société [15] à raison des conditions de sa révocation.
2. Sur le caractère abusif de la révocation
Les appelantes font valoir que la société [15], ès qualités, n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations avant la décision de révocation ; que l'entretien préalable du 19 septembre 2023 n'était qu'un simulacre ; qu'elle a été privée d'accès au réseau informatique de la société dès le 7 septembre 2023 et de son pouvoir d'émettre des paiements dès le 12 septembre 2023 ; que la publication intégrale du procès-verbal de révocation au registre du commerce et des sociétés est vexatoire.
Les intimés exposent que les statuts de la société [19] prévoient que le directeur général est révocable à tout moment par le président ; que la société [14] a pu s'exprimer avant cette décision ; que la révocation n'a pas été brutale ni accompagnée de propos malveillants ; que les clients n'ont pas été informés ; que si la société [15] a été privée de son accès informatique, c'était en raison d'actions non conformes ; que la publication intégrale du procès-verbal ne caractérise aucune intention de nuire.
Réponse de la cour
L'article L. 227-5 du code de commerce, rendu applicable aux sociétés par actions simplifiées par les dispositions de l'article L. 227-1 du même code, dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée.
Les statuts de la société par actions simplifiées fixent ainsi notamment les modalités de révocation de son dirigeant (Com., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.382).
Lorsqu'un dirigeant est révocable à tout moment, le bien-fondé des motifs de la révocation n'a pas à être apprécié par le juge (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650) ; même dans ce cas, il peut réclamer l'indemnisation de son préjudice lorsqu'il est révoqué dans des circonstances brutales ou vexatoires.
La révocation n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation (Com., 14 mai 2013, n° 11-22.845, publié).
L'absence de déloyauté s'évince de la possibilité pour le dirigeant de s'expliquer sur les griefs dont il fait l'objet (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650).
Est abusive la révocation d'un dirigeant sans que celui-ci ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations (Com., 11 octobre 2023, n° 22-12.361).
Inversement, le principe de la contradiction n'est pas violé si le dirigeant a été mis en mesure de présenter ses observations sur le ou les griefs qui lui ont été opposés, quand bien même il n'aurait disposé que d'un délai de quatre jours pour les préparer (Com., 12 décembre 2018, n° 16-15.217).
L'article Vingt Deux des statuts de la société [19] se borne à stipuler que le directeur général est révocable par le président à tout moment.
Le 14 septembre 2023, par courriel et lettre recommandée avec accusé de réception, la société [30], en qualité de président, a signifié à la société [15] que la révocation de son mandat de directeur général était envisagée, en raison de la baisse significative du résultat net de la société, de la baisse du chiffre d'affaires, de grandes difficultés concernant les ressources humaines, de l'absence de développement de l'activité commerciale.
Par cette lettre, la société [15] était invitée à un entretien préalable à la révocation, dont il est constant qu'il s'est tenu le 19 septembre suivant.
A la suite de cet entretien, le 25 septembre 2023, la société [30], ès qualités, a décidé de révoquer la société [15], pour les motifs prévus à la lettre du 14 septembre précédant ; elle lui a notifié cette décision par courriel et lettre recommandée avec accusé de réception du même jour.
Dans ces conditions, la cour retient que le processus de révocation litigieux ne comporte aucune atteinte au principe de la contradiction et qu'il ne peut être qualifié de brutal.
Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la cour n'a pas à apprécier l'exactitude des motifs de la décision de révocation.
Les différentes pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir de man'uvre concomitante à la révocation en cause, imputable à la société [19], de nature à nuire à l'image de la société [15] auprès des salariés ou des clients de l'entreprise.
En revanche, il n'est pas contesté qu'avant la révocation, le 7 septembre 2023, la société [15] s'est vue couper son accès au réseau informatique de la société ; que le 11 septembre 2023, elle a été privée de son numéro de téléphone professionnel, puis, le 12 septembre 2023, de sa faculté d'émettre des paiements au nom de la société.
Aucun pouvoir de nature disciplinaire du président sur le directeur général ne résultant des statuts de la société, le fait d'avoir privé le directeur général de ses principaux instruments de travail dans les trois semaines ayant précédé sa révocation doit être considéré comme injustifié et vexatoire.
De même, si, selon l'article R. 123-54 du code de commerce, une société commerciale doit déclarer au registre du commerce et des sociétés le nom de ses dirigeants, la société [19] n'était pas tenue de publier au registre du commerce et des sociétés, comme elle l'a fait, l'intégralité de la décision de son président du 25 septembre 2023 portant révocation de la société [15] et en mentionnant les motifs ; cette publication ne peut être comprise que comme procédant d'une volonté de nuire à la réputation de la société [15] et de son dirigeant.
De ces fautes, il est résulté pour la société [15] un préjudice qui sera justement évalué à la somme de 50 000 euros.
3. Sur l'action ut singuli
3.1 Sur la prescription de l'action
Le tribunal a retenu que, l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 27 décembre 2023, les faits dommageables allégués dont la survenance ou la révélation étaient antérieures au 27 décembre 2020 étaient prescrits.
Les appelantes soutiennent que le fait dommageable n'est pas la signature de la convention de trésorerie du 8 juillet 2020, mais sa mise en 'uvre ; que les faits dommageables n'ont été révélés que le 4 avril 2021, date du premier virement en faveur de [18], s'agissant des avances en compte courant d'associé ; que le 31 mars 2021, date de la première refacturation, s'agissant des avances de charge ; que les comptes de l'exercice 2023 n'ont pas été approuvés.
Les intimés font valoir que la convention de trésorerie a été signée le 8 juillet 2020 ; que dès cette date, la société [14] avait connaissance de ses modalités ; qu'il n'existe pas de dissimulation, les comptes annuels ayant été approuvés ; que tous les faits dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 sont prescrits, à savoir les avances en compte courant d'associé et les avances de charges de 2018 et de 2019 ; qu'ainsi, la demande formulée au titre des avances en compte courant d'associé et des prélèvements en compte fournisseur au profit de [18] est irrecevable comme prescrite pour les sommes payées en 2018 et 2019, faisant notamment valoir que la convention de trésorerie de 2020 a été co-signée par M. [D] ; que toutes les avances et prélèvements ont été intégralement remboursés ; qu'il n'y a eu aucune dissimulation ; que les associés ont donné quitus à M. [H] de sa gestion en approuvant les comptes de l'exercice 2023 ; qu'il n'existe pas de préjudice lié aux fautes alléguées ; que la convention de découvert en compte auprès de la [27] devait être renégociée, ce qui est sans lien avec les faits allégués.
Réponse de la cour
L'article L. 225-254 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées, dispose que l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Le 8 juillet 2020, les sociétés [19], représentée par M. [H], et [16], depuis devenue [18], également représentée par M. [H], ont conclu une convention prévoyant la possibilité de se faire l'une à l'autre, de façon exceptionnelle, des avances de trésorerie.
Selon l'extrait de grand livre de la société [19] produit par les appelantes (pièce 56), l'une de ces avances est intervenue au profit de la société [18] le 31 octobre 2018, d'un montant de 10 150 euros, une seconde le 31 décembre 2019, d'un montant de 1 872,94 euros. La comptabilité était accessible à la société [15], directeur général. L'action introduite à raison de ces prélèvements le 27 décembre 2023 est ainsi prescrite. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a décidé que l'action ut singuli était en partie prescrite, pour les faits antérieurs au 27 décembre 2020.
3.2 Sur le bien-fondé de l'action
Selon les articles L. 225-251 et L. 225-252 du code de commerce, applicables aux sociétés par actions simplifiées, les administrateurs et le directeur général sont responsables envers la société, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ; les actionnaires peuvent individuellement exercer cette action sociale en responsabilité.
3.2.1 Sur l'augmentation de la rémunération du président et sa prime
Les appelantes reprochent à la société [30] d'avoir violé les statuts en augmentant unilatéralement sa rémunération de 500 euros par mois et en s'octroyant au titre de 2023 une prime de 32 600 euros alors que les résultats de l'entreprise étaient négatifs.
Les intimés soutiennent que l'augmentation de la rémunération du président de la société n'était qu'une indexation autorisée par les statuts ; qu'en tout état de cause, la société [30] a remboursé la somme de 4 500 euros, de sorte qu'il n'existe pas de préjudice ; que l'octroi d'une prime au président était conforme à la décision des associés du 22 octobre 2021 et motivée par les résultats bénéficiaires de 2022 ; que les comptes de 2023 ont été approuvés par les associés.
Réponse de la cour
L'article 21 des statuts de la société prévoit que le président pourra percevoir une rémunération librement fixée par décision collective des associés ; que toute modification de cette rémunération sera également décidée par décision collective des associés, à l'exception toutefois, le cas échéant, des effets de toutes clauses d'indexation de cette rémunération, comme du calcul, s'il y a lieu, de la part variable de la rémunération du président, calcul dont les modalités devront être portées à la connaissance des associés par tout moyen utile.
Il est constant que la décision de la société [30] d'augmenter sa rémunération de 500 euros HT par mois a pris effet le 1er janvier 2023.
Il n'est pas allégué que cette rémunération ait fait l'objet d'une décision des associés prévoyant le principe de son indexation.
