CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 8 octobre 2025, n° 23/18156
PARIS
Autre
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les entreprises françaises de charcuterie traiteur FICT (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Zouaoui
Avocats :
Me Saleh Cherabieh, Grall & Associés
Exposé des faits
1. Le 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a rendu, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, une ordonnance d'autorisation d'opérations de visite et de saisie à l'encontre de la Fédération professionnelle et des entreprises suivantes :
- Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande (ci-après, « la FICT ») ;
- ABC Industries et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Le Mont de la Coste et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Loste et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.
2. L'ordonnance a autorisé les opérations de visite et de saisie dans les lieux suivants :
- Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande, [Adresse 7] ;
- ABC Industries, [Adresse 3], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- [Adresse 8], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Loste, [Adresse 4], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.
3. L'ordonnance a fait droit à la requête de l'Autorité de la concurrence (ci-après, « l'Autorité ») en date du 3 novembre 2023 au motif que les éléments recueillis par l'Autorité permettaient d'établir des présomptions selon lesquelles les sociétés ABC Industries, [Adresse 8] et Loste ainsi que la FICT seraient convenues de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement la hausse, de limiter ou contrôler les débouchés et de répartir les marchés, et ainsi se seraient livrés à des pratiques prohibées par les dispositions des articles L. 420-1, 1°, 2°, 3° et 4° du code de commerce et 101-1 a), b), c) du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (ci-après, « TFUE »).
4. L'ordonnance d'autorisation retient que :
- en raison de leurs propriétés antimicrobiennes et technologiques, les nitrites et les nitrates (comme précurseurs des nitrites) sont utilisés en tant qu'additifs alimentaires dans une grande diversité de denrées, principalement carnées (charcuteries et salaisons) ; l'activité inhibitrice et microbicide des nitrites s'exerce sur un nombre important de micro-organismes, notamment des bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria ; leur usage permet d'éviter la production de toxines comme celles à l'origine du botulisme ; les nitrites sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites et permettent d'allonger la durée de conservation des denrées (annexes à la requête n° 2 et 3) ;
- dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie, les réglementations européenne et française autorisent l'utilisation de nitrites dans la charcuterie, mais l'encadrent, les charcutiers ne devant pas dépasser les doses maximales autorisées ; la réglementation européenne prévoit des doses d'incorporation maximales de 150 mg/kg de produits à base de viande ; que les charcutiers français se sont engagés dans le code des usages de la charcuterie à limiter l'utilisation des nitrites, d'au moins 20 %, soit 120 mg maximum par kilo en 2016 et prévoyaient une nouvelle baisse de 20 % en 2021 (annexes à la requête n° 4 et 5) ; il ressort de la nouvelle version du code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes, mise à jour en 2023, que l'utilisation des nitrites doit être limitée à 100 mg maximum par kilo pour les poitrines et lardons (annexe à la requête n° 6) ;
- l'utilisation des nitrates et nitrites ajoutés dans l'alimentation - les additifs E249, E250, E251 et E252 - serait controversée ; en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (« CIRC ») a classé la charcuterie dans la catégorie des aliments présentant un risque cancérigène pour l'homme (Groupe 1) (annexe à la requête n° 7, page 10) ;
- l'emploi des nitrites dans l'alimentation humaine est défendu par la FICT et l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) ; par un communiqué de presse en date du 14 septembre 2016 en réaction à un reportage de l'émission « Cash Investigations » intitulé « Industrie agroalimentaire : business contre santé » diffusé le 13 septembre 2016, L'ANIA a annoncé l'existence d'un « site d'informations proposé par la Fédération des Industriels de la Charcuterie Traiteur (FICT) : http://www.info-nitrites.fr./. Ce site, accessible à tous, met à disposition les connaissances scientifiques actuelles sur le sujet »(annexes à la requête n° 8 et 9) ;
- plusieurs opérateurs majeurs de la filière, notamment Herta et Fleury Michon, tous deux membres de la FICT, ont lancé des gammes de charcuterie sans nitrite, à compter respectivement de février 2017 et mars 2019 (annexe à la requête n° 7, page 63) ;
- si des industriels adhérents à la FICT, notamment Fleury Michon, Herta, Brocéliande, André Bazin et Madrange, produisent désormais de la charcuterie sans nitrite, en particulier du jambon blanc, aucun ne fait référence au débat sur le risque sanitaire potentiel lié à la consommation de nitrite dans la promotion de leurs produits (annexes à la requête n° 10 à 14) ;
- Fleury Michon précise que « les nitrites sont des conservateurs évalués et autorisés par la réglementation pour garantir la sécurité alimentaire et maîtriser le risque de botulisme » (annexe à la requête n° 10) ;
- Brocéliande, engagée dans la « charcuterie responsable » a lancé une campagne en 2021 intitulée « c'est le monde à l'envers » présentant les différents engagements et valeurs de la marque (bien-être animal, rémunération des éleveurs, production locale, respect de l'environnement) sans mettre en avant l'absence de nitrite alors même qu'elle propose des produits sans nitrite et qu'elle s'est engagée en juin 2022 à proposer l'ensemble de ses jambons et aides culinaires en conservation sans nitrite (annexes à la requête n° 15 à 18) ;
- Madrange, qui fait partie du même groupe que Brocéliande (annexe à la requête n° 19, page 74) a développé une large gamme de jambons sans nitrite mais semble insister davantage sur l'aspect recyclable de ces barquettes (annexe à la requête n° 14) ;
- pour expliquer le développement de gammes de charcuterie sans nitrite, la FICT indique vouloir répondre à l'attente des consommateurs « de plus de naturalité » (annexe à la requête n° 5, expression reprise par l'industriel André Bazin (annexe à la requête n° 13) ;
- la plupart des industriels membres de la FICT qui produisent de la charcuterie sans nitrite continuent de produire et commercialiser en parallèle la gamme de produits avec nitrite ;
- dans son rapport d'activités 2020, la FICT mentionne que « les recommandations de la FICT sur les allégations 'sans nitrites' viennent d'être révisées » ;
- ce rapport d'activités 2020 « d'encadrement volontaire professionnel vise à assurer une information transparente et loyale du consommateur, dans le contexte de développement de produits 'sans nitrites' visant à répondre aux attentes des consommateurs de plus de naturalité. Ces solutions 'sans nitrites' souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française » (annexe à la requête n° 5) ;
- si le rapport de l'année 2020 de la FICT ne tient pas compte de l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail (ANSES), c'est que ce dernier a été publié en juillet 2022, soit deux ans plus tard (page 114) ;
- certaines charcuteries espagnoles, corses ou italiennes sont produites sans nitrite comme, par exemple, le jambon de Parme depuis 1993, le Consortium du jambon de Parme qui regroupe 156 producteurs s'étant engagé à n'utiliser aucun additif alimentaire (annexe à la requête n° 7, pages 59 et 60) ;
- dans le secteur de la charcuterie, les trois premiers acteurs en France sont le groupe CASA TARRADELLAS qui détient Herta à 60 %, suivi du groupe COOPERL ARC ATLANTIQUE qui regroupe les marques Brocéliande, Madrange, Montagne Noire, Paul Prédault et Lampaulaise de Salaisons, puis du groupe FLEURY MICHON (annexe à la requête n° 19, page 74) ;
- l'étude Xerfi de septembre 2022 consacrée à la fabrication de charcuteries souligne que le chiffre d'affaires des fabricants français a dans l'ensemble augmenté de 1,1 % en 2021 et que les consommateurs se sont notamment reportés vers des produits à plus forte valeur ajoutée comme les charcuteries sans nitrite (annexe à la requête n° 19, pages 48 et 54) ; le jambon sans nitrite, en progression continue, représenterait, en mars 2022, 17 % du marché du jambon en France (annexe à la requête n° 20) ; selon un article de LSA du 2 novembre 2022, dans la catégorie du jambon cuit de porc, l'offre sans nitrite représenterait 23 % du CA et 16 % des volumes. Chez Herta qui a été la marque pionnière de ce segment, la conservation sans nitrites correspond à 34 % de son chiffre d'affaires et à 24 % de ses volumes de charcuterie. Sous l'effet du développement de l'offre par les MDD et d'autres intervenants comme Fleury Michon ou Brocéliande, le segment affiche une croissance en valeur et en volume supérieure à 30 % ;
- alors que son offre a peu évolué, Herta parvient à progresser en volume de 4 % sur la conservation sans nitrites à P9 2022. Sa part de marché est de 50 % en valeur et de 53 % en volume sur un total de la charcuterie « sans nitrites » (annexe à la requête n° 21) ; selon un article du site internet PorcMag du 26 juin 2022, « 1 acheteur sur 3 déclare déjà rechercher les produits sans sel nitrité au rayon charcuterie » (annexe à la requête n° 18) ;
- un débat au niveau national sur l'utilisation de ces additifs a notamment été initié en octobre 2019, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un député ayant présenté un amendement qui prévoyait la mise en place d'une taxe de 0,1 centime par kilo de charcuterie contenant des sels nitrités ; l'amendement, adopté en commission des affaires sociales, a été rejeté en séance ; que la FICT s'était mobilisée contre cet amendement (annexes à la requête n° 5 et n° 7, page 9) ;
- en novembre 2019, Yuka, Foodwatch et La Ligue nationale contre le cancer ont lancé une pétition demandant l'interdiction des nitrates et des nitrites ajoutés dans l'alimentation, à l'initiative de La Ligue (annexes à la requête n° 7, page 10, et n° 45) ;
- le 3 mars 2020, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a créé en son sein une mission d'information destinée à examiner la question des sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire ; le rapport d'information de cette mission a été enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 janvier 2021, assorti d'une proposition de loi du 14 décembre 2020 visant à l'interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de la charcuterie (annexe à la requête n° 7) ;
- l'examen de cette proposition de loi, initialement prévu en janvier 2021, a été repoussé et lié à la publication d'un rapport de l'ANSES sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, prévue pour avril 2021 (annexe à la requête n° 22) ; la sortie de ce rapport a été repoussée à deux reprises (annexe à la requête n° 23) ; le 6 décembre 2021, l'ANSES a indiqué que son avis et rapport d'expertise serait rendu à la fin du premier semestre 2022 (annexe à la requête n° 24) ;
- une nouvelle proposition de loi a été déposée (annexes à la requête n° 25 et 26); celle-ci relative « à la consommation de produits contenant des additifs nitrés » et non plus « à l'interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie » a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 3 février 2022 (annexes à la requête n° 23 et 27) ;
- l'avis et rapport de l'ANSES, publié le 12 juillet 2022, se fondant sur les études existantes, a confirmé l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrites et/ou aux nitrates, notamment ceux ingérés par la consommation de viande transformée et a préconisé une réduction de leur utilisation par ajout dans l'alimentation « aussi bas que raisonnablement possible » (annexes à la requête n° 3 et n° 19, pages 12 et 14) ; le Gouvernement a annoncé, le 28 mars 2023, la mise en place de son plan d'actions afin de tirer les conclusions de l'avis de l'ANSES ; ce plan présente une trajectoire de réduction de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie sur une durée de 5 ans sans suppression définitive de ces additifs pour tous les produits de la charcuterie (annexe à la requête n° 28) ; le 6 avril 2023, une nouvelle proposition de loi incluant une interdiction des nitrites dans toutes les charcuteries a été rejetée par l'Assemblée nationale (annexe à la requête n° 29) ;
- dans ce contexte, la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher ou, à tout le moins, à retarder, l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics ;
- le discours coordonné mis en place par la FICT visant à contrebattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés apparaît notamment dans ses différents rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 :
- dans le rapport annuel 2019, il est fait mention d' « un plan d'actions pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique », de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites (annexe à la requête n° 4) ;
- dans le rapport annuel 2020, un dossier de plusieurs pages est consacré aux nitrites, détaillant la stratégie de communication mise en place pour contrer la tentative d'interdire progressivement les nitrites ; la FICT précise qu'aucune étude ne prouve le lien entre les additifs nitrés et la survenue de cancer colorectal et estime que « les effets cancérogènes identifiés par l'OMS ne sont pas retrouvés aux faibles doses auxquelles les nitrites sont utilisés dans les charcuteries » (annexe à la requête n° 5) ;
- dans le rapport annuel 2021, la FICT estime que les nitrites sont injustement remis en cause, critique la mission d'information parlementaire et présente son plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat » (annexe la requête n° 30) ;
- dans le rapport annuel 2022, la FICT détaille sa communication « en réaction face aux attaques injustifiées sur les nitrites » (annexe à la requête n° 31) ; si la FICT s'engage dans le rapport précité à « baisser les seuils d'utilisation des nitrites dès que cela est possible », elle publie également, le 22 juillet 2022, un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie » (annexe à la requête n° 32) ;
- parallèlement à ces actions, la FICT semble s'être coordonnée avec des entreprises adhérentes pour attaquer en justice la société Yuca, cosignataire d'une pétition pour l'interdiction des nitrites ajoutés dans l'alimentation avec la Ligue nationale contre le cancer et Foodwatch ; les actions en justice intentées par la FICT et ses membres à l'encontre de Yuca et le niveau des dommages-intérêts demandés pourraient avoir pour objectif d'affaiblir Yuca, afin d'empêcher ou limiter toute communication sur la dangerosité potentielle des nitrites ;
- entre le 7 octobre 2020 et le15 décembre 2020, Yuca a reçu treize mises en demeure identiques de la FICT et d'industriels de la charcuterie membres de cette fédération professionnelle (annexe à la requête n° 33) ; ces mises en demeure visaient notamment à obtenir de Yuca la suppression de la pétition, de revoir son système de notation quant aux denrées contenant des nitrites et de corriger ses affirmations sur leur risque élevé ;
- seules trois de ces mises en demeure ont été suivies d'assignations en 2021 rédigées de manière identique : la FICT, Le Mont de la Coste et ABC Industries (annexes à la requête n°33 et 34) ; ces deux entreprises demandaient dans leurs assignations des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de Yuca de 1,6 million d'euros en 2020 (annexes à la requête n° 33 et 35) ;
- Yuca a été condamnée à trois reprises, le 25 mai 2021, par le Tribunal de commerce de Paris, le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le 24 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde pour pratiques commerciales trompeuses et déloyales et dénigrement (annexes à la requête n° 36 à 38) ; Yuca devait verser en tout 95000 euros de dommages-intérêts et avait dû retirer de l'application le lien vers la pétition demandant l'interdiction des nitrites (annexe à la requête n° 34) ; par des arrêts du 8 décembre 2022, du 13 avril 2023 et du 7 juin 2023, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la cour d'appel de Limoges et la cour d'appel de Paris ont chacune infirmé les jugements des tribunaux de commerce précités dans leur intégralité (annexes à la requête n° 39 à 41) ; il a été notamment reconnu en appel que les informations diffusées par Yuca sont fondées sur des fondements scientifiques sérieux et renommés, et que cette société n'a pas manqué à sa diligence professionnelle et n'a pas diffusé des informations trompeuses ou susceptibles d'induire les consommateurs en erreur ; le dénigrement a également été exclu, la question de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie faisant partie du débat d'intérêt général sur la santé publique ; ces arrêts n'ont pas fait l'objet de pourvois en cassation ;
- la société Yuca considère qu'il s'agit de procédures « bâillon » dans le dessein de la fragiliser et l'empêcher de s'exprimer au sujet des nitrites ; M. [U] [MP], cofondateur de Yuka, a déclaré par PV du 7 juillet 2022 qu' « actuellement nous sommes une équipe de 7. Nous étions 11 l'année dernière, mais du fait des procédures judiciaires en cours concernant les nitrites, nous avons choisi de ne pas renouveler plusieurs personnes afin d'avoir une sécurité financière si jamais d'autres procédures devaient survenir (...) ces contentieux ont touché assez durement Yuca. Ça nous a touché financièrement puisque ça nous a coûté plus de 300 000 euros en amende et frais d'avocats (sur un chiffre d'affaires de 1, 6 M€). Cela nous a demandé beaucoup de temps et d'énergie et de ressources pour une petite équipe. Je pense qu'il s'agit d'une procédure bâillon. Ils n'avaient besoin que d'un seul procès pour faire retirer la pétition. Il n'y avait aucun besoin d'en faire 3 » (annexe à la requête n° 35) ;
- M. [Y] [MP], président et co-fondateur de Yuka a également précisé par PV du 5 septembre 2022 qu' « au-delà de l'aspect financier, c'est un investissement en temps considérable qui s'est fait au détriment du développement de l'application. Si d'autres assignations étaient venues, nous aurions pu fermer (...) Par ailleurs dans les deux affaires ABC INDUSTRIES et LE MONT DE LA COSTE, aucun préjudice commercial n'a été établi, ce qui explique le montant relativement faible des dommages intérêts octroyés par rapport aux montants demandés par ces sociétés. Comme mon frère vous l'a expliqué, la plupart des produits de la marque Noix fine fabriqués par ABC INDUSTRIES sont vendus à la coupe et ne comportent pas de codes-barres et ne peuvent donc être scannés dans l'application Yuka. Nous avons estimé dans le cadre de notre défense que pour les quelques produits scannables d'ABC INDUSTRIES, si tous les consommateurs avaient renoncé à leur acte d'achat, cela aurait représenté pour ABC INDUSTRIES une perte de marge de 657 €. ABC INDUSTRIES nous demandait 720 000 € au titre de leur préjudice commercial car c'est le montant qu'ils espéraient vendre sur la base de leurs objectifs de vente pour l'année en cours qui n'était pas encore clôturée. Ces procès visaient clairement à nous affaiblir, financièrement et moralement. mais nous avons souhaité poursuivre dans cette voie tout en sachant que Yuka pouvait s'arrêter » (annexe à la requête n° 33) ;
