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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 11 mai 2021, n° 19/01554

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LE CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Combes

Conseiller :

Mme Blatry

Conseiller :

Mme Lamoine

Avocat :

Me Mihajlovic

Avocat :

Me Laurent

CA Grenoble n° 19/01554

10 mai 2021

A l'audience publique du 29 Mars 2021, Madame C a été entendue en son rapport.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Selon offre de prêt du 25 juin 2009 acceptée le 8 juillet, la SA Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne a consenti à la SCI COLIBRI constituée entre M. B Y et Mme E D Z un prêt immobilier d'un montant de 148'887 € remboursable en 300 mensualités au taux contractuel de 4,40 %, pour financer l'acquisition d'un appartement ancien ainsi que des travaux de rénovation en vue d'une location.

Par acte du 8 juillet 2009, M. Y et Mme Z se sont portées cautions solidaires, chacun dans la limite de 148'887 €.

Le prêt était aussi garanti par une hypothèque conventionnelle de premier rang sur le bien financé.

Après une première mise en demeure du 9 août 2012 adressée à l'emprunteur et aux cautions en raison d'échéances impayées, une proposition de règlement amiable a été effectuée, mais elle n'a pas permis de régler le solde du prêt.

La banque a ensuite adressé aux cautions le 9 avril 2015 une mise en demeure d'avoir à payer la somme de 23 541,06 € dans le délai de huit jours sous peine de déchéance du terme.

La banque a, en vertu de son inscription d'hypothèque, obtenu la vente sur adjudication du bien immobilier le 7 février 2017 pour le prix de 16 200 €, le juge de l'exécution qui avait ordonné la vente ayant fixé la créance du créancier poursuivant à la somme de 152'356,86 €.

Par acte des 13 et 14 avril 2017, la SA Crédit Immobilier de France Développement (le CIFD) a assigné M. Y et Mme Z devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour les voir condamner solidairement au paiement de la somme de 144 404,73 €.

M. Y a été mis en liquidation judiciaire le 15 juin 2017.

Le CIFD a déclaré sa créance pour un montant de 141 362,25 €, et appelé en cause Maître Christian GUYOT en qualité de liquidateur. Ce dernier n'a pas comparu.

Mme Z a invoqué au principal la disproportion de son engagement, et subsidiairement le manquement de la banque à son obligation de mise en garde justifiant l 'allocation de dommages intérêts à hauteur du montant des sommes réclamées.

Par jugement du 11 mars 2019, le tribunal a :

débouté le CIFD de sa demande en paiement dirigé à l'encontre de Mme Z en vertu de son engagement de caution,

• fixé la créance du CIFD au passif de M. Y à la somme de 144 404,73 € outre intérêts au taux de 2,47 % l'an à compter du 8 avril 2017 au titre de son engagement de caution solidaire,

• condamné le CIFD à payer à Mme Z la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

• débouté les parties du surplus de leurs demandes, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, condamné la CIFD aux dépens.

Par déclaration au Greffe en date du 8 avril 2019, le CIFD a interjeté appel de ce jugement, en limitant son appel aux dispositions du jugement par lesquelles il a été débouté de ses demandes contre Mme Z et condamnée à lui payer une indemnité de procédure.

Par conclusions n° 2 notifiées le 11 mars 2021, il demande la réformation du jugement déféré sur les points objet de son appel et demande à la cour :

de dire que Mme Z ne justifie pas que son engagement était disproportionné à ses biens et revenus,

• de la dire irrecevable et non fondée en sa demande au titre du prétendu défaut de mise en garde,

• de la débouter de sa demande de délais de paiement, par conséquent de condamner Mme Z à lui payer, avec capitalisation des intérêts :

la somme de 144'404,73 € outre intérêts au taux conventionnel à compter du 8 avril 2017 et jusqu'à parfait paiement,

• celle de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

que les revenus de Mme Z, combinés avec son patrimoine, permettent d'affirmer que son engagement de caution n'était pas manifestement disproportionné,

