CA Rennes, 3e ch. com., 14 octobre 2025, n° 24/05347
RENNES
Autre
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
GJ 112 (SARL)
Défendeur :
Valaujul (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Ramin, Mme Velmans
Avocats :
Me Renaudin, Me Castres, Me Plassart, Me Berthault, Me Paris, SCP DPG Avocats
Par acte du 31 janvier 2023, Mme [Z] et la société GJ112 ont acquis auprès de Mme [J], Mme [S] veuve [H] et de la société Pharmacien d'officine [H] l'intégralité des parts sociales de la société Pharmacie [J]-[H], représentée par ses co-gérantes, Mmes [J] et [H], [Adresse 10] à [Localité 12].
Dans le même acte, Mme [J], Mme [H] et la société Pharmacien d'officine [H] ont consenti une garantie d'actif et de passif.
Une convention de séquestre a été prise le même jour en « garantie du prix provisoire » et en « garantie de la garantie », pour la somme totale de 522 328 euros.
La société Pharmacie [J]-[H] est devenue la société Pharmacie de Villejean.
Par acte du 12 décembre 2023, le prix définitif a été fixé à 2 908 563 euros.
La société Pharmacien d'officine [H] est devenue l'EURL Valaujul, gérée par Mme [H].
Entre-temps, par lettres recommandées du 7 juillet 2023 adressée à Mme [J], Mme [H] et la société Valaujul, Mme [Z] et la société GJ112 ont entendu mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif au titre de « dysfonctionnements du robot de pharmacie de marque Swisslog healthcare », soutenant avoir découvert que ces dysfonctionnements étaient anciens et non résolus et connus des cédantes.
Par lettres recommandées du 19 octobre 2023, Mme [Z] et la société GJ112 ont notifié aux garantes une réclamation au titre de la mise en jeu de la garantie à hauteur de 273 672 euros.
Le 26 octobre 2023, à la suite du retour de la lettre recommandée adressée à la société Valaujul, une seconde lettre lui a été adressée à son nouveau siège social.
Il y est relevé que les cessionnaires avaient découvert de nouveaux éléments et notamment, un protocole d'accord relatif aux dysfonctionnements du robot conclu le 21 mars 2022 entre la société Swisslog healthcare et la société Pharmacie [J]-[H] par lequel, moyennant une indemnisation, celle-ci renonçait à toute action ou instance à l'encontre de Swisslog healthcare ou de ses filiales.
Une somme de 272 328 euros a été maintenue sous séquestre.
Par lettres recommandées du 27 décembre 2023, faisant valoir que le délai de 45 jours sans contestation avait expiré ce qui valait acceptation de la réclamation, le conseil des cessionnaires a mis en demeure les cédantes en leur qualité de garantes de procéder à la signature de la demande de libération conjointe du séquestre et de verser la somme manquante de 1 344 euros.
Par lettre du 5 janvier 2024 adressée en réponse au conseil des cessionnaires, le conseil des garantes a soutenu que les réclamations avaient été tardives, qu'en outre ses clientes avaient contesté les termes des courriers du 19 octobre 2023 dans le cadre des « échanges pour la rédaction et la régularisation de l'acte réitératif, intervenue le 15 décembre 2023 ».
Mme [Z] et la société GJ 112 ont assigné Mmes [J] et [H] ainsi que l'EURL Valaujul devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins, notamment, de mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif.