- il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 juin 2023 opposant la FICT à Yuca qu' « ainsi qu'il a été dit en réponse au moyen de nullité, il résulte de l'article 12 [article 161 des statuts de la FICT] qu' il confère à son Président 'pouvoir et qualité pour représenter la Fédération en justice, tant en demande qu'en défense' et que ce dernier 'peut, avec l'autorisation préalable du Comité Directeur ou du Bureau, intenter toutes actions en justice pour la défense des intérêts de la Fédération, consentir toutes transactions et former tous recours'. Il résulte en outre du compte rendu du comité directeur du 24 novembre 2020, qu'il a été décidé que 'la FICT doit poursuivre l'action juridique envers YUKA et aller jusqu'à l'assignation en justice' (annexes à la requête n° 41 et 43); les membres du Bureau dont l'autorisation préalable est requise sont MM. [LM] [B] (groupe Aoste), [HA] [S] (groupe Popy), [DR] [TF] (Lechef Premium), [ZY] [BZ] (Sofia BVA/AGRIAL), [A] [FX] (société [FX]), [KJ] [YV] (Herta), [G] [H] (Groupe [H]), [Z] [X] (Fleury Michon), [PL] [K] (LBC) (annexes à la requête n° 31 et 42) ; les membres du Comité Directeur ne sont pas précisés sur le site de la FICT, l'organigramme indiquant seulement que celui-ci est composé de 34 membres (annexe à la requête n° 42) ; l'article 12 des statuts de la FICT prévoit que ' Le Bureau est composé d'un maximum de 12 personnes, y compris le Président, élues par le Comité Directeur parmi ses membres » (annexe à la requête n° 43) ; les membres du Bureau sont également membres du Comité Directeur dont l'autorisation préalable est requise pour engager l'action en justice à l'encontre de la société Yuca ;
- le comportement de la FICT et de ses membres, s'il était avéré, pourrait relever d'une action concertée, convention, entente expresse ou tacite ou coalition qui viserait à préserver l'utilisation des nitrites dans la charcuterie ou, à tout le moins, à retarder leur interdiction ; en diffusant un discours coordonné et en poursuivant la société Yuca en justice, l'action de la FICT et de ses membres aurait pour but d'influencer le débat en cours en minimisant le danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation et en empêchant ou limitant la diffusion d'une pétition contre ces additifs ;
- la stratégie mise en 'uvre permettrait ainsi la coexistence de deux gammes de charcuterie (une gamme sans nitrite et une gamme avec nitrite), favorisant artificiellement un prix à la hausse de la charcuterie sans nitrite qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le prix payé par les consommateurs intéressés par cette gamme, restreignant la concurrence sur les qualités sanitaires et/ou nutritionnelles de la charcuterie produite, permettant un contrôle des débouchés, répartissant le marché entre les industriels et retardant l'innovation et le progrès ;
- un député a indiqué que les fabricants auraient intérêt d'un point de vue marketing et financier à faire durer les deux gammes (avec et sans nitrite) : l'une fait du volume avec moins de marge et l'autre fait moins de volume avec plus de marge (annexe à la requête n° 44) ;
- ce constat serait partagé par La Ligue nationale contre le cancer, Foodwatch et Yuka ;
- M. [J] [EU], délégué au service de prévention et promotion du dépistage de La Ligue nationale contre le cancer, a déclaré par PV du 7 avril 2022 que « Pour les autres, il y a un intérêt marketing au sans nitrites puisque cela permet un positionnement marketing de différenciation par rapport à la gamme avec nitrites, permettant d'appliquer un surprix, tandis que les charcuteries nitritées sont moins chères et permettent de faire du volume. » (annexe à la requête n° 45) ;
- M. [M] [N], responsable de campagne de l'association Foodwatch a également précisé par PV du 16 juin 2022 : « Concernant le fait que le 'sans-nitrites' continue de coexister chez certains industriels avec les gammes comportant des nitrites relève pour moi d'une simple segmentation de gamme qui leur permet de réaliser des marges plus importantes sur le sans-nitrites, sans remettre en cause leur business model principal. En tout cas, toute la communication de la FICT permet de maintenir les deux gammes. D'après mon propre relevé partiel, j'ai identifié une différence de prix de 10 à 80 % entre des références identiques avec ou sans nitrites au sein des mêmes marques. Tous les produits sans additifs sont à la mode et connaissent un grand succès commercial auprès d'une classe sociale éduquée et ayant de l'argent, et prête à payer davantage pour disposer d'un produit perçu comme plus sain. Le 'sans-nitrite' existait avant que Foodwatch se lance dans cette campagne (notamment Herta). Les nitrites permettent notamment d'utiliser des viandes ou morceaux de moindre qualité tout en réduisant le risque bactérien, sans investir plus que nécessaire sur les chaînes de production en termes d'hygiène des process (le 'sans nitrite' nécessite un degré de rigueur supérieur en la matière) » (annexe à la requête n° 46) ;
- de la même manière, M. [Y] [MP], président et co-fondateur de la société Yuca, a déclaré par PV du 5 septembre 2022 : « Pour moi, la FICT ne souhaite pas l'interdiction des nitrites car ça permet de segmenter le marché en deux gammes : Une gamme classique avec nitrites qui permet d'utiliser des viandes de moindre qualité à des prix plus bas. Les nitrites ont aussi un pouvoir de rétention d'eau qui a pour avantage d'utiliser moins de matières premières. Une gamme premium sans nitrites pour des gens plus aisés et/ou qui se préoccupent davantage de leur santé, auxquelles ils peuvent vendre de la charcuterie plus cher avec des marges plus importantes, tout en pouvant produire un marketing sur la sécurité sanitaire, ce qui ne devrait pas être possible. J'ai l'intime conviction que même les acteurs du sans nitrites ont approuvé cette stratégie car ça va clairement dans leur sens et ça fait leurs affaires. Ils peuvent commercialiser une solution à un problème qui est entretenu. C'est donc un double discours. L'interdiction des nitrites ne permettrait pas la segmentation du marché et ça tirerait le prix du sans-nitrite vers le bas. Il y a finalement assez peu d'acteurs qui ne produisent que du sans-nitrite. La plupart conservent deux gammes en maintenant une gamme classique. » (annexe à la requête n° 33).
Le juge des libertés et de la détention a ainsi retenu que :
- l'entente suspectée est susceptible d'avoir été discutée et décidée au sein de la FICT ; celle-ci serait également à l'origine de la stratégie qui viserait à influencer les travaux parlementaires au sujet du danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation et de la coordination des actions judiciaires menées à l'encontre de la société Yuca ;
- les deux autres sociétés ayant assigné Yuca au Tribunal de commerce, ABC Industrie et Le Mont de la Coste, sont toutes deux filiales du groupe Loste situé à la même adresse que CA Holding, détenus par M. [F] [P] (annexe la requête n° 47); que celui-ci est également vice-président de la FICT (annexe à la requête n° 42).
Le juge des libertés a en conséquence considéré que :
- la mesure de vérification demandée par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus ainsi que leurs auteurs dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie ;
- l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes susceptible de relever des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce;
- si les pratiques illicites présumées examinées peuvent toucher potentiellement l'ensemble du territoire national, elles sont également susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 du TFUE.
Le juge des libertés et de la détention a ainsi estimé que la portée de ses présomptions était suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420 1°, 2°, 3° et 4° du code de commerce et 101-1 a), b) et c) du TFUE et la recherche de la preuve de ces pratiques justifiée pour autoriser les opérations de visite et de saisie.
5. Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées :
- les 16, 17 et 21 novembre 2023 dans les locaux de la FICT, [Adresse 7] à [Localité 9] ;
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société ABC Industrie, sis [Adresse 3] ;
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société Le Mont de la Coste, sis [Adresse 8] ;
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société Loste, sis [Adresse 4] et les sociétés du même groupe, sises aux mêmes adresses.
6. Les opérations de visite et de saisie ont donné lieu à la mise en 'uvre d'ouverture de scellés fermés provisoires :
- les 19, 20, 21 décembre 2023 pour la FICT ;
- le 15 janvier 2024 pour les sociétés ABC Industrie, [Adresse 8] et Loste.
Procédure
7. Le 23 novembre 2023, la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande (FICT) devenue les ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T) et ci après dénommée dans la présente décision 'FICT', a interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris du 10 novembre 2023. Le même jour, la FICT a formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie des 16, 17 et 21 novembre 2023.
8. L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 11 décembre 2024 puis renvoyée au 30 avril 2025.
9. À ladite audience, l'examen du recours a été renvoyé à l'audience du 10 décembre 2025.
10. Par conclusions déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 14 février 2025, la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande demande au délégué du premier président de la cour d'appel de Paris :
- d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 novembre 2023 dans toutes ses dispositions ;
En conséquence :
- juger illégales les opérations de visites et saisies effectuées sur le fondement de l'ordonnance précitée dans les locaux de la FICT ;
Et donc :
- ordonner la restitution à la FICT de l'ensemble des documents et données saisies en ses locaux lors de ces opérations de visites et saisies ;
En tout état de cause :
- ordonner le versement à la FICT d'une indemnité de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'autorité de la concurrence au paiement des entiers dépens ;
- débouter l'autorité de la concurrence de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dont sa demande d'article 700 du code de procédure civile.
11. Par conclusions déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 23 octobre 2024, l'Autorité de la concurrence demande au délégué du premier président de la cour d'appel de Paris de :
- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 10 novembre 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;
- rejeter la demande, par voie de conséquence, de restitution des documents et des données saisis dans les locaux de la FICT lors des opérations de visite et de saisie ;
- condamner la FICT au paiement de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
12. Le ministère public, par un avis du 22 avril 2025, conclut au rejet de l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 10 novembre 2023.
13. Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties soutenues à l'audience du 22 avril 2025 pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Plus particulièrement, la présente juridiction renvoie aux écritures de la FICT déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 14 février 2025, et aux écritures de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 23 octobre 2024, s'agissant de leurs développements relatifs à l'utilisation des nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie, la réglementation correspondante et les débats parlementaires y afférents.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Moyens des parties
14. La FICT, appelante, soutient trois moyens à l'appui de sa demande d'annulation de l'ordonnance du 10 novembre 2023 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris. Elle conteste le bien fondé de l'ordonnance au regard des indices retenus par le juge des libertés et de la détention en faisant valoir l'insuffisance des présomptions retenues à son encontre par le juge des libertés et de la détention (1). Elle conclut en outre à l'absence d'exercice d'un contrôle réel et effectif de la requête et ses annexes présentées par l'Autorité par le juge des libertés et de la détention (2) et argue du caractère disproportionné de la mesure (3).
(1) Sur le bien fondé de l'ordonnance au regard des indices retenus par le juge des libertés et de la détention
15. La FICT conclut à l'insuffisance des présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention. Elle fait valoir qu'il ressort de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (ci-après, « CESDH »), de l'article L. 450-4 du code de commerce et des jurisprudences afférentes que :
- le juge des libertés et de la détention doit vérifier que la requête repose sur des indices tangibles établissant des présomptions de pratiques anticoncurrentielles commises par l'entreprise au sein de laquelle il lui est demandé d'autoriser les opérations de visite et de saisie ;
- en application du principe de loyauté, le choix des éléments en possession de l'Autorité et qu'elle présente au soutien de sa requête ne doit pas conduire à tromper le juge de l'autorisation.
16. Elle considère que le juge doit s'assurer que la demande qui lui est faite repose sur « des présomptions qu'une infraction a été commise par l'entreprise au sein de laquelle il lui est demandé d'autoriser des OVS, ce qui suppose que la requête de l'Autorité justifie d'un faisceau d'indices suffisants rendant plausible la commission d'une telle infraction » et doit s'assurer « qu'il y a une réelle adéquation entre les pièces produites et les énonciations de la requête et que lesdites pièces sont effectivement pertinentes ».
17. Elle estime qu'en l'espèce, la requête et l'ordonnance sont mal fondées en ce que :
- elles font état d'une description tronquée du « débat national intervenu sur l'utilisation des nitrites à partir de 2019 » (i) ;
- les annexes produites à l'appui de la requête sont dépourvues de force probante et sont partiales (ii) ;
- la FICT relève l'absence d'indices d'une pratique anticoncurrentielle relative à un « discours coordonné sur l'utilisation des nitrites » (iii) ;
- la FICT relève l'absence d'indices d'une pratique anticoncurrentielle relative à une action coordonnée avec ses adhérentes dans le contentieux l'opposant à la société YUCA (iv) ;
- la FICT relève l'absence d'indices « d'incidences anticoncurrentielles » (v).
(i) Sur la description du débat national sur l'utilisation des nitrites
18. La FICT estime infondée l'ordonnance car faisant état d'une description non exhaustive, tronquée et partiale du 'débat national' intervenu sur l'utilisation des nitrites à partir de 2019, ce qui a conduit à tromper le juge des libertés et de la détention (pages 16 à 42).
19. La FICT soutient que « le 'débat' autour de l'utilisation des nitrites que la requête s'est attachée à décrire et dans lequel la prétendue 'stratégie' anticoncurrentielle serait intervenue, n'a pas été relaté avec objectivité et précision par la requête, ce qui a conduit à tromper la religion du JLD, lequel a rendu l'ordonnance autorisant les OVS ».
20. Elle fait valoir que l'Autorité n'a pas présenté un dossier complet au juge de l'autorisation.
Elle affirme « il ressort des éléments du dossier que l'ADLC n'a pas communiqué au JLD l'ensemble des éléments utiles pour lui permettre d'exercer son contrôle, en violation de son obligation de loyauté et en violation des droits de la défense de la FICT » (pages 16 et 111).
21. Elle considère que l'Autorité a omis de produire des éléments scientifiques essentiels et que le discours de la FICT « ne vise pas à combattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés, mais à rétablir la vérité scientifique et réglementaire » sur l'utilisation des nitrites et sur « sa lutte contre leur interdiction généralisée » (page 17, paragraphe 52).
22. En premier lieu, à l'appui de cette affirmation, la FICT soutient que les nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie sont recommandés pour leur rôle de protection sanitaire contre les bactéries pathogènes et sont autorisés par la réglementation (paragraphes 54 à 117).
23. La FICT soutient que l'Autorité a omis de préciser au juge que la réglementation européenne sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie est conforme aux recommandations scientifiques, et qu'en « prenant pour postulat que les actions de la FICT étaient nécessairement faussées, trompeuses, partiales et qu'à l'inverse, les actions de lobby de députés, de La Ligue contre le cancer, de Yuca et de Foodwatch étaient louables, l'ADLC a présenté un tableau volontairement partial et gravement erroné dans sa Requête et partant, a instrumentalisé le JLD ».
24. Elle considère qu'il aurait dû être porté à la connaissance du juge des libertés et de la détention les conclusions de l'avis et du rapport de l'ANSES du 12 juillet 2022 et notamment les éléments qu'elle cite paragraphe 103 de ses écritures et produit en pièces n°13-2 et n°19 et plus largement l'ensemble des études scientifiques qu'elle cite émanant des autorités scientifiques mondiale, européenne et française, pour apprécier l'existence d'une « prétendue controverse scientifique ».
25. Elle estime que l'Autorité a manqué de diligence et n'a pas fait preuve de réalisme et de neutralité, « en exigeant des OVS sur le fondement de déclarations émanant de détracteurs des nitrites et en ne prenant même pas la peine de se renseigner auprès des autorités administratives compétentes (Direction générale de l'Alimentation, DGCCRF, Direction générale de la Santé, Commission européenne), des agences officielles d'évaluation (EFSA au niveau européen et ANSES au niveau français) ou des instituts de recherche reconnus sur le sujet des nitrites (tels que l'INRAE, l'IFIP ' Institut du Porc ' ou l'ADIV ) afin de constater que les actions de la FICT s'inscrivaient dans la droite ligne des conclusions scientifiques et qu'il n'y avait pas de réelle controverse concernant l'utilisation des nitrites, contrairement à ce qu'allèguent certains députés anti-nitrites. ».
26. Elle soutient que les « actions concrètes et vérifiables des acteurs de la filière (qu'elle décrit paragraphes 108 à 112 not.), au travers notamment du code des usages et des investissements réalisés pour la recherche n'ont pas été appréciés à leur juste mesure par le JLD » qui aurait dû relever une démarche volontariste d'abaissement des teneurs maximales en nitrites par rapport au seuil permis par la réglementation européenne, et qu'elle a réalisé « d'importantes études pour vérifier que la sécurité sanitaire des produits fabriqués était garantie dans ces nouvelles conditions afin de définir une baisse catégorie de produits par catégorie de produits, en fonction de leur sensibilité aux bactéries pathogènes ».
27. Elle affirme avoir toujours recherché la diminution des nitrites dans la charcuterie depuis 2016 et que « ces baisses qui deviennent obligatoires lorsqu'elles sont transcrites dans le Code des usages sont de l'initiative de la FICT et sous le contrôle et l'accord impératif de la DGCCRF et de la DGAL qui ne les entérinent qu'en fonction de l'état des connaissances scientifiques et de la non-dangerosité des diminutions proposées ».
28. Elle dresse la liste, sous le paragraphe 117 de ses écritures, des informations qui auraient dû être portées à la connaissance du juge des libertés et de la détention et qui auraient permis de « mettre en évidence l'absence de controverse autour de l'utilisation des nitrites ».
Il s'agit notamment :
- du Règlement n° 1333/2008, Annexe II, Partie B, relative à la réglementation sur les additifs nitrés (pièce n° 17) ;
- des publications des autorités sanitaires et du gouvernement (pièces n°27 bis, 14, 13-1 p. 24 et s., 36, 37, 39).
29. La FICT estime qu'il ressort de ces éléments que son discours et ses actions « s'inscrivaient dans la droite ligne des conclusions scientifiques et qu'il n'y avait pas de réelle controverse ».
30. En second lieu, la FICT soutient que « le rapport à charge de la commission d'information parlementaire publié le 13 janvier 2021 et la pression exercée par certains députés détracteurs des nitrites pour faire passer des propositions de loi d'interdiction des additifs nitrés ne sauraient constituer des indices suffisants et crédibles ».