La décision d'augmentation litigieuse aurait donc dû être précédée d'une décision collective des associés ; ne l'ayant pas été, elle a violé les statuts.
Toutefois, il est constant que les sommes perçues à ce titre par la société [30] entre janvier et octobre 2023 ont été remboursées à la société.
Ce montant étant minime, il n'existe pas de préjudice subsistant, même de trésorerie, appelant indemnisation, ce qu'a retenu à juste titre le tribunal.
Le 22 octobre 2021, les associés ont décidé qu'en fonction des résultats de l'entreprise, le président pourrait percevoir une rémunération variable dans la limite de 40 000 euros HT.
Toutefois, la fixation du montant de cette rémunération variable, ou prime, supposait, en application de l'article 21 précité des statuts, une décision préalable des associés, quels que soient les résultats de l'exercice au titre duquel la prime était due ou la situation économique de l'entreprise.
Les intimés n'établissent pas l'existence d'une telle décision.
Or il résulte des pièces produites qu'en 2023, la société [30] s'est versée à titre de prime ou rémunération variable un montant total de 32 600 euros HT.
En se versant cette prime sans une telle décision, la société [30] a méconnu les statuts.
Le préjudice causé par cette faute est d'un montant égal à celui de la somme versée.
Elle sera en conséquence condamnée à rembourser cette somme à la société [19].
3.2.2 Sur les prestations facturées par la société [28]
Les appelantes font valoir qu'en mai 2023, la société [28] a proposé à la société [19] des prestations d'un montant exorbitant ; que malgré les réserves du directeur général, le contrat a été passé avec cette société ; que les dépenses correspondantes n'ont pas été validées par le directeur général, en contravention avec l'article 24 des statuts, pour un montant total de 38 790 euros ; que l'entreprise a perdu une chance de faire fructifier la trésorerie dont elle a ainsi été privée, ce qui justifie que cette somme soit assortie d'un intérêt de 4%.
Les intimés soutiennent que la société [15] a expressément accepté le principe du contrat avec [28] ; que la facturation mensuelle de [28] ne dépassait pas le seuil de 10 000 euros prévu aux statuts ; qu'elle correspondait à des missions distinctes ; que la dépense a été effectuée dans l'intérêt de la société.
Pour écarter la demande de ce chef, le tribunal a retenu l'existence d'une faute, mais l'absence de préjudice pour l'entreprise.
Réponse de la cour
L'article 24 des statuts stipule que pour tous les actes de gestion ou d'administration, le président et le directeur général peuvent agir seuls à l'exception des décisions emportant un engagement de la société pour une somme supérieure à 10 000 euros TTC qui requiert l'accord conjoint du président et du directeur général.
D'un courriel du 23 mai 2023, il résulte que la proposition de confier la réalisation de prestations diverses à la société [28] a été présentée la veille en comité de direction (Codir) par le président de la société [19].
De ce courriel, il résulte encore que le directeur général a donné son accord de principe à la conclusion d'un contrat avec cette société, à titre d'essai, en connaissance de cause de ses tarifs horaires.
Il est constant que les factures de ce prestataire ont toutes été acquittées par l'entreprise sur ordre du président, sans accord préalable du directeur général.
Parmi les factures produites, deux sont d'un montant supérieur au seuil prévu par les statuts : celle du 31 août 2023, de 10 200 euros TTC ; celle du 13 octobre 2023, de 10 800 euros TTC.
Mais aucune des parties ne produit la proposition commerciale initiale de [28], de sorte qu'il n'est pas possible à la cour de déterminer si la prestation envisagée était dès l'origine de nature à emporter une facturation totale d'un montant supérieur à 10 000 TTC.
Il sera donc retenu, le directeur général ayant donné son accord à la conclusion du contrat litigieux au vu d'un devis chiffré et en connaissance de cause de la nature de la prestation envisagée, que les appelantes n'établissent pas la preuve leur incombant d'une violation des statuts par le président lié à l'acquittement des factures présentées par ce prestataire.
Le jugement entrepris sera donc approuvé en ce qu'il a écarté la demande de ce chef.
3.2.3 Sur la prise en charge des salaires des assistantes
Les appelantes font valoir que M. [H] est associé de la société [18] au travers de sa holding et prétendent que la société [30] a mis à la charge de la société [19] la rémunération de deux assistantes ayant travaillé pour [18], de 2021 à 2023, à hauteur de 40 600 euros.
Les intimés soutiennent que parmi les assistantes, Mme [T] ne s'est jamais vu confier de mission spécifique à [18] hormis celles liées à la mutualisation des dépenses communes avec [19] ; que de même, les tâches confiées à Mme [O] à compter de septembre 2023 ont été mutualisées avec celles réalisées pour [19] ; que le grand livre produit montre des refacturations.
Réponse de la cour
Il n'est pas contesté que Mme [T] a été salariée en qualité d'" office manager " par la société [19] de juillet 2021 à juin 2023, Mme [O] à compter de juillet 2023.
Les faits reprochés par les appelantes à la société [30] sont de 2021 pour les plus anciens.
Il résulte suffisamment de l'attestation de Mme [T] datée du 20 avril 2024 que celle-ci a accompli diverses tâches pour le compte de [18]. Par un mail du 5 septembre 2023, M. [H] a dressé à Mme [O] une liste circonstanciée des tâches que celle-ci devait accomplir pour [18], parmi lesquelles la plupart ne correspondent pas à des tâches pouvant être considérées comme mutualisées ou mutualisables avec celles accomplies pour la société [19].
Les appelantes produisent (pièces 118 et 123) l'ensemble des factures adressées par [19] à [18] entre 2021 et 2023. Aucune des sommes refacturées ne correspond à la rémunération de l'assistante. Ces productions sont cohérentes avec les extraits de grand livre produits (pièces 56 et 86 des appelantes).
Il est ainsi établi que les deux assistantes successives salariées par la société [19] ont consacré une partie de leur activité à la société [18] sans refacturation.
Cette absence de refacturation doit être imputée à faute à la société [30], compte tenu des liens capitalistiques qui l'unissaient à la société [18].
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la demande de ce chef et d'allouer à la société [19], à ce titre, au vu des pièces produites, la somme de 30 000 euros.
Sur la mise à disposition de locaux à la société [18]
Les appelantes soutiennent qu'entre 2021 et 2023, la société [18] a occupé 20% des locaux pris à bail par [19], sans refacturation ; que le préjudice correspondant doit être évalué à 70 774 euros, à défaut à 68 329 euros.
Les intimés font valoir que cette situation connue de la société [15] n'a jamais été dénoncée avant sa révocation.
Réponse de la cour
Il est constant que la société [15] avait connaissance, dès l'origine, de l'utilisation par la société [18] d'une partie des locaux pris à bail par la société [19] à [Localité 17] ; qu'aucune somme n'a jamais été refacturée par [19] à [18] à ce titre.
En sa qualité de directeur général, la société [15], qui a approuvé les comptes 2021 et 2022 entérinant cette absence de refacturation, est ainsi tout autant responsable que le président de la société [19] de la faute de gestion qu'elle constitue.
Son action ut singuli de ce chef doit en conséquence être écartée et le jugement entrepris approuvé en ce qu'il l'a rejetée.
3.2.4 Sur les avances en compte courant d'associé et les prélèvements en compte fournisseur au profit de [18]
Les appelantes soutiennent que la [30] a fait octroyer par la société [19] à la société [18] des avances en compte courant d'associé de 192 000 euros et des prélèvements en compte fournisseur de 168 707,75 euros, sans fixation d'un plan de remboursement ni prise de garantie ; que cette situation a privé la société [19] de la trésorerie correspondante ; que le fait dommageable ne réside pas dans la convention de trésorerie du 8 juillet 2020, mais dans sa mise en 'uvre, qui n'a été révélée que le 4 avril 2021 pour les avances en compte courant d'associé et le 31 mars 2021 pour les avances de charge ; qu'elles n'ont pas donné quitus au président de ces fautes de gestion ; que le préjudice causé à la société [19] est évalué à 4% du montant total en cause, soit à 33 477,09 euros ; qu'en raison de ce manque de trésorerie, la société [19] a été contrainte de négocier avec sa banque une autorisation de découvert en octobre 2022 et de faire régler ses salaires par sa filiale [20].
Réponse de la cour
Il n'est pas contesté que la convention de trésorerie du 8 juillet 2020 a été co-signée par M. [D], ce dont il résulte que les sociétés [14] et [15] avaient agréé le principe des avances litigieuses.
Il n'est pas contesté que les avances consenties à la société [18] après le 27 décembre 2020 l'ont été en application de cette convention, ni qu'elles ont été remboursées.
Il ne résulte pas des comptes et liasses fiscales produites que les avances faites à [18] aient placé la société [19] en difficulté en 2020, 2021 ou 2022. S'il est établi que, le 15 septembre 2023, la [27] a dénoncé l'autorisation de découvert précédemment consentie à la société [19], cette perte de confiance ne peut être imputée aux mouvements de trésorerie entre cette société et [18]. Enfin, les avances de trésorerie faites en novembre 2023 par la société [20] ([20]) à la société [19] ne peuvent être reliées de manière directe aux mouvements dénoncés.
La faute de gestion imputée à la société [30] n'est donc pas établie, quand bien même son dirigeant aurait indirectement profité de ces facilités de trésorerie en qualité d'associé de la société [18].
