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Décisions

CA Chambéry, 17 mai 2018, n° 17/00512

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CREDIT AGRICOLE DES SAVOIE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thomassin

Vice-président :

M. Philippe L

Conseiller :

M. Madinier

Avocat :

SCP VISIER PHILIPPE - OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES

Avocats :

Me Garnier, SCP CONTE SOUVY CHAVOT

CA Chambéry n° 17/00512

16 mai 2018

EXPOSE DU LITIGE

Le Crédit Agricole des Savoie a consenti à la Sarl Gardes Alu Savoie une ouverture de crédit le 8 mars 2010, d'un montant de 30.000 €, pour laquelle Monsieur Emmanuel R. s'est porté caution solidaire de la société, dans la limite de 36.000 €.

Par jugement en date du 6 février 2015, le Tribunal de commerce de Chambéry a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, le Crédit Agricole des Savoie a déclaré sa créance le 11 mars 2015 pour un montant de 40.240 €, et, par courrier recommandé avec accusé de réception du même jour, a mis en demeure Monsieur R. de lui régler son cautionnement.

Par jugement du 30 novembre 2016, le Tribunal de Commerce de Chambéry a :

- prononcé la nullité du cautionnement annexé à l'acte de prêt du 8 mars 2010 consenti à la Sarl Gardes Alu Savoie invoqué par le Crédit Agricole des Savoie à l'encontre de Monsieur Emmanuel R.,

- déclaré non fondée la demande subsidiaire présentée par le Crédit Agricole des Savoie à l'encontre de Madame Christine L. sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, Madame Christine L. étant l'ex épouse de Monsieur R.,

- débouté le Crédit Agricole des Savoie de ses demandes à l'encontre de Monsieur R. et Madame L.,

- rejeté les demandes de Monsieur R. et Madame L. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre entiers dépens,

- laissé les dépens à la charge du Crédit Agricole des Savoie.

Le Crédit Agricole des Savoie a interjeté appel de ce jugement le 28 février 2017

Par conclusions du 24 mai 2017, le Crédit Agricole des Savoie demande à la Cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement du 30 novembre 2016,

Et statuant de nouveau,

- débouter Monsieur R. de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner Monsieur R., en sa qualité de caution solidaire, à payer au Crédit Agricole des Savoie la somme de 39.000 €, en principal outre intérêts au taux contractuel de 7,70 % l'an à compter de la mise en demeure du 11 mars 2015, jusqu'à complet remboursement,

- condamner Monsieur R. à payer au Crédit Agricole des Savoie une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre entiers dépens.

Le Crédit Agricole des Savoie entend reprendre son argumentation de première instance :

- sur la connaissance par Monsieur R. de toutes les implications du cautionnement sur lequel il s'est engagé en y apposant lui même sa signature et en faisant rédiger la mention manuscrite par son épouse, qui devrait permettre d'écarter la nullité alléguée, sur le fondement de l'article L.341-2 du Code de la Consommation,

- en tout cas sur la ratification ultérieure de l'acte irrégulier dans le cadre d'un projet de plan de redressement de la Sarl Gardes Alu Savoie qu'il a présenté au Tribunal de Commerce après que l'assignation en paiement lui ait été délivrée, sur le fondement de l'article 1338 du Code civil,

- subsidiairement sur la responsabilité du couple R./L., sur le fondement du droit commun, à l'origine du préjudice du Crédit Agricole des Savoie, eu égard à l'article 1382 du Code civil.

Monsieur R. ne conteste pas avoir fait remplir l'engagement de caution par Madame L., alors son épouse, et y avoir apposé sa signature, ce qui constitue une faute, et occasionne un préjudice pour la banque susceptible d'entraîner une réparation.

S'agissant de la prétendue disproportion de l'engagement, l'établissement financier soutient que les indications portées sur la fiche de renseignement par Monsieur R. permettent de conclure à l'existence d'un patrimoine conséquent, dont il reprend l'inventaire et la valorisation, ainsi que d'un revenu annuel significatif.

La banque maintient que l'obligation d'information annuelle de la caution a été parfaitement respectée.

Par conclusions notifiées le 20 juillet 2017, Monsieur Emmanuel R. demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du cautionnement annexé à l'acte de prêt du 8 mars 2010, et a débouté la banque de ses demandes à l'encontre de Monsieur Roche,

Le réformer pour le surplus, et,

- condamner le Crédit Agricole des Savoie à payer à Monsieur R. une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance.