31. Elle soutient que ce rapport n'a aucune valeur en ce qu'il est de nature politique et que l'évaluation des risques afférents à l'utilisation des nitrites ne relève ni du rôle ni de la compétence des parlementaires ou des pouvoirs politiques mais de celui des autorités scientifiques et conteste l'affirmation de l'Autorité selon laquelle la mission d'information en cause « offre des gages d'impartialité ».
32. Elle affirme que l'Autorité ne pouvait se fonder sur ce rapport pour soutenir devant le juge des libertés et de la détention qu'il existerait une controverse sur l'utilisation des nitrites.
33. En troisième lieu, la FICT affirme que le juge des libertés et de la détention s'est trompé sur les motifs conduisant certains industriels à commercialiser des produits sans nitrites.
Elle déclare « la présence sur le marché de gammes de charcuteries sans nitrites répond à une demande de naturalité des consommateurs et ne constitue certainement pas un aveu de la dangerosité des charcuteries nitritées ».
34. A l'appui de cet argument, elle soutient que « la démarche du sans nitrites est une démarche commerciale et marketing », et que les processus de fabrication de ces gammes sans nitrites rendent inaccessibles leur production pour la plupart des acteurs du marché, en raison des risques sanitaires.
35. Elle soutient qu'il ressort tant des communications des autorités scientifiques et de l'administration, (développé dans ses écritures en visant les pièces n°13-1, 13-2, 37, 38, 48 qu'elle produit) que des contraintes de production des produits alimentaires sans nitrites, que l'Autorité ne peut soutenir que l'argument de la « naturalité » des charcuteries sans nitrites fait « partie du faisceau d'indices ayant permis de présumer que la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés ».
36. La FICT conclut « qu'une présentation exhaustive du contexte tel qu'il a été rappelé ci-dessus aurait été de nature à remettre en cause l'appréciation des éléments retenus par le JLD au titre des suspicions de pratiques anticoncurrentielles alléguées », que de fait, le juge a été empêché de prendre une décision éclairée et que l'ordonnance doit être annulée de ce seul fait.
(ii) Sur l'analyse / la force probante des annexes produites à l'appui de la requête
37. La FICT considère que le caractère infondé de l'ordonnance ressort « de l'analyse globale des annexes produites au soutien de la requête qui ne sont qu'un 'écran de fumée' destiné à faire croire à l'existence d'indices sérieux, ce qui est totalement faux ».
38. Elle soutient que, sur un total de 49 pièces annexées à la requête :
- seuls six documents concernent directement la FICT (annexes 4, 5, 30, 31, 32 et 42) ;
- une dizaine de documents sont des articles, des extraits de sites internet et présentations générales qui ne permettent pas de suspecter l'existence d'une présomption de pratiques anticoncurrentielles (annexes 2, 3, 10 à 18 et 20 à 21) ;
- environ 40 documents sont des documents publiquement accessibles dont la très grande majorité sont sans rapport avec les suspicions d'agissements anticoncurrentiels identifiés dans la requête (annexes 2, 3, 6, 7, 10 à 19, 20 à 21, 22, 23, 25 à 29, 36 à 41, 44, 48 et 49), dont il ressort que :
- l'annexe 6 (extrait du code des usages) démontre comment les industriels ont mis en 'uvre leurs meilleurs efforts pour tenter de réduire l'utilisation des nitrites dans la charcuterie en deçà des doses autorisées par la réglementation européenne ;
- les annexes 48 et 49 sont des décisions de jurisprudence qui ne sont pas exploitées dans la requête, l'Autorité n'en tirant aucune conséquence ;
- les annexes 7, 22, 23, 25 à 29 et 44 sont des documents de nature politique liés aux propositions de loi visant à interdire les nitrites à l'initiative du député Monsieur [JG] [WO] ;
- les annexes 36 à 41 qui sont les décisions de première instance et d'appel dans le dossier Yuca et qui, en tant que telles, ne viennent pas accréditer l'existence d'une pratique illicite sur la concurrence ;
- les annexes 33, 35, 45 et 46 sont dénuées de force probante en ce qu'il s'agit des procès-verbaux recueillant les déclarations des fondateurs de Yuca, de Foodwatch et de la Ligue contre le Cancer ayant mis en 'uvre la pétition contre les nitrites, à l'origine de l'action en justice de la FICT à l'encontre de Yuca, et dès lors émanent d'organisations favorables à l'interdiction des nitrites.
39. Elle ajoute, en réponse à l'Autorité, que cette dernière a décrit le débat national sur l'utilisation des nitrites de façon tronquée et partiale en s'appuyant quasi exclusivement sur les procès-verbaux d'audition des représentants de la société Yuca, Foodwatch et de la Ligue contre le Cancer. La FICT déclare dans ses écritures « quel crédit donner aux déclarations de personnes s'étant toujours positionnées ' notamment ensemble ' par le biais d'une 'action commune (') pour demander l'interdiction des nitrites ajoutés dans l'alimentation' en faveur de l'interdiction des nitrites et qui ont même pu exprimer leur défiance profonde envers la FICT ».
40. Elle en conclut que les indices de pratiques illicites présumées retenus à son encontre reposent sur deux types de documents, des procès-verbaux (annexes 33, 35, 45 et 46) et des documents relatifs aux propositions de loi visant à interdire les nitrites (annexes 7, 22, 23, 25 à 29 et 44), qui sont dénués de force probante et insuffisants « pour étayer le moindre indice grave, précis et concordant de pratiques anticoncurrentielles impliquant la FICT ».
(iii) Sur l'absence d'indices d'un discours anticoncurrentiel coordonné en faveur de l'utilisation des nitrites
41. La FICT soutient que le caractère infondé de l'ordonnance ressort « de l'absence d'indices sérieux et crédibles laissant supposer que la FICT aurait abusivement tenu un discours anticoncurrentiel 'coordonné' en faveur de l'utilisation des nitrites ».
42. Elle conteste avoir, avec ses adhérents, tenu un discours « coordonné » anticoncurrentiel et « mis en place une stratégie visant à empêcher ou, à tout le moins, à retarder, l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics » comme le retient l'ordonnance.
43. Elle affirme « l'action de la FICT (') visait simplement à attirer l'attention des pouvoirs publics sur la question du risque que peut faire courir sur la santé l'interdiction des nitrites dans la charcuterie en l'état des études scientifiques en vigueur » ainsi qu'il en résulte de sa qualité de syndicat professionnel.
44. La FICT soutient qu'aucun élément du dossier n'était susceptible de constituer un indice permettant de présumer qu'elle aurait tenu un discours qui s'inscrirait dans une logique de pratique anticoncurrentielle (paragraphe 192).
45. En premier lieu, la FICT considère que les seuls éléments de l'ordonnance tendant à démontrer l'existence d'un discours coordonné de la FICT visant l'utilisation de nitrites sont les éléments issus de ses rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 figurants en annexes 4, 5, 30 et 31 et de ses publications figurant en annexe 9 (paraphes 196 et suivants). Elle précise que, si le rapport de l'année 2020 de la FICT ne tient pas compte de l'avis de l'ANSES, c'est que ce dernier a été publié en juillet 2022, soit deux ans plus tard (page 114).
46. Elle estime que ces rapports et publications démontrent que la FICT a seulement fait connaître sa position sur le sujet de l'utilisation des nitrites, en sa qualité de syndicat professionnel chargé de représenter les intérêts des entreprises françaises de charcuterie traiteur et qu'il est impossible de présumer un agissement anticoncurrentiel de ce seul fait.
47. Elle fait état dans ses écritures de son interprétation de la pratique de l'Autorité relativement aux organismes professionnels, laquelle apprécie restrictivement l'illicéité des pratiques mises en 'uvre dans le cadre des activités de lobbying (paragraphes 163 à 190).
48. Elle soutient qu'il ressort de la pratique de l'Autorité que « les organismes professionnels sont pleinement légitimes à adopter une position officielle sur tout débat concernant l'activité de leurs membres et que ce n'est que dans des hypothèses très circonscrites que ce discours peut susciter des préoccupations de concurrence ».
Elle fait valoir que :
- il est légitime, et licite, pour les organisations professionnelles de manifester leurs préoccupations et de chercher à influencer la politique des pouvoirs publics notamment lorsque l'intervention de l'organisme professionnel s'inscrit dans le contexte d'un débat public dans lequel lesdites organisations font connaître leur point de vue pour défendre les intérêts de leurs membres (décision n° 23-D-15 du 29 décembre 2023 ; ADLC, Étude thématique « les organismes professionnels », janvier 2021 ; décision n° 02-MC-06 du 30 avril 2002 ; décision n° 05-D-20 du 13 mai 2005) ;
- ce n'est qu'à titre exceptionnel, notamment lorsque l'organisation professionnelle en question est intervenue dans la politique commerciale de ses membres ou a communiqué des informations trompeuses pour tenter de rallier une autorité publique à son opinion en la conduisant à prendre une décision sur la base de faits erronés ou partiels, que les actions de lobbying sont susceptibles d'enfreindre le droit des ententes anticoncurrentielles et que le caractère abusif de l'intervention d'un organisme professionnel auprès d'une autorité publique doit nécessairement être entendu restrictivement (décision n° 17-D-25 du 20 décembre 2017; arrêt du 16 février 2023, la Cour d'appel de Paris réformant la décision n°20-D-11 du 9 septembre 2020).
49. Elle fait valoir qu'en l'espèce :
- elle était légitime à affirmer, en l'état des données scientifiques en sa possession, sans outrepasser les limites de la liberté d'expression, que l'interdiction immédiate des nitrites dans la charcuterie n'était ni souhaitable, ni possible ;
- le contenu de ses rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 et ses publications (annexes n°4, 5, 30, 31, 32 et 9), « s'inscrivent à rebours de tout discours coordonné abusif, trompeur ou caricatural ou reposant sur des informations pouvant être considérées comme erronées à l'époque de leur publication » et démontrent que la FICT est restée dans son rôle d'organisme professionnel en respectant le droit de concurrence et ne peuvent constituer des indices de pratique anticoncurrentielle ;
- les allégations contenues dans les publications de la FICT s'inscrivaient dans un débat de santé public très vif dans le cadre duquel elle représentait l'intérêt collectif de ses membres auprès des pouvoirs publics, reposaient sur une base factuelle et scientifique suffisante, en particulier au moment de leur publication et ne comportaient aucune information trompeuse, ni pouvant être considérée comme erronée à l'époque de leur parution ;
- de l'absence de controverse scientifique sur l'utilisation des nitrites, qui ressort de la requête et des annexes (annexes n°2, 3, 28, 32), se déduit la légitimité du discours de la FICT.
50. Elle estime avoir tenu un discours dans le « contexte du débat d'intérêt général très vif » portant sur l'utilisation des nitrites, que « le standard de preuve auquel serait confrontée l'ADLC dans le cadre d'un éventuel dossier au fond serait particulièrement élevé », et que cette démonstration serait vouée à l'échec en ce que « le discours de la FICT visait simplement, études scientifiques à l'appui, à attirer l'attention des pouvoirs publics sur la question du risque que pouvait faire courir sur la santé l'interdiction des nitrites dans la charcuterie ».
51. En second lieu, la FICT soutient que les annexes produites à l'appui de la requête ne permettent pas de présumer que la FICT et ses membres auraient tenu un discours « coordonné » visant à minimiser « le danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation » ou à « influencer les travaux parlementaires au sujet du danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation » qui s'inscrirait dans une logique anticoncurrentielle (paragraphe 215).
52. D'une part, elle conteste la présomption selon laquelle elle aurait tenu un discours coordonné anticoncurrentiel visant à « influencer les travaux parlementaires au sujet du danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation ».
Elle soutient que :
- les annexes 33 (procès-verbal de déclaration et de recueil de copie de documents de M. [Y] [MP], président et co-fondateur de la société Yuca), et 29 (article La Dépêche du 7 avril 2023) sont partiales ;
- la mission d'information parlementaire menée par le député [WO] sur laquelle s'appuie la requête est partiale et « dénuée de toute compétence scientifique » ainsi que le soutient la FICT sur son site internet dans un document en date du 22 juillet 2022 (annexe 32 et pièce n°59) ;
- il ressort des déclarations du ministre de l'Agriculture (annexes 23 et 25) que « c'est au regard du rapport éclairé de l'ANSES et non au regard des éventuelles actions prétendument abusives de lobbying de la FICT que l'Assemblée nationale avait rejeté l'interdiction des nitrites dans la charcuterie et s'était orientée vers une diminution » ;
- l'annexe 45 ne démontre pas l'existence d'une « entente au sein de la FICT » mais « entérine la véracité du discours de la FICT qui s'est toujours appuyée sur l'état à date des études scientifiques en vigueur ».
53. D'autre part, elle conteste la présomption selon laquelle elle aurait tenu un discours « coordonné » visant à minimiser « le danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation ».
Elle fait valoir que :
- la présence sur le marché de gammes de charcuteries sans nitrites répond à une demande de naturalité des consommateurs et ne constitue certainement pas un aveu de la dangerosité des charcuteries nitritées ;
- ce terme est utilisé par « l'ensemble de l'industrie des produits de grande consommation » en ce que la « naturalité » est un positionnement marketing répondant à une demande des consommateurs (pièce n° 99) ;
- rien n'indique, dans le rapport annuel 2020 de la FICT et publié en 2021, qu'elle préconiserait aux industriels d'utiliser le terme « naturalité » dans leurs communications ;
- s'il ressort des éléments présentés par l'Autorité que le mot « naturalité » figure dans le rapport annuel de la FICT en 2020 et sur le site internet de la société André Bazin, le rapport 2020 de la FICT a été publié en 2020 alors que le site internet de ladite société contenant sa publicité relative à sa gamme de produits sans nitrites date de 2019 ;
- la naturalité est une « tendance de fond en agroalimentaire », ce qui explique que la société André Bazin en ait fait l'utilisation (annexe n°13), et qu'il soit retrouvé dans l'un des rapports annuels de la FICT ;
- rien ne permet de démontrer que la FICT a pu préconiser aux industriels l'utilisation d'éléments de langage tels que « naturalité » ;
- l'emploi de ce terme est insuffisant à établir l'existence d'un indice de pratique anticoncurrentielle ;
- aucun des indices mis en avant par l'Autorité ne permet de considérer que le discours de la FICT comportait des informations trompeuses, ni même pouvant être considérées comme erronées à l'époque de la publication des différents rapports ;
- l'absence de mention du risque sanitaire potentiel lié à la consommation de nitrites dans la promotion de leurs produits par les industriels s'explique notamment par l'innocuité des nitrites ajoutés dans la charcuterie conformément à la réglementation applicable (Code des usages charcutiers et réglementation européenne) et dans le cadre d'une alimentation équilibrée ;
- l'ANSES affirme, à propos des gammes sans nitrites, que « ce type d'alternatives ne conduit donc pas à diminuer l'exposition des consommateurs aux nitrites » ;
- au regard des articles 34, 35, et 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatifs aux importations et exportations au sein de l'Union, au Règlement (CE) n° 1333/2008, décision n° 2021/741 de la Commission européenne en date du 5 mai 2021 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l'adjonction de nitrites, qui rendent impossible pour le législateur français d'interdire l'importation de charcuteries contenant des nitrites, il est impossible de reprocher à la FICT une pratique anticoncurrentielle visant à empêcher ou à retarder une telle interdiction.
54. La FICT conclut de l'ensemble de ce qui précède que la motivation de l'ordonnance critiquée est insuffisante à démontrer des présomptions d'entente à son encontre et par conséquent, que l'ordonnance encourt l'annulation.
(iv) Sur l'absence d'indices d'une entente entre la FICT et ses adhérents dans le contentieux les opposant à la société YUCA
55. La FICT soutient que le caractère infondé de l'ordonnance ressort « de l'absence d'indices sérieux et crédibles laissant supposer que la FICT et ses adhérents se seraient coordonnés pour introduire une action judiciaire infondée visant à affaiblir la société Yuca ».
56. Elle estime qu'il n'existe aucun indice, « même très indirect », laissant présumer que la FICT et ses adhérentes auraient mis en 'uvre une stratégie judiciaire coordonnée illicite à l'encontre de la société Yuca.
57. En premier lieu, la FICT fait valoir que le droit d'agir en justice est une liberté fondamentale. Elle affirme avoir exercé son droit légitime d'ester en justice et qu'il ne saurait être reproché à un organisme professionnel ou à une entreprise d'avoir commis une pratique anticoncurrentielle du seul fait qu'il ou elle se soit contentée de faire valoir ses droits de façon légitime.
58. Elle indique qu'afin d'établir l'existence d'une action concertée anticoncurrentielle découlant du droit d'agir, les autorités de concurrence exigent qu'il soit rapporté la preuve tangible d'une coordination consciente entre plusieurs entités tendant à la mise en 'uvre d'une action judiciaire manifestement dépourvue de tout fondement et qui implique une altération du processus concurrentiel (objet et/ou effet anticoncurrentiel) (paragraphes 270 à 313 de ses écritures).
59. Elle soutient que le juge des libertés et de la détention aurait dû considérer que l'action de la FICT et de ses membres à l'encontre de YUCA était justifiée, cette société ayant été condamnée à trois reprises, par trois juridictions consulaires (le 25 mai 2021, par le tribunal de commerce de Paris, le 13 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le 24 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde) pour pratiques commerciales trompeuses, déloyales et dénigrement (pièce n°3).
60. Elle fait valoir que les arrêts de cour d'appel ayant infirmé les jugements de première instance n'ont pas remis en cause le caractère dénigrant des propos de la société Yuca mais ont infirmé lesdits jugements sur le seul fondement de la liberté d'expression.
61. Elle affirme qu'il résulte de la pratique décisionnelle de l'Autorité et de la jurisprudence qu'une action judiciaire fructueuse en première instance suffit à démontrer que la procédure déclenchée par l'entreprise n'est pas manifestement dépourvue de tout fondement.
62. En second lieu, elle soutient l'absence d'indices laissant présumer une action concertée de la FICT et de ses adhérentes dans le cadre du contentieux les opposant à la société YUCA.
63. Elle considère que cette présomption repose uniquement sur les déclarations des fondateurs de la société YUCA (annexes n°33 et 35).
