CA Paris, 16 octobre 2024, n° 22/14750
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
S.C.O.P. S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly et M. Braud
Conseiller :
Mme Sappey-Guesdon
Avocat :
Me Sola et Me Bruguière
Avocat :
Me Bem
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La s.à.r.l. Seine-Ouest Automobile dont M. [Z] [V] était gérant associé et Mme [X] [G] épouse [V] associée s'est vue consentir par la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France :
- le 6 juillet 2011 un prêt de 300 000 euros destiné à financer l'acquisition d'un garage automobile remboursable en 84 mois, les époux [V] se portant cautions solidaires dans la limite de 97 500 euros chacun,
- le 29 mai 2012 un prêt de 80 000 euros destiné à financer des travaux d'aménagement remboursable en 84 mois, M. [V] se portant caution solidaire dans la limite de 104 000 euros.
Les deux prêts ont été réaménagés en 2016, avec l'accord des cautions, et les échéances sont restées impayées à partir du mois de juillet 2017.
Après vaines mises en demeure, la Caisse d'Epargne a prononcé la déchéance du terme des prêts le 5 avril 2019 et mis en demeure les cautions d'honorer leurs engagements.
Le 18 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Seine-Ouest Automobile et la Caisse d'Epargne a déclaré ses créances à hauteur des sommes de 125 490,44 euros et de 52 086,99 euros, la clôture pour insuffisance d'actif ayant été prononcée le 8 février 2022.
La Caisse d'Epargne a assigné la société débitrice et les cautions devant le tribunal de commerce de Paris le 2 août 2019 puis a mis en cause le liquidateur judiciaire le 31 mai 2021.
Par jugement en date du 15 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a ainsi statué :
'- fixe au passif de la société Seine Ouest Automobile :
- à la somme de 125.490,44 euros, la créance de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE à titre privilégié, au titre du prêt n°8875420 ;
- à la somme de 52.086,99 euros, la créance de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE à titre privilégié, au titre du prêt n°90039489 ;
- déboute la Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Ile de France de toutes ses demandes dirigées contre monsieur [Z] [V] et madame [X] [V] ;
- rejette la demande de dommages et intérêts formulées par monsieur [Z] [V] et madame [X] [G] épouse [V] ;
- condamne la Caisse d'Epargne d'Ile de France aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 113,10 € dont 18,64 € de TVA et à payer 1 000 euros à monsieur [Z] [V] et madame [X] [V] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonne l'exécution provisoire du présent jugement'.
Par déclaration au greffe en date du 5 août 2022 la Caisse d'Epargne a interjeté appel à l'encontre de M. [Z] [V] et Mme [X] [G] épouse [V].
Par ses dernières conclusions en date du 16 mars 2023, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France fait valoir :
- que les époux [V] étaient propriétaires d'un bien acquis pour la somme de 190 000 euros le 30 novembre 2007, qu'ils prouvent insuffisamment sa valeur au moment des cautionnements par sa seule revente pour une somme de 176 000 euros non suffisamment justifiée le 2 septembre 2015 de sorte qu'ils sont défaillants dans l'administration de la preuve de la disproportion manifeste qui leur incombe pourtant, que M. [V] ne prouve pas le prêt d'honneur de 5 000 euros qu'il aurait contracté, que leur actif de 91 225,41 euros au moment de leurs engagements ne rend pas leurs engagements manifestement disproportionnés,
- qu'en outre les époux [V] sont en mesure de faire face à leurs obligations au moment où ils ont été appelés compte tenu de ce que l'on peut déduire de la valeur nette restante après revente du bien immobilier et paiement du solde du prêt contracté pour l'acquérir,
- que l'appel incident ne peut prospérer dès lors que la demande tendant au prononcé de la nullité des cautionnements est prescrite, le point de départ étant le jour de leur souscription alors qu'ils n'ont formé cette demande pour la première fois que par des conclusions du 20 mai 2020,
- que la demande est infondée, aucune réticence dolosive ne pouvant lui être reprochée compte tenu des qualités de gérant et d'associés de la société emprunteuse des cautions alors qu'aucune preuve qu'elle aurait elle-même connu des informations ignorées d'eux n'est rapportée,
- qu'ils sont cautions solidaires et indivisibles du prêt à hauteur de 25 % de l'encours sans que le cautionnement apporté par la CEGC ne leur profite, ce qu'ils savaient pertinemment,
- qu'ils n'ont pas perdu un droit préférentiel au sens de l'article 2314 du code civil qu'ils invoquent puisque le nantissement prévu a été inscrit en premier rang et que la clôture de la procédure collective est intervenue pour insuffisance d'actif,