Par jugement du 5 septembre 2024, le tribunal de commerce de Rennes a :
- jugé que Mme [Z] et la société GJ 112 ne justifient pas des dysfonctionnements du robot à la date de cession, ni de dysfonctionnements anormaux après la date de cession, ni des dispositions prises pour pallier les dysfonctionnements du robot après la cession,
- jugé que Mme [Z] et la société GJ 112 ne justifient pas du nécessaire remplacement
du robot ni du bien-fondé et de la réalité des préjudices accessoires qu'elles évoquent,
- jugé que Mesdames [J], [H] et l'EURL Vaulaujul ont respecté les obligations contractuelles mises à leur charge dans l'acte de cession du 31 janvier 2023,
- dit et jugé que la garantie à la charge de Mesdames [J], [H] et l'EURL Vaulaujul figurant dans l'acte de cession du 31
janvier 2023 ne trouve pas à s'appliquer,
- débouté Mme [Z] et la société GJ 112 de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- débouté Mmes [J], [H] et l'EURL Vaulaujul du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamné solidairement Mme [Z] et la société GJ 112 à payer à la société Valaujul, Mme [X] [J] et Mme [L] [H] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [Z] et la société GJ 112 solidairement aux entiers dépens,
- dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire du présent jugement,
- liquidé les frais de Greffe a la somme de 129,82 € tels que prévus aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Par déclaration du 26 juin 2024, Mme [Z] et la société GJ 112 ont interjeté appel du jugement et ont intimé Mme [H], Mme [J] et la société Valaujul.
Les dernières conclusions des appelantes ont été déposées le 20 décembre 2024.
Les dernières conclusions des intimées ont été déposées le 21 mars 2025.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 juin 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Mme [Z] et la société GJ 112 demandent à la cour de :
- juger Mme [Z] et la société GJ 112 recevables et bien fondées en leur appel et leurs demandes formulées à l'encontre de Mmes [J] et [H] et la société Valaujul,
En conséquence,
- infirmer le jugement prononcé le 5 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a :
- jugé que Mme [Z] et la société GJ 112 ne justifient pas des dysfonctionnements du robot à la date de cession, ni de dysfonctionnements anormaux après la date de cession, ni des dispositions prises pour pallier les dysfonctionnements du robot après la cession,
- jugé que Mme [Z] et la société GJ 112 ne justifient pas du nécessaire remplacement du robot ni du bien-fondé et de la réalité des préjudices accessoires qu'elles évoquent,
- jugé que Mesdames [J], [H] et l'EURL Vaulaujul ont respecté les obligations contractuelles mises à leur charge dans l'acte de cession du 31 janvier 2023,
- dit et jugé que la garantie à la charge de Mesdames [J], [H] et l'EURL Vaulaujul figurant dans l'acte de cession du 31
janvier 2023 ne trouve pas à s'appliquer,
- débouté Mme [Z] et la société GJ 112 de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
« - condamné solidairement Madame [Z] et la société GJ 112 à payer à la société 20.000 € sur lefondemant de l'article 700 du code de procédure civile, » [SIC]
- condamné Mme [Z] et la société GJ 112 solidairement aux entiers dépens,
Partant et statuant à nouveau :
- dire et juger que la société Valaujul, Mme [X] [J] et [L] [H] n'ont pas répondu aux courriers de réclamations dans le délai prévu par l'acte de réalisation de la cession conclu le 31 janvier 2023, et par conséquent sont réputées avoir accepté ces réclamations,
- dire et juger que la société Valaujul, Mme [X] [J] et [L] [H] n'ont pas exécuté les obligations contractuelles mises à leur charge dans l'acte de réalisation de la cession conclu le 31 janvier 2023,
- condamner solidairement la société Valaujul, Mme [X] [J] et [L] [H] à verser :
- à la société GJ 112, la somme de 273 398,33 €,
- à Mme [C] [Z], la somme de 273,67 €
- condamner solidairement la société Valaujul, Mme [J] et Mme [H] à payer à Mme [Z] et la société GJ 112 la somme de 15 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement la société Valaujul, Mme [J] et Mme [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Mme [S] épouse [H], Mme [J] et la société Valaujul demandent à la cour de :
- juger irrecevables et, en tout état de cause non fondées Mme [Z] et la SPFPL GJ112 en leur appel,
- les en débouter,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [Z] et la société GJ 112 de toutes leurs demandes fins et conclusions,
- condamner solidairement Mme [Z] et la SPFPL GJ112 au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Vincent Berthault, avocat constitué.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
Mme [Z] et la société GJ 112 font valoir que l'absence de contestation par les garants de leur réclamation dans le délai prévu au contrat de cession vaut acceptation de ladite réclamation et les a privées de toute possibilité de la contester ultérieurement.