64. Elle soutient que l'ordonnance fait état de quatre indices :
- la similarité des mises en demeure adressées par la FICT et 12 de ses adhérentes à la société YUCA ;
- l'introduction d'une action en justice par la FICT et de ses adhérentes à l'encontre de la société YUCA ;
- le montant des dommages et intérêts demandés ;
- le fait que le président de la FICT a été autorisé, conformément aux dispositions statutaires, par les organes directeurs de la fédération, à agir en justice à l'encontre de la société Yuca.
65. Elle conteste que ces trois indices soient de nature à retenir une présomption de pratique anticoncurrentielle.
66. Sur la similarité des mises en demeure, la FICT fait d'abord état dans ses conclusions du contexte des faits ayant conduit la FICT, et ses adhérentes, à mettre en demeure puis assigner en justice la société Yuca (paragraphes 325 et suivants).
67. Elle indique que le fait que la société Yuca ait été destinataire de 13 mises en demeure semblables entre le 7 octobre 2020 et le 15 décembre 2020 ne permet pas d'accréditer l'idée qu'il y aurait eu une stratégie de coordination judiciaire anticoncurrentielle dès lors que la FICT était fondée à adresser une mise en demeure à la société Yuca afin de défendre les intérêts de la profession qu'elle représente, action qui ne prive pas ses adhérentes du droit d'agir pour la défense de leurs propres intérêts et la réparation de leur préjudice personnel.
68. Elle indique que « la FICT comme ses adhérents reprochaient les mêmes faits à la société Yuca, à savoir des allégations trompeuses sur les additifs nitrés publiées sur son application ainsi qu'une notation rédhibitoire, ce qui explique pourquoi les mises en demeure revêtaient la même structure et s'appuyaient sur les mêmes fondements juridiques ».
69. Sur les assignations, elle soutient que le fait que la FICT et deux de ses adhérentes aient assigné la société Yuca en des termes identiques ne peut être constitutif d'un indice laissant présumer l'existence d'une coordination anticoncurrentielle.
70. Elle soutient que la FICT et ses adhérentes ont agi de façon indépendante et autonome devant trois juridictions distinctes.
71. Elle ajoute que les cours d'appel de Limoges (Le Mont de La Coste) et d'Aix-en-Provence (ABC Industrie) ont reconnu l'intérêt à agir personnel de chacune de ces sociétés adhérentes de la FICT, intérêt distinct de celui de la FICT (annexe n° 40).
72. Elle affirme que « il n'est pas interdit en droit de la concurrence pour une fédération de mutualiser avec certains de ses adhérents des éléments d'information en vue d'assurer la défense de la profession » (ADLC, Décision n° 05-D-33 du 27 juin 2005), et que les agissements reprochés à la société Yuca concernaient les sociétés justifiant leur similarité.
73. Elle considère que l'action judiciaire introduite par FICT à l'encontre de YUCA et celle exercée par ses adhérentes ne peut, en tant que telle, constituer un parallélisme de comportement.
74. Elle soutient qu'en retenant un indice des actions en justice introduites par la FICT et ses adhérentes, « le juge des libertés et de la détention a porté une atteinte inacceptable au droit de tout justiciable d'exercer un recours en justice, seul ou avec ses adhérents ».
75. Elle estime que « sur les 12 mises en demeure adressées par des sociétés adhérentes de la FICT, seules deux d'entre elles ont fait le choix souverain et individuel d'assigner la société Yuca, preuve qu'une coordination n'a jamais existé ».
76. Sur le montant des dommages et intérêts, la FICT conteste que le montant des dommages et intérêts sollicités auprès du juge commercial par les sociétés Le Mont de La Coste et ABC Industrie aux termes de leurs assignations respectives puisse être retenu comme un indice valable pouvant démontrer qu'il s'agirait d'une démarche coordonnée de ces deux sociétés.
77. Elle indique que les actions judiciaires avaient pour objectif, pour la FICT et les sociétés précitées, d'obtenir réparation du préjudice subi en raison des informations partiales et erronées diffusées par la société Yuca via son application de notation, support de son activité commerciale, alors que cette application exige loyauté et transparence des données présentées.
78. Sur l'autorisation du président de la FICT d'agir en justice à l'encontre de la société YUCA, la FICT affirme que le fait que le président de la FICT ait été autorisé, conformément aux dispositions statutaires, par les organes directeurs de la fédération, à agir en justice à l'encontre de la société Yuca ne peut constituer un indice d'une pratique concertée dès lors qu'il s'agit d'un fait normal et non fautif et que la FICT disposait d'un intérêt à agir pour défendre l'intérêt de la profession.
79. La FICT considère qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que « tout démontre que les actions diligentées par la FICT et les sociétés Le Mont de La Coste et ABC Industrie étaient légitimes et fondées et qu'aucune concertation en amont entre les parties intéressées n'a existé » et qu'ainsi, l'ordonnance doit être infirmée.
(v) Sur l'absence d'indices de possibles incidences anticoncurrentielles
80. La FICT soutient que le caractère infondé de l'ordonnance ressort « de l'absence d'indices sérieux et laissant supposer que la stratégie prétendument illicite de la FICT aurait eu de possibles incidences anticoncurrentielles ».
81. Elle fait valoir que :
- ni la requête, ni l'ordonnance en cause n'identifient les incidences anticoncurrentielles présumées découlant de la prétendue mise en 'uvre d'une stratégie illicite par la FICT et ses membres que sur le fondement des déclarations de personnes ou d'entités s'étant publiquement exprimées favorablement à l'interdiction des nitrites ;
- aucun indice sérieux et probant ne permet de corroborer ces suspicions puisqu'elles accusent la FICT et ses membres d'adopter un comportement « pro-nitrites » en toute connaissance de cause de leur dangerosité et ce, pour préserver des intérêts commerciaux ;
- cette présomption résulte d'articles de presse et de déclarations (annexes n°33, 44, 45, 46), éléments qui ne sont corroborés par aucune autre pièce que l'annexe 21 ;
- l'annexe 21 fait état d'un différentiel entre les pourcentages en valeur et ceux en volume, laisse effectivement entendre un prix plus élevé pour les produits sans nitrites, or, le différentiel entre le prix du jambon sans nitrite et le prix du jambon avec nitrite, ne saurait sérieusement, à lui seul, constituer un indice de la présomption des effets anticoncurrentiels allégués ;
82. En réponse à l'Autorité reprochant à FICT d'avoir procédé à une analyse de chaque indice figurant dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, la FICT fait valoir que si elle a « nécessairement été amenée à procéder à leur analyse individuelle, elle a également procédé à une analyse globale de ces indices et a pu démontrer que le 'faisceau d'indices' retenu en l'espèce ne permettait pas de suspecter que la FICT aurait mis en 'uvre une quelconque pratique anticoncurrentielle ».
83. Elle affirme que tant isolément que cumulativement, les indices retenus par la requête puis l'ordonnance sont insuffisants à établir une quelconque présomption d'agissements anticoncurrentiels.
84. L'Autorité de la concurrence, dans ses observations en réplique et à l'audience, conclut au bien-fondé de la requête.
85. En premier lieu, l'Autorité fait valoir que l'article L. 450-4 du code de commerce n'impose pas au juge des libertés et de la détention de faire état de présomptions graves, précises et concordantes, cette interprétation des textes et de la jurisprudence invoqués par l'appelante ne reposant sur un aucun élément sérieux.
86. Elle énonce que « Il est de jurisprudence constante que la personne morale visée par une ordonnance d'autorisation judiciaire sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce est à ce stade de l'enquête préalable seulement suspectée d'agissements anticoncurrentiels sur le fondement d'une simple présomption basée sur la description et l'analyse des pièces annexées à la requête de l'administration, celles-ci ne constituant pas des preuves, à savoir des indices graves, précis et concordants, de pratiques anticoncurrentielles mais des indices qui, pris en faisceau, aboutissent à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle » (not. CA de Paris, premier président, 27 mai 2016, n° 14/19277, société Essilor c/ Autorité de la concurrence, confirmée par Cass. Crim., 8 novembre 2017, n° 16-84525 ; CA de Paris, premier président, 28 juin 2017, n° 15/21311, société Faraud c/ Autorité de la concurrence) et qu'ainsi, la FICT est seulement suspectée de comportements illicites sur le fondement de pièces qui ne constituent que des indices.
87. Elle soutient ne pas avoir à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées et qu'en l'espèce, le juge a examiné de manière détaillée les 49 annexes, qui lui ont permis de suspecter une entente entre la FICT et certaines de ses adhérentes, sans pour autant constituer des éléments de preuves de nature à mettre en cause la FICT par l'envoi immédiat d'une notification de griefs.
88. Elle conteste l'affirmation de l'appelante selon laquelle les éléments présentés par elle au juge des libertés et de la détention auraient eu pour effet de le tromper.
89. En second lieu, l'Autorité fait valoir que l'absence d'indices « graves, précis et concordants » invoquée par l'appelante ne caractérise pas l'absence de motivation de l'ordonnance d'autorisation à l'égard de la FICT.
90. Elle considère que l'analyse un par un des indices à la requête faite telle qu'opérée par la FICT ne permet pas de remettre en cause le bien-fondé de l'ordonnance. Elle fait valoir que :
- la technique du faisceau d'indices permet d'établir l'existence de présomptions d'agissements illicites, en présence de plusieurs indices, alors même que de tels indices pris individuellement ne seraient pas suffisants pour établir une telle présomption, selon la jurisprudence qu'elle cite (pages 7 et 8 de ses écritures) ;
- seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat est révélateur d'une ou plusieurs simples présomptions de pratiques anticoncurrentielles ;
- si la méthode du faisceau d'indices est utilisée au fond pour apporter la ou les preuves de pratiques anticoncurrentielles, en l'absence de pièces se suffisant à elles-mêmes, cette méthode est d'autant plus recevable pour établir l'existence d'une ou de plusieurs simples présomptions au stade de l'affaire où les investigations n'ont pas encore été réalisées en totalité ;
- en l'espèce, les agissements présumés de l'appelante sont examinés par le juge de l'autorisation à la lumière des comportements express ou tacites des autres acteurs du secteur économique concerné dans la mesure où l'entente soupçonnée nécessiterait la mise au point, par la FICT et certains de ses adhérents, de stratégies et tactiques communes ;
- le juge a satisfait à son obligation de contrôle en s'assurant du caractère suffisant des faits exposés par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ayant conduit, après description et analyse, à des soupçons de comportements illicites dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie (bien-fondé de la demande), le juge ayant indiqué plusieurs indices aboutissant à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle.
91. L'Autorité soutient que l'ordonnance du 10 novembre 2023 fait état de ce que le juge des libertés et de la détention a indiqué plusieurs indices solides aboutissant à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle en retenant que :
- les divers documents versés à l'appui de la requête tels que les éléments de communication de la FICT à ses adhérentes, les déclarations des dirigeants de la société Yuca, de la Ligue nationale contre le cancer et de Foodwatch, les jugements des litiges opposant la FICT et ses adhérentes à Yuca, ainsi que les documents publics portant sur les initiatives des pouvoirs publics relativement à l'interdiction ou à la réduction de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie permettaient de retenir une présomption de discours coordonné visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés afin de maintenir artificiellement la coexistence de deux gammes de charcuterie, avec et sans nitrites, et d'appliquer un surprix à la gamme sans nitrite ;
- la stratégie mise en place par la FICT visant à empêcher ou, à tout le moins, retarder l'interdiction des nitrites dans la charcuterie-salaisonnerie ;
- la stratégie mise en place par la FICT visant à fournir des « éléments de langage à disposition des adhérents au sujet des nitrites » (annexe n° 4, page 8 de l'ordonnance), ainsi que des « recommandations » sur les « allégations sans nitrites » (annexe n° 5, page 6 de l'ordonnance) est susceptible d'avoir influencé la communication des industriels ayant lancé des gammes de charcuterie sans nitrites ;
- un parallélisme de comportement entre la FICT et les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste lors de leur assignation en justice de la société Yuca, lequel peut constituer une présomption sérieuse de pratiques anticoncurrentielles ;
- la circonstance que les éléments retenus par le juge des libertés et de la détention puissent faire l'objet d'une interprétation divergente de la part de la FICT ne saurait empêcher qu'ils constituent des indices suffisamment sérieux au stade de l'enquête, dès lors que l'analyse de l'Autorité de la concurrence apparaît plausible ;
- seul l'examen au fond de l'affaire permettra de connaître avec l'examen des documents saisis lors des investigations la véritable motivation de l'appelante et l'existence ou non de la pratique prohibée d'entente entre la FICT et certains de ses adhérents dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie.
92. L'Autorité fait valoir que, contrairement à ce qu'affirme l'appelante considérant que l'ordonnance aurait décrit de manière partiale et tronquée le débat national sur l'utilisation des nitrites, l'ordonnance fait état du rôle protecteur des nitrites contre les bactéries pathogènes, de l'autorisation de ces additifs dans les charcuteries, ainsi que de la démarche volontariste des charcutiers français, se traduisant par des doses d'incorporation maximale de nitrites inférieures à celles prévues par la réglementation européenne (pages 5 et suivantes de l'ordonnance).
93. Elle soutient que le rapport de la mission d'information parlementaire publié le 13 janvier 2021 sur lequel s'appuie l'ordonnance offre des gages d'impartialité eu égard à sa composition, son rôle, sa durée et son fonctionnement.
94. S'agissant de l'emploi du terme de « naturalité », l'Autorité estime que l'ordonnance ne formule pas que l'existence d'une gamme de charcuterie sans nitrites serait un aveu de la dangerosité des charcuteries nitritées, et que l'explication de la FICT d'une demande de naturalité des consommateurs est connue du juge des libertés et de la détention.
95. Elle considère que les éléments de langage recommandés selon le rapport d'activité 2020 de la FICT à l'ensemble des producteurs de charcuterie adhérents font partie du faisceau d'indices ayant permis de présumer que la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés, susceptible de réduire la concurrence que les nouvelles gammes de charcuterie sans nitrites pourraient exercer à l'égard de celles avec des additifs nitrés.
96. S'agissant de l'analyse des annexes faite par la FICT, l'Autorité soutient que :
- il est inexact d'affirmer, comme le fait l'appelante, que seuls six documents (annexes n° 4, 5, 30, 31, 32 et 42 à la requête) concerneraient la FICT alors que 24 sur les 49 annexes à la requête mentionnaient la FICT (annexes n° 1, 4,5, 6, 7, 8, 9, 19, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 42, 43, 44, 45, 46 et 47 à la requête), en outre les annexes n° 4, 5, 30, 31 et 32 à la requête sont des documents créés par la FICT, qui présentent la position de la FICT et il ressort de ces éléments l'impartialité de l'ordonnance qui s'appuie sur des annexes provenant de sources diverses, y compris la FICT elle-même ;
- l'appréciation de l'appelante qu'une dizaine de documents seraient « des articles, des extraits de sites internet et des présentations générales », s'agissant des annexes n° 2, 3, 10 à 18 et 20 à 21, ne s'oppose pas à la régularité de leur production à l'appui de l'ordonnance et à leur pertinence, le juge ayant procédé au contrôle de l'origine apparemment licite des annexes présentées à l'appui de la requête et que par conséquent, aucun grief ne saurait résulter de la production de ces annexes ;
- l'allégation de l'appelante que 40 documents seraient « publiquement accessibles » ne s'oppose pas à la régularité de leur production, ni à leur pertinence, mais sont utiles à l'obtention de l'autorisation judiciaire ;
- l'allégation que les PV de déclaration des fondateurs de Yuca, Foodwatch et de la Ligue contre le cancer seraient dénués de valeur probante car leurs déclarations seraient prétendument partiales n'est pas fondée, la position de ces personnes et organisations étant connues du juge des libertés et de la détention qui en fait état en page 7 de son ordonnance, d'autant que ces déclarations convergentes sont établies par PV signés, qui font foi jusqu'à preuve contraire, conformément à l'article L. 450-2 du code de commerce.
97. Le ministère public, dans son avis et à l'audience, conclut que l'ordonnance critiquée est bien fondée en ce que :
- la FICT se place sur le terrain de la preuve alors qu'au stade de l'enquête, le juge des libertés et de la détention n'a d'autre obligation que d'apprécier si, les éléments soumis à l'appui de la requête sont susceptibles de constituer des indices ;
- le juge des libertés et de la détention n'a pas à instruire à charge et à décharge mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée :
- en l'espèce, le juge a considéré que les 49 annexes qui lui avaient été soumises permettaient de suspecter une entente entre la FICT et certains de ses adhérents, et a indiqué plusieurs indices aboutissant à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle, conformément à la jurisprudence applicable ;
- au stade de l'enquête, ces indices sont suffisants pour justifier du bien-fondé de l'ordonnance en cause ;
- le juge a indiqué dans son ordonnance avoir procédé au contrôle de l'origine apparemment licite des annexes présentées à l'appui de la requête.
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
98. En application de l'article L 450-4 du code de commerce, « les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information et, le cas échéant, de leurs moyens de déchiffrement, susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.(...); Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ».
99. La FICT fait valoir que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne répond pas aux exigences de l'article 8 de la CESDH et de l'article L 450-4 du code de commerce en ce que le juge doit vérifier l'existence d'indices tangibles fondant des présomptions suffisantes d'agissements prohibés et, qu'en application du principe de loyauté, le choix des éléments en possession de l'Autorité ne doit pas conduire à tromper le juge des libertés et de la détention. Elle en déduit, pour la requête présentée et l'ordonnance rendue au vu de la requête, une insuffisance des présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention pour conclure à l'annulation de l'ordonnance.
100. En premier lieu, s'agissant de la référence par l'appelante à l'articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles (« CESDH »), il convient de rappeler que l'article L. 450-4 du code de commerce est entouré de garanties procédurales, en particulier outre une autorisation judiciaire préalable et le contrôle du juge, la possibilité de recours à l'encontre de la décision d'autorisation et de contester le déroulement des opérations de visite et de saisie (voir Cons. constitutionnel. n° 08-D-30 du 4 déc. 2008 : CCC 2009, n° 56, obs. Decocq.).
