CA Nancy, ch. com., 9 décembre 2020, n° 19/03104
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
CREDIT MUTUEL DES PROFESSIONS DE SANTE (CMPS) DE MEURTHE ET MOSELLE ET DES VOSGES
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diepenbroek
Conseiller :
M. Soin
Conseiller :
M. Firon
Avocat :
Me Kroell
Avocat :
Me Aubry
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Le 12 mai 2009, le Crédit mutuel des professions de santé, a consenti à la SELARL Pharmacie de l'amitié, désormais Pharmacie Moniot, un prêt professionnel d'un montant de 950 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire de Mme Z, dirigeante de la société, dans la limite d'un montant de 1 140 000 euros. Par acte sous seing privé du 8 mars 2010, Mme Z s'est également portée caution solidaire de tous les engagements de la société Pharmacie Moniot envers cette banque, dans la limite de 60 000 euros.
Mme Z a été victime d'un grave accident de santé l'ayant empêchée de continuer à exercer son activité professionnelle.
La société Pharmacie Moniot ayant été placée en liquidation judiciaire le 16 juin 2011, le Crédit mutuel des professions de santé a déclaré ses créances par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 juillet 2011.
Mme Y Z, représentée par sa mère Mme C Z désignée comme tutrice, ayant souscrit une assurance auprès de la société AGF, devenue Allianz Vie en garantie du prêt, a assigné l'assureur en paiement des sommes dues au titre de ce prêt. Par arrêt en date du 29 septembre 2016, la cour d'appel de Metz a annulé l'adhésion de Mme Z à l'assurance - crédit. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a été rejeté.
Ayant vainement mis en demeure Mme Z d'avoir à honorer son engagement de caution, la banque a assigné Mme Y Z, Mme C Z et M. X A en sa qualité de tuteur aux biens de Mme Y Z, devant le tribunal de commerce de Nancy aux fins de voir condamner Mme Z à lui payer les sommes de 477 702,34 euros et 37 628,69 euros, outre intérêts et frais.
Suite au décès de Mme C Z survenu le 14 avril 2017, le tribunal de commerce de Nancy a constaté l'interruption de l'instance. La banque a repris l'instance, le 14 novembre 2017, en tant que dirigée contre Mme Y Z, représentée par son tuteur M. B
Par jugement du 2 septembre 2019, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
- rejeté les fins de non recevoir soulevées par Mme Z,
- condamné Mme Z à payer à la banque la somme de 477 702,34 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2011,
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 6 août 2016,
- constaté la nullité de l'acte de cautionnement en date du 8 mars 2010,
- constaté la disproportion des engagements de caution de Mme Z en date du 8 mars 2010,
- condamné Mme Z à 1 euro au titre de l'indemnité conventionnelle,
- rejeté le surplus des demandes de la banque,
- condamné Mme Z au paiement de la somme de 1 000 euros à la banque au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Pour rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription prévue par l'article L.137-2 du code de la consommation, le tribunal a considéré que le caractère professionnel du prêt n'est pas de nature à exclure l'application du code de la consommation dès lors que l'action de la banque est orientée vers la caution personne physique qui apporte une garantie personnelle, mais que Mme Z ne démontrant pas bénéficier d'un service de la part de la banque, ce texte ne pouvait recevoir application. Pour écarter le moyen tiré de l'application du principe de concentration des moyens, le tribunal a retenu l'absence d'identité d'objet entre la présente procédure et celle engagée par Mme Z contre la société Allianz Vie ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 29 septembre 2016.
Sur le fond, le tribunal a estimé qu'au regard des biens et revenus déclarés par la caution, auxquels il convient d'ajouter la valeur du fonds de commerce de pharmacie, le cautionnement en date du 12 mai 2009 n'était pas manifestement disproportionné. S'agissant de l'engagement du 8 mars 2010, le tribunal, après avoir constaté que le contrat de cautionnement contenait une clause claire indiquant qu'il se cumulait avec le précédent, a retenu sa disproportion au motif que la banque ne pouvait ignorer l'impact défavorable sur la valeur du fonds de commerce de l'évolution négative de la rentabilité de la Pharmacie Moniot.
