CA Grenoble, 1re ch. civ., 10 février 2015, n° 12/03554
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
SCP MARCCHIONI PETRUCCELLI
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Francke
Conseiller :
M. Jacob
Conseiller :
M. Blatry
Avocats :
Me Ramillon, Me Stifani
Avocat :
Me Goarant
EXPOSE DU LITIGE
Les époux R. ont exploité au sein de la SARL NBC à La Salle les Alpes une discothèque à l'enseigne « BAM BAM ».
Par acte authentique du 29 décembre 2005 établi par la SCP MARCHIONI PETRUCELLI, notaire à BRIANCON, le fonds a été cédé à la SARL « DATZ », constituée de Paulo F. D. SILVA et Annabelle H. au prix de 152.500 € payable à hauteur de 45 500 € à la signature, et 107 000 € sur 7 ans par mensualités de 1 512,33 euros au taux de 6% l'an.
Les cédants bénéficiaient en garantie du paiement d'un privilège de vendeurs, d'un nantissement sur le fonds cédé, de la caution personnelle des deux associés acquéreurs à concurrence du prix restant du, soit 107.000 € et intérêts au taux de 5 % l'an,
L'acte précisait que la cession était convenue sous condition résolutoire de l'obtention avant le 31 janvier 2006 de la caution personnelle et solidaire des parents du gérant, Paulo F. D. SILVA .
Les cessionnaires donnaient mandat le 4 janvier 2006 à la SCP MARCHIONI PETRUCELLI de dresser l'acte de caution solidaire.
La société cessionnaire qui ne s'est acquittée d'aucune mensualité du crédit vendeur, pas davantage que du prix comptant, a été placée en redressement judiciaire le 1er juin 2007 convertie en liquidation judiciaire par jugement du 28 septembre 2007.
La société cédante n'a pu obtenir paiement de sa créance, déclarée pour 114.504,66 € , la liquidation judiciaire s'achevant par une clôture pour insuffisance d'actif le 28 mai 2010, les locaux lui étant restitués.
Annabelle H., actionnée en sa qualité de caution solidaire, a obtenu du tribunal de grande instance de NANTERRE par jugement du 20 mars 2009 la déchéance de cette sûreté en raison de la disproportion entre l'engagement souscrit et ses revenus.
Le tribunal de grande instance de VERSAILLES a débouté par jugement du 17 février 2009, confirmé par la cour d'appel le 6 mai 2010 les époux R. de leurs demandes à l'encontre des parents de Paulo F. D. SILVA au motif que le notaire n'avait régularisé le 4 janvier 2006 qu'un mandat de se porter caution sans établir un engagement de caution, qui n'a pas été formalisé.
Ils indiquent que le notaire, conscient de son erreur, a effectué une déclaration de sinistre le 15 mars 2009 auprès de son assureur.
Par acte du huissier du 9 novembre 2010, les époux R. ont fait assigner la SCP MARCHIONI PETRUCELLI en paiement du solde impayé du prix de cession.
Ils invoquent sa faute :
- pour n'avoir pas établi un acte de caution des parents de M. F. alors que l'acte de vente stipulait que cette garantie était une condition résolutoire l'engagement,
- pour n'avoir pas vérifié la solvabilité de Mme H..
Par jugement du 4 juin 2012, le tribunal de grande instance de GAP à condamné la SCP MARCHIONI PETRUCELLI à payer aux époux R. la somme de 5.000 € en réparation de leur préjudice.
Les époux R. ont relevé appel de la décision.
Ils demandent dans le dernier état de leurs conclusions de retenir l'entière responsabilité de la SCP MARCHIONI PETRUCELLI sur le fondement de l'article 1382 du code civil , de la condamner à leur payer :
- 107.000 € outre intérêts au taux de 5 % l'an à compter du 5 janvier 2006,
- 40 000 € en remboursement des frais accessoires supportés dans leur recherche de remboursement par les cautions,
- 10.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
de la condamner aux dépens.
Ils caractérisent ainsi les manquements de la SCP MARCHIONI PETRUCELLI :
-à son obligation d'assurer l'efficacité juridique de son acte pour :
- avoir accepté que la cessionnaire, Annabelle H. se porte caution alors qu'elle ne disposait pas de revenus susceptibles de lui permettre d'honorer cet engagement, (900 € )
- ne pas avoir formalisé par un véritable acte de caution l'engagement pris par les parents de l'acquéreur, lequel se serait avéré efficace s'il avait été établi compte tenu du fait qu'ils sont bien
propriétaires de leur logement à TRIEL SUR SEINE.
-à son obligation de conseil :
- en n' avertissant pas les cédants de la difficulté de mise en uvre des garanties,
- en n'attirant pas leur attention sur les modalités particulières de paiement du prix, très favorables aux acquéreurs s'agissant d'un crédit vendeur.
Il récusent leur inertie dans la recherche du remboursement, imputable selon eux au notaire qui les a incités à patienter.