Il a ainsi été jugé postérieurement à l'arrêt [PZ] contre France (CEDH 21 févr. 2008, [PZ] et a. c/ France, req. n° 18497/03) que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce assurent un contrôle effectif, par le juge, de la nécessité de chaque visite et lui donnent les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, de régler les éventuels incidents portant notamment sur la saisie, par l'Administration, de documents de nature personnelle, confidentielle ou couverts par le secret professionnel et, le cas échéant, de mettre fin à la visite à tout moment (..) ( Crim. 27 juin 2012, n° 12-90.028).
101. En outre, d'une part, l'article L. 450-4 du code de commerce renvoie expressément à l'article L. 450-1 du dit code, lequel permet de définir avec suffisamment de précision le cadre des enquêtes dans lesquelles les agents de l'administration peuvent procéder sur le fondement de ce texte aux opérations de visites et de saisies, soit les enquêtes liées à l'application des titres II et III du livre IV du code de commerce, destinées à rechercher les preuves de pratiques anticoncurrentielles ou d'opérations de concentration prohibées.
102. D'autre part, selon l'interprétation de ce texte par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le juge du fond doit exercer un contrôle effectif sur les présomptions de pratiques prohibées et les agissements dont la preuve est recherchée. (Crim. 9 déc. 2020, n° 20-83.001).
103. En second lieu, il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation, qui ne se fonde que sur la réunion de simples indices et non « des indices sérieux, tangibles et crédibles de présomptions précises, graves et concordantes » comme le prétend la FICT, il n'y a pas lieu de rechercher si les éléments constitutifs de telle ou telle pratique anticoncurrentielle suspectée sont réunis.
Le juge doit se limiter à apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément (Cass crim, 8 novembre 2017, n° 16-84525 ; n° 16-84531).
A ce stade de l'enquête, de simples présomptions de l'existence de pratiques anticoncurrentielles suffisent donc pour fonder l'autorisation délivrée.
104. Il convient de rappeler en effet, qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre de l'appelante, l'Autorité de la concurrence n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles ou à démontrer la réalité de celles-ci, mais seulement des indices qui, par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison, aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.
105. Il est constant en outre qu'il suffit au juge des libertés et de la détention de ne retenir qu'un seul indice laissant apparaître de simples présomptions d'agissements prohibés pour lui permettre de délivrer une ordonnance d'autorisation de visite et de saisie.
106. En l'espèce, pour conclure à l'annulation de l'ordonnance pour insuffisance de présomptions, la FICT articule cinq griefs au regard des éléments produits par l'Autorité qu'elle qualifie de « tronqués » sur le débat national sur l'utilisation des nitrites (i), au regard de l'analyse globale des annexes produites au soutien de la requête qu'elle qualifie « d'écran de fumée » (ii), au regard de l'absence d'indices sérieux et crédibles sur un discours anticoncurrentiel coordonné en faveur de l'utilisation des nitrites (iii), au regard de l'absence d'indices d'une entente entre la FICT et ses adhérents dans le contentieux les opposant à la société YUCA (iv), et de l'absence d'indices de possibles incidences anticoncurrentielles (v).
(i) Sur la description du débat national sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie
107. La FICT articule un premier grief à l'égard de l'Autorité selon lequel elle n'a pas communiqué au juge des libertés et de la détention l'ensemble des éléments utiles pour lui permettre d'exercer son contrôle en violation de son obligation de loyauté et en violation des droits de la défense.
Elle précise que des éléments du débat national sur l'utilisation des nitrites et nitrates dans la charcuterie ont été tronqués par l'Autorité et que ces éléments auraient dû conduire le juge des libertés et de la détention à ne pas faire droit à la demande de l'Autorité.
Elle déclare que l'Autorité s'est abstenue de mettre l'accent sur l'entièreté du débat scientifique relatif à l'utilisation des nitrites en soulignant en premier lieu que les nitrates et nitrites ajoutés dans la charcuterie sont recommandés pour leur rôle de protection sanitaire contre les bactéries pathogènes et sont autorisés par la réglementation nationale et européenne.
108. L'Autorité rétorque que l'ordonnance fait état du rôle protecteur des nitrites contre les bactéries pathogènes, de l'autorisation de ces additifs dans les charcuteries, ainsi que de la démarche volontariste des charcutiers français, se traduisant par des doses d'incorporation maximale de nitrites inférieures à celles prévues par la réglementation européenne.
109. En l'espèce, il ressort de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qu'elle fait référence aux divers documents versés par l'Autorité en relevant que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public mais également de l'exercice par l'Autorité de la concurrence de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière.
110. Il ressort en outre de la procédure que 49 documents ont été présentés à l'appui de la requête et sont constitués, s'agissant du débat national sur l'utilisation des nitrites, de documents publiés en ligne ou accessibles au public tels que : des publications sur le site de l'ANSES ( Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) du 6 décembre 2021 et du 12 juillet 2022 (pièces n°2, 3 et 24), de documents émanant des entreprises de charcuterie et de la FICT (pages internet d'entreprises de charcuteries sur la charcuterie sans nitrite, rapports d'activités de la FICT sur les années 2019 à 2022, code des usages de la charcuterie édition 2016 mise à jour en 2023, communication de l'ANIA (Association nationale des industries alimentaires) (pièces n°4, 5, 6, 8, 9 à 15, 17, 18, 30 à 32), d'extraits d'articles de presse ( pièces n°16, 20, 21, 29, 44, d'extraits d'une étude intitulée « la fabrication de la charcuterie » (pièce n°19), de communications, publications du gouvernement et de l'Assemblée nationale et propositions de loi (pièces n°7, 22, 23, 25 à 28), de publications sur le site de YUCA ( pièces n°34), décisions de justice (pièces n° 36 à 41), de procès-verbaux d'audition par l'Autorité des présidents et co-fondateurs de YUCA ainsi que du responsable des campagnes de l'association FOODWATCH (pièces n° 33, 35, 45, 46) outre des documents qui sont nécessaires à la procédure (demande d'enquête du rapporteur, extraits de Kbis, pieces n°1, 42, 43) et de la jurisprudence (pièces n°48 et 49).
111. Tous ces documents sont visés à l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui est reprise dans l'exposé du litige de la présente décision ( paragraphe n°4). Ladite ordonnance mentionne expressément la teneur et l'ampleur du débat national sur l'utilisation des nitrites en ses pages 5 à 7 où sont relevés les propriétés antimicrobiennes et technologiques des nitrites et nitrates, la réglementation européenne et française applicable avec la détermination des doses maximales admises, l'engagement à réduire lesdites doses dans le code des usages de la FICT, les actions de communication des acteurs de la filière sur la charcuterie avec et sans nitrites, les publications scientifiques et plus particulièrement celles de l'ANSES, les initiatives de la société civile à travers l'association Foodwatch, la Ligue contre la cancer et la société YUCA, les débats parlementaires, les propositions de loi, le plan d'action du gouvernement et les articles de presse qui exposent les enjeux du débat scientifique et sanitaire sur le recours aux nitrites et nitrates dans la charcuterie.
112. Dès lors, au vu desdites pièces, par une appréciation que la présente juridiction fait sienne, le juge des libertés et de la détention s'est estimé suffisamment informé sur ce débat scientifique et les opinions des différents acteurs privés et publics impliqués dans les enjeux de la fabrication, de la commercialisation et de la consommation des produits de charcuterie avec ou sans nitrites pour autoriser les opérations de visite et de saisie, ce d'autant que, n'étant pas juge du fond, il ne lui appartient pas d'apprécier, à ce stade de l'autorisation, les enjeux et effets de ce débat mais d'apprécier l'existence d'indices de présomptions d'agissement anti-concurrentiel.
113. En outre, il convient de constater que l'appelante ne démontre pas en quoi le règlement européen n°133/2008 ou l'ensemble des études scientifiques qu'elle produit et vise comme notamment les documents émanant de l'Autorité européenne de sécurité des aliments dans ses écritures, non soumises au juge des libertés et de la détention par l'Autorité de la concurrence, auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation de la présomption d'agissement anti-concurrentiel retenue par le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation de l'opération de visite et de saisie.
114. Enfin, la FICT invoque un manquement à son obligation de loyauté par l'Autorité en faisant valoir que cette dernière n'a produit que des éléments à charge sur le débat scientifique sur l'usage des nitrites dans la charcuterie.
115. L'article L 450-4 du code de commerce dispose que « Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ».
116. Il ne ressort de ce texte aucune obligation pour l'Autorité de la concurrence de produire des pièces qui seraient considérées comme à décharge par l'appelante.
117. Pas davantage, le juge des libertés et de la détention n'a à instruire à charge et à décharge, mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur une ou de simples présomptions suffisantes de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte (Cass com, 8 décembre 2009, n° 08-21017).
118. Dès lors, l'Autorité avait l'obligation de produire tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier l'autorisation aux fins d'opérations de visite et saisie et non celle de produire des éléments « à charge ou à décharge » contre la FICT.
119. Cette branche du moyen sera rejetée.
(ii) Sur l'analyse / la force probante des annexes produites à l'appui de la requête
120. La FICT articule un deuxième grief selon lequel l'analyse globale des annexes produites au soutien de la requête qu'elle qualifie « d'écran de fumée » sont destinés à faire croire à l'existence d'indices sérieux ce qui est « totalement faux ».
121. Evoquant de façon détaillée les pièces annexées à la requête, la FICT fait valoir que seules 6 pièces sur les 49 pièces de la requête la concernent directement et que les indices retenus par le juge des libertés reposent sur les procès-verbaux d'audition par l'Autorité des dirigeants de la société YUCA, de FOODWATCH et de la Ligue contre le cancer et sur les documents parlementaires et propositions de loi visant à interdire les nitrites, qui sont partiaux et dénués de force probante. La FICT ajoute que, pour le surplus, les pièces constituées d'articles de presse et de décisions de justice ne permettent pas de suspecter l'existence d'une présomption de pratiques anticoncurrentielles.
C'est ainsi que la FICT, dans ses écritures, analyse séparément chaque annexe à la requête pour en critiquer la pertinence au regard des soupçons pesant sur ses activités et au regard de l'autorisation donnée.
122. Toutefois, conformément à l'article L 450-4 du code de commerce et à la jurisprudence établie, il convient de rappeler que le juge des libertés et de la détention s'est fondé sur un faisceau d'indices qui englobe l'ensemble des annexes à la requête produites, laissant présumer l'existence d'un risque de pratique anticoncurrentielle à l'encontre de l'appelante résultant notamment de sa communication publique tant à l'égard des consommateurs et des pouvoirs publics qu'à l'égard de ses membres sur l'utilisation des nitrites et nitrates sur le marché de la charcuterie et de son action judiciaire à l'égard de la société YUCA, peu important à cet égard que la FICT ne soit pas expressément visée par toutes les annexes à la requête auxquelles le juge s'est référé.
123. Il est ainsi usuel que les faisceaux d'indices sur lesquels reposent les ordonnances d'autorisation, comme en l'espèce, soient fondés à la fois sur des documents accessibles publiquement et des documents émanant des sociétés visées lors de saisines de l'Autorité de la concurrence ainsi que des témoignages que cette dernière a recueillis en application de l'article L450-3 du code de commerce.
124. En effet, l'Autorité de la concurrence peut produire des éléments qu'elle a constitués elle-même, comme en l'espèce, les procès-verbaux d'audition des dirigeants de la société YUCA et ceux des dirigeants de la Ligue contre le cancer et l'association Foodwatch (pièces n°33,35, 45, 46).
125. En outre, si à lui seul, chacun des documents produits par l'Autorité de la Concurrence ne peut constituer un indice susceptible de présumer de l'existence de la pratique anticoncurrentielle recherchée, il contribue, par son examen dans le cadre de l'analyse globale des pièces par le juge des libertés et de la détention, à éclairer les autres indices présentés.
126. Ainsi, les pièces annexées à la requête constituent un ensemble cohérent à l'appui de la requête et leur dénier, comme l'appelante y prétend, toute force probante au motif qu'elles transcrivent, pour certaines d'entre elles, une position, dans le débat public, défavorable à l'utilisation des nitrites en charcuterie ou prônant leur interdiction, est inopérant.
127. Ainsi, la FICT échoue à démontrer que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas exercé, en l'espèce, de contrôle sur le bien-fondé de la requête en examinant et en analysant les 49 pièces annexées à la requête.
128. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
(iii) Sur l'absence d'indices d'un discours anticoncurrentiel coordonné en faveur de l'utilisation des nitrites
129. La FICT articule un troisième grief selon lequel les éléments produits par l'Autorité ne constituent pas des indices sérieux et tangibles de comportement anticoncurrentiel mis en oeuvre par elle.
130. Cependant, comme évoqué plus haut (paragraphe n°103), il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention procédé par la méthode de faisceau d'indices et n'a pas à prouver que la pratique prohibée était caractérisée par des indices sérieux tangibles mais que cette pratique est présumée à travers de simples indices.
131. En l'espèce, s'agissant des éléments caractérisant l'existence de présomptions d'agissement anti-concurrentiel retenus par le juge des libertés et de la détention, la décision d'autorisation querellée mentionne par une appréciation pertinente des éléments du dossier qui lui a été présenté et que cette juridiction fait sienne ce qui suit :
- en raison de leurs propriétés antimicrobiennes et technologiques, les nitrites et les nitrates (comme précurseurs des nitrites) sont utilisés en tant qu'additifs alimentaires dans une grande diversité de denrées, principalement carnées (charcuteries et salaisons) ; l'activité inhibitrice et microbicide des nitrites s'exerce sur un nombre important de micro-organismes, notamment des bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria ; leur usage permet d'éviter la production de toxines comme celles à l'origine du botulisme ; les nitrites sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites et permettent d'allonger la durée de conservation des denrées (annexes à la requête n° 2 et 3) ;
- dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie, les réglementations européenne et française autorisent l'utilisation de nitrites dans la charcuterie, mais l'encadrent, les charcutiers ne devant pas dépasser les doses maximales autorisées ; la réglementation européenne prévoit des doses d'incorporation maximales de 150 mg/kg de produits à base de viande; que les charcutiers français se sont engagés dans le code des usages de la charcuterie à limiter l'utilisation des nitrites, d'au moins 20%, soit 120 mg maximum par kilo en 2016 et prévoyaient une nouvelle baisse de 20% en 2021 (annexes à la requête n° 4 et 5) ; il ressort de la nouvelle version du code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes, mise à jour en 2023, que l'utilisation des nitrites doit être limitée à 100 mg maximum par kilo pour les poitrines et lardons (annexe à la requête n° 6) ;
- l'utilisation des nitrates et nitrites ajoutés dans l'alimentation - les additifs E249, E250, E251 et E252 - serait controversée ; en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (« CIRC ») a classé la charcuterie dans la catégorie des aliments présentant un risque cancérigène pour l'homme (Groupe 1) (annexe à la requête n°7, page 10) ;
- l'emploi des nitrites dans l'alimentation humaine est défendu par la FICT et l'ANIA par un communiqué de presse en date du 14 septembre 2016 en réaction à un reportage de l'émission « Cash Investigations » intitulé « Industrie agroalimentaire : business contre santé » diffusé le 13 septembre 2016, L'ANIA a annoncé l'existence d'un « site d'informations proposé par la Fédération des Industriels de la Charcuterie Traiteur (FICT) : http://www.info-nitrites.fr./. Ce site, accessible à tous, met à disposition les connaissances scientifiques actuelles sur le sujet» (annexes à la requête n° 8 et 9) ;
- plusieurs opérateurs majeurs de la filière, notamment Herta et Fleury Michon, tous deux membres de la FICT, ont lancé des gammes de charcuterie sans nitrite, à compter respectivement de février 2017 et mars 2019 (annexe à la requête n° 7, page 63) ;
- si des industriels adhérents à la FICT, notamment Fleury Michon, Herta, Brocéliande, André Bazin et Madrange, produisent désormais de la charcuterie sans nitrite, en particulier du jambon blanc, aucun ne fait référence au débat sur le risque sanitaire potentiel lié à la consommation de nitrite dans la promotion de leurs produits (annexes à la requête n° 10 à 14) ;
- pour expliquer le développement de gammes de charcuterie sans nitrite, la FICT indique vouloir répondre à l'attente des consommateurs « de plus de naturalité » (annexe à la requête n° 5), expression reprise par l'industriel André Bazin (annexe à la requête n° 13) ;
- la plupart des industriels membres de la FICT qui produisent de la charcuterie sans nitrite continuent de produire et commercialiser en parallèle la gamme de produits avec nitrites ;
- dans son rapport d'activités 2020, la FICT mentionne que « les recommandations de la FICT sur les allégations « sans nitrites » viennent d'être révisées ; ce rapport d'activités 2020 d'encadrement volontaire professionnel vise à assurer une information transparente et loyale du consommateur, dans le contexte de développement de produits « sans nitrites » visant à répondre aux attentes des consommateurs de plus de naturalité. Ces solutions « sans nitrites ». souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française » (annexe à la requête n° 5) ;
- dans ce contexte, la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher ou, à tout le moins, à retarder, l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics ;
- le discours coordonné mis en place par la FICT visant à contrebattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés apparaît notamment dans ses différents rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 :
' dans le rapport annuel 2019, il est fait mention d'« un plan d'actions pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique «, de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites (annexe à la requête n° 4) ;
' dans le rapport annuel 2020, un dossier de plusieurs pages est consacré aux nitrites, détaillant la stratégie de communication mise en place pour contrer la tentative d'interdire progressivement les nitrites ; la FICT précise qu'aucune étude ne prouve le lien entre les additifs nitrés et la survenue de cancer colorectal et estime que « les effets cancérogènes identifiés par l'OMS ne sont pas retrouvés aux faibles doses auxquelles les nitrites sont utilisés dans les charcuteries » (annexe à la requête n° 5) ;
' dans le rapport annuel 2021, la FICT estime que les nitrites sont injustement remis en cause, critique la mission d'information parlementaire et présente son plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat » (annexe la requête n° 30) ;
' dans le rapport annuel 2022, la FICT détaille sa communication « en réaction face aux attaques injustifiées sur les nitrites » (annexe à la requête n° 31) ; si la FICT s'engage dans le rapport précité à « Baisser les seuils d'utilisation des nitrites dès que cela est possible », elle publie également, le 22 juillet 2022, un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie » (annexe à la requête n° 32).