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli au titre de ces avances.
3.2.5 Sur la rémunération du président
Les appelantes font valoir que la rémunération de la société [30] en tant que président, soit 134 400 euros en 2022, était décorrélée de son implication effective dans l'activité de la société, équivalente à 15 à 20% de son temps ; qu'il a perçu en outre des remboursements de frais d'un montant important (30k€ en 2022) ; que ces paiements indus ont entraîné entre 2019 et 2023 pour l'entreprise un préjudice de 617 410 euros.
Les intimés soulignent que la rémunération d'YL Consulting était deux fois inférieure à celle de [15] ; que la rémunération d'YL Consulting a été approuvée par les associés ; qu'elle a généré 65% du chiffre d'affaires.
Réponse de la cour
L'article 21 précité des statuts de la société [19] prévoit que le président pourra percevoir une rémunération librement fixée par décision collective des associés.
Il n'est pas contesté que la rémunération fixe que les appelantes reprochent à la société [30] d'avoir perçue au titre de son activité de président a, conformément à cette disposition statutaire, été arrêtée collectivement par les associés de la société [19], en particulier par la décision unanime du 22 octobre 2021, autrement dit qu'elle n'a pas été décidée unilatéralement par la société [30].
Il est constant que cette rémunération ne correspondait pas à un temps complet de M. [H] au profit de la société [19], mais ni la décision du 22 octobre 2021, ni aucune autre pièce n'établit que les associés étaient convenus que cette rémunération correspondait à une fraction donnée de son temps de travail ; le président de la société [19] était au reste non M. [H], personne physique, mais la société [30], personne morale, à l'égard de qui cette notion de temps de travail ne peut être appliquée.
L'inefficacité commerciale alléguée de la société [30] ne peut constituer une faute de gestion de nature à justifier dans son principe une action ut singuli.
La comparaison entre les montants des frais remboursés au président et respectivement au directeur général de la société [19] ne peut, à elle seule, caractériser une faute de gestion imputable à son président.
Les appelantes ne peuvent reprocher à la société [30] de s'être fait rembourser des frais afférents à ses déplacements à [Localité 22], dès lors qu'il est constant que la société [20], filiale de la société [19], y avait des locaux.
Le fait pour le président de la société [19] d'avoir acquitté certaines des dépenses courantes de l'entreprise au moyen de la carte bancaire dont il disposait ne constitue pas une faute de gestion.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli fondée sur l'excès prétendu des rémunérations de la société [30] et de ses remboursements de frais.
3.2.6 Sur la faute de gestion constituée par la révocation de la société [15]
Les appelantes soutiennent que la révocation de la société [15] en qualité de directeur général a été préjudiciable à la crédibilité et à la réputation de la société [19], a emporté une perte de clientèle et la dégradation de sa situation financière ; que cette révocation constitue une faute de gestion imputable au président, qui a causé à la société un préjudice de 456 249 euros correspondant à la perte de marge brute projetée sur trois ans.
Les intimés soutiennent qu'il n'est pas établi que la révocation de la société [15] ait fragilisé la société [19], dont M. [H] est le véritable moteur commercial ; que la perte de la clientèle de [26] est antérieure à la révocation ; que la perte de la clientèle de la [23] ne met pas la société en péril ; qu'elle a signé des contrats avec de nouveaux clients depuis octobre 2023 ; qu'une nouvelle convention de trésorerie a été signée avec la [27] le 14 décembre 2023 ; que la situation financière de la société est stable.
Réponse de la cour
Il a été constaté que les statuts de la société [19] permettaient au président de révoquer son directeur général à tout moment.
Ce principe statutaire de révocation ad nutum exclut par nature que la décision de révocation puisse être imputée à faute à son auteur, sauf abus.
Il n'est au reste pas démontré par les pièces versées aux débats que la société [19] ait périclité après la révocation critiquée du seul fait de cette révocation.
Et par hypothèse, la gouvernance de la société eût été différente si la société [15] en était restée directeur général, ce qui ne peut, en soi, conduire à considérer rétrospectivement que cette révocation était fautive.
Enfin, le préjudice allégué par les appelantes repose dans son chiffrage sur des hypothèses commerciales et financières que la cour n'est pas en mesure de corroborer, fondées sur le postulat invérifiable que seul M. [D] était à même d'assurer le succès de l'entreprise.
Le jugement entrepris doit ainsi être confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli de ce chef.
En conclusion, au vu de ce qui précède, l'action ut singuli de la société [14] sera admise, par voie d'infirmation, au profit de la société [19] à hauteur des sommes de 30 000 euros et de 32 600 euros, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise.
3.2.6 Sur le taux d'intérêt réclamé sur les sommes allouées à la société [19]
Les appelants soutiennent qu'il convient de réparer la perte de chance de faire fructifier la trésorerie correspondant aux sommes dues à la société [19] en assortissant ces condamnations d'un taux d'intérêt de 4%, moyenne des placements de la trésorerie d'entreprise, depuis la date de leur mobilisation jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt à intervenir.
Les intimés prétendent qu'aucun intérêt ne peut assortir ce genre de condamnations ; que de surcroît, la suggestion de l'application d'un taux de 4% ne repose sur rien de sérieux.
Réponse de la cour
L'article 1231-6 du code civil dispose que les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; qu'ils sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte ; que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
Selon l'article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal.
La demande des appelantes tendant à l'application d'un taux d'intérêt de 4% sur les sommes dues à la société [19] au titre de l'action ut singuli entre une date et une autre tend à l'octroi de dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire, calculés sur l'assiette de chacune de ces condamnations. Mais dans le dispositif de leurs conclusions, elles ne précisent pas la date de la mobilisation des fonds qui constituerait le point de départ de la période au titre de laquelle il faudrait calculer cette indemnisation complémentaire.
La demande de ce chef, ne pouvant ainsi être considérée comme chiffrée, doit être écartée.
Les sommes allouées à la société [19] produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, soit à compter du 27 décembre 2023, à défaut de mise en demeure antérieure dont il soit justifié.
4. Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire
Au soutien de cette demande, la société appelante prétend que la société [30] a agi en violation des statuts de la société [19] et contrairement à son intérêt ; que des tensions entre associés sont apparues ; que la révocation de la société [15] a nui à la crédibilité de l'entreprise ; que sa situation financière est critique ; que la société [20], son principal actif, a été cédée en février 2025 sans information des associés ; que les statuts prévoient une majorité des quatre cinquièmes pour certaines décisions essentielles, majorité impossible à atteindre, le capital étant détenu à parts égales par les parties ; que l'administrateur provisoire devra avoir pour mission de faire nommer un nouveau président.
Les intimés font valoir qu'il n'est démontré ni de blocage statutaire ni de péril imminent ; que M. [H] est très impliqué dans la vie de la société ; que le président dispose des pouvoirs nécessaires, que la gouvernance est efficace et la situation financière stable ; que le mandataire ad hoc désigné par le président du tribunal de commerce s'en est rapporté à justice sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire ; subsidiairement, que la mission sollicitée devrait être limitée aux points non résolus par les mécanismes sociaux et mettant la société en péril.
Réponse de la cour
Le juge ne saurait désigner un administrateur provisoire à une société qu'à la double condition d'une paralysie des organes sociaux et d'un péril imminent.
Les intimés démontrent par la production d'un extrait K-bis du 14 juillet 2025 que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la société [19] a retrouvé un président en la personne de la société [21].
Toutefois, son capital social est détenu pour moitié par M. [D] et une société qu'il contrôle, pour moitié par M. [H] et une société qu'il contrôle.
Or, ainsi qu'en témoigne la présente instance, ceux-ci sont en conflit aigu sur la gouvernance de l'entreprise, alors qu'il résulte des articles 29 et 36 de ses statuts que les décisions collectives parmi les plus importantes, notamment de modification du capital social, de fusion, de dissolution, l'approbation des comptes annuels, d'affectation du résultat, de transformation de la forme sociale, doivent être prises à la majorité des voix des associés et que certaines décisions collectives doivent être prises à la majorité des quatre cinquièmes des associés, telles que l'exclusion d'un associé prévue à l'article 15 et la révocation du président prévue à l'article 20.
Se trouve ainsi caractérisée une situation de blocage de nature à paralyser la société dans ses décisions nécessaires d'évolution et d'adaptation de son activité à son marché.
Il n'est pas contesté que pour la première fois en 2023, le résultat de la société [19] a été déficitaire ; qu'en 2024, ses capitaux propres ont chuté en deçà de la moitié de son capital social ; que son commissaire aux comptes a mis en 'uvre une procédure d'alerte auprès du tribunal de commerce ; qu'elle a vendu en février 2025 l'un de ses principaux actifs, savoir sa filiale, la société [20] ; que les conditions financières de cette vente n'ont pas été communiquées à la société [14], associée, malgré sa demande.
Se trouve ainsi caractérisé un péril imminent.
La cour procédera en conséquence à la désignation d'un administrateur provisoire, selon les modalités précisées au dispositif, et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a écarté cette demande. Il est inutile, compte tenu de la répartition du capital de l'entreprise, de lui impartir expressément la mission de faire désigner un nouveau président.
5. Sur la demande indemnitaire
Dès lors que les prétentions des appelantes sont accueillies en partie, leur action ne peut être considérée comme abusive, ni leur appel.