- que les cautions ont été avisées chaque année et que leur demande de délais de paiement n'est pas justifiée,
- que compte tenu de leurs âges et qualités ils doivent être considérés comme des cautions averties détenant toutes les informations nécessaires d'autant qu'ils étaient assistés d'un avocat pour l'acquisition du fond de commerce de sorte qu'elle n'était pas redevable d'une obligation de mise en garde de sorte qu'elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
'- Condamner solidairement monsieur [Z] [V], et madame [X] [G], épouse [V], en leur qualité de caution, chacun dans la limite de la somme de 27.223,14 €, à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE, au titre du prêt n°8875420, la somme de 108.892,56 €, outre les intérêts au taux contractuel de 3,60% majoré des pénalités de trois points, soit 6,60%, à compter du 5 avril 2019, date de la mise en demeure. - Condamner monsieur [Z] [V], en sa qualité de caution, à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE, au titre du prêt n°9039489, la somme de 45.196,04 €, outre les intérêts au taux contractuel de 3,50% majoré des pénalités de trois points, soit 6,50%, à compter du 5 avril 2019, date de la mise en demeure.
- Dire que les intérêts produits seront capitalisés chaque année pour produire à leur tour intérêts, conformément à l'article 1343-2 du Code civil
- Condamner solidairement monsieur [Z] [V], et madame [X] [G], épouse [V], à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.'
Par leurs dernières conclusions en date du 17 juin 2024, M. [Z] [V] était gérant associé et Mme [X] [G] épouse [V] font valoir :
- que c'est à juste titre que le tribunal a déclaré inopposable les cautionnements pour disproportion manifeste, étant observé que leur retour à meilleure fortune au moment où ils ont été appelés n'est pas démontré par la banque,
- subsidiairement, que les cautionnements sont nuls puisqu'ils ont été victimes d'un dol constitué du défaut d'information sur les conditions de la garantie CEGC et spécialement de sa subsidiarité,
- qu'ils ont commis une erreur en croyant en la réalisation du nantissement du fonds de commerce au profit de la banque,
- qu'ils doivent être déchargés de leurs obligations sur le fondement de l'article 2314 du code civil en l'absence de réalisation du nantissement du fonds de commerce,
- que la banque n'a pas respecté ses obligations légales d'information des cautions, ce qui entraîne la déchéance de son droit aux intérêts et accessoires de la créance et qu'ils justifient devoir se voir octroyer des délais de paiement,
- qu'en tout état de cause, la banque a manqué à son obligation de mise en garde à leur égard en qualités de cautions profanes ce qui justifie l'octroi de dommages-intérêts tant en ce qui concerne les risques pour leur patrimoine personnel que le caractère excessif du crédit consenti à la société Seine-Ouest Automobile, de sorte qu'ils demandent à la cour de :
'A titre principal :
- JUGER que les engagements de caution solidaire conclus, le 6 juillet 2011, entre les parties était manifestement disproportionné par rapport aux revenus et l'absence de patrimoine de Monsieur[Z] [V] et Madame [X] [V] au moment de leur conclusion et le sont encore au jour de l'appel en garantie ;
- JUGER que l'engagement de caution solidaire conclu, le 29 mai 2012, entre les parties était manifestement disproportionné par rapport aux revenus et l'absence de patrimoine de Monsieur [Z] [V], au moment de sa conclusion et l'était encore au moment de son appel en garantie
En conséquence :
- DECLARER inopposables à Monsieur [Z] [V] et Madame [X] [V] les engagements de caution conclus, le 6 juillet 2011, entre les parties ;
- DECLARER inopposable à Monsieur [Z] [V], l'engagement de caution conclu, le 29 mai 2012, entre les parties ;
- DEBOUTER la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire :
Si la Cour de céans considérait que les cautionnements de Monsieur et Madame [V] n'étaient pas disproportionné, il lui est demandé de :
- JUGER que la Caisse d'Epargne n'a pas informé Monsieur et Madame [V] sur les conditions de mise en 'uvre de la garantie de la Compagnie Européenne de Garantie et des Cautions ;
- JUGER l'absence de mise en 'uvre du fonds de commerce nanti le 13 juillet 2011 par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France convenu entre les parties dans le contrat de prêt du 6 juillet 2011 ;
- JUGER l'absence de mise en 'uvre du fonds de commerce nanti le 12 juin 2012 par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France convenu entre les parties dans le contrat de prêt du 29 mai 2012,
- JUGER que Monsieur et Madame [V] ont commis une erreur consistant en une croyance erronée que la garantie de la CEGC éviterait que la banque leur réclame des sommes ;
- JUGER que Monsieur et Madame [V] ont commis une erreur consistant en une croyance erronée que le nantissement du 13 juillet 2011 éviterait que la banque leur réclame des sommes ;