Mme Y Z, représentée par son tuteur M. A, a interjeté appel de ce jugement par déclaration électronique transmise au greffe le 14 octobre 2019, en ce qu'il a :
- rejeté les fins de non recevoir soulevées par Mme Z,
- condamné Mme Z à payer à la banque la somme de 477 702,34 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2011,
- condamné à une clause pénale,
- refusé les délais de paiement,
- condamné Mme Z au paiement de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
En ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 avril 2020, Mme Z et son tuteur M. A, demandent à la cour, au visa des articles L.137-2, L.332-1, L.341-1, L.341-6 et L.313-9 du code de la consommation, 1315 du code civil, et L.313-22 du code monétaire et financier de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la nullité du cautionnement du 8 mars 2020,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ramené la clause pénale à 1 euro,
- débouter la banque de toutes ses demandes,
- condamner la banque au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que la banque est irrecevable à agir en ce qu'en vertu du principe de concentration des demandes, elle aurait dû solliciter la condamnation de la caution dans le cadre de la procédure diligentée contre la compagnie d'assurances à laquelle elle était partie soutenant qu'il y a identité de parties et que les deux instances sont liées.
Elle soutient ensuite que la banque, qui ne justifie pas avoir agi dans le délai de deux ans courant à compter du premier incident de paiement non régularisé prévu par L.137-2 du code de la consommation, est forclose, le cautionnement étant un service financier.
Au fond, elle relève que la banque ne produit pas de notice d'information, qu'elle n'a pris aucun renseignement sur les revenus de Mme Z ni dispensé aucun conseil, et prétend que tant le premier cautionnement que le second sont manifestement disproportionnés au regard du patrimoine et des revenus de la caution au moment de leur souscription. Elle soutient par ailleurs qu'il appartient à la banque d'apporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où celle ci est appelée, ce qu'elle ne fait pas, précisant qu'elle a été reconnue handicapée à 80 %, qu'elle a été admise en maison de retraite et que son budget étant déficitaire elle a dû déposer un dossier de surendettement.
Subsidiairement, elle considère que le décompte fourni par la banque n'est pas clair et demande la déchéance du droit aux intérêts et pénalités pour non respect par la banque de son obligation d'information, outre l'application d'un taux d'intérêt manifestement usuraire, et sollicite la réduction de la clause pénale. Très subsidiairement, elle sollicite des délais de paiement.
Par ordonnance du 1er juillet 2020, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de l'intimé et ordonné la clôture de l'instruction.
MOTIFS
Sur les fins de non recevoir
Mme Z, représentée par son tuteur, oppose au Crédit mutuel des professions de santé l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 29 septembre 2016 en invoquant le principe de concentration des moyens.
Il convient de constater que cette décision a été rendue dans le cadre d'une procédure diligentée par Mme Z pour obtenir la garantie de son assureur Allianz Vie, et que le Crédit mutuel des professions de santé n'avait été appelé à l'instance qu'afin de lui rendre commune la décision à intervenir. Ainsi que l'a exactement retenu le tribunal, les deux procédures n'ayant pas le même objet la première tendant en effet au paiement de sommes dues en exécution d'un contrat d'assurance et la seconde à l'exécution d'un engagement de caution, fût ce pour le même prêt, l'autorité de chose jugée de cet arrêt ne peut être opposée au Crédit mutuel des professions de santé.
De même, les premiers juges ont écarté à bon droit la fin de non recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article L. 137-2, devenu L.218-2 du code de la consommation qui n'est pas applicable en matière de cautionnement, le prêteur ne fournissant en effet aucun bien ou service à la caution qui garantit le prêt, la jurisprudence citée qui est relative à un cautionnement donné par un organisme de cautionnement, qui est un professionnel, n'étant pas transposable au présent litige.
Sur la disproportion
Ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges, Mme Z ne peut soutenir que le second contrat de cautionnement, se substituerait à celui du 12 mai 2009, en ce qu'il est général et garanti tous les engagements de la société pharmacie Moniot à l'égard du Crédit mutuel des professions de santé, alors que l'article 10 du contrat de cautionnement du 8 mars 2010, dont les termes ont été repris par le tribunal, stipule clairement et de manière parfaitement compréhensible qu'il se cumule avec les garanties précédemment fournies par la caution au profit de la banque.
Selon l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343- 4, du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard de l'ensemble des biens et revenus de la caution et des engagements souscrits par elle au jour de la fourniture de ce cautionnement, seuls pouvant être pris en compte les éléments dont le créancier avait connaissance lors de la conclusion du contrat de cautionnement.