La demande de dommages-intérêts formulée par les intimées doit en conséquence être écartée.
6. Sur les demandes accessoires
En l'absence de production de note d'honoraires, l'équité commande d'allouer aux appelantes l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société [15] en indemnisation de sa révocation abusive, en ce qu'il a écarté en totalité l'action ut singuli, en ce qu'il a rejeté la demande de nomination d'un administrateur provisoire, en ce qu'il a condamné les sociétés [14] et [15] aux dépens et en ce qu'il les a condamnées à payer à M. [H] et aux sociétés [30] et [21] certaines sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit recevable l'action de la société [15] en indemnisation de sa révocation abusive ;
Condamne à ce titre la société [19] à lui verser la somme de 50 000 euros ;
Condamne la société [21] à verser à la société [19] les sommes de 30 000 euros et de 32 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2023, au titre de l'action ut singuli ;
Désigne la société [K] [C] en qualité d'administrateur provisoire de la société [19], avec pour mission de :
- convoquer et présider une assemblée générale en vue de l'approbation des comptes, de la révision éventuelle des statuts, de la nomination d'un directeur général et de la délibération sur toute question souhaitée par l'un des associés ;
- prendre toute mesure utile à la préservation des droits de la société ;
- concilier les actionnaires ;
- représenter la société en justice ;
- dresser de sa mission un rapport adressé aux associés ;
Dit qu'en cas de difficulté dans l'accomplissement de cette mission, de nécessité de la prolonger, de la faire évoluer ou de procéder à son remplacement, l'administrateur provisoire pourra saisir le président du tribunal des activités économiques de Nanterre sur requête ;
Dit que les actionnaires de la société pourront saisir aux mêmes fins le juge des référés du tribunal des activités économiques de Nanterre ;
Fixe à 4 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Dit que cette provision sera versée par la société [14] entre les mains de l'administrateur provisoire dans le délai de deux mois du prononcé du présent arrêt ;
Dit que la mission de l'administrateur provisoire, d'une durée de six mois, débutera au jour du versement de cette provision ;
Dit que les honoraires de l'administrateur provisoire seront taxés sur sa requête par le président du tribunal des activités économiques de Nanterre ;
Rejette la demande de dommages-intérêts ;
Condamne in solidum la société [21] et M. [H] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne in solidum la société [21] et M. [H] à verser à la société [14] et à la société [15] la somme globale de 20 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,
DE
VERSAILLES
Code nac : 36E
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 21 OCTOBRE 2025
N° RG 24/02642 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WP2D
AFFAIRE :
S.A.R.L. [15]
...
C/
[B] [H]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Mars 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre : 01
N° RG : 2023F02422
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Dan ZERHAT
Me Laurence HERMAN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTS :
S.A.R.L. [15]
n° Siret : [N° SIREN/SIRET 11] RCS [Localité 24]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 13]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078064
Plaidant : Me Daphné BES DE BERC de la SELEURL DAPHNE BES DE BERC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0030
S.A.S. [14]
n° Siret : [N° SIREN/SIRET 7] RCS [Localité 24]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 13]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078064
Plaidant : Me Daphné BES DE BERC de la SELEURL DAPHNE BES DE BERC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0030
****************
INTIMES :
Monsieur [B] [H]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 25]
[Adresse 8]
[Localité 17] France
Représentant : Me Laurence HERMAN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Plaidant : Me Christelle VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.R.L. SOCIÉTÉ [30], absorbée par S.A.R.L. SOCIÉTÉ [21]
représentés par Me Laurence HERMAN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Me Christelle VERRECCHIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.R.L. SOCIÉTÉ [21]
n° SIRET : [N° SIREN/SIRET 5] RCS [Localité 29]
Ayant son siège
[Adresse 10]
[Localité 6]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
représentés par Me Laurence HERMAN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253
Me Christelle VERRECCHIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1200
S.A.S. [19] ayant son siège social [Adresse 9], prise en la personne de La SELARL [K] [C], intervenant en qualité de mandataire ad hoc désignée à cette fonction par ordonnance du Tribunal de commerce de Nanterre du 19 décembre 2023
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4] RCS [Localité 24]
[Adresse 2]
[Localité 12]
Défaillante - déclaration d'appel signifiée à personne habilitée
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2025, Monsieur Cyril ROTH, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Véronique PITE, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Rosanna VALETTE
Greffier, lors du délibéré : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Créée en 2009, la SAS [19] exerce une activité d'audit et de conseil dans le domaine de l'énergie.
Son capital est détenu :
- Pour moitié par M. [H] et par la société [21] dont il a le contrôle ;
- Pour moitié par M. [D] et par la société [14] dont il a le contrôle.
Le 12 octobre 2021, l'assemblée générale de la société [19] a nommé président la société [30], contrôlée par M. [H], et directeur général la société [15], contrôlée par M. [D].
Le 25 septembre 2023, la société [30] a signifié à la société [15] sa révocation.
Le 19 décembre 2023, le président du tribunal de commerce de Nanterre a autorisé les sociétés [14] et [15] à assigner à bref délai M. [H], les sociétés [30], [21] et [19] en réparation du préjudice causé par la révocation abusive de la société [15] et, pour obtenir, agissant ut singuli au nom de la société [19], réparation des fautes de la société [30], ainsi que la désignation d'un administrateur provisoire.
Le 20 décembre 2023, à la requête des sociétés [14] et [15], ce juge a nommé la société [K] [C] mandataire ad hoc de la société [19] pour la représenter à la procédure.
Le 27 décembre 2023, les société [14] et [15] ont ainsi assigné M. [H] ainsi que les sociétés [30], [21] et [K] [C] devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 20 mars 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- dit la demande de la société [15] de dommages et intérêts irrecevable ;
- dit prescrits les faits allégués de dommageables par la société [14] dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de condamner solidairement la société [30] et M. [H] à payer à la société [19], prise en la personne de la société [K] [C] en sa qualité de mandataire ad hoc, la somme de 1 280 643 euros à titre de dommages intérêts ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de nomination d'un expert judiciaire ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de nomination d'un administrateur provisoire ;
- débouté les sociétés [14] et [15] de leur demande de communication des relevés bancaires et des extraits des grands livres de la société [19] pour la période de décembre 2023 à janvier 2024 ;
- débouté M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné solidairement les sociétés [14] et [15] à payer à M. [H] et aux sociétés [30] et [21], chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société [19], prise en la personne de la société [K] [C] en sa qualité de mandataire ad hoc, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné solidairement les sociétés [14] et [15] aux dépens.
Le 25 avril 2024, les sociétés [15] et [14] ont interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'il a débouté M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et a débouté la société [19] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 8 janvier 2025 a été publiée au registre du commerce et des sociétés l'annonce de dissolution de la société [30] à effet du 1er janvier 2024 et de la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société [21].
La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2025 et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 23 juin 2025.
Le 13 juin 2025, le conseiller de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture et reporté l'audience au 8 septembre 2025.
La clôture a été à nouveau prononcée le 4 septembre 2025.
