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Décisions

CA Toulouse, 12 décembre 2018, n° 17/01516

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme. Penavayre

Conseiller :

M. Sonneville

Conseiller :

M. Truche

Avocat :

Me Isabelle PEYCLIT

Avocat :

Me Nathalie MANELFE - SCP DESERT MANELFE

CA Toulouse n° 17/01516

11 décembre 2018

FAITS ET PROCEDURE

Par acte en date du 21 août 2007, Monsieur Bernard M. a donné à bail à usage commercial à la SARL JGMECA des locaux sis 103 rue des Lacs - 31 Lespinasse, moyennant un loyer de 1 500 € TTC par mois.

Un acte de cautionnement a été établi le 25 mars 2008 par Monsieur Guy J., gérant de la SARL JGMECA.

Par jugement en date du 5 septembre 2013, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL JGMECA.

Monsieur M. a déclaré une créance de 31 775,62 € entre les mains de Maître Rey, mandataire judiciaire.

Il a également inscrit une hypothèque judiciaire provisoire conservatoire portant sur une somme de 39 428,62 € , sur un bien immobilier appartenant à Monsieur J. et à son épouse, Madame Christine M..

Suivant acte extrajudiciaire en date du 22 septembre 2014, Bernard M. a fait assigner Guy J. devant le tribunal de commerce de Toulouse en paiement d'une somme en principal de 35.428,62 €.

Par jugement du 14 septembre 2015, le tribunal a, avant dire droit, ordonné une expertise en écriture.

Par jugement du 6 février 2017, le tribunal a, en lecture de ce rapport :

- constaté que le consentement de Monsieur Guy J. n'est pas valable, comme ayant été donné par erreur ;

- débouté Monsieur Bernard M. de l'intégralité de ses demandes, l'acte de cautionnement étant nul et de nul effet ;

- ordonné la mainlevée aux frais de Monsieur Bernard M. de l'hypothèque judiciaire provisoire conservatoire inscrite sur le bien immobilier de Monsieur Guy J. sis 5 bis chemin du Moulin - 31840 Seilh ;

- débouté Monsieur Guy J. de sa demande indemnitaire pour procédure abusive ;

- condamné Monsieur Bernard M. au paiement d'une somme de 2 000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration en date du 9 mars 2017, Bernard M. a relevé appel du jugement.

Bernard M. a saisi le premier président d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire, demande rejetée par ordonnance de référé du 17 mai 2017.

Guy J. a saisi le magistrat de la mise en état aux fins d'entendre ordonner la radiation de l'affaire, puis s'en est désisté, le jugement ayant été exécuté.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2018.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES.

* Par conclusions notifiées le 6 décembre 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, Bernard M. demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1154 anciens du Code civil, 2288 du Code civil, 143 et 144 du Code de procédure civile, de :

- réformer le jugement, sauf en ce qu'il rejeté la demande de Monsieur J. pour procédure abusive,

- condamner Monsieur Guy J. à régler à Monsieur Bernard M. la somme de 35.428,62 € outre les intérêts dus du 16 novembre 2013 jusqu'au jour du règlement définitif, étant précisé que les intérêts échus deviennent eux mêmes productifs d'intérêts au bout d'un an,

- condamner Monsieur Guy J. à régler à Monsieur Bernard M. le coût des travaux de remise en état des lieux évalués à la somme 4.839 € ainsi que le coût d'enlèvement des éléments polluants estimé à 880,92 €,

- A titre subsidiaire, ordonner une contre expertise graphologique,

- en tout état de cause, rejeter la demande de Monsieur Guy J. tendant à ce que Monsieur Bernard M. soit condamné à lui verser la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

- rejeter la demande de Monsieur Guy J. tendant à ce que Monsieur Bernard M. soit condamné à lui verser la somme de 3.000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre aux dépens,

- condamner Guy J. aux dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise et d'appel;

L'appelant fait essentiellement valoir que :

- des sommes sont dues aux titre des loyers et de la remise en état des lieux,

- Guy J. sait lire et écrire, l'expert s'est laissée abuser, mais un autre expert, Monsieur B. confirme que l'écriture est celle de quelqu'un qui sait écrire,

- Guy J. savait qu'il était caution et pour quelle raison.

* Par conclusions notifiées le 29 mai 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, Guy J. demande à la cour, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le rejet de la demande de dommages et intérêts sollicités par Monsieur Guy J., de condamner Monsieur Bernard M. à lui verser une somme de 3.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et purement injustifiée, outre 3.000 € au titre des frais non taxables.

L'intimé développe principalement les observations suivantes :

- il ne sait ni lire ni écrire, ce qu'a mis en évidence l'expertise et est corroboré par plusieurs attestations,

- le rapport produit par Bernard M. a été établi par un expert qui affirme le contraire sans l'avoir jamais rencontré,

- il s'est contenté de reproduire les mots du bailleur, mais n'aurait jamais signé un cautionnement en connaissance de cause; quand il contestait avoir écrit la mention, il ne mentait pas mais ne pouvait pas s'en souvenir,

- Bernard M. savait très bien qu'il abusait de lui.