Il se déduit des conclusions des intimées page 12 qu'elle considère que Mme [Z] a notifié sa réclamation au-delà du délai prévu par le contrat de cession. Les intimées font en outre valoir que les courriers de juillet et octobre 2023 ne comportent aucune mise en demeure d'avoir à répondre dans un délai quelconque ni ne reproduisent les termes de l'article 8-9 du contrat sur la sanction du défaut d'opposition à la réclamation dans le délai imparti, et ce alors, qu'en parallèle de ces réclamations, des discussions étaient en cours sur le contenu de l'acte fixant le prix définitif.
Selon l'article 1103 du code civil,
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L'article 1192 du même code dispose :
« On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ».
L'article 8-9 du contrat de cession stipule :
« Mise en jeu de la garantie - réclamation
Toute réclamation des bénéficiaires en application de l'article 8 des présentes devra faire l'objet d'une notification écrite des bénéficiaires aux garants dans les trente (30) jours calendaires suivant la date à laquelle les bénéficiaires auront eu connaissance du fait générateur d'un préjudice, quand bien même le montant de ce préjudice ne serait pas encore définitivement connu (la « Réclamation »). (...)
La Réclamation devra contenir (i) les éléments constitutifs de la Réclamation (dont son fondement), (ii) dans la mesure du possible, l'estimation du préjudice (à titre indicatif le cas échéant), et (iii) les informations raisonnables pouvant être données quant à l'appréciation des conséquences du ou des fait(s) générateur(s) invoqué(s) dans la Réclamation.
L'absence de contestation par les garants d'une Réclamation dans un délai de quarante-cinq (45) jours calendaires à compter de la réception d'une Réclamation vaudra acceptation de ladite Réclamation.
Le défaut de notification aux garants d'une Réclamation dans le délai prévu n'exonère pas les garants de leur obligation d'indemnisation au titre du présent Article 8.
Le délai stipulé au présent Article 8.9 sera réduit de façon approprié en cas d'urgence ».
Sans qu'il soit besoin d'interpréter cette clause, il apparaît que les parties ont convenu que le dépassement du délai notification n'entraîne pas la déchéance du droit à une éventuelle indemnisation des cessionnaires mais, qu'en revanche, le dépassement du délai pour contester la réclamation vaut acceptation de celle-ci.
Aucune autre condition à l'acceptation n'est posée de sorte qu'il ne peut être reproché aux cessionnaires de ne pas avoir repris l'article et rappelé le délai de contestation aux garants lors de la notification de leur réclamation.
Il est rappelé que les cessionnaires ont notifié une première réclamation par lettres recommandées du 7 juillet 2023 en visant l'article 8 de l'acte de cession. Elles se plaignaient des nombreux dysfonctionnements du robot et faisaient état de la découverte que ces dysfonctionnements étaient anciens et qu'il avait été évoqué par les cédantes, le remplacement du robot, alors même que par l'acte de cession les cédantes avaient déclaré, notamment, que les installations étaient en état de fonctionnement et que les installations et le matériel « auront fait l'objet (...) des réparations nécessaires au jour de la cession ». Elles spécifiaient : « nous vous informons par la présente notification, notre intention de mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif (...) Le préjudice financier subit à raison de ces dysfonctionnements doit être chiffré. Le montant du préjudice correspondra au coût de solutionnement des dysfonctionnements ou le cas échéant au coût global de changement du robot ».
Par les lettres recommandées des 19 et 26 octobre 2023, les cessionnaires ont notifié une réclamation complémentaire en soutenant avoir appris postérieurement aux précédentes lettres l'existence du protocole d'accord passé entre les cessionnaires et la société fabricante du robot par lequel les premières renonçaient à toute action à son encontre moyennant la diminution du prix d'une facture.
Les cessionnaires ont établi leur préjudice comme suit :
- coût du remplacement du robot,
- baisse de fréquentation année N-1due au pannes de plus en plus récurrentes,
- allocation de ressources pour les pannes, bugs, incidents,
- perte de résultat du fait de la réduction de la surface de vente pendant travaux de remplacement
- frais d'avocat
- logistique
- vidange du robot par le personnel
- préjudice moral
pour un total évalué à 273 672 euros.