Par dernières conclusions du 6 juin 2025, les sociétés [14] et [15] demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris et,
Statuant de nouveau :
- déclarer recevables les demandes formées par la société [15] au titre de sa révocation abusive de ses fonctions de directeur général ;
- condamner solidairement les sociétés [19] et [21], en ce qu'elle vient aux droits et obligations de la société [30], et M. [H] à payer à la société [15] la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- condamner solidairement la société [21], en ce qu'elle vient aux droits et obligations de la société [30], et M. [H] à payer à la société [19] à titre de dommages-intérêts les sommes de :
- 32 600 euros au titre du surplus de rémunération fixe et de la prime que s'est octroyée la société [30] en violation des statuts, augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 38 790 euros au titre des dépenses non validées par le directeur général relatives au contrat conclu avec la société [28], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 40 600 euros au titre de la part de la rémunération des assistantes de la société d'[19] qui aurait dû être refacturée à la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 70 774 euros - ou à tout le moins 68 329 euros s'il devait être tenu compte de l'avantage octroyé par la mise à disposition par la société [18] de la salle de conférence et l'espace restauration - au titre de la part du coût des locaux de la société [19] qui aurait dû être refacturée à la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 33 477,09 euros au titre de la perte de chance pour la société [19] de faire fructifier les 360 707,75 euros de trésorerie mobilisés au profit de la société [18] ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération versée par la société [19] à M. [H] puis à la société [30] qui aurait dû être supportée par la société [18], augmentés d'intérêts au taux de 4 % courus sur cette somme à compter de la date de sa mobilisation et restant à courir jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 456 249 euros à parfaire, au titre de la perte de marge brute d'ores et déjà subie par la société [19] résultant de la perte de clients et de salariés en lien avec la révocation de son directeur général ;
A titre subsidiaire,
- nommer un expert avec pour mission d'évaluer l'entier préjudice subi par la société [19] en raison des fautes commises par la société [30] ;
- désigner tel administrateur provisoire qu'il plaira avec un mandat général de représentation et de gestion de la société [19], ayant notamment pour mission à ce titre de :
- veiller à l'intérêt social de la société [19] et à la préservation de ses actifs ;
- assurer la bonne gestion de la société [19] ;
- prendre tous les actes conservatoires et d'administration nécessaires ;
- représenter la société [19] en justice dans toutes les éventuelles actions judiciaires actuelles ou futures l'impliquant ;
- réunir les actionnaires de la société en assemblée générale, dans les six mois de sa désignation, afin de nommer un nouveau président de la société ; ou concilier les actionnaires de la société [19] afin de rechercher une solution durable au conflit les opposant ;
- et dont la mission prendra fin une fois qu'un nouveau président de la société [19] aura été nommé ;
- condamner M. [H] et la société [21] in solidum à supporter l'entière charge de la rémunération de l'administrateur provisoire à fixer par la cour ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] à leur payer la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] aux entiers dépens de première instance ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté :
- M. [H] et les sociétés [30] et [21] de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- la société [19] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter les sociétés [19], [30] et [21] ainsi que M. [H] de leurs demandes, fins et prétentions ;
- condamner in solidum la société [21] et M. [H] à leur payer la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel ;
- condamner in solidum les sociétés [19] et [21] ainsi que M. [H] aux entiers dépens de l'appel.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 15 juillet 2025, M. [H] et les sociétés [30] et [21] demandent à la cour de :
Sur les demandes au titre de la révocation de la société [15] de ses fonctions de Directeur Général :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes présentées contre la société [19] représentée par M. [C], en sa qualité de mandataire ad hoc ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [15] de sa demande tendant à voir condamner M. [H] et la société [30], solidairement avec la société [19], à lui verser une somme de 250 000 euros titre de sa révocation prétendument abusive ;
- en conséquence, débouter la société [15] de sa demande tendant à obtenir une somme de 250 000 euros au titre de sa prétendue révocation abusive ;
Sur les demandes formées ut singuli au titre des prétendues violations des statuts et fautes de gestion :
- confirmer le jugement en qu'il a déclaré prescrits les faits allégués de dommageables par la société [14] dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 et l'a déboutée du surplus de ses demandes ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [14] de ses demandes liées aux prétendues violations des statuts et fautes de gestion solidairement contre eux au profit de la société [19] pour la somme globale de 1 280 643 euros à titre de dommages et intérêts au titre de :
- la rémunération du président et de l'octroi de l'augmentation ;
- la prime perçue ;
- la rémunération des assistantes de la société [19] ;
- l'absence de refacturation à la société [18] des locaux mis à sa disposition ;
- l'intervention de la société [28] ;
- la gestion de trésorerie et de prestations envers la société [18] ;
- la perte de marge brute en lien avec la révocation du directeur général, la société [15] ;
- débouter la société [14] de ses demandes formées à nouveau devant la cour tendant à leur condamnation solidaire à payer à la société [19] les sommes de, toutes augmentées d'un intérêt au taux de 4 % :
- 32 600 euros au titre du surplus de rémunération fixe et de la prime ;
- 38 790 euros au titre des dépenses relatives au contrat conclu avec la société [28] ;
- 40 600 euros au titre de la part de la rémunération des assistantes de la société [19] qui aurait dû être refacturée à la société [18] ;
- 70 774 euros ou à tout le moins 68.329 euros au titre de la part du coût des locaux d'E-nergy qui aurait dû être refacturée à la société [18] ;
- 25 565,94 euros au titre de la perte de chance pour la société [19] de faire fructifier les 282 885 euros de trésorerie mobilisés au profit de la société [18] ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération versée par la société [19] à M. [H] puis à la société [30] qui aurait dû être supportée par la société [18] ;
- 456 249 euros à parfaire, au titre de la perte de marge brute d'ores et déjà subie par la société [19] résultant de la perte de clients et de salariés en lien avec la révocation de son directeur général ;
- 617 410 euros au titre de la part de la rémunération de M. [H] puis de la société [30] ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [14] de sa demande subsidiaire en désignation d'un expert judiciaire aux fins d'évaluation du prétendu préjudice subi par la société [19] en lien avec les prétendues fautes de gestion ;
Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à voir désigner un administrateur provisoire avec un mandat général de représentation et de gestion ;
- par conséquent, débouter les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à voir désigner un administrateur provisoire avec un mandat général de représentation et de gestion ;
- subsidiairement, débouter les sociétés [15] et [14] de leur demande tendant à les voir supporter l'entière charge de la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Sur l'appel incident tendant à voir condamner [14] et [15] au paiement d'une indemnité pour procédure et appel abusifs,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté les défendeurs de leur demande tendant à obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
- condamner in solidum les sociétés [14] et [15] à verser une somme de 10 000 euros à chacun des intimés à titre de dommages et intérêts, sans préjudice d'une amende civile complémentaire ;
En tout état de cause,
- débouter les sociétés [15] et [14] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner les sociétés [15] et [14] in solidum à verser 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société [19] le 26 juin 2024 par remise à personne habilitée. Les conclusions des appelantes lui ont été signifiées le 14 août 2024 par dépôt à l'étude. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
1. Sur la recevabilité de la demande indemnitaire dirigée contre la société [19]
Les appelantes prétendent qu'en déclarant irrecevable la demande indemnitaire formulée par la société [15] , le tribunal a violé le principe de la contradiction, le principe de la personnalité juridique des personnes morales et l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance du 19 décembre 2023 désignant la société [K] [C] ; que la mission de ce mandataire ad hoc couvre toutes les demandes formulées contre la société [19] au cours de l'instance.
Les intimés soutiennent que l'intervention du mandataire ad hoc prévue à l'article R. 223-32 du code de commerce est limitée aux actions sociales et aux cas de conflits d'intérêts ; que l'action en indemnisation pour révocation dirigée contre la société [19] n'est pas une "action sociale" car elle est dirigée contre la société elle-même, non contre ses dirigeants ; qu'elle aurait dû être dirigée contre la société [19] en la personne de sa représentante légale, la société [30] ; qu'il n'existe pas de risque de conflit d'intérêts entre la société [19] et, sa représentante légale ; que les parties ont pu présenter leurs observations sur l'irrecevabilité relevée par le tribunal.
Réponse de la cour
L'article R. 225-170 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées, dispose que lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs actionnaires, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 225-169, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux ; que le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux.
Si l'ordonnance désignant la société [K] [C] a été prise le 19 décembre 2023 au visa de ce texte, elle ne comporte, dans son dispositif, aucune restriction liée à son application, le mandataire ad hoc ayant été désigné pour représenter la société [19] dans le cadre de l'instance à venir sur l'assignation à délivrer par les sociétés [15] et [14].
L'action des sociétés [14] et [15] est donc recevable en ce qu'elle est dirigée contre la société [19], représentée par la société [K] [C], désignée à cet effet.
Au demeurant, la société [21] ne se présente pas, dans ses conclusions, comme agissant autrement qu'en son nom personnel.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme mal dirigée la demande de dommages-intérêts formulée par la société [15] à raison des conditions de sa révocation.
2. Sur le caractère abusif de la révocation
Les appelantes font valoir que la société [15], ès qualités, n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations avant la décision de révocation ; que l'entretien préalable du 19 septembre 2023 n'était qu'un simulacre ; qu'elle a été privée d'accès au réseau informatique de la société dès le 7 septembre 2023 et de son pouvoir d'émettre des paiements dès le 12 septembre 2023 ; que la publication intégrale du procès-verbal de révocation au registre du commerce et des sociétés est vexatoire.
Les intimés exposent que les statuts de la société [19] prévoient que le directeur général est révocable à tout moment par le président ; que la société [14] a pu s'exprimer avant cette décision ; que la révocation n'a pas été brutale ni accompagnée de propos malveillants ; que les clients n'ont pas été informés ; que si la société [15] a été privée de son accès informatique, c'était en raison d'actions non conformes ; que la publication intégrale du procès-verbal ne caractérise aucune intention de nuire.
Réponse de la cour
L'article L. 227-5 du code de commerce, rendu applicable aux sociétés par actions simplifiées par les dispositions de l'article L. 227-1 du même code, dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée.
Les statuts de la société par actions simplifiées fixent ainsi notamment les modalités de révocation de son dirigeant (Com., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.382).
Lorsqu'un dirigeant est révocable à tout moment, le bien-fondé des motifs de la révocation n'a pas à être apprécié par le juge (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650) ; même dans ce cas, il peut réclamer l'indemnisation de son préjudice lorsqu'il est révoqué dans des circonstances brutales ou vexatoires.
La révocation n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation (Com., 14 mai 2013, n° 11-22.845, publié).
L'absence de déloyauté s'évince de la possibilité pour le dirigeant de s'expliquer sur les griefs dont il fait l'objet (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650).
Est abusive la révocation d'un dirigeant sans que celui-ci ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations (Com., 11 octobre 2023, n° 22-12.361).
Inversement, le principe de la contradiction n'est pas violé si le dirigeant a été mis en mesure de présenter ses observations sur le ou les griefs qui lui ont été opposés, quand bien même il n'aurait disposé que d'un délai de quatre jours pour les préparer (Com., 12 décembre 2018, n° 16-15.217).
L'article Vingt Deux des statuts de la société [19] se borne à stipuler que le directeur général est révocable par le président à tout moment.