- JUGER que Monsieur et Madame [V] ont commis une erreur consistant en une croyance erronée que le nantissement du 12 juin 2012 éviterait que la banque leur réclame des sommes ;
- JUGER que ces erreurs ont été déterminantes de leur consentement de s'engager en qualité de caution ;
En conséquence :
- JUGER que la Caisse d'Epargne a failli dans le respect de son obligation d'information précontractuelle sur les conditions de mise en 'uvre de la garantie Compagnie Européenne de Garantie et des Cautions à l'égard de Monsieur et Madame [V] ;
- JUGER que la Caisse d'Epargne a failli dans le respect de son obligation de constitution des nantissements sur le fonds de commerce ;
- DECLARER nul pour dol les engagements de caution solidaire signés par Monsieur et Madame [V] le 6 juillet 2011 ;
- DECLARER nul pour dol l'engagement de caution solidaire signé par Monsieur [Z] [V] le 29 mai 2012 ;
- DECLARER nul sur le fondement de l'erreur les engagements de caution solidaire signés par Monsieur et Madame [V] le 6 juillet 2011 ;
- DECLARER nul sur le fondement de l'erreur l'engagement de caution solidaire signé par Monsieur [V] le 6 juillet 2011 ;
- DECLARER nul pour dol l'engagement de caution solidaire signé par Monsieur [Z] [V] le 29 mai 2012 ;
- DEBOUTER la Caisse d'Epargne de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
À titre très subsidiaire :
- JUGER l'absence de mise en 'uvre du fonds de commerce nanti le 13 juillet 2011 par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France convenu entre les parties dans le contrat de prêt du 6 juillet 2011 ;
- JUGER l'absence de mise en 'uvre du fonds de commerce nanti le 12 juin 2012 par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France convenu entre les parties dans le contrat de prêt du 29 mai 2012
En conséquence :
- DECLARER que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France ne saurait se prévaloir des engagements de caution de Monsieur et Madame [V] souscrits le 6 juillet 2011 et décharger les cautions de ce chef ;
- DECLARER que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France ne saurait se prévaloir des engagements de caution de Monsieur [V] souscrits le 29 mai 2012 et décharger la caution de ce chef ;
A titre infiniment subsidiaire :
- JUGER l'absence d'information annuelle des cautions depuis la conclusion des engagements de caution solidaire et jusqu'à ce jour ;
- JUGER l'absence d'information des cautions sur les incidents de paiements intervenus depuis la conclusion des engagements de caution solidaire et jusqu'à ce jour ;
En conséquence:
- PRONONCER la déchéance du droit de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France aux intérêts échus et intérêts ou pénalités de retard, conventionnels ou légaux ;
- DEBOUTER la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France de ses demandes de condamnation au paiement des intérêts échus, des pénalités et des intérêts de retard, conventionnels ou légaux ;
- OCTROYER à Monsieur [Z] [V] et Madame [X] [V] des délais de paiement en cas de condamnation au paiement de la somme réclamée par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France en 24 mensualités, à compter du mois suivant la signification du jugement ;
A titre d'appel incident et en tout état de cause :
- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 septembre 2022 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts des époux [V] et condamner la Caisse d'Epargne à leur verser la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procéedure civile ;
Et statuant à nouveau :
- JUGER la qualité de caution non avertie de Monsieur [Z] [V] et de Madame [X] [V] ;
- JUGER que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France a commis une faute en ne respectant pas son devoir de mise en garde vis-à-vis de Monsieur [Z] [V] et Madame [X] [V] ;
- JUGER que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France engage sa responsabilité pour défaut d'information et de mise en garde du risque de non-remboursement du crédit par la société emprunteuse et celui d'une poursuite sur le patrimoine personnel des cautions ;
- JUGER que la faute commise par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France est à l'origine d'un préjudice consistant pour Monsieur et Madame [V] en la perte de chance de ne pas consentir leurs engagements de caution ou pas dans ces conditions ;
En conséquence :
- CONDAMNER la Caisse d'Epargne et de prévoyance Ile de France à payer à Monsieur [Z] [V] et Madame [X] [V], la somme de 35.000 €, chacun, à titre de dommages-intérêts ;
- CONDAMNER la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile de France à verser à Monsieur [Z] [V] et Madame [X] [V] la somme de 10.000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile'.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 juin 2024.
