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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 24 octobre 2025, n° 25/00229

PARIS

Autre

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lagemi

Conseiller :

Mme Gaffinel

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Monelli, Me Moisan, Me Bendavid, Me Gendronneau

Président du TC de Localité 21, du 12 dé…

12 décembre 2024

La [9] (ci-après la [11]), devenue la [8] (ci-après la [10]), a, dans les années 2000, assuré le développement de services d'utilité publique professionnelle (ci-après SUP) pour les besoins de la profession des huissiers de justice, lesquels correspondent aux prestations numériques essentielles à l'exercice de cette profession.

Afin de gérer ces SUP, la [11] a crée, en 2001, une structure, l'association droit électronique et communication (ci-après l'ADEC) en lui déléguant leur développement.

Le 22 juillet 2015, l'ADEC a constitué, en tant qu'associé unique, la société [6], ayant pour objet la promotion et l'amélioration des services numériques de la profession d'huissier de justice et la gestion des solutions informatiques mises à la disposition des études des huissiers de justice, en lui apportant son activité comprenant la réalisation des SUP. Par un contrat d'apport partiel d'actif du 31 mars 2016, l'ADEC a transféré à la [11] la propriété de ses actions reçues en contrepartie de l'apport précité, représentant 99,66 % du capital, permettant à la [11] d'être en situation de contrôle, l'ADEC conservant 0,44 % du capital de la société [6].

Le 24 octobre 2018, a été signé par M. [A], en sa double qualité de président de la [11] et de l'ADEC, un contrat dénommé "apport partiel d'actif" ayant pour objet de transférer à l'association la nue-propriété de l'intégralité des actions détenues par la [11] dans le capital de la société [6] et ce jusqu'au 30 juin 2022, puis, par avenant du 15 octobre 2019, jusqu'au 31 décembre 2026. Il a été convenu dans l'acte du 24 octobre 2018 et rappelé dans son avenant que cet apport permettrait à l'ADEC d'être l'associé unique de la société [6] pour toutes les décisions autres que l'affectation des résultats et la distribution des dividendes et, donc, d'assurer l'entier contrôle de la société commerciale pour que les outils de communication électronique développés par la société pour les huissiers de justice restent à destination de l'ensemble de la profession.

A compter de 2020, l'ADEC a mis fin à la politique de facturation à prix coûtant des SUP en augmentant d'une part, de manière significative les droits d'adhésion facturés aux huissiers de justice et, d'autre part, la fraction du prix des actes dématérialisés devant lui revenir. Parallèlement ont été constituées plusieurs filiales de la société [6] dont, notamment, la société [20] ayant pour président M. [W] et pour directeur général M. [K], ce qui a permis au "groupe [6]", dont les revenus proviennent principalement de sommes versées par les huissiers de justice "contraints" d'utiliser les SUP, de réaliser des profits.

En 2023, souhaitant obtenir une distribution de dividendes, la [10] s'est vue opposer un refus de la part de la société [6], laquelle s'est fondée sur un pacte d'associés du 30 juin 2022, correspondant au dernier jour du mandat de M. [A] à la présidence de la chambre.

Le 21 septembre 2023, la [10] a assigné, devant le tribunal judiciaire de Paris, l'ADEC, la société [6] et M. [A] en nullité du traité d'apport partiel d'actif du 24 octobre 2018, de son avenant et du pacte d'associés du 30 juin 2022 en invoquant, notamment, le caractère frauduleux de ces actes et des manoeuvres dolosives. Cette affaire est toujours pendante devant ce tribunal.

Soutenant avoir été destinataire d'informations confortant les éléments en sa possession laissant craindre que des comportements illicites avaient été adoptés ayant pour effet de priver la [10] de la gestion et des recettes générées par l'exploitation d'outils numériques indispensables à l'exercice de l'activité des commissaires de justice, l'[28] (ci-après [26]), principal syndicat professionnel, en charge de la défense des intérêts collectifs de la profession de commissaire de justice, a présenté, le 18 mars 2024, une requête auprès du président du tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure de saisie de documents au sein des locaux de l'ADEC, de la société [6] et de la société [20].

Par ordonnance du 20 mars 2024, cette requête a été accueillie, la SCP Carole [H] et Olivier [G] ayant été désignée pour procéder à la mesure d'instruction ordonnée.

Celle-ci a été exécutée le 29 mars 2024.

Par acte du 25 avril 2024, la société [6], la société [20] et l'ADEC ont assigné, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, l'UNCJ afin, notamment, d'obtenir le prononcé de la nullité de la requête du 18 mars 2024 et de la procédure subséquente, la rétractation de l'ordonnance du 20 mars 2024, la restitution des documents et fichiers saisis et la destruction des copies réalisées.