Le 14 septembre 2023, par courriel et lettre recommandée avec accusé de réception, la société [30], en qualité de président, a signifié à la société [15] que la révocation de son mandat de directeur général était envisagée, en raison de la baisse significative du résultat net de la société, de la baisse du chiffre d'affaires, de grandes difficultés concernant les ressources humaines, de l'absence de développement de l'activité commerciale.
Par cette lettre, la société [15] était invitée à un entretien préalable à la révocation, dont il est constant qu'il s'est tenu le 19 septembre suivant.
A la suite de cet entretien, le 25 septembre 2023, la société [30], ès qualités, a décidé de révoquer la société [15], pour les motifs prévus à la lettre du 14 septembre précédant ; elle lui a notifié cette décision par courriel et lettre recommandée avec accusé de réception du même jour.
Dans ces conditions, la cour retient que le processus de révocation litigieux ne comporte aucune atteinte au principe de la contradiction et qu'il ne peut être qualifié de brutal.
Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la cour n'a pas à apprécier l'exactitude des motifs de la décision de révocation.
Les différentes pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir de man'uvre concomitante à la révocation en cause, imputable à la société [19], de nature à nuire à l'image de la société [15] auprès des salariés ou des clients de l'entreprise.
En revanche, il n'est pas contesté qu'avant la révocation, le 7 septembre 2023, la société [15] s'est vue couper son accès au réseau informatique de la société ; que le 11 septembre 2023, elle a été privée de son numéro de téléphone professionnel, puis, le 12 septembre 2023, de sa faculté d'émettre des paiements au nom de la société.
Aucun pouvoir de nature disciplinaire du président sur le directeur général ne résultant des statuts de la société, le fait d'avoir privé le directeur général de ses principaux instruments de travail dans les trois semaines ayant précédé sa révocation doit être considéré comme injustifié et vexatoire.
De même, si, selon l'article R. 123-54 du code de commerce, une société commerciale doit déclarer au registre du commerce et des sociétés le nom de ses dirigeants, la société [19] n'était pas tenue de publier au registre du commerce et des sociétés, comme elle l'a fait, l'intégralité de la décision de son président du 25 septembre 2023 portant révocation de la société [15] et en mentionnant les motifs ; cette publication ne peut être comprise que comme procédant d'une volonté de nuire à la réputation de la société [15] et de son dirigeant.
De ces fautes, il est résulté pour la société [15] un préjudice qui sera justement évalué à la somme de 50 000 euros.
3. Sur l'action ut singuli
3.1 Sur la prescription de l'action
Le tribunal a retenu que, l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 27 décembre 2023, les faits dommageables allégués dont la survenance ou la révélation étaient antérieures au 27 décembre 2020 étaient prescrits.
Les appelantes soutiennent que le fait dommageable n'est pas la signature de la convention de trésorerie du 8 juillet 2020, mais sa mise en 'uvre ; que les faits dommageables n'ont été révélés que le 4 avril 2021, date du premier virement en faveur de [18], s'agissant des avances en compte courant d'associé ; que le 31 mars 2021, date de la première refacturation, s'agissant des avances de charge ; que les comptes de l'exercice 2023 n'ont pas été approuvés.
Les intimés font valoir que la convention de trésorerie a été signée le 8 juillet 2020 ; que dès cette date, la société [14] avait connaissance de ses modalités ; qu'il n'existe pas de dissimulation, les comptes annuels ayant été approuvés ; que tous les faits dont la survenance ou la révélation est antérieure au 27 décembre 2020 sont prescrits, à savoir les avances en compte courant d'associé et les avances de charges de 2018 et de 2019 ; qu'ainsi, la demande formulée au titre des avances en compte courant d'associé et des prélèvements en compte fournisseur au profit de [18] est irrecevable comme prescrite pour les sommes payées en 2018 et 2019, faisant notamment valoir que la convention de trésorerie de 2020 a été co-signée par M. [D] ; que toutes les avances et prélèvements ont été intégralement remboursés ; qu'il n'y a eu aucune dissimulation ; que les associés ont donné quitus à M. [H] de sa gestion en approuvant les comptes de l'exercice 2023 ; qu'il n'existe pas de préjudice lié aux fautes alléguées ; que la convention de découvert en compte auprès de la [27] devait être renégociée, ce qui est sans lien avec les faits allégués.
Réponse de la cour
L'article L. 225-254 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées, dispose que l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Le 8 juillet 2020, les sociétés [19], représentée par M. [H], et [16], depuis devenue [18], également représentée par M. [H], ont conclu une convention prévoyant la possibilité de se faire l'une à l'autre, de façon exceptionnelle, des avances de trésorerie.
Selon l'extrait de grand livre de la société [19] produit par les appelantes (pièce 56), l'une de ces avances est intervenue au profit de la société [18] le 31 octobre 2018, d'un montant de 10 150 euros, une seconde le 31 décembre 2019, d'un montant de 1 872,94 euros. La comptabilité était accessible à la société [15], directeur général. L'action introduite à raison de ces prélèvements le 27 décembre 2023 est ainsi prescrite. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a décidé que l'action ut singuli était en partie prescrite, pour les faits antérieurs au 27 décembre 2020.
3.2 Sur le bien-fondé de l'action
Selon les articles L. 225-251 et L. 225-252 du code de commerce, applicables aux sociétés par actions simplifiées, les administrateurs et le directeur général sont responsables envers la société, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ; les actionnaires peuvent individuellement exercer cette action sociale en responsabilité.
3.2.1 Sur l'augmentation de la rémunération du président et sa prime
Les appelantes reprochent à la société [30] d'avoir violé les statuts en augmentant unilatéralement sa rémunération de 500 euros par mois et en s'octroyant au titre de 2023 une prime de 32 600 euros alors que les résultats de l'entreprise étaient négatifs.
Les intimés soutiennent que l'augmentation de la rémunération du président de la société n'était qu'une indexation autorisée par les statuts ; qu'en tout état de cause, la société [30] a remboursé la somme de 4 500 euros, de sorte qu'il n'existe pas de préjudice ; que l'octroi d'une prime au président était conforme à la décision des associés du 22 octobre 2021 et motivée par les résultats bénéficiaires de 2022 ; que les comptes de 2023 ont été approuvés par les associés.
Réponse de la cour
L'article 21 des statuts de la société prévoit que le président pourra percevoir une rémunération librement fixée par décision collective des associés ; que toute modification de cette rémunération sera également décidée par décision collective des associés, à l'exception toutefois, le cas échéant, des effets de toutes clauses d'indexation de cette rémunération, comme du calcul, s'il y a lieu, de la part variable de la rémunération du président, calcul dont les modalités devront être portées à la connaissance des associés par tout moyen utile.
Il est constant que la décision de la société [30] d'augmenter sa rémunération de 500 euros HT par mois a pris effet le 1er janvier 2023.
Il n'est pas allégué que cette rémunération ait fait l'objet d'une décision des associés prévoyant le principe de son indexation.
La décision d'augmentation litigieuse aurait donc dû être précédée d'une décision collective des associés ; ne l'ayant pas été, elle a violé les statuts.
Toutefois, il est constant que les sommes perçues à ce titre par la société [30] entre janvier et octobre 2023 ont été remboursées à la société.
Ce montant étant minime, il n'existe pas de préjudice subsistant, même de trésorerie, appelant indemnisation, ce qu'a retenu à juste titre le tribunal.
Le 22 octobre 2021, les associés ont décidé qu'en fonction des résultats de l'entreprise, le président pourrait percevoir une rémunération variable dans la limite de 40 000 euros HT.
Toutefois, la fixation du montant de cette rémunération variable, ou prime, supposait, en application de l'article 21 précité des statuts, une décision préalable des associés, quels que soient les résultats de l'exercice au titre duquel la prime était due ou la situation économique de l'entreprise.
Les intimés n'établissent pas l'existence d'une telle décision.
Or il résulte des pièces produites qu'en 2023, la société [30] s'est versée à titre de prime ou rémunération variable un montant total de 32 600 euros HT.
En se versant cette prime sans une telle décision, la société [30] a méconnu les statuts.
Le préjudice causé par cette faute est d'un montant égal à celui de la somme versée.
Elle sera en conséquence condamnée à rembourser cette somme à la société [19].
3.2.2 Sur les prestations facturées par la société [28]
Les appelantes font valoir qu'en mai 2023, la société [28] a proposé à la société [19] des prestations d'un montant exorbitant ; que malgré les réserves du directeur général, le contrat a été passé avec cette société ; que les dépenses correspondantes n'ont pas été validées par le directeur général, en contravention avec l'article 24 des statuts, pour un montant total de 38 790 euros ; que l'entreprise a perdu une chance de faire fructifier la trésorerie dont elle a ainsi été privée, ce qui justifie que cette somme soit assortie d'un intérêt de 4%.
Les intimés soutiennent que la société [15] a expressément accepté le principe du contrat avec [28] ; que la facturation mensuelle de [28] ne dépassait pas le seuil de 10 000 euros prévu aux statuts ; qu'elle correspondait à des missions distinctes ; que la dépense a été effectuée dans l'intérêt de la société.
Pour écarter la demande de ce chef, le tribunal a retenu l'existence d'une faute, mais l'absence de préjudice pour l'entreprise.
Réponse de la cour
L'article 24 des statuts stipule que pour tous les actes de gestion ou d'administration, le président et le directeur général peuvent agir seuls à l'exception des décisions emportant un engagement de la société pour une somme supérieure à 10 000 euros TTC qui requiert l'accord conjoint du président et du directeur général.