132. Ainsi, le juge des libertés et de la détention relève à juste titre que les éléments d'information détenus par l'Autorité de la concurrence permettent de présumer que la FICT est susceptible d'avoir mis en 'uvre des pratiques anticoncurrentielles à travers :
- une stratégie et des outils de communication publique pour elle-même et ses membres, à travers des éléments de langage, destinés aux consommateurs mais également destinée aux pouvoirs publics pour prévenir l'interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie ;
- cette stratégie a été déclinée dans les rapports annuels d'activité de la FICT qui mentionnent ainsi dans le rapport de 2019 « un plan d'actions pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique », de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet », de rencontres avec les parlementaires dans le rapport d'activité 2020 avec 'La FICT s'est attachée à faire de la pédagogie sur les nitrites et nitrates auprès des élus, en s'appuyant sur les données scientifiques disponibles, les avis des agences sanitaires, et les risques pour le patrimoine charcutier si le retrait des nitrites était généralisé à l'ensemble des charcuteries. La FICT a ainsi organisé un débat parlementaire en janvier 2020, en présence notamment du député [WO], et de plusieurs scientifiques, pour faire le point sur les nitrites. En janvier 2021, c'est un événement organisé par le Club de la Table Française qui a permis de soulever l'enjeu de ce sujet pour la préservation de notre savoir-faire charcutier français, avec un éclairage scientifique par l'Institut du porc, et avec la participation de [I] [BK], Présidente de la FNSEA, de la Confédération Française des Bouchers Charcutiers Traiteurs, et de [D] [O], ancien chef de l'Elysée et actuellement représentant de la Gastronomie française » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites, dans le rapport de 2021, un plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat », dans le rapport de 2022 et un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie ».
133. La FICT ne conteste ni la réalité ni la teneur desdits rapports dont elle est l'auteur mais fait valoir qu'elle agit là en sa mission de défense de l'intérêt collectif professionnel de ses membres, mission légitime et pratique admise par l'Autorité de la concurrence s'agissant d'intervenir dans un débat public « d'intérêt général très vif » portant sur l'utilisation des nitrites.
Elle soutient que son discours n'était pas fondé sur des informations trompeuses, qu'elle a eu recours à l'état des données scientifiques pour affirmer que l'interdiction immédiate des nitrites dans la charcuterie n'était ni souhaitable ni possible au regard des risques sanitaires encourus, que « le standard de preuve auquel serait confronté l'ADLC dans le cadre d'un éventuel dossier au fond serait particulièrement élevé », et que cette démonstration serait vouée à l'échec en ce que « le discours de la FICT visait simplement, études scientifiques à l'appui, à attirer l'attention des pouvoirs publics sur la question du risque que pouvait faire courir sur la santé l'interdiction des nitrites dans la charcuterie ».
134. Cependant, il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention, au stade de l'autorisation des opérations de visite et de saisie, d'apprécier la teneur du débat public et l'état des données scientifiques sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie et le bien fondé ou non de l'interdiction de leur usage dans la charcuterie.
135. Pas davantage, il ne lui appartient d'apprécier si le comportement de la FICT est en conformité avec les critères de l'Autorité de la Concurrence pour l'exercice de la défense de l'intérêt collectif d'une profession.
136. En effet, au stade de l'autorisation, il appartient au juge des libertés et de la détention de déterminer si des indices de la mise en place d'une stratégie coordonnée de communication entre la FICT et ses adhérents, de nature à caractériser une présomption de pratique anticoncurrentielle, sont suffisants.
137. En l'espèce, le fait que la position de la FICT sur l'utilisation des nitrites soit connue et revendiquée comme conforme à la réglementation et nécessaire pour prévenir des risques sanitaires, en sa qualité de syndicat professionnel, est sans incidence dans la mesure où la diffusion, même publique, d'éléments de langage, est susceptible de participer d'une stratégie coordonnée constitutive d'un indice de présomption d'une pratique anti-concurrentielle alors que le juge de l'autorisation n'a pas à caractériser les éléments constitutifs de la pratique anticoncurrentielle suspectée mais seulement à apprécier l'existence d'indices de présomption d'une telle pratique.
138. En outre, la FICT ne contestant pas la mise en place d'un plan d'action caractérisé notamment par la diffusion d'éléments communs de langage à disposition de ses adhérents, l'organisation de rencontres et prises de contact avec les administrations, cabinets ministériels et des élus du Parlement, la publication d'articles destinés à combattre tout lien entre le risque de survenue du cancer colorectal et la consommation de nitrites dans la charcuterie, la critique du travail parlementaire sur l'évaluation de la dangerosité de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie, il convient de relever que cette stratégie coordonnée s'inscrit dans un contexte où elle prétend à la fois tendre à la réduction des seuils d'incorporation de nitrites dans la charcuterie et à communiquer sur la charcuterie sans nitrite censée correspondre à un besoin de naturalité sans lien avec un risque sanitaire.
139. Dès lors, c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention a pu retenir des indices suffisants de ce que la FICT avait mis en place un discours coordonné avec ses adhérents destiné à combattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés et à tout le moins retarder cette interdiction.
140. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
(iv) Sur l'absence d'indices d'une entente entre la FICT et ses adhérents dans le contentieux les opposant à la société YUCA
141. La FICT articule un quatrième grief d'absence d'indices suffisants d'une entente de la FICT et des membres pour agir en justice contre la société YUCA.
142. En l'espèce, le juge des libertés et de la détention a relevé que les documents produits par l'Autorité de la concurrence permettent de présumer que la FICT s'est coordonnée avec des entreprises adhérentes pour mener des actions en justice à l'encontre de la société Yuca dont le niveau des dommages-intérêts demandés pourrait avoir pour objectif d'affaiblir Yuca, afin d'empêcher ou limiter toute communication sur la dangerosité potentielle des nitrites en raison de la campagne de pétition de ladite société avec la Ligue contre le cancer contre l'utilisation des nitrites dans la charcuterie à travers les éléments suivants :
- l'envoi de treize lettres de mises en demeure identiques de la FICT et d'industriels de la charcuterie membres de cette fédération professionnelle entre le 7 octobre 2020 et 15 décembre 2020, à la société Yuca (annexe à la requête n° 33) ;
- trois de ces mises en demeure suivies d'assignations en 2021 rédigées de manière identique: la FICT, Le Mont de la Coste et ABC Industries (annexes à la requête n° 33 et 34)
- la demande des sociétés Le Mont de la Coste et ABC Industries dans leurs assignations des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de Yuca de 1,6 million d'euros en 2020 (annexes à la requête n° 33 et 35) ;
- le fait que la société Yuca a été condamnée à trois reprises, le 25 mai 2021, par le Tribunal de commerce de Paris, le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le 24 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde pour pratiques commerciales trompeuses et déloyales et dénigrement (annexes à la requête n° 36 à 38) ; Yuca devait verser en tout 95 000 euros de dommages-intérêts et avait dû retirer de l'application le lien vers la pétition demandant l'interdiction des nitrites (annexe à la requête n° 34) ; par des arrêts du 8 décembre 2022, du 13 avril 2023 et du 7 juin 2023, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la cour d'appel de Limoges et la cour d'appel de Paris ont chacune infirmé les jugements des tribunaux de commerce précités dans leur intégralité (annexes à la requête n° 39 à 41) ; il a été notamment reconnu en appel que les informations diffusées par Yuca sont fondées sur des fondements scientifiques sérieux et renommés, et que cette société n'a pas manqué à sa diligence professionnelle et n'a pas diffusé des informations trompeuses ou susceptibles d'induire les consommateurs en erreur ; le dénigrement a également été exclu, la question de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie faisant partie du débat d'intérêt général sur la santé publique ; ces arrêts n'ont pas fait l'objet de pourvois en cassation.
143. La FICT fait valoir qu'elle n'a pas abusé de son droit d'agir en justice, qu'en première instance, la société YUCA a été condamnée par les juridictions commerciales pour des pratiques commerciales trompeuses et que les décisions d'infirmation rendues par les cours d'appel ont été fondées sur la liberté d'expression et n'ont pas remis en cause le caractère dénigrant des propos de la société YUCA.
144. Elle conteste tout parallélisme de comportement. Elle estime fondé et logique que plusieurs entreprises adhérentes aient assigné YUCA sur les mêmes fondements au regard de leur situation identique de préjudice réputationnel et économique subi en raison du discrédit jeté sur leurs produits par l'application de notation YUKA.
145. Elle considère que la présomption retenue de pratique anticoncurrentielle n'est fondée que sur les déclarations des fondateurs de YUCA et que les quatre indices relevés (similarité des mises en demeure, de l'action en justice et du montant des dommages-intérêts et l'autorisation d'agir en justice du président de la FICT) sont insuffisants à établir une présomption de pratique anticoncurrentielle.
146. En l'espèce, même si elle argue de la non production devant le juge des libertés et de la détention par l'Autorité de la concurrence des lettes de mise en demeure et des assignations, la FICT ne conteste pas que la société YUCA a fait l'objet de treize lettres de mises en demeure identiques de la FICT et d'entreprises membres de la FICT visant notamment à obtenir de la société YUCA la suppression de la pétition, la révision de son système de notation quant aux denrées contenant des nitrites et la correction de ses affirmations sur leur risque élevé et que trois de ses mises en demeure ont donné lieu à des assignations ayant le même objet.
A ce titre, il convient de relever que la FICT produit à la présente procédure la lettre de mise en demeure qu'elle a adressée à la société YUCA ( pièce n°76).
Cette lettre comporte les mentions suivantes : 'À défaut de réponse satisfaisante de votre part dans le délai imparti, nous vous informons que notre cliente nous a d'ores et déjà donné instruction de prendre à votre encontre toutes mesures judiciaires, y compris urgentes, permettant d'engager votre responsabilité et ainsi obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Ce dossier revêt un degré d'urgence pour la FICT dans la mesure où les allégations que vous communiquez aux utilisateurs de l'application Yuka causent un préjudice d'image important pour la profession. Cette urgence est d'autant plus grande compte tenu du contexte actuel marqué par la mission d'information sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire qui se tient devant l'Assemblée Nationale depuis le mois de mars dernier et qui pourrait avoir des conséquences sur le plan législatif, l'un de ses rapporteurs, Monsieur [JG] [WO], ayant été à l'origine d'un amendement destiné à procéder à la taxation des charcuteries nitritées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et s'étant publiquement prononcé en faveur d'une interdiction des sels nitrités.
Il est certain que la diffusion sur votre application d'informations aussi partisanes à l'encontre des sels nitrités, outre l'effet dévastateur qu'elle a sur le comportement du consommateur, ne peut que conduire à influencer la réflexion initiée par cette mission d'information et, demain, le pouvoir législatif, dans un sens exempt de toute objectivité sur le sujet.
Vous devez considérer cette lettre comme une mise en demeure de nature à faire courir tous les délais, intérêts et autres conséquences que la loi (particulièrement les articles 1231-6 et 1344-1 du Code civil) et les tribunaux attachent aux mises en demeure.
Au vu de la nature des agissements qui vous sont reprochés, nous adressons une copie de la présente à Madame la Directrice générale de la DGCCRF. '
Ainsi, il ressort de cette lettre que la FICT a entendu agir à l'égard de la société YUCA en visant expressément les débats parlementaires et s'est inscrite dès lors dans la continuité de son plan d'action pour prévenir ou retarder l'interdiction de l'utilisation de nitrites dans la charcuterie (cf: paragraphe 138 de la présente décision).
147. La FICT procède de nouveau à un examen détaillé et individuel des éléments à l'appui des indices pour contester que lesdits éléments, pris isolément ou ensemble, ont conduit le juge des libertés à retenir un parallélisme de comportement dans l'action judiciaire.
148. Cependant, comme évoqué plus haut (paragraphes n°122 à 126) , le juge des libertés et de la détention a procédé à un examen global de la requête et des annexes et en a déduit des indices selon lesquelles la FICT et d'autres entreprises membres ont agi en justice contre la société YUCA, selon une stratégie identique et coordonnée tendant, pour certaines d'entre elles comme les sociétés ABC Industrie et LE MONT DE LA COSTE, à travers un montant significatif des dommages-intérêts, à mettre en péril l'existence de la société YUCA et de faire cesser toute campagne d'information sur les éventuels dangers potentiels du recours aux nitrites dans la charcuterie.
149. Le juge a ainsi relevé que deux des assignations délivrées à la société YUCA sollicitent des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de la dite société d'un montant de 1,6 million d'euros en 2020.
150. A ce titre, la FICT est mal fondée à déclarer que chacune des entreprises membres a agi en justice de façon autonome et indépendante alors qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 juin 2023 (annexe n°41) visé par l'ordonnance, que:
- l'autorisation d'agir en justice au nom de la FICT a été donnée au président de la FICT conformément aux statuts par les membres du bureau ou comité directeur dont le président est également membre ;
- que Monsieur [P], vice président de la FICT, membre du comité directeur ayant donné l'autorisation d'agir en justice, est par ailleurs président du groupe LOSTE auquel appartiennent les filiales 'sociétés ABC et le Mont de la Coste', membres de la FICT, qui ont également assigné la société YUCA et sollicité l'octroi de dommages-intérêts pour pratiques commerciales trompeuse.
151. Dès lors, c'est effectivement au vu des éléments relatifs aux actions judiciaires engagées contre la société YUCA que le juge des libertés et de la détention a retenu, que, par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison, ils constituent un indice de parallélisme de comportement, constitutif d'une présomption de pratique anticoncurrentielle destinée à faire taire toute communication négative de la société YUCA sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie pour empêcher ou retarder le plus longtemps possible leur interdiction.
152. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
(v) Sur l'absence d'indices de possibles incidences anticoncurrentielles
152. La FICT fait valoir que l'ordonnance querellée n'identifie pas les incidences anticoncurrentielles présumées de la prétendue mise en oeuvre d'une stratégie illicite de la FICT et de ses membres.
153. Cependant, si la FICT fait état du besoin de naturalité des consommateurs pour expliquer le développement de la charcuterie sans nitrite par certains de ses membres, elle ne conteste pas que la vente de charcuterie sans nitrite est en augmentation et que son prix est supérieur à la charcuterie avec nitrites tel que cela ressort de l'ordonnance visant les annexes n° 18, 19 et 21 de la requête.
154. En effet, lesdites pièces mentionnent les éléments suivants :
- pièce n°18, article PorcMag du 26 juin 2022, mentionnant « Brocéliande propose désormais l'intégralité de ses gammes de jambons et aides culinaires en conservation sans nitrite, répondant ainsi à la demande du marché : « 1 acheteur sur 3 déclare déjà rechercher les produits sans sel nitrité au rayon charcuterie »;
- pièce n° 19, pages 48 et 54, étude XERFI intitulée 'la fabrication de charcuterie conjoncture et précisions 2022-2023, Analyse de la concurrence et des nouveaux équilibres, performances financières des entreprises' qui évoque l'évolution du marché tel qu'évoqué par le juge des libertés et de la détention : « le chiffre d'affaires des fabricants français a dans l'ensemble augmenté de 1,1 % en 2021 et les consommateurs se sont notamment reportés vers des produits à plus forte valeur ajoutée comme les charcuteries sans nitrite » ;
- pièce n°20, article l'Usine nouvelle, 2022, intitulé « Fleury Michon accélère sur le jambon sans nitrite. L'ETI vendéenne Fleury Michon continue son offensive pour reprendre la place de leader du secteur du jambon à Herta. Pour cela, l'entreprise française va notamment étendre son offre « sans nitrite » » qui indique « Pionnière sur le sujet, l'entreprise, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 735 millions d'euros en 2020, travaille depuis 2009 sur la substitution des nitrites (un additif alimentaire controversé) dans les jambons de porcs. En 2019, Fleury Michon créait même la rupture en lançant le premier jambon 0 nitrite. Aujourd'hui, l'entreprise réalise 38% des ventes de ce segment »;
- pièce n°21, article du site Lsa- conso.fr intitulé , « au rayon charcuterie LS ( libre service), les industriels font de la résistance », qui indique 'Le poids du sans-nitrites toutes offres confondues (conservation sans nitrites, zéro nitrite et sans conservation ajoutée) représente 9 % du chiffre d'affaires du marché et 6 % des volumes, selon les données de NielsenIQ. Dans la catégorie du jambon cuit de porc, cette offre pèse plus lourd : 23 % du CA et 16 % des volumes. Chez Herta qui a été la marque pionnière de ce segment, la conservation sans nitrites correspond à 34 % de son chiffre d'affaires et à 24 % de ses volumes de charcuterie. Sous l'effet du développement de l'offre par les MDD (marque de distributeur) et d'autres intervenants comme Fleury Michon ou Brocéliande, le segment affiche une croissance en valeur et en volume supérieure à 30 %. Alors que son offre a peu évolué, Herta parvient à progresser en volume de 4 % sur la conservation sans nitrites à P9 2022. Sa part de marché est de 50 % en valeur et de 53 % en volume sur un total de la charcuterie sans nitrites. Plus généralement, dans le contexte de crise de pouvoir d'achat et d'inflation galopante, ce rayon pourrait bien répondre à un besoin de protéine accessible sans pour autant renoncer aux impératifs de la santé.»
155. Pas davantage, elle ne conteste que certains de ses membres ont développé et commercialisé simultanément deux gammes de produits avec nitrites et de produits sans nitrite tout en déclarant que 'cette fabrication de charcuterie sans nitrite ne peut être généralisée à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de la charcuterie française' (pièce n°5 rapport d'activité 2020 de la FICT).