MOTIFS DE LA DECISION

L'acte de cautionnement en date du 25 mars 2008, vient garantir les engagements de la société dont Guy J. est le gérant dans le cadre d'un bail commercial consenti le 21 août 2007 par Bernard M. en sous location de locaux qu'il a édifiés sur le terrain dont il est lui même locataire et ne lie pas la caution à un créancier professionnel.

L'acte de cautionnement rappelle dans un premier temps l'historique de l'opération, puis mentionne que l'EURL JGMECA devait fournir à Bernard M. une garantie bancaire dans le délai d'un mois ce qui n'a pas été fait et que Guy J. a proposé à Bernard M. de se porter caution personnelle de la société dont il est le gérant pour l'exécution du contrat et de ses renouvellements.

Il est indiqué, sous le titre 'convention' que :

'Monsieur Guy J., après avoir pris connaissance de ce qui précède par la lecture qui lui en a été donnée, déclare se constituer caution solidaire et indivisible pour toute la durée du contrat et ses renouvellements de la société JGMECA vis-à- vis de Monsieur M., pour sûreté de toutes les sommes qui pourront être dues à Monsieur M. en vertu du contrat de sous location....'

La signature de la caution en fin d'acte est précédée d'une mention manuscrite dont il est précisé avant la signature qu'elle est écrite de la main même de la caution, sous peine de nullité.

La lecture des termes de l'acte sous seing privé et notamment du paragraphe reproduit ci dessus montre qu'il a été stipulé par Bernard M. et non pour le compte de Guy J., puis soumis à l'approbation de ce dernier et à sa signature précédée d'une mention manuscrite dont l'expert judiciaire a retenu qu'elle était de la main de Guy J. mais dont il fallait surtout préciser qu'elle avait été recopiée, Guy J. ne sachant pas lire, ni écrire sans modèle et qu'il pouvait reproduire des tracés mais était incapable de les lire.

L'examen technique que Bernard M. a confié à Monsieur B., avec, à partir de l'acte et de deux autres écrits, pour mission notamment de dire si la mention en question avait été recopiée par un individu ne sachant ni lire ni écrire, ou rédigée spontanément, qui vient conclure, à partir d'un 'niveau de spontanéité observé', que son auteur était habitué à écrire suivant les deux modèles graphologiques examinés, en bâtons et en cursives, qu'aucun élément graphique ne permet d'envisager une hypothèse d'écriture recopiée émanant d'un scripteur ne sachant ni lire ni écrire et que celui ci avait suivi un enseignement traditionnel à l'école mais était d'un niveau de performance scripturale faible, a été réalisé de manière non contradictoire, sans que le technicien ait jamais rencontré l'intéressé, ce qui, au delà du caractère dubitatif des conclusions, vient en limiter le caractère probant.

L'incapacité de Guy J. à comprendre et adhérer par écrit à un engagement unilatéral fait au profit du rédacteur de l'acte sous seing privé se manifeste au demeurant dans la nature des fautes qui émaillent la mention qu'il a rédigée en caractères bâtons, telles que 'slidaire', au lieu de 'solidaire', 'latendue' au lieu de 'l'étendue' ou 'loyes' au lieu de 'loyers', qui traduisent plutôt des erreurs de copie de signes incompris que des fautes d'orthographe.

Enfin, il est permis de s'interroger sur la nécessité qu'avait Bernard M. de préciser que Guy J. avait pris connaissance des éléments relatés dans le cautionnement, et justifiant qu'il y soit recouru, 'par la lecture qui lui en est faite', si son co contractant était parti du postulat qu'il savait lire et écrire.

C'est ainsi par des motifs pertinents que le tribunal, après avoir fait procéder à une expertise en écriture, puis s'être fondé sur les conclusions de l'expert judiciaire, a retenu que le consentement de Guy J. à l'acte de cautionnement ne pouvait être considéré comme acquis et a annulé l'acte en application des dispositions des articles 1109 et suivants du code civil (dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016).

Les circonstances dans lesquelles il a été amené à y souscrire, six mois après son entrée dans les lieux, le fait qu'il soit illettré et qu'il ait été conduit à recopier sans pouvoir la déchiffrer la matérialité de son engagement établissent qu'il s'est mépris sur la substance même de son engagement; son consentement a été vicié par erreur et l'acte doit être annulé en application des dispositions de l'article 1110 ancien du code civil, reprises par les articles 1132 et 1133 de ce même code postérieurement au contrat.

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant justifier l'allocation de dommages et intérêts au profit du défendeur que si le demandeur a agi par malice, ou de mauvaise foi, ou avec une légèreté blâmable, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce, dans laquelle il apparaît plutôt que Bernard M. se soit mépris sur l'étendue de ses droits.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Bernard M., qui succombe, supportera la charge des dépens de la présente instance et ses propres frais. En outre, l'équité commande de le faire participer aux frais irrépétibles exposés par Guy J. et il sera condamné au paiement d'une indemnité de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement

Condamne Bernard M. à payer à Guy J. la somme de 2.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne Bernard M. aux dépens.

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