CA Grenoble, 1re ch. civ., 1 décembre 2020, n° 18/03509
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
LE CRÉDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Combes
Vice-président :
M. B Z
Conseiller :
Mme Lamoine
Avocat :
Me Dejan MIHAJLOVIC et Me Josette DAUPHIN
Avocat :
Me Marie Catherine CALDARA BATTINI
Faits, procédure et prétentions des parties
Le 13 novembre 2006 Monsieur X C s'est porté caution de Monsieur E H auprès du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE afin de garantir le remboursement des concours que devait lui accorder l'établissement bancaire, dans la limite de 113.502 euros en principal, intérêts, assurance et pénalités de retard pour une durée de 360 mois.
Suivant acte authentique passé devant Maître PETHAUD PEROT, Notaire à Grenoble, le 17 novembre 2006, le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE a consenti à Monsieur H deux crédits destinés au l'acquisition d'un appartement à usage d'habitation principale au sein de la copropriété Les Champs Elysées à Grenoble, un prêt SERENITE 10 n°8000054707 de 104.687 euros remboursable en 360 mensualités au taux nominal de 4,30 % et un NOUVEAU PRET n°8000054711 de 8.800 euros remboursable en 264 mensualités au taux de 0 %.
Le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Grenoble a, le 4 juillet 2017, adjugé le bien immobilier au prix de 65.200 euros, dont 57.648,99 euros sont ensuite revenus au CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE après déduction de 541,75 euros au profit de son conseil en vertu d'un jugement du 12 novembre 2019.
Selon lettre recommandée avec accusé de réception du 5 juillet 2017 l'établissement bancaire a mis en demeure Monsieur H de lui régler un total de 113.487 euros au titre des deux prêts garantis.
En l'absence de règlement le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, venant aux droits du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE, a, suivant exploit du 24 juillet 2017, fait assigner Monsieur C es qualité de caution devant le Tribunal de grande instance de Bourgoin Jallieu aux fins de l'entendre condamner à lui rembourser les deux prêts consentis à Monsieur I
Par jugement du 7 juin 2018 le tribunal, considérant que l'engagement de caution du défendeur était manifestement disproportionné par rapport à sa situation financière et patrimoniale, a déclaré l'acte de cautionnement inopposable à Monsieur C, rejeté les demandes de la banque et condamné celle ci à verser à la partie adverse la somme de 1.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT a fait appel de la décision le 2 août 2018.
Par conclusions du 27 août 2020 l'appelant demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- condamner Monsieur C à lui payer les sommes suivantes :
- 49.913,95 euros outre intérêt au taux conventionnel au titre de l'engagement de caution du 13 novembre 2006 sur le prêt n°8000054707,
- 8.814,30 euros au titre de l'engagement de caution du 13 novembre 2006 sur le prêt n°8000054711,
- ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 24 juillet 2017,
- débouter la partie adverse de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire si la Cour retenait un manquement à son obligation de mise en garde, dire que le préjudice subi par Monsieur C ne saurait être fixé à une somme supérieure à 3.000 euros,
- condamner Monsieur C à lui payer une indemnité de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions l'établissement bancaire fait valoir que :
- la caution, dans l'incapacité de rapporter la preuve de la disproportion manifeste de ses engagements, a 'triché' sur le montant de sa rémunération devant le premier juge alors que lors de la souscription du cautionnement son salaire mensuel net était de plus de 1.953 euros et non de 1.360 euros et qu'il n'avait aucun endettement, son loyer était modéré et avait de l'épargne,
- l'intimé a d'ailleurs obtenu un prêt immobilier de 200.000 euros en 2016 et est propriétaire d'une maison d'un montant d'environ 300.000 euros pour l'acquisition de laquelle un apport personnel lui a permis de régler 63.705 euros outre des droits de 14.000 euros,
- il ne justifie de plus aucunement de sa situation professionnelle actuelle et de sa déclaration de revenus,
- la créance du prêteur s 'élève aujourd'hui à 116.377,24 euros - 57.648,99 euros, soit 58.728,25 euros,
- Monsieur C, qui est ingénieur développement, était une caution avertie qui déchargeait l'établissement bancaire de son devoir de mise en garde,
- si la perte d'une chance de ne pas contracté devait être retenue en aucun cas l'indemnisation de la caution ne pourrait correspondre à une décharge de la caution.