156. Dès lors, il convient de constater que c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention a relevé :
- l'existence de deux gammes de charcuterie, l'une avec nitrites se distinguant de l'autre sans nitrites dont les volumes de vente sont en croissance, dont les moyens de production ne sont pas accessibles, selon la FICT, à toutes les entreprises du secteur de la charcuterie (pièce n°5, rapport d'activité de la FICT 2020, qui indique dans un chapitre dénommé « les nititres « : Ces solutions « sans nitrites », souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française» et dans une rubrique intitulée « ALLER VERS PLUS DE NATURALITE - Une réduction de 50% de la liste des additifs autorisés dans le code des usages - Après une première réduction en 2016 de 20%, des teneurs maximales par rapport à la réglementation, poursuivre la réduction volontaire des nitrites dans les charcuteries : Une nouvelle réduction de 20% en moyenne, a été proposée par la FICT et validée par les pouvoirs publics en 2020. - Concilier naturalité et prix des produits ») et dont le prix de vente est plus élevé (pièce n°46, déclaration de Monsieur [M] [N], responsable de campagne de l'association Foodwatch, auditionné le 16 juin 2002 par l'Autorité de la concurrence « Concernant le fait que le « sans-nitrites » continue de coexister chez certains industriels avec les gammes comportant des nitrites relève pour moi d'une simple segmentation de gamme qui leur permet de réaliser des marges plus importantes sur le « sans-nitrites », sans remettre en cause leur business model principal. En tout cas, toute la communication de la FICT permet de maintenir les deux gammes. D'après mon propre relevé partiel, j'ai identifié une différence de prix de 10 à 80 % entre des références identiques avec ou sans nitrites ou sein des mêmes marques. Tous les produits sans additifs sont à la mode et connaissent un grand succès commercial auprès d'une classe sociale éduquée et ayant de l'argent, et prêt à payer davantage pour disposer d'un produit perçu comme plus sain. Le « sans-nitrite » existait avant que Foodwatch se lance dans cette campagne (notamment Herta) » ;
- une communication coordonnée de la FICT et de ses adhérents sur la nécessité des nitrites dans la charcuterie pour des raisons sanitaires tout en en minimisant les éventuels dangers potentiels pour la santé et tout en qualifiant de réponse au besoin de naturalité, la commercialisation de charcuterie sans nitrite et des actions judiciaires concertées contre la société YUCA. (pièce n°5, rapport d'activité de la FICT 2020 qui mentionne la nécessité « de rétablir la vérité dans les médias du fait d'une remise en cause répétée et injuste des nitrites et nitrates » et indique « avoir obtenu gain de cause devant le tribunal de commerce de Paris contre la société YUCA »).
157. Ainsi, par une appréciation que la présente juridiction fait sienne, le juge des libertés et de la détention a déduit de ces éléments pris dans leur ensemble qu'ils sont constitutifs d'indices suffisants d'une présomption de pratique anti-concurrentielle susceptible d'affecter le libre jeu du marché.
158. A cet égard, il convient de rappeler qu'il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention, au stade de l'autorisation de visite et de saisie, d'apprécier la réalité d'incidences anticoncurrentielles et de qualifier l'éventualité d'une segmentation de marché résultant d'une entente entre la FICT et ses membres mais, à travers la méthode du faisceau d'indices, de déterminer s'il disposait d'indices suffisants pour présumer une pratique anticoncurrentielle susceptible d'affecter le libre jeu du marché.
159. Le moyen pris en toutes ses branches sera écarté.
160. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments décrits ci-dessus et relevés dans l'ordonnance entreprise constituent les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'une entente de la FICT avec ses entreprises membres, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-2 du code de commerce.
(2) Sur le contrôle du juge
161. La FICT soutient que toutes les pièces visées dans la requête n'ont pas été communiquées au juge des libertés et de la détention, et que le juge n'a pas relevé les insuffisances, inexactitudes et contradiction contenues dans la requête. Elle argue de l'absence de communication de toutes les pièces visées dans la requête (i) et (ii) de les insuffisances, inexactitudes et contradiction contenues dans la requête.
(i) Sur l'absence de communication de toutes les pièces visées dans la requête
162. La FICT fait valoir que le juge des libertés et de la détention « n'a pas spontanément relevé que la requête n'avait pas joint l'ensemble des pièces visées dans la requête » et ce en « violation manifeste par le juge des libertés et de la détention de son obligation légale de contrôle ayant notamment entraîné une rupture d'égalité des armes ainsi qu'une violation manifeste des droits de la défense et du droit au procès équitable du fait que de nombreuses pièces et documents visés dans la Requête n'ont pas été communiqués » .
163. Elle affirme qu'en l'espèce, plus de 25 pièces et documents visés dans les annexes de la requête, n'ont été communiqués ni au juge de l'autorisation, ni à la FICT, la privant de la possibilité d'en prendre connaissance et ainsi d'exercer son recours de manière effective.
164. Elle estime que ces faits cumulent « les deux hypothèses constitutives d'une violation flagrante du principe d'égalité des armes telles que rappelées par la cour d'appel de Paris » dont elle cite la jurisprudence aux paragraphes 453 et suivants de ses écritures.
165. Elle soutient que l'Autorité n'a pas communiqué la version complète de l'avis de l'ANSES publié en juillet 2022 et que l'ordonnance encourt l'annulation de ce seul fait. Elle fait valoir que :
- cet avis est « fondamental et extensivement exploité dans la requête pour justifier l'existence des prétendues présomptions de pratiques anticoncurrentielles » et que l'Autorité a fait le choix de ne communiquer que les éléments figurants en annexe 2 et 3 ;
- l'Autorité a effectué une « déformation des conclusions de l'avis et du rapport de l'ANSES publiés le 12 juillet 2022, en vue de procéder par raccourcis trompeurs sur la prétendue dangerosité des additifs nitrés incorporés dans la charcuterie et en omettant l'information essentielle, à savoir l'absence d'interdiction généralisée des additifs nitrés et la validation de leur utilisation aux doses fixées ».
166. Elle affirme que « il en est de même du plan d'action du Gouvernement pour réduire l'utilisation des nitrites dont un simple communiqué de presse figure en annexe n° 28 de la requête ».
167. Elle soutient que « un nombre très important de pièces visées dans les annexes à la requête ne sont pas communiquées et qu'il s'agit plus particulièrement' :
- dans l'annexe 33 (PV d'audition de Monsieur [Y] [MP], Président et co-fondateur de la société Yuca, par l'Autorité, en date du 5 septembre 2022), des 14 pièces jointes suivantes : douze mises en demeure de sociétés, l'assignation de la FICT du 6 janvier 2021 et un article de l'usine Nouvelle du 11 mars 2022 ;
- dans l'annexe 45, (PV d'audition de Monsieur [J] [EU], délégué au service de prévention et promotion du dépistage de la Ligue contre le Cancer, par l'Autorité en date du 7 avril 2022), des cinq pièces jointes suivantes : l'organigramme de la Ligue nationale contre le cancer ; les statuts de la Ligue nationale contre le cancer ; l'article de l'OBS du 1er mars 2020; des éléments et notamment courriels, le cas échéant, sur la ou les rencontres de Monsieur [C] [L] avec Madame [V] [R] et le délégué de la FICT ; le courriel du 8 octobre 2020 entre Monsieur [C] [L] et Monsieur [JG] [WO] ;
- dans l'annexe 46 (PV d'audition de Foodwatch par l'Autorité), des deux pièces jointes suivantes : le lien vers la vidéo d'une interview de [W] [T] face à un représentant de la FICT ; les échanges de mails avec la FICT pour la programmation d'une réunion de travail sur les nitrites.
168. Elle soutient qu'il ressort de ces constatations qu'il est « manifeste que le juge n'a pas procédé à un contrôle effectif de la Requête et la rupture d'égalité des armes entre les parties est caractérisée, ainsi que la violation du droit à un procès équitable et des droits de la défense de l'Appelante, sur la base des dispositions précitées ».
(ii) Sur les insuffisances, inexactitudes et contradiction contenues dans la requête
169. La FICT fait valoir que le juge des libertés et de la détention « n'a pas spontanément relevé les insuffisances, inexactitudes et contradictions manifestes contenues dans la requête, en violation manifeste de l'exigence légale de l'article L.450-4, alinéa 2 du Code de commerce ».
170. Elle soutient que l'ordonnance reprend mot pour mot les termes de la requête.
171. Elle affirme que le juge des libertés et de la détention doit procéder à la vérification du bien-fondé de la requête, qui passe par une lecture attentive de ladite requête et des pièces qui l'accompagnent, or, « au vu des insuffisances, inexactitudes et contradictions manifestes contenues dans la Requête, il est évident que ce contrôle n'a pas été opéré en l'espèce ».
173. Elle soutient que le juge des libertés et de la détention n'a pas relevé :
- l'absence de communication de la version complète de l'avis de l'ANSES publié en juillet 2022 alors qu'il s'agit selon elle de la pièce centrale du dossier en ce qu'il met en avant le fait qu'il est impossible à ce jour de prononcer une mesure d'interdiction généralisée des nitrites ;
- l'absence de communication de la version complète du plan d'action du Gouvernement pour réduire l'utilisation des nitrites en ce que ni la requête ni l'ordonnance ne font état du plan d'action du Gouvernement du 27 mars 2023 portant sur la réduction de l'utilisation des additifs nitrites/nitrates dans les aliments ce dont la FICT déduit qu'il n'a pas été porté à la connaissance du juge des libertés et de la détention ;
- la mauvaise dénomination de la FICT mentionnée dans l'ordonnance qui mentionne la « Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande (« FICT ») », dénomination qui ne correspond ni à aux derniers statuts de la FICT en date du 15 juin 2021 (qui prévoient que la dénomination de la FICT est « Les Entreprises Françaises de Charcuterie Traiteur (F.I.C.T.) »), ni à l'avis de situation SIRENE disponible sur Internet (qui mentionne « la Fédération française des industries de charcuterie traiteur transformateur de viande - FICT ») ;
- l'absence de transmission de pièces qu'elle qualifie d'essentielles aux débats, notamment :
- les pièces annexées aux PV d'audition ;
- les écritures de première instance et d'appel de la FICT dans le contentieux l'opposant à Yuca ;
- l'ensemble des études scientifiques émanant des autorités scientifiques mondiale, européenne et française qui aurait permis d'apprécier l'existence d'une prétendue controverse scientifique ' qui n'en est en réalité pas une ' sur l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie ;
- l'absence d'audition ou à tout le moins d'échanges avec les autorités compétentes (Ministère, administration, agence d'évaluation sanitaire '), alors que le sujet a fait l'objet d'importantes publications (avis de l'ANSES de 2022) ou de décisions (Plan de réduction du gouvernement des nitrites) ;
- l'absence de relevés en magasins, qui auraient permis de constater qu'une très grande majorité de produits européens de charcuterie mis sur le marché en France contiennent des nitrites, ce que le juge des libertés et de la détention aurait pu relever (pièce n° 62) ;
- la requête omet de mentionner que les jugements infirmant les décisions rendues pas les tribunaux consulaires à l'encontre de la société Yuca se sont fondés sur la liberté d'expression et ne remettent pas en cause le caractère discréditant des propos de la société.
174. Elle considère que l'Autorité a manqué à son devoir de loyauté en procédant à une présentation tronquée du contexte « de ce dossier » (page 131).
175. L'Autorité, sur l'allégation de la FICT selon laquelle le juge des libertés et de la détention n'aurait pas « spontanément relevé que la requête n'avait pas joint l'ensemble des pièces visées dans la requête, en violation manifeste des principes des droits de la défense et de l'égalité des armes et du droit au procès équitable » conclut que que le juge des libertés et de la détention a régulièrement contrôlé la demande d'autorisation des opérations de visite et de saisie.
176. En premier lieu, s'agissant des pièces et annexes visées dans la requête, l'Autorité fait valoir que :
- conformément à l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention a rendu l'ordonnance du 10 novembre 2023 sur le fondement des seules pièces annexées à la requête et a apprécié souverainement que l'ensemble des informations utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer l'existence d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ;
- le juge de l'autorisation n'a pas à instruire à charge et à décharge et n'a pas à s'expliquer sur les éléments qu'il écarte ;
- un devoir d'exhaustivité ne saurait être imputé à l'Autorité de la concurrence dans la production de pièces et de faits à l'appui de la requête présentée au juge des libertés et de la détention car l'Autorité a uniquement le devoir de produire les informations et documents utiles à étayer les présomptions qui justifient la demande de procéder à des opérations de visite et de saisie ;
- la FICT dispose d'un dossier complet pour exercer son appel à l'encontre de l'ordonnance querellée ;
- le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence n'avait pas à communiquer au juge des libertés et de la détention, au stade de l'enquête préalable, toutes les informations dont il dispose à propos d'une infraction présumée, ni à la FICT, mais seulement les informations qu'il a jugé utiles à la démonstration de simples présomptions pour emporter la conviction du juge des libertés et de la détention de réaliser des opérations de visite et saisie dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie ;
- les pièces jointes mentionnées par les PV communiqués en annexes n° 33, 45 et 46 à la requête n'ont pas été communiquées à l'appui du dossier d'autorisation, pièces auxquelles le juge ne s'est pas référé pour fonder son autorisation, l'ordonnance n'en faisant pas état.
177. En second lieu, sur la violation alléguée du droit au procès équitable et des droits de la défense, l'Autorité fait valoir que :
- la FICT a eu accès à l'intégralité du dossier sur lequel se fonde l'ordonnance et a pu contester devant la présente juridiction sa légalité ainsi que le déroulement des opérations de visite et de saisie ;
- les droits de la défense tels que définis par l'article 6 paragraphe 1 de la CESDH ne sont pas pleinement applicables au stade de la procédure de constatation des infractions qui inclut la mise en 'uvre de la recherche de la preuve ;
- au stade de la visite et saisie prévue à l'article L. 450-4 du code de commerce, c'est le principe de loyauté qui s'applique et non pas celui du contradictoire ;
- le principe de loyauté est garanti en l'espèce par la notification de l'ordonnance d'autorisation qui mentionne l'objet de l'enquête, la connaissance et le respect des règles éthiques, déontologiques et de probité par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, la présence possible d'un conseil (l'ordonnance d'autorisation mentionne toujours cette faculté laissée à l'initiative de l'entreprise visitée et exercée par la FICT par la présence de 3 avocats pendant toute la durée des opérations de visite et de saisie), la présence d'un officier de police judiciaire qui contrôle le respect de la procédure et qui constitue une garantie pour le justiciable, la saisine en cas de difficulté et le déplacement possible sur les lieux du juge des libertés et de la détention, et enfin le recours en contestation tant de la légalité de l'ordonnance d'autorisation que du déroulement des opérations de visite et de saisie ouvert à l'appelante et exercé par celle-ci, afin de tenter d'obtenir l'annulation totale ou partielle de la procédure ;
- la FICT bénéficie d'un contrôle juridictionnel effectif, en fait et en droit, tant de l'autorisation judiciaire que de l'exécution de la mesure autorisée, qui respecte le droit à l'égalité des armes et au procès équitable.
178. L'Autorité soutient, sur l'allégation de la FICT selon laquelle le juge des libertés et de la détention n'aurait pas « spontanément relevé les insuffisances, inexactitudes et contradictions manifestes contenues dans la requête », que :
- l'absence de communication à l'appui de la requête de la « version complète » de l'avis de l'ANSES, de l'ensemble des études scientifiques sur l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie, des écritures de première instance et d'appel de la FICT dans le litige l'opposant à Yuca, ne démontre aucun manquement de la part du juge des libertés et de la détention en raison d'une part de ce que le juge était informé que ce document n'a pas été communiqué, et d'autre part que l'appelante produisant ledit document à l'appui de ses écritures fait état de ce qu'il était inutile d'en produire l'intégralité à l'appui de la requête ;
- les études scientifiques dont la FICT fait état dans ses conclusions apparaissent également inutiles à l'autorisation, qui n'a pas pour objectif de trancher le débat sur l'utilisation des additifs nitrés dans l'alimentation ;
- les conclusions en première instance et en appel de la FICT dans le contentieux l'opposant à Yuca sont inutiles à l'autorisation en ce que l'ordonnance en cause n'a pas pour objectif de rejuger ce litige mais d'apprécier si les éléments soumis par le rapporteur général concernant les différentes actions introduites par la FICT et certains de ses adhérents à l'encontre de Yuca permettaient de présumer qu'elles s'inséraient dans une stratégie coordonnée, faisant partie d'un ensemble d'actions visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés, susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle ;
- aucune erreur de la part du juge des libertés et de la détention dans la référence à la dénomination de la FICT ne saurait être constatée, et qu'en tout état de cause, une ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire résulte de la combinaison de nombreux éléments, sans que des erreurs matérielles éventuelles ne remettent en cause l'autorisation ;
- la critique de l'appelante que le juge s'est contenté de reproduire « mot pour mot » les termes de la requête, n'est pas non plus de nature à démontrer une absence de contrôle de la part du juge, qui peut modifier les termes de la requête, qui a pu en 5 jours (entre le 6 novembre 2023, date de dépôt de la requête, et le 10 novembre 2023), procéder aux vérifications nécessaires ;
- il est de jurisprudence constante citée page 37 que les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité et que la circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision ;
- la chambre commerciale de la Cour de cassation, en matière fiscale, confirme le caractère non prohibé de la pratique communément admise du projet d'ordonnance accompagnant la requête et ses annexes (Cass. com., 14 décembre 2010, n° 10-13601) ;
- aucun élément ne permet d'établir qu'il n'y a pas eu un examen attentif par le juge des 49 annexes utiles jointes à la requête afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence d'une présomption d'entente.