Ils récusent toute responsabilité dans le défaut d'établissement de l'acte de caution, la clause mettant à la charge du cessionnaire et non du cédant l'obtention de la caution personnelle et solidaire des époux M. D. S. avant le 31 janvier 2006.
Dans le dernier état de ses conclusions du 14 novembre 2014, la SCP MARCHIONI PETRUCELLI demande :
- d'infirmer le jugement,
- dire qu'elle n'a commis aucune faute, à titre subsidiaire :
- dire que le préjudice invoqué ne présente pas les caractères d'un préjudice indemnisable, faute de lien de causalité,
- débouter les époux R. de leurs demandes, à titre plus subsidiaire :
- ramener le montant de la condamnation à de plus justes proportions,
- condamner les époux R. à lui payer la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
- Concernant l'acte de caution d'Annabelle H. :
La SCP MARCHIONI PETRUCELLI soutient que
- le notaire ne peut être tenu d'un manquement à son devoir de conseil au titre de l'opportunité économique de l'opération envisagée, qu' ainsi il ne peut être tenu pour responsable d'un acte de cautionnement excessif au sens de l'article L341-4 aujourd'hui L313-10 du code de la consommation,
- le notaire n'était pas en mesure de suspecter l'insuffisance de la garantie stipulée, alors que :
- la garantie de Melle H. n'était que l'une des garanties prévues,
- les vendeurs ont fait le choix de ne pas poursuivre la caution personnelle du gérant, Paulo F.,
- le chiffre d'affaires du fonds cédé n'avait rien de dérisoire,
- concernant la caution personnelle et solidaire de M Valentin M. D. S. et Maria D. C. F. D. SILVA :
la SCP MARCHIONI PETRUCELLI fait valoir que :
- à aucun moment, la SARL NBC, bénéficiaire de la promesse, n'a requis le notaire afin d'établir un acte authentique de caution alors que le cessionnaire s'était expressément engagé par l'acte à obtenir ce cautionnement avant le 31 janvier 2006, qu'elle doit être ainsi réputée avoir renoncé au bénéfice de cette promesse.
- cette garantie s'inscrivait parmi d'autres.
- concernant le préjudice réparable :
la SCP MARCHIONI PETRUCELLI fait valoir que :
- elle ne peut être tenue au remboursement du solde du prix contractuel,
- elle ne peut être tenue responsable des choix procéduraux des époux R.,
- le caractère certain du préjudice n'est pas établi dans la mesure où les garanties prévues à l'acte n'ont pas été mises en uvre, notamment à l égard de Paulo F. D. SILVA, qu ainsi les appelants ne peuvent prétendre à l'existence d'un préjudice, ce d'autant que les cédants n'ont mis en uvre aucune procédure alors que le premier impayé est en date du 5 janvier 2006, que leur inertie est ainsi à l'origine de leur prétendu préjudice
- elle ne peut être tenue à la réparation d'une perte de chance, alors que les appelants ne démontrent pas que les époux M. D. S. auraient eu la faculté de payer les sommes réclamées.
MOTIFS DE LA DECISION
Les termes sans ambiguïté :
- du jugement définitif du tribunal de grande instance de NANTERRE du 20 mars 2009, portant déchéance des époux R. de leur garantie sur Annabelle H. du fait d'un engagement disproportionné de cette dernière à ses ressources déclarées au moment de la souscription de l'acte passé devant la SCP MARCHIONI PETRUCELLI,
- de l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES du 6 mai 2010 déboutant les époux R. de leur action en paiement à l'encontre des époux M.D.S. en raison de l'absence de formalisation d'un acte de cautionnement dont le notaire se devait d'assurer l'effectivité au regard de son obligation de conseil, de mise en garde, et d'efficacité de ses actes, caractérisent, comme l'a relevé le premier juge, les manquements de la SCP MARCHIONI PETRUCELLI à ses obligations à l'égard des époux R., d'autant plus caractérisés que les garanties devaient être à la mesure des risques encourus pour les cédants du fait des modalités de paiement de l'opération, du crédit vendeur notamment.
Les responsabilités dans la mise en uvre et retards des différentes garanties des époux R. ne peuvent être imputés spécialement aux époux R. ou au notaire si bien que la seule perte de chance de voir prospérer les deux actions ci dessus énumérées doit être mise sur le compte de la SCP MARCHIONI PETRUCELLI.
Cette perte de chance, faute de certitude sur la valeur du bien immobilier sur lequel pouvait s'adosser
l'engagement des cautions, et des ressources d'Annabelle H. sera fixée à la somme de 50.000 € .
Il apparaît inéquitable de laisser aux époux R. l'entière charge des frais qu'ils on du engager à l'occasion de la présente procédure.
PAR CES MOTIFS, la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
- infirme le jugement déféré du tribunal de grande instance de GAP,
STATUANT A NOUVEAU :
- condamne la SCP MARCHIONI PETRUCELLI à payer à Les époux R. la somme de 50.000 € de dommages intérêts outre intérêts au taux légal sur cette somme à compter du présent arrêt, outre celle de 2.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamne la SCP MARCHIONI PETRUCELLI aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,