MOTIFS
Sur la disproportion manifeste des engagements
Il ressort de l'article L341-4 du code de la consommation, devenu L 332-1, entré en vigueur antérieurement aux cautionnement litigieux, que l'engagement de caution conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution sous peine de déchéance du droit de s'en prévaloir.
La charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution poursuivie qui l'invoque et celle-ci doit être appréciée à la date de l'engagement, en tenant compte de ses revenus et patrimoine ainsi que de son endettement global.
Aucune disposition n'exclut de cette protection la caution dirigeante d'une société dont elle garantit les dettes.
La banque n'a pas à vérifier les déclarations qui lui sont faites à sa demande par les personnes se proposant d'apporter leur cautionnement sauf s'il en résulte des anomalies apparentes.
Il incombe alors au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné, lors de sa conclusion, aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.
Chacun des époux [V] s'est porté caution du prêt d'acquisition du fonds de commerce de garage automobile d'un montant de 300 000 euros dans l'acte de cession du 6 juillet 2011 dans la limite de 97 500 euros et, selon la notification de la caution de la CEGC à la banque de 25 % de l'encours.
Contrairement à ce qu'ils soutiennent, la banque n'était pas tenue d'effectuer un bilan financier et patrimonial, son défaut l'exposant seulement à la faculté pour les époux [V] de rapporter la preuve de la disproportion manifeste.
Il ressort de l'avis d'imposition de l'année 2012 sur les revenus de l'année 2011 qu'ils avaient respectivement pour salaires bruts les sommes de 15 046 euros pour M. [V] et de 29 114 euros pour Mme [V] soit 44 160 euros étant observé qu'ils sont mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts avec trois enfants mineurs à charge.
Ils avaient acquis un bien immobilier constitué d'un appartement sis à [Localité 5] en date du 30 novembre 2007 pour la somme de 190 000 euros - qui a été revendu le 2 septembre 2015 au prix de 176 000 euros - et il ressort du contrat de prêt souscrit auprès du Crédit Agricole tableau d'amortissement produit que la charge de l'emprunt qui a financé l'acquisition était de 140 413,26 euros en capital à la date du cautionnement, ce qui permet d'évaluer la valeur du bien à la somme de 49 586,74 euros, étant observé qu'ils étaient également redevable d'une charge d'intérêts.
Contrairement à ce que soutient la banque, le défaut d'évaluation actualisé du bien au moment de la souscription des cautionnements, au mois de juillet 2011, n'empêche pas les époux [V] de démontrer la valeur nette de ce patrimoine étant observé qu'il a été ensuite revendu avec une moins value.
Il s'y ajoute la dette de M. [V] au titre d'un prêt d'honneur de 5 000 euros accordé par l'association Hauts-de-Seine initiative du 25 mai 2011 dont l'existence est démontrée, contrairement encore à ce que soutient la banque, par le contrat signé.
Compte tenu de ces revenus et patrimoine et des charges de famille, c'est à bon droit que le tribunal a jugé manifestement disproportionnés les engagements de caution de chacun des époux au moment de leur souscription.