Il est précisé dans ces notifications : « le présent courrier constitue ainsi une réclamation au sens de l'article 8.9 « mise en jeu de la garantie - Réclamation » de l'acte de réalisation de la cession, pour un montant de 273 672 euros ».
Il est justifié de la réception de ces lettres les 23, 24 et 28 octobre 2023 aux cédantes (pièce 13 cessionnaire). Aussi les cédantes devaient notifier leur contestation, au plus tard pour la société Valaujul, dernière avisée, le 12 décembre 2023 à 24 h.
Par lettre recommandée officielle adressée au conseil des cessionnaires le 5 janvier 2024, le conseil des cédantes a soutenu que les « demandes de vos clientes ne sont pas fondées et justifiées ». Il a allégué que les cédantes ont « contesté les termes [nrd : des courriers de notifications] comme cela résulte des échanges pour la rédaction et la régularisation de l'acte réitératif, intervenu le 15 décembre 2023 ».
A cet égard, il n'est produit qu'un courriel adressé par M. [I], avocat, ayant pour objet : cession [J]-[H] en date du 27 novembre 2023 et adressé à Mmes [J] et [H]. Celui-ci indique « je vous prie de trouver ci-joint le projet d'acte (...) avec proposition de rédaction (...) afin de purger cette problématique définitivement ». Il n'est toutefois pas précisé quelle est cette « problématique » et ce projet d'acte n'est pas versé. Au surplus, si tant est que ce courriel évoque la problématique du robot, il n'émane pas de Mmes [J] et [H] et ne peut dès lors établir qu'elles aient régulièrement formulé des contestations au sens de l'article 8.7 du contrat.
L'acte de fixation du prix définitif signé le 15 décembre 2023 ne porte pas mention des réclamations au titre du robot telles que définies dans les lettres de notification mais évoque l'accord trouvé par les parties relatif à la prise en charge par les cédantes de la résiliation du contrat de maintenance Synergies tech. L'acte précise d'ailleurs que l'effet transactionnel ne porte que sur des « points de désaccord » adressés par courrier du 1er août 2023, lequel n'est pas produit par les intimées et dont il n'est nullement établi qu'il fasse référence aux réclamations. Il s'en déduit que les points de désaccord étaient au minimum relatifs à la résiliation du contrat de maintenance. Il est même précisé qu'aucun effet transactionnel sur d'autres points que ces points de désaccord ne pourra être opposé dans le cadre de la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif (article 4.2 de l'acte de fixation du prix définitif).
Aussi, le fait que les parties aient été en discussion sur la détermination du prix final lors de l'émission des réclamations ne peut valoir, sans autre expression non équivoque de leur volonté, renonciation des cessionnaires à ces réclamations.
Les cédantes ne justifient d'aucun document valant contestation avant la lettre recommandée susvisée adressée par leur conseil à celui des cessionnaires le 5 janvier 2024.
En application de leur convention, l'absence de contestation dans le délai imposé vaut acceptation et les garantes ne sont plus à même de discuter du bien fondé de la réclamation et de l'évaluation même du préjudice allégué.
En conséquence, les cessionnaires, garantes, doivent s'acquitter du montant réclamé.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement et de condamner solidairement Mmes [J] et [H] et la société Valaujul au paiement de la somme de 273 398,33 euros à la société GJ112 et de 273,67 euros à Mme [Z], cette répartition n'étant pas contestée.
Dépens et frais irrépétibles
Le jugement est infirmé.
Il convient de condamner in solidum les sociétés Valaujul, Mmes [J] et [H] aux dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande de ne pas faire droit aux demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne solidairement l'EURL Valaujul, Mme [X] [J] et Mme [L] [S] veuve [H] à payer :
- la somme de 273 398,33 euros à la société GJ112,
- la somme de 273,67 euros à Mme [C] [Z],
Condamne in solidum l'EURL Valaujul, Mme [X] [J] et Mme [L] [S] veuve [H] au dépens de première instance et d'appel,
Rejette toute autre demande des parties,