Il appartient à la caution de rapporter la preuve de la disproportion manifeste qu'elle allègue, étant au surplus observé qu'en l'espèce, les conclusions du Crédit mutuel des professions de santé ayant été déclarées irrecevables, les pièces produites au soutien de ces conclusions le sont également et ne peuvent être prises en considération par la cour.
S'agissant du contrat de cautionnement du 12 mai 2009, il ressort de l'avis d'imposition de Mme Z au titre des revenus de l'année 2008, qui étaient seuls connus à la date de conclusion du contrat, que la caution a perçu des revenus salariaux ou assimilés à hauteur de 13 114 euros auxquels s'ajoutent des revenus de capitaux mobiliers à hauteur de 13 020 euros, soit un revenu annuel total de 26 134 euros avant impôt. Les autres pièces produites par l'appelante qui sont relatives à sa situation financière depuis 2016 n'apportent pas d'autres éléments sur sa situation à la date de l'engagement.
Il ressort toutefois des énonciations non contestées du jugement que l'appelante avait, dans la fiche de renseignements remise à la banque, déclaré un revenu annuel de 28 800 euros, outre un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 310 000 euros.
Le tribunal a également pris en considération la valeur nette du fonds de commerce de la Pharmacie Moniot. Il convient toutefois de relever que le fonds de commerce n'appartient pas à l'appelante et par voie de conséquence, que seule devait être prise en considération la valeur des parts de la société Pharmacie Moniot détenues par la caution. Aucun élément n'est toutefois fourni permettant la valorisation de ces parts.
En tout état de cause, même en admettant que la valeur des parts soit équivalente à celle du fonds, la cour ne peut que relever, en l'état des éléments dont elle dispose et des énonciations non contestées du jugement, que les revenus et patrimoine de la caution ne lui permettaient pas de faire face à un engagement à hauteur de 1 140 000 euros qui s'avère ainsi manifestement disproportionné. L'intimé ne peut dès lors, en application des dispositions précitées, se prévaloir de ce cautionnement.
Le jugement sera donc infirmé et la demande formée par le Crédit mutuel des professions de santé au titre du cautionnement du 12 mai 2009 rejetée.
Il n'est pas soutenu que la situation patrimoniale de Mme Z s'était améliorée à la date de souscription du second contrat de cautionnement, le 8 mars 2010. Cet engagement à hauteur de 60 000 euros cumulé au précédent est donc nécessairement manifestement disproportionné à la situation de biens et revenus de la caution. Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu'il a retenu la disproportion manifeste de l'engagement souscrit. Le manquement à l'exigence de proportionnalité est sanctionné, en application des dispositions qui précédent, non pas par la nullité de l'acte mais par l'impossibilité pour le créancier de s'en prévaloir. La cour n'étant toutefois pas saisie d'une demande d'infirmation du jugement sur ce point, l'appelante demandant en effet expressément la confirmation du jugement de ce chef, le jugement sera en conséquence confirmé.
En l'absence de conclusions de la banque, la cour n'a pas à rechercher si la situation patrimoniale de la caution lui permettait de faire face à ses engagements au jour de l'assignation.
Le Crédit mutuel des professions de santé succombant en toutes ses demandes, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles. L'intimé supportera la charge des dépens de première instance et d'appel. Il sera alloué à Mme Z une indemnité de procédure de
2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 2 septembre 2019, sauf en ce qu'il a :
- condamné Mme Z à payer à la banque la somme de 477 702,34 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2011,
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 6 août 2016,
- condamné Mme Z à 1 euro au titre de l'indemnité conventionnelle,
- condamné Mme Z au paiement de la somme de 1 000 euros à la banque au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
DIT que le cautionnement souscrit par Mme Z le 12 mai 2009 est manifestement disproportionné et que le Crédit mutuel des professions de santé ne peut s'en prévaloir ;
DEBOUTE le Crédit mutuel des professions de santé de sa demande à ce titre et de sa demande au titre de l'indemnité conventionnelle ;
Ajoutant au jugement entrepris,
CONDAMNE le Crédit mutuel des professions de santé aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme Z, représentée par son tuteur M. X A, une indemnité de procédure d'un montant de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Emilie ABAD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.