Dès lors qu'il n'est pas allégué une modification de la situation des époux et que tout au contraire l'avis d'imposition 2013 sur les revenus 2012 objective une diminution de leur revenus aux sommes respectives de 8 500 euros et 15 466 euros soit 23 966 euros au total, c'est encore à juste titre qu'il a jugé manifestement disproportion l'engagement supplémentaire du seul M. [V] en date du 29 mai 2012 dans la limite de la somme de 104 000 euros pour garantir un prêt destiné à financer des travaux.
C'est à la banque de démontrer que les époux [V] ont été en mesure de faire face à leurs obligations au moment où ils ont été appelés, c'est à dire lors de la délivrance de l'assignation du 2 août 2019 au moyen de laquelle elle leur réclamait, à chacun, la somme de 27 223,14 euros au titre du premier prêt et à M. [V] seul celle de 45 196,04 euros, soit un total le concernant de 72 419,18 euros et un total de 99 642,32 euros pour le couple.
Il ressort de l'avis d'imposition 2019 sur les revenus 2018 que seule Mme [V] a déclaré un salaire annuel de 35 244 euros.
A la suite de la vente du bien de [Localité 5], les époux [V] ont acquis un bien immobilier sis à [Localité 4] au moyen d'un prêt du Crédit Agricole qui mentionne un montant d'investissement de 260 886,71 euros frais d'acquisition compris, le prix étant de 240 000 euros -, un apport personnel de 90 000,71 euros et une somme prêtée de 170 886 euros, prévoyant une acceptation au plus tard le 3 avril 2017 et une mise à disposition des fonds au plus tard le 2 juillet 2017.
Le tableau d'amortissement et les explications des époux [V] objectivent une somme restant due en capital de 157 433,41 euros à la date de l'assignation d'août 2019 ce qui établit la valeur du bien à cette date à (240 000 - 157 433,41=) = 82 566,59 euros. Dès lors que les époux [V], mariés sous le régime de la communauté et qui se sont engagés partiellement en qualités de caution garantissant les mêmes obligations, ont fait masse de leur patrimoine et revenus, il ressort de ce qui précède que M. et Mme [V] étaient en mesure de faire face, chacun, à leurs obligations au titre du premier prêt à hauteur de la somme de 27 223,14 euros soit un total de 54 446,28 euros mais qu'en revanche M. [V] seul n'était pas en mesure de s'acquitter de ses obligations au titre du second cautionnement souscrit seul à hauteur de la somme supplémentaire de 45 196,04 euros.
Sur la nullité des engagements de caution pour dol et erreur
Il résulte d'abord de l'article 1304 du code civil dans sa rédaction applicable antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 que le délai de prescription quinquennale de l'action en nullité d'un contrat pour dol ou erreur a pour point de départ le jour de leur découverte.
Il en résulte que le point de départ d'une action en nullité d'un cautionnement ne saurait être fixé à la date de sa souscription et que, dès lors que les époux [V] soutiennent avoir découvert qu'ils auraient été victimes d'une manoeuvre frauduleuse ayant consisté à leur dissimulé les conditions de la garantie de la CEGC et d'une erreur consistant en leur croyance en la réalisation du nantissement du fonds de commerce au profit de la banque, le point de départ de leur action ne saurait être antérieur à leur appel en leurs qualités de cautions, voire à la clôture de la liquidation judiciaire, de sorte que leurs demandes formées moins de cinq années postérieurement à ces événements par conclusions respectives, selon la banque, des 20 mai 2020 et 2 novembre 2021 ne sont pas prescrites, la fin de non recevoir soulevée par la Caisse d'Epargne devant être rejetée.
La résistance dolosive est subordonnée par l'article 1116 ancien du code civil à la preuve que la Caisse d'Epargne aurait dissimulé, à dessein, aux époux [V] la nature ou la portée de l'engagement de caution de la CEGC prévue dans les contrats qui auraient été déterminante de leur propre souscription de cautions.