En réplique, dans ses conclusions du 28 août 2020, Monsieur C demande à la Cour de confirmer le jugement déféré, de débouter le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT de l'intégralité de ses demandes et :
- subsidiairement le condamner à lui payer la somme de 59.109,77 euros en réparation de son préjudice résultant du manquement de l'établissement à son obligation de mise en garde,
- ordonner la compensation avec les sommes mises à sa charge,
- condamner l'appelante au paiement d'une somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que :
- lors de la souscription de son engagement il n'était propriétaire d'aucun bien immobilier et son revenu imposable était de 16.327 euros en 2005, soit un revenu mensuel d'environ 1.360 euros, comme il l'avait indiqué sur la fiche de renseignement remplie le 25 octobre 2006,
- les fiches de paies de juillet à septembre 2006 produites par la banque indiquent un salaire net d'environ 1.960 euros mais il ne s'agit pas du revenu annuel imposable qui est calculé après deux déductions de 10 % puis 20 %,
- en tout état de cause, quels que soient les revenus retenus, l'engagement de caution à hauteur de 113.502 euros était disproportionné malgré une épargne de l'ordre de 20.000 euros,
- son patrimoine actuel ne lui permet pas de faire face à son engagement de caution car il n'est que propriétaire indivis d'un bien immobilier, dont la valeur n'est au surplus nullement de 300.000 euros et qui a été financé au moyen d'un prêt qui doit être intégralement remboursé,
Motifs
- le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE ne justifie pas du quantum de sa créance dans la mesure où il n'en produit aucun historique depuis l'origine pour les deux prêts,
- sur les relevés fournis depuis 2015 et 2016 apparaissent des frais importants qui ne sont pas justifiés,
- quand bien même le cautionnement serait il jugé proportionné l'établissement bancaire est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution dès lors que ses capacités financières ne sont pas adaptées à l'engagement souscrit et qu'il existait un risque d'endettement excessif,
- contrairement aux allégations adverses il était une caution profane de surcroît âgé de seulement 28 ans et dès lors créancier du devoir de mise en garde de la banque,
- si cette dernière avait satisfait à son devoir il ne se serait jamais engagé en tant que caution,
- le préjudice résultant de la perte de chance de ne pas contracter équivaut au montant des sommes qui lui sont réclamées par l'intimée.
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 8 septembre 2020.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur les demandes du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE
Aux termes de l'ancien article L 341-4 du code de la consommation applicable au présent litige un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est à la caution qu'il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné, d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle ci lui permet de faire face à son obligation.
Sur la disproportion manifeste de l'engagement de Monsieur C
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard de l'ensemble des engagements souscrits par la caution d'une part, de ses biens et revenus d'autre part, sans tenir compte des revenus escomptés de l'opération garantie.
Dans sa fiche d'information de la caution renseignée le 25 octobre 2006 Monsieur C a indiqué être célibataire, exercer la profession d'ingénieur développement dont le salaire net mensuel s'élevait à 1.953,04 euros et verser un loyer mensuel de 635 euros depuis le 9 mars.
Étaient joints à la fiche trois bulletins de salaires de juillet à septembre 2006 mentionnant une rémunération nette comprise entre 1.941,75 et 1.962,69 euros ainsi que plusieurs relevés de comptes ouverts auprès du CREDIT AGRICOLE dont les montants s'élevaient au 5 septembre 2006 à :
- 590,67 euros au titre du solde d'un compte chèque,
- 15,25 euros au titre d'un compte espèce F,
- 4.526,56 euros au titre d'un livret CODEVI,
- 6.629,41 euros au titre d'un compte sur livret,
- 5.483,28 euros au titre d'un compte CONFLUENCE 5 au 31 décembre 2005,
- 8.870,23 euros au titre du solde d'un plan d'épargne logement 'carré mauve' au 5 janvier 2006.
Au regard de la fiche de renseignements complétée et des pièces remises au CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT il n'apparaît nullement que Monsieur C n'ait pas sincèrement informé l'établissement contrairement à ses allégations.
Ainsi un engagement de caution total de 113.502 euros doit être comparé au revenu annuel de 23.436,48 euros de Monsieur C, dont les économies s'élevaient lors de la souscription du cautionnement à 26.115,40 euros.
Après déduction de son épargne le montant de l'engagement à hauteur de 87.386,60 euros au 13 novembre 2006, qui représentait 3.35 fois le revenu de la caution, était manifestement excessif dès lors que cette dernière ne disposait d'aucun patrimoine immobilier.
Sur la capacité de la caution appelée à faire face à son engagement
La caution a été appelée en garantie tout d'abord par une mise en demeure notifiée le 5 juillet 2017 avant d'être assignée en justice le 24 juillet 2017.
Afin de démontrer que le patrimoine de Monsieur C lui permettait à cette date de faire face à son obligation l'appelante justifie qu'il a acquis le 11 octobre 2016, en indivision avec Madame
A Y, une maison d'habitation avec terrain attenant à Bourgoin Jallieu pour le prix de 277.000 euros.
L'intimé, qui détient 52 % des droits et biens immobiliers acquis, conteste l'analyse de la partie adverse au motif qu'il se serait endetté pour financer cette maison et que le prêt demeure à rembourser dans sa quasi totalité, sans toutefois en justifier.
Son patrimoine immobilier, qui doit dès lors être estimé à 144.040 euros à la date d'acquisition de cette maison, lui permettait par conséquent de faire face à son obligation.