• qu'en effet, la production de l'acte de vente du 4 avril 2012 n'avait pas pour objet d'établir la volonté d'organiser son insolvabilité, mais de démontrer qu'au moment de son engagement, Mme Z disposait d'un patrimoine conséquent et de liquidité,

• qu'il résulte encore d'une reconnaissance de dette du 23 avril 2018 que Mme Z est propriétaire indivise à hauteur de moitié d'une maison d'habitation à GONCELIN acquise en 1989 pour 260 000 F,

• qu'il ressort d'un second état hypothécaire que Mme Z a bénéficié en 2004 d'une donation pour acquérir un bien indivis situé à Grenoble d'une valeur de 263 100 €, soit une part d'une valeur de 125 000 € pour madame,

• qu'elle est aussi propriétaire de plusieurs appartements [Adresse], que l'action fondée sur l'obligation de mise en garde est prescrite, le délai pour l'engager ayant commencé à courir le jour de la souscription de l'engagement de caution,

• subsidiairement, qu'il n'y avait pas lieu à mise en garde, qu'il n'existait au jour de la souscription du prêt aucun risque d'endettement lié aux capacités financières de l'emprunteur,

• qu'elle a en toute hypothèse satisfait à cette obligation puisque Mme Z était informée qu'elle s'exposait à une poursuite sur ses revenus et biens si l'emprunteur était défaillant,

• que l'opération financée ne présentait aucun risque particulier, le bien devant être loué après travaux pour procurer un revenu à l'emprunteur,

• que Mme Z a déjà bénéficié, de fait, de larges délais et ne justifie pas être en mesure de s'acquitter de sa dette par des versements échelonnés.



Mme Z, par conclusions n° 3 notifiées le 4 mars 2021, demande la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.

À titre subsidiaire, si par impossible la cour faisait droit aux demandes du CIFD, elle demande :

qu'il soit dit et jugé que la banque a manqué à son obligation de mise en garde envers elle, caution mon avertie,

• la condamnation du CIFD à lui payer des dommages intérêts d'un montant équivalent aux sommes restant dues avec compensation entre les sommes dues de part et d'autre.



A titre infiniment subsidiaire, elle demande que lui soient accordés les plus larges délais en application des articles 1244-1 et suivants du Code civil.

En tout état de cause, elle demande condamnation du CIFD à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

que ses revenus ne lui permettaient pas, ainsi que l'a retenu le tribunal, de satisfaire à ses engagements,

• s'agissant de son patrimoine : que l'acquisition de l'appartement en 2012 dans le but d'y installer son fils a été financé par un don manuel de sa mère de 40 000 €, par une assurance vie de sa mère à hauteur de 48'000 €, enfin, par un apport de 52 000 € de M. X, celui ci, père de son fils et qui allait devenir son mari, désirant la mettre ainsi à l'abri du besoin,

• que la maison de GONCELIN lui appartient pour moitié, pour une valeur de 80 400 €, mais qu'elle est débitrice à l'égard de son mari à hauteur de 40 201,44 € au titre de travaux entièrement financés par lui avant leur mariage,

• qu'elle ne détient, sur l'[Adresse], que 50 % de la nue propriété soit une valeur de 86 000 €,

• que la banque avait l'obligation de la mettre en garde en l'informant des risques encourus à se porter caution eu égard à sa situation personnelle, dès lors que son engagement était disproportionné à ses ressources et à son patrimoine,

• que l'action fondée sur ce moyen n'est pas prescrite, que le point de départ du délai pour l'engager est le moment où la caution est appelée puisque le dommage n'est qu'éventuel au jour de la signature du cautionnement,

• que son préjudice est considérable puisqu'elle est aujourd'hui poursuivie pour plus de 144 000 €, somme supérieure à tous ses avoirs patrimoniaux.



M. Y et Maître Christian GUYOT ès qualités, qui n'ont pas constitué avocat, ont été régulièrement assignés le 25 juillet 2019 par acte délivré autrement qu'à leur personne. Le présent arrêt sera rendu par défaut en application des dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 16 mars 2021.