En tant que de besoin,

- ordonner une expertise graphologique, avec pour mission donnée à l'expert de dire si Monsieur R. est le rédacteur de l'engagement de caution du 8 mars 2010, allégué par le Crédit Agricole des Savoie,

Subsidiairement,

- déclarer inopposable l'engagement de caution de Monsieur R. eu égard à sa disproportion à ses revenus et à son patrimoine,

Plus subsidiairement,

- dire que la banque est responsable d'une défaillance dans la délivrance de son obligation de conseil et d'information et la condamner à lui payer à titre de dommages et intérêts toutes les sommes qui pourraient être mises à sa charge,

Encore plus subsidiairement,

- constater que le montant du découvert était de 30.000 € uniquement et limiter la condamnation de Monsieur R. à ce montant,

A titre infiniment subsidiaire,

- retenir uniquement un montant principal de 36.000 € et débouter le Crédit Agricole des Savoie de toute demande au titre de frais, intérêts et pénalités,

Et, y ajoutant

- condamner la banque au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés devant la Cour d'Appel, outre entiers dépens.

Monsieur R. soutient en premier lieu que le texte visé à son engagement de caution dont se prévalait la banque en première instance n'a pas été rempli de sa main, étant fait observer que le Crédit Agricole, après avoir soutenu le contraire, reconnaît en appel que Monsieur R. n'a effectivement pas rempli de sa main le dit engagement,

Il ne peut être soutenu, comme tente de le faire la banque, que Monsieur R. aurait reconnu son engagement de caution dans le cadre du projet de plan de redressement par voie de continuation, dans la mesure où ce document ne comporte aucun engagement personnel de la part de Monsieur R., aucun rappel précis de l'engagement de caution.

Il fait observer que l'engagement de caution est manifestement disproportionné dans la mesure où les revenus allégués par Monsieur R. sont ceux tirés de son activité au sein de la Sarl Gardes Alu Savoie et sont donc parfaitement aléatoires, comme le démontre le dépôt de bilan de la société.

S'agissant du patrimoine immobilier, il fait observer qu'il s'agit du bâtiment d'exploitation professionnel acheté pour 390.000 € et intégralement financé par le Crédit Agricole.

Enfin, il fait valoir que la banque ne rapporte pas la preuve de son obligation d'information de la caution.

Par conclusions notifiées le 19 juillet 2017, Madame Christine L., divorcée R. demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter la banque de l'intégralité de ses demandes,

- condamner le Crédit Agricole des Savoie à payer à Madame L. une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre entiers dépens.

Madame L. expose que si Monsieur R. a signé l'acte de cautionnement, il a demandé à son épouse d'écrire la mention manuscrite à sa place en toute connaissance de cause et ce document a dû être signé à la banque.

La banque aurait dû s'assurer que Monsieur R. avait écrit de sa main en présence du conseiller de la banque la mention manuscrite sans qu'aucune faute ne puisse être reprochée à Madame L..

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 janvier 2018.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

* Sur la validité de l'acte de cautionnement donné par Monsieur R. en garantie du prêt n° 280771 souscrit le 8 mars 2010

L'article L.341-2 du Code de la consommation est ainsi rédigé :

' Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle ci :

<< En me portant caution de X., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X...n'y satisfait pas lui même. >>

Il est établi que l'acte de cautionnement donné par Monsieur R. en garantie du prêt n° 280771 souscrit le 8 mars 2010, n'a pas été écrit de sa main. Cet élément n'est contesté par aucune des parties.

En omettant de remplir lui même la mention manuscrite, un élément essentiel, permettant à Monsieur R. de prendre conscience de son engagement à l'acte, fait défaut.

L'omission de cette rédaction rend la mention manuscrite inopérante, et ne respecte pas les dispositions de l'article sus visé dont le but est de soumettre l'engagement de caution a un formalisme strict.

En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement.

Le jugement du 30 novembre 2016 sera confirmé de ce chef.

* Sur le caractère confirmatif des actes postérieurs

L'article 1338 ancien du Code Civil, applicable à l'époque, est ainsi rédigé :

' L'acte de confirmation ou ratification d'une obligation contre laquelle la loi admet l'action en nullité ou en rescision, n'est valable que lorsqu'on y trouve la substance de cette obligation, la mention du motif de l'action en rescision, et l'intention de réparer le vice sur lequel cette action est fondée.

A défaut d'acte de confirmation ou ratification, il suffit que l'obligation soit exécutée volontairement après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée.