D'un courriel du 23 mai 2023, il résulte que la proposition de confier la réalisation de prestations diverses à la société [28] a été présentée la veille en comité de direction (Codir) par le président de la société [19].
De ce courriel, il résulte encore que le directeur général a donné son accord de principe à la conclusion d'un contrat avec cette société, à titre d'essai, en connaissance de cause de ses tarifs horaires.
Il est constant que les factures de ce prestataire ont toutes été acquittées par l'entreprise sur ordre du président, sans accord préalable du directeur général.
Parmi les factures produites, deux sont d'un montant supérieur au seuil prévu par les statuts : celle du 31 août 2023, de 10 200 euros TTC ; celle du 13 octobre 2023, de 10 800 euros TTC.
Mais aucune des parties ne produit la proposition commerciale initiale de [28], de sorte qu'il n'est pas possible à la cour de déterminer si la prestation envisagée était dès l'origine de nature à emporter une facturation totale d'un montant supérieur à 10 000 TTC.
Il sera donc retenu, le directeur général ayant donné son accord à la conclusion du contrat litigieux au vu d'un devis chiffré et en connaissance de cause de la nature de la prestation envisagée, que les appelantes n'établissent pas la preuve leur incombant d'une violation des statuts par le président lié à l'acquittement des factures présentées par ce prestataire.
Le jugement entrepris sera donc approuvé en ce qu'il a écarté la demande de ce chef.
3.2.3 Sur la prise en charge des salaires des assistantes
Les appelantes font valoir que M. [H] est associé de la société [18] au travers de sa holding et prétendent que la société [30] a mis à la charge de la société [19] la rémunération de deux assistantes ayant travaillé pour [18], de 2021 à 2023, à hauteur de 40 600 euros.
Les intimés soutiennent que parmi les assistantes, Mme [T] ne s'est jamais vu confier de mission spécifique à [18] hormis celles liées à la mutualisation des dépenses communes avec [19] ; que de même, les tâches confiées à Mme [O] à compter de septembre 2023 ont été mutualisées avec celles réalisées pour [19] ; que le grand livre produit montre des refacturations.
Réponse de la cour
Il n'est pas contesté que Mme [T] a été salariée en qualité d'" office manager " par la société [19] de juillet 2021 à juin 2023, Mme [O] à compter de juillet 2023.
Les faits reprochés par les appelantes à la société [30] sont de 2021 pour les plus anciens.
Il résulte suffisamment de l'attestation de Mme [T] datée du 20 avril 2024 que celle-ci a accompli diverses tâches pour le compte de [18]. Par un mail du 5 septembre 2023, M. [H] a dressé à Mme [O] une liste circonstanciée des tâches que celle-ci devait accomplir pour [18], parmi lesquelles la plupart ne correspondent pas à des tâches pouvant être considérées comme mutualisées ou mutualisables avec celles accomplies pour la société [19].
Les appelantes produisent (pièces 118 et 123) l'ensemble des factures adressées par [19] à [18] entre 2021 et 2023. Aucune des sommes refacturées ne correspond à la rémunération de l'assistante. Ces productions sont cohérentes avec les extraits de grand livre produits (pièces 56 et 86 des appelantes).
Il est ainsi établi que les deux assistantes successives salariées par la société [19] ont consacré une partie de leur activité à la société [18] sans refacturation.
Cette absence de refacturation doit être imputée à faute à la société [30], compte tenu des liens capitalistiques qui l'unissaient à la société [18].
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la demande de ce chef et d'allouer à la société [19], à ce titre, au vu des pièces produites, la somme de 30 000 euros.
Sur la mise à disposition de locaux à la société [18]
Les appelantes soutiennent qu'entre 2021 et 2023, la société [18] a occupé 20% des locaux pris à bail par [19], sans refacturation ; que le préjudice correspondant doit être évalué à 70 774 euros, à défaut à 68 329 euros.
Les intimés font valoir que cette situation connue de la société [15] n'a jamais été dénoncée avant sa révocation.
Réponse de la cour
Il est constant que la société [15] avait connaissance, dès l'origine, de l'utilisation par la société [18] d'une partie des locaux pris à bail par la société [19] à [Localité 17] ; qu'aucune somme n'a jamais été refacturée par [19] à [18] à ce titre.
En sa qualité de directeur général, la société [15], qui a approuvé les comptes 2021 et 2022 entérinant cette absence de refacturation, est ainsi tout autant responsable que le président de la société [19] de la faute de gestion qu'elle constitue.
Son action ut singuli de ce chef doit en conséquence être écartée et le jugement entrepris approuvé en ce qu'il l'a rejetée.
3.2.4 Sur les avances en compte courant d'associé et les prélèvements en compte fournisseur au profit de [18]
Les appelantes soutiennent que la [30] a fait octroyer par la société [19] à la société [18] des avances en compte courant d'associé de 192 000 euros et des prélèvements en compte fournisseur de 168 707,75 euros, sans fixation d'un plan de remboursement ni prise de garantie ; que cette situation a privé la société [19] de la trésorerie correspondante ; que le fait dommageable ne réside pas dans la convention de trésorerie du 8 juillet 2020, mais dans sa mise en 'uvre, qui n'a été révélée que le 4 avril 2021 pour les avances en compte courant d'associé et le 31 mars 2021 pour les avances de charge ; qu'elles n'ont pas donné quitus au président de ces fautes de gestion ; que le préjudice causé à la société [19] est évalué à 4% du montant total en cause, soit à 33 477,09 euros ; qu'en raison de ce manque de trésorerie, la société [19] a été contrainte de négocier avec sa banque une autorisation de découvert en octobre 2022 et de faire régler ses salaires par sa filiale [20].
Réponse de la cour
Il n'est pas contesté que la convention de trésorerie du 8 juillet 2020 a été co-signée par M. [D], ce dont il résulte que les sociétés [14] et [15] avaient agréé le principe des avances litigieuses.
Il n'est pas contesté que les avances consenties à la société [18] après le 27 décembre 2020 l'ont été en application de cette convention, ni qu'elles ont été remboursées.
Il ne résulte pas des comptes et liasses fiscales produites que les avances faites à [18] aient placé la société [19] en difficulté en 2020, 2021 ou 2022. S'il est établi que, le 15 septembre 2023, la [27] a dénoncé l'autorisation de découvert précédemment consentie à la société [19], cette perte de confiance ne peut être imputée aux mouvements de trésorerie entre cette société et [18]. Enfin, les avances de trésorerie faites en novembre 2023 par la société [20] ([20]) à la société [19] ne peuvent être reliées de manière directe aux mouvements dénoncés.
La faute de gestion imputée à la société [30] n'est donc pas établie, quand bien même son dirigeant aurait indirectement profité de ces facilités de trésorerie en qualité d'associé de la société [18].
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli au titre de ces avances.
3.2.5 Sur la rémunération du président
Les appelantes font valoir que la rémunération de la société [30] en tant que président, soit 134 400 euros en 2022, était décorrélée de son implication effective dans l'activité de la société, équivalente à 15 à 20% de son temps ; qu'il a perçu en outre des remboursements de frais d'un montant important (30k€ en 2022) ; que ces paiements indus ont entraîné entre 2019 et 2023 pour l'entreprise un préjudice de 617 410 euros.
Les intimés soulignent que la rémunération d'YL Consulting était deux fois inférieure à celle de [15] ; que la rémunération d'YL Consulting a été approuvée par les associés ; qu'elle a généré 65% du chiffre d'affaires.
Réponse de la cour
L'article 21 précité des statuts de la société [19] prévoit que le président pourra percevoir une rémunération librement fixée par décision collective des associés.
Il n'est pas contesté que la rémunération fixe que les appelantes reprochent à la société [30] d'avoir perçue au titre de son activité de président a, conformément à cette disposition statutaire, été arrêtée collectivement par les associés de la société [19], en particulier par la décision unanime du 22 octobre 2021, autrement dit qu'elle n'a pas été décidée unilatéralement par la société [30].
Il est constant que cette rémunération ne correspondait pas à un temps complet de M. [H] au profit de la société [19], mais ni la décision du 22 octobre 2021, ni aucune autre pièce n'établit que les associés étaient convenus que cette rémunération correspondait à une fraction donnée de son temps de travail ; le président de la société [19] était au reste non M. [H], personne physique, mais la société [30], personne morale, à l'égard de qui cette notion de temps de travail ne peut être appliquée.
L'inefficacité commerciale alléguée de la société [30] ne peut constituer une faute de gestion de nature à justifier dans son principe une action ut singuli.
La comparaison entre les montants des frais remboursés au président et respectivement au directeur général de la société [19] ne peut, à elle seule, caractériser une faute de gestion imputable à son président.
Les appelantes ne peuvent reprocher à la société [30] de s'être fait rembourser des frais afférents à ses déplacements à [Localité 22], dès lors qu'il est constant que la société [20], filiale de la société [19], y avait des locaux.
Le fait pour le président de la société [19] d'avoir acquitté certaines des dépenses courantes de l'entreprise au moyen de la carte bancaire dont il disposait ne constitue pas une faute de gestion.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli fondée sur l'excès prétendu des rémunérations de la société [30] et de ses remboursements de frais.