Or, une telle manoeuvre n'est pas démontrée dès lors :
- qu'il résulte du premier contrat de prêt que le cautionnement professionnel de la CEGC comptait au nombre des autres garanties auxquelles il s'ajoutait en la faveur de la seule banque,
- que M. [V], associé gérant de la société Seine Ouest Automobile et Mme [V], associée à hauteur de 49 %, n'ont pu se méprendre sur la portée de cet engagement de caution de la CEGC a hauteur de 50 % des obligations de la société qui expliquait que leurs propres cautionnements étaient limités à 97500 euros chacun pour un prêt de 300 000 euros, soit 25 % chacun outre les frais et accessoires,
- que le contrat de prêt stipule expressément, s'agissant des cautionnements des époux [V] qui sont annexés à l'acte, que la caution s'engage à renoncer au 'bénéfice de l'article 2310 du code civil, à l'égard des organismes de caution mutuelle agissant en qualité de co-cautions' et 'au bénéfice de discussion et de division, la caution devant s'acquitter des sommes dues sans pouvoir exiger que la Caisse d'Epargne n'engage de quelconque poursuites préalables à l'encontre du débiteur principal ou simultanément à l'encontre d'autres personnes s'étant portées caution de ce dernier',
- que la notification des conditions du cautionnement de la CEGC du 16 juin 2011 ne contredit pas ces éléments puisqu'au contraire elle limite justement à 25 % les obligations de caution des époux [V] puisque le cautionnement à hauteur de 50 % de la CEGC étant clairement stipulé en faveur de la seule banque,
- que, même si le second contrat de prêt cautionné par le seul M. [V] n'est plus en cause compte tenu de ce qui précède, y est explicitement énoncé, tout au contraire de leurs prétentions, qu'en cas de mobilisation de la caution mutuelle de la CEGC, les autres cautions renoncent à tout recours contre elle fondés sur les articles 2310 relatif aux cofidéjusseurs et à tout autre recours.
Il ressort des conclusions des époux [V] que quoiqu'affirmant se plaindre d'une erreur relative à la prise du nantissement sur le fonds de commerce, leurs explications ressortissent en réalité à la décharge de la caution sur le fondement de l'article 2314 du code civil qu'ils invoquent ensuite.
En effet, ils conviennent eux-mêmes que les nantissements prévus ont été effectivement inscrits par la banque de sorte qu'ils ne peuvent prétendre avoir cru de manière erronée à la prise de ces garanties en réalité défectueuses en elles-mêmes et qu'ils reprochent, en fait, à la Caisse d'Epargne de ne pas les avoir fait bénéficier de cette sûreté, diminuant l'ampleur de leurs obligations personnelles en qualités de caution.
En conséquence de ce qui précède, les demandes tendant à voir prononcer la nullité des engagements de caution auxquels les époux [V] sont encore tenus doivent être rejetées.
Sur la décharge des obligations de caution en vertu de l'article 2314 du code civil
L'article 2314 du code civil, dans sa rédaction applicable, dispose que 'La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite'.
Cette décharge est subordonnée à la perte, par la faute du créancier, d'un droit préférentiel du débiteur.
Or, la Caisse d'Epargne démontre que les privilèges de nantissement prévus aux contrats ont a été effectivement inscrits et les époux [V] ne démontrent pas, quant à eux, qu'ils auraient perdu le bénéfice de leur mise en oeuvre alors que la liquidation judiciaire de la société Seine Ouest Automobiles a été clôturée pour insuffisance d'actifs le 8 février 2022 sans qu'ils n'objectivent l'existence d'une cession du fonds qui aurait produit des dividendes.
Sur le défaut de mise en garde de la banque
Par application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie si, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Il doit d'abord être précisé que la Caisse d'Epargne ne prétend pas réellement et ne démontre pas que les époux [V] avaient la qualité d'emprunteurs avertis, ce que ne suffit pas à établir la circonstance qu'ils étaient associés de la société emprunteuse.
Si les époux [V] invoquent le risque d'endettement excessif de la société Seine Ouest Automobiles dont ils étaient les dirigeants cautions, il ne peut qu'être constaté qu'alors que la charge de la preuve de ce caractère excessif du crédit leur incombe, ils ne le démontrent pas.
En effet, il n'est en rien établi que l'acquisition du fonds de la société Garage Gloentzlen pour une somme de 300 000 euros non plus que le financement de travaux dix mois plus tard pour la somme de 80 000 euros devait susciter de la part de la banque une mise en garde compte tenu de l'énonciation des chiffres d'affaires (de 1 158 435 euros à 1 230 779 euros )et résultats d'exploitation des trois dernières années (de 6 778 en 2008 à
32 613 euros en 2010 et 38 055 euros en 2009) figurant, comme la loi le prévoit, dans l'acte d'acquisition rédigé par un avocat.