La confirmation, ratification, ou exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers '.

Il est constant que la renonciation exige deux conditions :

- la connaissance effective des causes de nullité,

- la volonté effective et non équivoque de renoncer à l'action.

La confirmation suppose que celui qui pourrait se prévaloir de la nullité du contrat, fut elle relative, manifeste clairement sa volonté par un acte positif d'exécuter le contrat, bien qu'il ait conscience du vice affectant ce dernier.

Il ne peut ainsi être déduit de la simple poursuite de l'exécution d'un contrat qu'il y aurait renonciation implicite à se prévaloir de l'irrégularité du contrat.

En l'espèce, la première de ces deux conditions est remplie, Monsieur R. ayant reconnu dès novembre 2015 ne pas être l'auteur de la mention manuscrite exigée par l'article L.341-2 du Code de la consommation, cette omission faisant encourir la nullité de l'acte.

Postérieurement à cette reconnaissance, et dans le cadre de la procédure collective de la Sarl Gardes Alu Savoie , un projet de plan de redressement par voie de continuation daté du 1er décembre était élaboré.

Monsieur R. y mentionnait expressément : ' En ma qualité de dirigeant/associé, je vais régler, à titre de caution, 25 % du passif, et bloquerai sur la durée du plan, la moitié de la créance que je détiendrai en qualité de créancier subrogé '.

Figurent dans ce document la liste des éléments de passif de la Sarl Gardes Alu Savoie , à savoir, le prêt d'équipement n° 515804, et le prêt immobilier n° 575634.

Force est de constater qu'il n'est pas fait mention du prêt n° 280771 souscrit le 8 mars 2010.

A supposer que cette phrase relativement évasive dont se prévaut le Crédit Agricole ait le caractère d'un engagement personnel, ce qui est loin d'être démontré, aucune référence à l'acte de cautionnement du 8 mars 2010 n'est apparente.

Il ne peut en conséquence être soutenu que Monsieur R. a manifesté sa volonté effective et non équivoque de renoncer à l'action en nullité de son cautionnement du 8 mars 2010, en connaissance du vice affectant ce dernier.

Il en résulte que le cautionnement du 8 mars 2010 sera déclaré nul.

Le jugement du 30 novembre 2016 sera confirmé de ce chef.

* Sur la responsabilité de Monsieur R. et de Madame L. au vu de l'article 1382 ancien du Code civil

Le Crédit Agricole fonde cette demande en alléguant que les époux R. ont commis une faute dans la rédaction par Madame L. de la mention manuscrite de l'acte de cautionnement, faisant perdre ses droits à l'établissement bancaire à l'encontre de Monsieur Roche sur le fondement de l'article L.341-2 du Code de la Consommation, et qu'il a ainsi subi un préjudice.

Or, les dispositions de l'article L.341-2 du Code de la consommation s'imposent au Crédit Agricole qui a fait la démonstration de son manque de rigueur dans l'établissement de l'acte de cautionnement, et ce, malgré les dispositions très strictes de la loi.

Il incombait au Crédit Agricole des Savoie de s'assurer que Monsieur R. avait écrit de sa main, en présence du conseiller de la banque, la mention manuscrite.

Le Crédit Agricole sera débouté de ce chef de demande.

Le jugement du 30 novembre 2016 sera confirmé de ce chef.

Le cautionnement du 8 mars 2010 étant déclaré nul, et le Crédit Agricole étant débouté de sa demande d'engagement de la responsabilité de Monsieur R. et Madame L., il n'y a pas lieu à examiner les autres demandes subsidiaires formées par le Crédit Agricole.

* Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité justifie la condamnation du Crédit Agricole des Savoie à payer à Monsieur Emmanuel R. et à Madame Christine L., la somme de 3.000 € à chacun d'entre eux, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que sa condamnation aux dépens, au profit de Maître François Philippe Garnier, Avocat, s'agissant de Monsieur R. et de Maître Marie Ange Souvy, Avocat, s'agissant de Madame L., au sens de l'article 699 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 30 novembre 2016, rendu par le Tribunal de Commerce de Chambéry,

Y ajoutant,

CONDAMNE le Crédit Agricole des Savoie à payer à Monsieur Emmanuel R. la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et à payer à Madame Christine L. la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Le CONDAMNE aux dépens avec droit de recouvrement direct des frais avancés sans provision préalable au profit de Maître Marie Ange Souvy, Avocat et de Maître François Philippe Garnier Avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 17 mai 2018 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,

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