Motifs

MOTIFS DE LA DÉCISION Sur les limites de l'appel

L'appel est limité aux dispositions du jugement par lesquelles le CIFD a été débouté de ses demandes contre Mme Z et condamné à lui payer une indemnité de procédure, de sorte que les dispositions relatives à la fixation de la créance au passif de la liquidation judiciaire de M. Y ne sont pas soumises à la présente cour.

Sur le moyen tiré de la disproportion de l'engagement

Aux termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation en vigueur lors de la conclusion de l'engagement de caution, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

En l'espèce, Mme Z justifie qu'au moment de la souscription de son engagement le 8 juillet 2009, elle percevait un revenu annuel déclaré de 14 426 € avant déduction des frais réels soit 1 202 € par mois, et avait déclaré pour l'année 2008 un revenu annuel de 20 602 € avant déduction des frais réels, soit 1 716,83 € mensuels.

Au vu des pièces produites, elle possédait à cette date, au titre de son patrimoine immobilier :

la moitié indivise d'une maison à Goncelin bâtie sur un terrain acquis en 1989 avec son conjoint M. X, la valeur de sa part étant de 59 251 €, sous réserve d'une reconnaissance d'une dette de 40 200 € envers M. X au titre du financement de travaux,

• la moitié de la nue propriété d'un [Adresse] à Grenoble évalué à 250 100 €, soit une valeur de 86 000 € pour la part de Mme A



La valeur de son patrimoine à cette date était donc de : 86 000 € (appartement [Adresse]) + 19 051 € (solde net au titre de la maison de Goncelin) soit un total de 105 051 €.

Cette valeur ne couvrant pas son engagement à hauteur de 148 887 €, celui ci était alors, compte tenu de la modicité de ses revenus ci dessus rappelés, manifestement disproportionné.

Cependant, ainsi que l'édicte l'article L. 341-4 du code de la consommation in fine, les conséquences de la disproportion sont écartées si le patrimoine de la caution, au moment où celle ci est appelée, lui permet de faire face à son obligation.

En l'espèce, la première mise en demeure de la banque contre Mme Z remontant au 9 août 2012, c'est à cette date qu'il convient de se placer.

Mme Z possédait alors, au vu de l'ensemble des pièces produites, en sus du patrimoine existant lors de la souscription de son engagement ci dessus rappelé, l'usufruit d'un appartement cours Jean Jaurès à Grenoble, acquis en avril 2012 avec son fils nu propriétaire, son usufruit étant valorisé à 70 000 € dans les actes produits.

La valeur de son patrimoine immobilier s'élevait donc, au 9 août 2012 à :

70 000 € (appartement cours Jean Jaurès) + 86 000 € (appartement [Adresse]) + 19 051 € (solde net au titre de la maison de Goncelin) = 175 051 € ce qui dépasse le montant de son engagement de 148 887 €.

Ce patrimoine lui permettait, à cette date, de faire face à ses obligations, et le moyen tiré de la disproportion de l'engagement doit être écarté.

Au vu du décompte produit, conforme aux dispositions contractuelles sur les sommes dues au titre du prêt, Mme Z est débitrice d'une somme totale de 141 362,25 €, à l'exclusion des 'frais de procédure' pour 3 042,48 € qui ne sont pas justifiés.

Les intérêts sur cette somme sont dus au taux contractuel de 2,472 % l'an à compter de l'assignation du 13 avril 2017 dans la limite de l'engagement de caution de 148 887 €, et au taux légal au delà.

La demande de capitalisation des intérêts, dès lors qu'elle est formée pour les intérêts dus au moins pour une année entière conformément à l'article 1343-2 du code civil, s'impose au juge et il y a donc lieu d'y faire droit.

Sur la demande au titre du manquement au devoir de mise en garde

C'est en vain que le CIFD oppose la prescription de cette demande ; en effet dès lors que les demandes reconventionnelles et les moyens de défense sont formés de la même manière à l'encontre des parties à l'instance, la demande de Mme Z, qui tend en réalité à être déchargée de son obligation en raison de la faute commise par la banque, constitue un simple moyen de défense au fond sur lequel la prescription est sans incidence.