Il ne peut, en outre qu'être constaté que le redressement judiciaire de la société a été prononcé près de dix années après la souscription du premier prêt et des cautionnements, les difficultés de paiement, encore surmontées quelques années, n'étant apparues qu'à compter de l'année 2016 soit cinq ans après.
S'agissant du manquement à l'obligation de mise en garde à leur endroit en qualités de cautions à raison des risques encourus eu égard à leurs capacités financières en revanche, il ressort des considérations qui précèdent que la souscription d'un cautionnement dans la limite de la somme de 97 500 euros chacun soit 195 000 euros si l'on fait masse, comme ils le font, de leur situation excédait largement leurs capacités financières eu égard à leur patrimoine net de près de seulement 50 000 euros.
Compte tenu de ce que l'acquisition du fonds de commerce s'est réalisée avec l'aide d'un conseil sur la base des résultats de l'entreprise venderesse mais aussi de ce que les revenus de M. [V] allaient dépendre du résultat de l'exploitation et de la volonté persistante des époux [V] d'acquérir le fonds, la perte de chance de ne pas se porter caution - et partant de renoncer au projet accompli - doit être évaluée à 20 % des sommes dont ils restent tenus en cette qualité.
Sur la déchéance du droit de la banque aux intérêts
La copie des lettres simples qui auraient été adressées aux époux [V] est insuffisante à démontrer leur envoi de sorte qu'en vertu de l'article L 313-22 du code monétaire et financier, la Caisse d'Epargne doit être déchue de son droit aux intérêts échus comme le demandent les intimés.
Eu égard à la mise en demeure du 5 avril 2019 faisant apparaître des échéances impayées pour un montant de 68 204,92 euros et un capital restant dû de 30 456,63 euros, chacun des époux doit donc être condamné à payer à la Caisse d'Epargne la somme de (68 204,92 +30 456,63/4) = 24 665,38 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2019 au titre des cautionnements du 6 juillet 2011 tandis que la Caisse d'Epargne doit être condamnée à leur payer, à chacun, la somme de (24 665,38 euros x 20 %)= 4 933,07 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.
Les époux [V] n'objectivent pas leur situation financière récente, ils ont été mis en demeure de payer il y a désormais plus de cinq ans et n'étayent pas leur proposition de paiement par tempérament de sorte qu'ils doivent être déboutés de leur demande de délais de paiement.
Les époux [V] sont condamnés aux entiers dépens mais l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel entre la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France et Mme [X] [G] épouse [V] ainsi que M. [Z] [V] ;
CONFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré inopposable à M. [Z] [V] le cautionnement du 29 mai 2012 ;
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, et, statuant à nouveau,
JUGE les cautionnements de Mme [X] [G] épouse [V] et de M. [Z] [V] du 6 juillet 2011 manifestement disproportionnés au moment de leurs souscriptions ;
REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription des actions en nullité des cautionnements du 6 juillet 2011 ;
Au fond, DÉBOUTE Mme [X] [G] épouse [V] et de M. [Z] [V] de leurs demandes tendant à voir prononcer la nullité des 6 juillet 2011 pour dol et pour erreur ;
JUGE que Mme [X] [G] épouse [V] et de M. [Z] [V] étaient en mesure de faire face à leurs obligations en exécution de leurs cautionnements du 6 juillet 2011 au moment où ils ont été appelés ;
DÉCHOIT la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France de son droit aux intérêts conventionnels ;
CONDAMNE Mme [X] [G] épouse [V] et M. [Z] [V] à payer, chacun, à la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France la somme de 24 665,38 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2019 au titre des cautionnements du 6 juillet 2011 ;
JUGE que la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France a manqué à son obligation de mise en garde à l'égard de Mme [X] [G] épouse [V] et M. [Z] [V] en leurs qualités de cautions ;
CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de prévoyance d'Ile-de-France à payer à Mme [X] [G] épouse [V] et M. [Z] [V], à chacun, la somme de 4 933,07 euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;
DÉBOUTE Mme [X] [G] épouse [V] et M. [Z] [V] de leur demande de délais de paiement et les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [X] [G] épouse [V] et M. [Z] [V] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Michèle Sola, comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.
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