179. Le ministère public conclut que :
- il est faux d'affirmer que la requête n'avait pas joint l'ensemble des pièces visées dès lors que l'ordonnance du 10 novembre 2023 a été rendue sur le fondement des seules pièces annexées à la requête ;
- il n'existe aucune obligation pour l'Autorité de produire des pièces à décharge ;
- il est de jurisprudence constante que dès lors que le juge des libertés et de la détention peut modifier à sa guise avant de signer l'ordonnance, il exerce un contrôle réel et effectif sur les arguments et pièces qui lui sont soumis (Cass. Crim. 14 octobre 2015, n° 14-83.303 not.).
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
(i) Sur l'absence de communication de toutes les pièces visées dans la requête
180. L'article L 450-4 du code de commerce dispose que 'Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite'.
181. Il convient de rappeler que, conformément audit article, le juge des libertés a rendu l'ordonnance du 10 novembre 2023 sur le fondement des seules 49 pièces visées et annexées à la requête qu'il a appréciées souverainement pour retenir des présomptions de pratiques anticoncurrentielles et autoriser en conséquence les opérations de visite et de saisie.
182. Cependant, la FICT fait grief au juge des libertés et de la détention de ne pas avoir contrôlé que toutes les pièces visées dans la requête et ses annexes lui avaient été communiquées.
183. En premier lieu, en l'espèce, la FICT fait grief à l'Autorité de la concurrence ne pas avoir produit la version complète de l'avis de l'ANSES publié en juillet 2022 et le plan d'action complet du gouvernement pour réduire l'utilisation des nitrites. Elle en déduit que la communication en annexe à la requête d'un extrait de l'avis de l'ANSES et du communiqué de presse du gouvernement sur le plan d'action l'ont privé de la possibilité d'en prendre connaissance et viole les principes des droits de la défense et de l'égalité des armes entre les parties et du droit au procès équitable.
184. Cependant, les dites pièces que la FICT vise ne figurant pas dans les annexes n° 28 (constituée du communiqué de presse du 28 mars 2023 intitulé 'Nitrites/Nitrates : le gouvernement présente son plan d'action pour réduire leur utilisation et ambitionne de se positionner en tête des pays les plus exigeants de l'Union européenne') et n° 2 et 3 (relatives à des publications du 12 juillet 2022 à la suite de la sortie de l'avis de l'ANSES relatif aux risques associés à la consommation des nitrites et de nitrates) soumises au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, elles n'ont, par conséquent, pas servi de fondement à l'ordonnance d'autorisation qui a été rendue le 10 novembre 2023.
185. Elles ne figurent donc pas aux débats et n'avaient pas à être communiquées à la FICT. Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation des droits de la défense et d'atteinte à l'égalité des armes entre les parties à ce stade de la procédure.
186. En second lieu, la FICT fait grief à l'Autorité de la concurrence ne pas avoir produit les pièces visées dans les annexes n°33, 45, 46 constituées des procès-verbaux d'audition de Monsieur [MP], co fondateur de la société YUCA, Monsieur [EU], délégué au service de prévention et promotion du dépistage de la Ligue contre le cancer et celle de Monsieur [N] responsable des campagnes de l'association Foodwatch, procès-verbaux aux termes desquels il était indiqué la communication de nouvelles pièces.
187. Cependant, les dites nouvelles pièces que la FICT vise ne figurant pas dans les annexes n° 33, 45 et 46 soumises au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, elles n'ont, par conséquent, pas servi de fondement à l'ordonnance d'autorisation qui a été rendue le 10 novembre 2023.
188. Elles ne figurent donc pas aux débats et n'avaient pas à être communiqués à la FICT. Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation des droits de la défense et d'atteinte à l'égalité des armes entre les parties à ce stade de la procédure.
189. Au surplus, il convient de rappeler à l'appelante qu'aucune obligation ne pèse sur l'Autorité de la concurrence de produire des pièces visées dans une de ses annexes à sa requête ou de produire des documents à l'origine de ses annexes tels en l'espèce, l'avis de l'ANSES ou le plan d'action du gouvernement.
190. En effet, il appartient à l'Autorité de la concurrence de produire les éléments et documents en sa possession de nature à justifier des présomptions qu'elle entend voir constater par le juge des libertés et de la détention pour autoriser les opérations de visite et de saisie.
191. Dès lors, l'Autorité avait l'obligation de produire tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier l'autorisation aux fins d'opérations de visite et saisie et non celle de produire des éléments 'à charge ou à décharge' contre la FICT.
192. Comme rappelé plus haut ( paragraphes n°115 à 118), il ne ressort pas de l'article L 450-4 du code de commerce une obligation pour l'Autorité de la concurrence de produire des pièces qui seraient considérées comme à décharge par l'appelante.
193. Au surplus, le juge des libertés et de la détention n'a à instruire à charge et à décharge, mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur une ou de simples présomptions suffisantes de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte (Cass com, 8 décembre 2009, n° 08-21017).
194. S'agissant de la violation alléguée au droit au procès équitable, il convient de rappeler à la partie appelante, comme évoqué plus haut (paragraphes n°100 et 101), que l'article L. 450-4 du code de commerce est entouré de garanties procédurales, en particulier outre une autorisation judiciaire préalable et le contrôle du juge durant les opérations, la possibilité d'appel à l'encontre de la décision d'autorisation et de recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie devant le premier président.
195. En l'espèce, la FICT ne justifie pas en quoi tant devant le juge des libertés et de la détention, qui, même s'il statue non contradictoirement, entoure sa décision de garanties procédurales auxquelles la FICT a pu avoir recours (pièces produites par la FICT n°5, 5 bis, 9, 9 bis) que dans le cadre de l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le délégué du premier président, son droit à un procès équitable aurait été violé.
196. Enfin, comme rappelé plus haut (paragraphe n°113), il convient de constater que l'appelante ne démontre pas en quoi toutes lesdites pièces qu'elle vise, non soumises au juge des libertés et de la détention par l'Autorité de la concurrence, auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation de la présomption d'agissement anti-concurrentiel retenue par le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation de l'opération de visite et de saisie.
197. Cette branche du moyen sera rejetée.
(ii) Sur les insuffisances, inexactitudes et contradiction contenues dans la requête
198. Il convient de rappeler que les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité. La circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision (Cass crim, 14 octobre 2015, n° 14-83303, n° 14-83302 et 14-83301 ; 11 juillet 2017, n° 16-81042).
199. En l'espèce, au vu des énonciations de l'ordonnance, cette juridiction considère qu'il n'est pas établi que le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à un examen attentif des 49 annexes utiles jointes à la requête, afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les motifs de cette ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence de présomptions d'une entente entre la FICT et ses membres.
200. Il y a lieu en outre de rappeler que l'ensemble des éléments justificatifs présentés par la FICT dans ses écritures n'ont pas à être validés par le juge des libertés et de la détention qui n'instruit pas à charge et à décharge et ne se prononce pas sur le fond.
201. Enfin, la FICT soutient que l'ordonnance mentionne une mauvaise dénomination de son nom en ce qu'elle ne se dénomme plus 'Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande' qui ne correspond ni à ses statuts à la date du 15 juin 2021 ni à l'avis de situation SIRENE disponible sur internet qui mentionne 'FICT Les entreprises de Charcuterie Traiteur'.
Cependant, en annexe n°47 à la requête, figure un avis SIRENE daté du 07/12/2022, qui indique 'FED FSE IND CHARCUTERIE TRAIT TRANS VIAN' et qui est postérieur aux statuts visés à la date du 15 juin 2021 que la FICT ne produit pas à la présente procédure.
Si l'annexe n°43 à la requête, composée des statuts de la FICT à la date du 18 juin 2020, comporte en son article 1 'dénomination' la mention suivante ' La Fédération, constituée conformément aux dispositions du Code du Travail a pour dénomination ' ENTREPRISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T)', la FICT ne produit aucun avis SIRENE à la date de celui du 07/12/2022 visé par le juge des libertés et de la détention à la date de son ordonnance du 10 novembre 2023 pour justifier de sa nouvelle dénomination qui apparaît sur la page internet de la FICT avec mention en logo de 'FICT LES ENTREPRISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR' à la date du 26/12/2022.
En conséquence, la dénomination 'Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande' étant conforme à l'avis SIRENE du 07/12/2022 , l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 novembre 2023 n'est affectée d'aucune erreur de dénomination de la FICT.
Au surplus, une éventuelle erreur de dénomination de la FICT dans l'ordonnance ne saurait avoir d'autre caractère qu'une erreur matérielle dès lors que la FICT ne justifie pas qu'elle consitue une irrégularité de nature à lui faire grief.
202. Cette branche du moyen sera en conséquence écartée.
(3) Sur la proportionnalité de la mesure
203. La FICT, au visa de l'article 8 de la CESDH et la jurisprudence y afférente, soutient que la mise en 'uvre de la visite domiciliaire constitue une mesure disproportionnée.
204. Elle soutient qu'il ressort de la jurisprudence qu'elle cite pages 142 à 143 de ses écritures, que le juge des libertés et de la détention doit inviter l'Autorité à utiliser des moyens d'enquête moins intrusifs lorsqu'il considère qu'une telle disproportion existe.
205. Elle affirme que la mise en 'uvre des pouvoirs des articles L. 450-3 et L. 450-7 du code de commerce étaient en l'espèce adaptés, notamment au regard des possibilités de sanction d'éventuelles obstructions et que « le rapporteur général n'a mis en 'uvre que de manière extrêmement parcellaire et partiale les moyens d'enquête dont il disposait au titre de l'article L.450-3 du Code de commerce sans aller jusqu'à leurs épuisements ».
206. Elle soutient que :
- l'Autorité aurait pu demander à se voir communiquer la version complète de l'avis de l'ANSES de 2022 ;
- l'Autorité aurait pu utiliser les prérogatives qu'elle tient de l'article L.450-7 du code de commerce et solliciter « les entités étatiques sachantes en matière d'évaluation ou de réglementation des nitrites », notamment l'ANSES, le ministère de l'agriculture, la direction générale de la santé, l'INRAE, la DGCCRF et le législateur européen ;
- l'Autorité aurait pu aller interroger des scientifiques s'étant publiquement exprimés sur le sujet des nitrites, et qu'elle aurait pu trouver cette liste dans la note de la FICT intitulée « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent-ils pas être interdits dans les produits de charcuterie » (produite par l'Autorité en annexe 32) ;
- les agents de l'Autorité auraient pu, afin d'être éclairés « sur la prétendue controverse scientifique ('), utiliser les prérogatives de l'article L.450-3-1 du code de commerce et 'recourir à toute personne qualifiée' » pour « les accompagner lors de leurs contrôles et prendre connaissance de tout document ou élément nécessaire à la réalisation de sa mission ou de son expertise. ». ;
- les différents PV d'auditions par l'Autorité datent tous de 2022, soit un an avant la mise en 'uvre de la procédure de visite domiciliaire, ce dont il ressort que le recours à de telles opérations ne revêtait pas un caractère urgent ;
- l'Autorité aurait dû vérifier, en procédant à des relevés en magasins, certaines assertions contenues dans sa requête.
207. La FICT soutient que la mise en 'uvre d'opération de visite et de saisie avant toute audition/consultation de certaines autorités parait manifestement disproportionnée et qu'elle ne s'est " pas cachée quant à la position qu'elle tenait vis-à-vis des nitrites ".
208. L'Autorité de la concurrence, en réplique, argue de la proportionnalité de la mesure autorisée et considère, en premier lieu, que l'absence de mise en 'uvre des pouvoirs de l'article L. 450-3 du code de commerce ne caractérise pas de violation de l'article 8 de la CESDH.
209. Elle soutient que la FICT invoque de la jurisprudence qui ne permet pas de soutenir que l'ordonnance en cause serait contraire à l'article 8 de la CESDH. Elle fait valoir que :
- l'article L. 450-4 du code de commerce n'a jamais été remis en cause par la jurisprudence de la CEDH, ni par celle des juridictions nationales (jurisprudences citées par l'Autorité pages 40 à 42) ;
- l'allégation du défaut de proportionnalité de la mesure judiciairement autorisée par rapport au but poursuivi « doit être évaluée au regard de l'importance des enjeux économiques de cette enquête dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie qui, visant à rechercher la preuve de la pratique présumée d'entente illicite, est nécessaire au bien-être économique du pays ».
210. Elle estime que les allégations de la FICT relatives aux « très larges pouvoirs d'enquête » dont disposeraient les rapporteurs et à la mise en 'uvre prétendument « parcellaire » des pouvoirs de l'article L. 450-3 du code de commerce sont dépourvues de fondement.
Elle fait valoir que :
- l'arrêt de la CEDH du 28 avril 2005, Buck c/ Allemagne, invoqué par la FICT n'est pas pertinent en l'espèce et ne lui permet pas d'affirmer qu'il y aurait des moyens d'enquête moins coercitifs en ce qu'il est relatif à des excès de vitesse ;
- l'Autorité de la concurrence n'avait pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de l'article L. 450- 4 du code de commerce, laquelle n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées (Cass. crim, 2 avril 2003, n° 00-30212 ; 10 septembre 2003, n° 02-81419 ; 5 septembre 2007, n° 05-86406 ; 26 octobre 2016, n° 15-83477 ; 4 mai 2017, n° 16-81061 not.) ;
- en l'espèce et contrairement à ce qu'allègue la FICT, l'enquête a commencé par la mise en 'uvre du droit de communication de l'article L. 450-3 du code de commerce par le recueil de plusieurs procès-verbaux de déclaration, ce pouvoir d'enquête ne permettait pas d'obtenir sur simple demande des pièces tenues secrètes qui dévoileraient les stratégies et tactiques mises en 'uvre par la FICT et certains de ses adhérents visant à empêcher toute communication négative à l'encontre des nitrites aux fins de réduire la concurrence qu'il pourrait y avoir entre les gammes avec et sans additifs nitrés ;
- les pouvoirs de l'article L. 450-3 du code de commerce n'apparaissent pas suffisants pour obtenir la preuve des pratiques recherchées.
211. En second lieu, l'Autorité soutient que les « critiques de l'appelante relatives à l'absence de réalisation de certains actes d'enquête par les services d'instruction ou par le juge des libertés et de la détention, à la prétendue absence de risque de destruction ou de dissimulation des preuves et au caractère prétendument public des pratiques recherchées ne caractérisent pas d'absence de proportion de l'ordonnance d'autorisation ».
212. L'Autorité conclut que :
- les critiques de la FICT relatives à l'absence de réalisation de certains actes d'enquête par les services d'instruction notamment interroger les « entités étatiques sachantes » et les « scientifiques » ne peut caractériser l'absence de proportionnalité de la mesure ;
- la critique de la FICT consistant à reprocher au juge de ne pas procéder à certaines vérifications, à l'appui des relevés en magasin, ne peut caractériser l'absence de proportionnalité de la mesure ;
- l'article L. 450-4 du code de commerce encadre les pouvoirs du juge à « vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée » ne lui octroie pas de pouvoirs d'enquête supplémentaires préalables à l'autorisation, tels que ceux évoqués par la FICT de procéder par lui-même ou faire procéder par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence à des relevés en magasin ;
- la critique de la FICT relative au délai d'un an qui se serait écoulé entre les auditions effectuées entre avril et septembre 2022 et la réalisation des opérations de visite et de saisie en novembre 2023 ne permet d'inférer l'absence ni de risque de disparition de preuves, ni de proportion de l'ordonnance d'autorisation ;
- le fait que la FICT ne se serait pas « cachée » quant à la position qu'elle tenait vis-à-vis des additifs nitrés ne permet pas de soutenir que les pratiques recherchées seraient dépourvues de caractère secret et complexe ;
- le juge des libertés et de la détention a expliqué la proportionnalité de la mesure autorisée en page 12 de son ordonnance, démontrant qu'il a effectué un contrôle de proportionnalité de la mesure.
213. Le ministère public conclut qu'il est de jurisprudence constante qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autre modes de preuve (Cass. Crim. 10 janvier 2023, n° 21-85.524).
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
214. Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête dite " lourde " n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets, comme il est allégué en l'espèce. Il est de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509 ; Cass crim, 10 janvier 2023, n° 21-85524).
215. Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements susceptibles d'être constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne des entreprises ou relatifs à leur organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique.
216. A cet égard, il convient de constater que le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit, en l'espèce, que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L.450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons.
217. En effet, il est souligné à juste titre, par des motifs que cette juridiction fait siens, que les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence, et en l'espèce de prévenir ou retarder l'interdiction de l'utilisation des nitrites sur le marché de la charcuterie, sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.
218. Du reste, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris dans sa décision a justifié à bon droit la proportionnalité de son autorisation (page 11 de l'ordonnance) comme suit :
" Attendu que, par ailleurs, l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons ;
Qu'en effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter ou contrôler les débouchés et répartir les marchés, sont établies selon des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification ;
Que dans ces conditions, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché ;
Qu'en outre, les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises et fédération professionnelle concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous notre contrôle;".
219. Il convient en outre de rappeler que les dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce énoncent que les agents des administrations visées à l'article L 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquels une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie, la décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.
220. Il convient enfin de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'Autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple " enquête simple "..).
221. En autorisant le 20 novembre 2023 les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusif en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité.
222. En l'espèce, en effet, conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, et ainsi que cela a été évalué lors de la réponse au moyen y afférent soulevé par les appelantes, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.
223. Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance", c'est sous réserve qu' " Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".
224. Il a été jugé par la Cour de cassation que "Les dispositions de l'article L 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation." (Cass crim, 11 juillet 2017, n° 16-81065).
225. En l'espèce, il s'infère donc de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce précité était nécessaire et n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.
226. Ce moyen, pris en toutes ses branches, sera rejeté.
227. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés par les parties, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
229. Conformément à l'article 700 du code de procédure civile, les ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T) partie perdante à la présente instance, sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 euros à l'Autorité de la concurrence au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.
Sur les dépens
230. Les ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T) , qui succombe en toutes ses prétentions, sera tenue aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement et en dernier ressort,
Confirmons l'ordonnance rendue le 10 novembre 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamnons les ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T) à payer à l'Autorité de la concurrence la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejetons le surplus des demandes ;
Condamnons les ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE TRAITEUR (F.I.C.T) aux dépens.