3.2.6 Sur la faute de gestion constituée par la révocation de la société [15]
Les appelantes soutiennent que la révocation de la société [15] en qualité de directeur général a été préjudiciable à la crédibilité et à la réputation de la société [19], a emporté une perte de clientèle et la dégradation de sa situation financière ; que cette révocation constitue une faute de gestion imputable au président, qui a causé à la société un préjudice de 456 249 euros correspondant à la perte de marge brute projetée sur trois ans.
Les intimés soutiennent qu'il n'est pas établi que la révocation de la société [15] ait fragilisé la société [19], dont M. [H] est le véritable moteur commercial ; que la perte de la clientèle de [26] est antérieure à la révocation ; que la perte de la clientèle de la [23] ne met pas la société en péril ; qu'elle a signé des contrats avec de nouveaux clients depuis octobre 2023 ; qu'une nouvelle convention de trésorerie a été signée avec la [27] le 14 décembre 2023 ; que la situation financière de la société est stable.
Réponse de la cour
Il a été constaté que les statuts de la société [19] permettaient au président de révoquer son directeur général à tout moment.
Ce principe statutaire de révocation ad nutum exclut par nature que la décision de révocation puisse être imputée à faute à son auteur, sauf abus.
Il n'est au reste pas démontré par les pièces versées aux débats que la société [19] ait périclité après la révocation critiquée du seul fait de cette révocation.
Et par hypothèse, la gouvernance de la société eût été différente si la société [15] en était restée directeur général, ce qui ne peut, en soi, conduire à considérer rétrospectivement que cette révocation était fautive.
Enfin, le préjudice allégué par les appelantes repose dans son chiffrage sur des hypothèses commerciales et financières que la cour n'est pas en mesure de corroborer, fondées sur le postulat invérifiable que seul M. [D] était à même d'assurer le succès de l'entreprise.
Le jugement entrepris doit ainsi être confirmé en ce qu'il a écarté l'action ut singuli de ce chef.
En conclusion, au vu de ce qui précède, l'action ut singuli de la société [14] sera admise, par voie d'infirmation, au profit de la société [19] à hauteur des sommes de 30 000 euros et de 32 600 euros, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise.
3.2.6 Sur le taux d'intérêt réclamé sur les sommes allouées à la société [19]
Les appelants soutiennent qu'il convient de réparer la perte de chance de faire fructifier la trésorerie correspondant aux sommes dues à la société [19] en assortissant ces condamnations d'un taux d'intérêt de 4%, moyenne des placements de la trésorerie d'entreprise, depuis la date de leur mobilisation jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt à intervenir.
Les intimés prétendent qu'aucun intérêt ne peut assortir ce genre de condamnations ; que de surcroît, la suggestion de l'application d'un taux de 4% ne repose sur rien de sérieux.
Réponse de la cour
L'article 1231-6 du code civil dispose que les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; qu'ils sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte ; que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
Selon l'article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal.
La demande des appelantes tendant à l'application d'un taux d'intérêt de 4% sur les sommes dues à la société [19] au titre de l'action ut singuli entre une date et une autre tend à l'octroi de dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire, calculés sur l'assiette de chacune de ces condamnations. Mais dans le dispositif de leurs conclusions, elles ne précisent pas la date de la mobilisation des fonds qui constituerait le point de départ de la période au titre de laquelle il faudrait calculer cette indemnisation complémentaire.
La demande de ce chef, ne pouvant ainsi être considérée comme chiffrée, doit être écartée.
Les sommes allouées à la société [19] produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, soit à compter du 27 décembre 2023, à défaut de mise en demeure antérieure dont il soit justifié.
4. Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire
Au soutien de cette demande, la société appelante prétend que la société [30] a agi en violation des statuts de la société [19] et contrairement à son intérêt ; que des tensions entre associés sont apparues ; que la révocation de la société [15] a nui à la crédibilité de l'entreprise ; que sa situation financière est critique ; que la société [20], son principal actif, a été cédée en février 2025 sans information des associés ; que les statuts prévoient une majorité des quatre cinquièmes pour certaines décisions essentielles, majorité impossible à atteindre, le capital étant détenu à parts égales par les parties ; que l'administrateur provisoire devra avoir pour mission de faire nommer un nouveau président.
Les intimés font valoir qu'il n'est démontré ni de blocage statutaire ni de péril imminent ; que M. [H] est très impliqué dans la vie de la société ; que le président dispose des pouvoirs nécessaires, que la gouvernance est efficace et la situation financière stable ; que le mandataire ad hoc désigné par le président du tribunal de commerce s'en est rapporté à justice sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire ; subsidiairement, que la mission sollicitée devrait être limitée aux points non résolus par les mécanismes sociaux et mettant la société en péril.
Réponse de la cour
Le juge ne saurait désigner un administrateur provisoire à une société qu'à la double condition d'une paralysie des organes sociaux et d'un péril imminent.
Les intimés démontrent par la production d'un extrait K-bis du 14 juillet 2025 que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la société [19] a retrouvé un président en la personne de la société [21].
Toutefois, son capital social est détenu pour moitié par M. [D] et une société qu'il contrôle, pour moitié par M. [H] et une société qu'il contrôle.
Or, ainsi qu'en témoigne la présente instance, ceux-ci sont en conflit aigu sur la gouvernance de l'entreprise, alors qu'il résulte des articles 29 et 36 de ses statuts que les décisions collectives parmi les plus importantes, notamment de modification du capital social, de fusion, de dissolution, l'approbation des comptes annuels, d'affectation du résultat, de transformation de la forme sociale, doivent être prises à la majorité des voix des associés et que certaines décisions collectives doivent être prises à la majorité des quatre cinquièmes des associés, telles que l'exclusion d'un associé prévue à l'article 15 et la révocation du président prévue à l'article 20.
Se trouve ainsi caractérisée une situation de blocage de nature à paralyser la société dans ses décisions nécessaires d'évolution et d'adaptation de son activité à son marché.
Il n'est pas contesté que pour la première fois en 2023, le résultat de la société [19] a été déficitaire ; qu'en 2024, ses capitaux propres ont chuté en deçà de la moitié de son capital social ; que son commissaire aux comptes a mis en 'uvre une procédure d'alerte auprès du tribunal de commerce ; qu'elle a vendu en février 2025 l'un de ses principaux actifs, savoir sa filiale, la société [20] ; que les conditions financières de cette vente n'ont pas été communiquées à la société [14], associée, malgré sa demande.
Se trouve ainsi caractérisé un péril imminent.
La cour procédera en conséquence à la désignation d'un administrateur provisoire, selon les modalités précisées au dispositif, et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a écarté cette demande. Il est inutile, compte tenu de la répartition du capital de l'entreprise, de lui impartir expressément la mission de faire désigner un nouveau président.
5. Sur la demande indemnitaire
Dès lors que les prétentions des appelantes sont accueillies en partie, leur action ne peut être considérée comme abusive, ni leur appel.
La demande de dommages-intérêts formulée par les intimées doit en conséquence être écartée.
6. Sur les demandes accessoires
En l'absence de production de note d'honoraires, l'équité commande d'allouer aux appelantes l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société [15] en indemnisation de sa révocation abusive, en ce qu'il a écarté en totalité l'action ut singuli, en ce qu'il a rejeté la demande de nomination d'un administrateur provisoire, en ce qu'il a condamné les sociétés [14] et [15] aux dépens et en ce qu'il les a condamnées à payer à M. [H] et aux sociétés [30] et [21] certaines sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit recevable l'action de la société [15] en indemnisation de sa révocation abusive ;
Condamne à ce titre la société [19] à lui verser la somme de 50 000 euros ;
Condamne la société [21] à verser à la société [19] les sommes de 30 000 euros et de 32 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2023, au titre de l'action ut singuli ;
Désigne la société [K] [C] en qualité d'administrateur provisoire de la société [19], avec pour mission de :
- convoquer et présider une assemblée générale en vue de l'approbation des comptes, de la révision éventuelle des statuts, de la nomination d'un directeur général et de la délibération sur toute question souhaitée par l'un des associés ;
- prendre toute mesure utile à la préservation des droits de la société ;
- concilier les actionnaires ;
- représenter la société en justice ;
- dresser de sa mission un rapport adressé aux associés ;
Dit qu'en cas de difficulté dans l'accomplissement de cette mission, de nécessité de la prolonger, de la faire évoluer ou de procéder à son remplacement, l'administrateur provisoire pourra saisir le président du tribunal des activités économiques de Nanterre sur requête ;
Dit que les actionnaires de la société pourront saisir aux mêmes fins le juge des référés du tribunal des activités économiques de Nanterre ;
Fixe à 4 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Dit que cette provision sera versée par la société [14] entre les mains de l'administrateur provisoire dans le délai de deux mois du prononcé du présent arrêt ;
Dit que la mission de l'administrateur provisoire, d'une durée de six mois, débutera au jour du versement de cette provision ;
Dit que les honoraires de l'administrateur provisoire seront taxés sur sa requête par le président du tribunal des activités économiques de Nanterre ;
Rejette la demande de dommages-intérêts ;
Condamne in solidum la société [21] et M. [H] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne in solidum la société [21] et M. [H] à verser à la société [14] et à la société [15] la somme globale de 20 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,