Sur le fond, il ressort du développement qui précède que l'engagement de Mme Z était, au moment de son engagement, disproportionné eu égard à ses revenus et à son patrimoine, étant rappelé qu'elle n'a déclaré qu'un revenu total de 14 426 € pour l'année où son engagement a été souscrit.

En outre, son engagement de caution portait sur 148 887 € soit sur la totalité de la somme empruntée par la SCI COLIBRI en vue de l'acquisition et du financement de travaux de rénovation d'un appartement ancien en vue de sa location, opération présentant un risque certain puisque les revenus futurs destinés à compenser l'investissement étaient conditionnés à la réalisation de travaux d'envergure retardant d'autant la rentrée financière espérée.

En outre, si Mme Z était associée de la SCI, sa profession de traductrice, et celle de maître d'oeuvre de son associé B Y tels que mentionnées dans les statuts de la SCI, révèlent que l'initiative et la conduite de l'opération de rénovation devaient reposer entièrement sur ce dernier, par ailleurs gérant de la SCI, ce que le CIFD n'ignorait pas puisque ce dernier s'engageait aussi comme caution.

Il en résulte que le CIFD avait, à l'égard de Mme Z, caution non avertie, une obligation d'information et de mise en garde d'autant plus grande quant au risque encouru par elle en s'engageant comme caution solidaire, dans de telles proportions et avec de faibles revenus, pour garantir une opération soumise à un sérieux aléa, et sur la réussite de laquelle elle n'avait en réalité aucune prise.

Le CIFD ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'avoir satisfait à cette obligation par la simple référence aux mentions préimprimées générales de l'engagement de caution.

La banque a donc manqué à son obligation, ce manquement ayant privé Mme Z d'une chance de ne pas s'engager, que les éléments du dossier permettent d'estimer à 50 %.

Il y a donc lieu d'allouer à Mme Z, à titre de dommages intérêts, une somme équivalente à la moitié de celle à laquelle elle est aujourd'hui tenue en principal soit 70 682 € arrondie, avec compensation entre les sommes dues de part et d'autre ainsi que précisé au dispositif.

Sur la demande de délais de paiement

Mme Z, qui demande l'octroi de délais, a déjà bénéficié de fait de quatre années de délai depuis l'introduction de l'instance devant le tribunal, sans procéder au moindre règlement même partiel.

Par ailleurs, elle ne justifie pas de ses revenus actuels, ni donc de sa capacité à s'acquitter d'une mensualité suffisante pour régler sa dette de manière échelonnée dans le délai maximum de 2 années prévu par l'article 1343-5 du code civil.

Dès lors, il n'est pas justifié de faire droit à cette demande.

Sur les demandes accessoires

Mme Z, qui succombe principalement en sa défense, devra supporter les dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile et il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en sa faveur.

Il n'est pas équitable de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du CIFD.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt de défaut,

Statuant dans les limites de l'appel :

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

débouté la SA Crédit Immobilier de France Développement de sa demande en paiement dirigée à l'encontre de Mme Z sur le fondement de son engagement de caution souscrit le 8 juillet 2009,

• condamné la SA Crédit Immobilier de France Développement aux dépens et à payer à Mme Z une somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne Mme Z à payer à la SA Crédit Immobilier de France Développement la somme de 141 362,25 € au titre de son engagement de caution, outre intérêts au taux contractuel de 2,472 % l'an à compter du 13 avril 2017 dans la limite de l'engagement de caution de 148 887 €, et au taux légal au delà, et avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Déclare recevable la demande de Mme Z fondée sur le manquement de la banque à son obligation de mise en garde.

Dit que la SA Crédit Immobilier de France Développement a manqué à cette obligation de mise en garde envers Mme Z, caution non avertie.

En conséquence, condamne la SA Crédit Immobilier de France Développement à payer à Mme Z la somme de 70 682 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice, cette somme se compensant avec celle ci dessus à la date du présent arrêt.

Rejette toutes les autres demandes.

Condamne Mme Z aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

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