Il s'ensuit que le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT est en droit de se prévaloir de l'engagement de caution de Monsieur D
Sur la créance du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
Selon la déclaration faite le 6 janvier 2017 devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Grenoble la créance de la banque, arrêtée au 3 janvier 2017, s'élevait à 116.377,24 euros correspondant à :
- 107.562,94 euros au titre du prêt n°8000054707 s'établissant comme suit :
- 95.136,85 euros au titre du capital restant dû au 3 janvier 2017,
- 5.766,51 euros au titre du solde débiteur au 3 janvier 2017,
- 6.659,58 euros au titre de l'indemnité conventionnelle d'exigibilité de 7 %,
- intérêts de retard à courir au taux révisable du prêt alors de 1,288 % pour mémoire,
- 8.814,30 euros au titre du prêt n°8000054711 répartis comme suit :
- 8.800 euros au titre du capital restant dû au 3 janvier 2017,
- 14,30 euros au titre du solde débiteur au 3 janvier 2017.
Par jugement du 12 novembre 2019, après répartition du prix de vente du bien immobilier de Monsieur H, le juge de l'exécution de Grenoble a distribué au CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT un montant de 58.190,70 euros en ce compris 541,75 euros au titre des frais de production au profit du conseil de la banque.
L'appelante sollicite ainsi la condamnation de la partie adverse à lui payer un montant de 116.377,24 euros - 57.648,95 euros, soit 58.728,29 euros dont 49.913,95 euros outre intérêt au taux conventionnel de 4,30 % pour le prêt n°8000054707 et 8.814,30 euros pour le prêt n°8000054711 à compter de la date d'assignation.
Il conviendra en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de condamner Monsieur C au paiement de cette somme ventilée entre les deux prêts, outre capitalisation des intérêts échus depuis une année à compter du 24 juillet 2017 en application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur le devoir de mise en garde de la banque
L'établissement bancaire est débiteur d'une obligation de mise en garde envers la personne physique non avertie susceptible de s'engager en tant que caution au regard de ses capacités financières et du risque d'endettement né de l'octroi du prêt, tant à l'égard de l'emprunteur que de la caution.
Monsieur C invoque la responsabilité du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT pour ne pas l'avoir informé sur la portée des risques d'endettement inhérents à sa mobilisation en tant que caution en l'espèce non avertie.
Une personne non avertie n'est en effet pas en mesure d'apprécier elle même les risques de l'opération qu'elle envisage de cautionner et sa qualité repose sur des critères d'aptitude à mesurer la prise de risque et l'adaptation de son engagement à ses capacités financières.
Contrairement aux affirmations du prêteur la seule profession d'ingénieur développement de Monsieur C ne le qualifiait en rien pour mesurer la portée de son engagement et les risques inhérents à celui ci en cas de défaillance de l'emprunteur et alors, de surcroît, qu'il n'avait aucun intérêt personnel dans l'affaire dans laquelle il s'est porté caution.
L'intimé ne saurait dès lors être considéré comme une caution avertie.
Pas davantage l'établissement bancaire ne justifie t il de l'absence de risque d'endettement par le fait que l'emprunteur exerçait la profession de prothésiste dentaire et qu'il avait honoré ses obligations pendant près de dix ans sans verser au dossier les pièces produites par Monsieur H, attestant de sa situation financière lors de la souscription des deux crédits.
S'agissant du risque d'endettement de Monsieur C, il résulte du fait que son cautionnement est manifestement disproportionné à ses biens et revenus, ainsi qu'il a été vu précédemment.
Il convient dès lors de constater que le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de la caution.
Il en est résulté pour Monsieur C la perte très sérieuse d'une chance de ne pas s'engager en tant que caution, laquelle doit être réparée par l'octroi de dommages et intérêts.
Il sera cependant rappelé que la réparation du préjudice né de la perte de chance de ne pas contracter doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
En l'occurrence la perte de chance de Monsieur C doit être évaluée, au regard des éléments de la cause, à 85 %. Dès lors il lui sera alloué des dommages et intérêts à hauteur de 85 % de la somme due à son créancier, soit 49.919,05 euros.
Sur les demandes annexes
Les circonstances de l'affaire justifient que la banque soit condamnée au titre des frais irrépétibles en appel à verser une indemnité de 2.000 euros à Monsieur D
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'acte de cautionnement inopposable à Monsieur C et rejeté les demandes de la banque au titre de l'engagement de caution,
Statuant à nouveau,
Condamne Monsieur X C à payer à la S. A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT la somme de 58.728,29 euros (cinquante huit mille sept cent vingt huit euros vingt neuf cents) dont :
- 49.913,95 euros outre intérêt au taux de 4,30 % pour le prêt n°8000054707,
- 8.814,30 euros pour le prêt n°8000054711, avec capitalisation des intérêts à compter du 24 juillet 2017 dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
Condamne la S. A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE à payer à Monsieur X C la somme de 49.919,05 euros (quarante neuf mille neuf cent dix neuf euros cinq cents) à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'une chance de ne pas contracter son engagement de caution,
Ordonne la compensation entre les sommes dues réciproquement par les parties,
Condamne la S. A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE à payer à Monsieur X C la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S. A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT aux entiers dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,