Par ordonnance du 12 décembre 2024, le premier juge a :

- dit que l'UNCJ a la qualité et le droit d'agir et que son action est recevable ;

- dit que l'ordonnance du 20 mars 2024 est conforme aux dispositions des articles 145, 493 et 495 du code de procédure civile ;

- débouté la société [6], l'ADEC et la société [20] de leur demande de rétractation de ladite ordonnance ;

- rejeté la demande de nullité des opérations réalisées par la SCP Carole [H] et Olivier [G] en exécution de ladite ordonnance ;

- ordonné à la société [6], l'ADEC et la société [20] de faire un tri de l'ensemble des pièces séquestrées en trois catégories :

o catégorie 1 : les pièces qui sont immédiatement libérables, les requises ne s'opposant pas à leur communication ;

o catégorie 2 : les pièces qui sont couvertes par le secret des correspondances entre l'avocat et son client et, d'autre part, les correspondances privées, en rendant le juge destinataire de leur argumentation et des justificatifs établissant la qualité d'avocat à l'égard de chacune des sociétés requises ;

o catégorie 3 : les pièces couvertes par un secret autrement protégé par la loi ;

dit que ce tri sera communiqué à la SCP Carole [H] et Olivier [G] pour un contrôle de cohérence avec l'ensemble des éléments séquestrés ;

fixé le calendrier suivant :

o communication, à peine d'irrecevabilité, à la SCP Carole [H] et Olivier [G] et au juge, des tris des fichiers, avec l'argumentation et les justificatifs demandés avant le 20 février 2025,

o convocation des conseils des parties à l'audience du jeudi 20 mars 2025 à 14h00, pour effectuer la levée du séquestre,

- condamné in solidum la société [6], l'ADEC et la société [20] à payer à l'UNCJ la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- condamné in solidum la société [6], l'ADEC et la société [20] aux dépens de l'instance.

Par déclarations des 13 décembre 2024 et 23 janvier 2025, la société [6], l'ADEC et la société [20] ont relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Ces instances enregistrées sous les numéros RG 25/00229 et 25/02387 ont été jointes le 7 mars 2025.

Dans leurs conclusions remises et notifiées le 3 avril 2025, la société [6], l'ADEC et la société [20] demandent à la cour de :

- les déclarer recevables en leur appel ;

- infirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions dont elles ont relevé appel ;

Et statuant à nouveau,

- déclarer nulle la requête introduite par l'UNCJ ayant donné lieu à l'ordonnance du 20 mars 2024 avec toutes les conséquences de droit attachées à cette nullité ;

- déclarer l'UNCJ irrecevable en sa requête ;

- écarter des débats les pièces n° 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 28 et 29 produites par l'UNCJ à l'appui de la requête ;

- déclarer qu'aucune circonstance ne justifiait de déroger au principe de la contradiction ;

- déclarer que l'UNCJ ne justifie d'aucun motif légitime à solliciter une mesure d'instruction;

- déclarer que la mesure d'instruction sollicitée par l'UNCJ présentait un caractère disproportionné et attentatoire à leurs droits ;

- déclarer en conséquence nulle l'intégralité des opérations conduites en exécution de l'ordonnance sur requête du 20 mars 2024 ;

En conséquence,

- rétracter l'ordonnance sur requête du 20 mars 2024 avec toutes les conséquences de droit attachées à la rétractation ;

- ordonner la restitution de tout document, fichier, échanges, groupe de discussions, messages, contacts, rendez-vous, notes ou comptes rendus, consultations, planifications, pièces jointes, photographies de documents, quel qu'en soit le format et de tout matériel ou support leur appartenant ainsi qu'à leurs représentants, dirigeants, salariés, collaborateurs ou membres dont copie aurait été prise en exécution de l'ordonnance du 20 mars 2024, dans les 72 heures suivant la mise à disposition de la décision à intervenir ;

- ordonner la destruction de tous ces documents, fichiers, échanges, groupe de discussions, messages, contacts, rendez-vous, notes ou comptes rendus, consultations, planifications, pièces jointes, photographies de documents copiés en exécution de l'ordonnance du 20 mars 2024, dans les 72 heures suivant la notification de la décision à intervenir ;

- ordonner qu'il soit dressé procès-verbal des opérations de restitution et destruction pour remise au tribunal et à elles-mêmes ;

En tout état de cause

- débouter l'UNCJ de toutes ses demandes ;

- condamner l'UNCJ à leur verser la somme de 10.000 euros, à chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses conclusions remises et notifiées le 2 juin 2025, l'UNCJ demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

avant dire droit,

- débouter les appelantes de leur demande tendant à voir écarter ses pièces 18 à 22, 24 à 26 et 28 et 29 ;

in limine litis,

- juger irrecevables et au besoin débouter les appelantes de "leurs demandes de nullités" ;

- débouter les appelantes de "leurs demandes d'irrecevabilités" ;

- rejeter la fin de non-recevoir soulevée ;

- débouter les appelantes de leur demande de rétractation de l'ordonnance du 20 mars 2024;

- ordonner les opérations de levée du séquestre, conformément aux dispositions applicables du code de commerce ;

En tout état de cause,

- condamner les appelantes à lui verser, chacune, la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 9 juillet 2025.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la nullité de la requête

Il résulte des dispositions combinées des articles 117 et 119 du code de procédure civile, que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte, le défaut de capacité d'ester en justice, le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice et le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice ; que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief.

Se fondant sur le premier des textes susvisés, les appelantes invoquent le défaut de qualité à agir du syndicat [26] - en réalité le défaut de pouvoir - lors de la présentation de la requête puisqu'il n'a pas justifié d'une décision l'autorisant à agir en justice de sorte que la requête serait nulle.

Il résulte des articles 10.6 et 10.7 des statuts de l'UNCJ que le conseil d'administration autorise les décisions importantes telles que, notamment, celle visant à introduire une procédure judiciaire ou arbitrale ou la signature de toute transaction.

Si l'UNCJ n'a pas justifié d'une autorisation de son conseil d'administration lors de la présentation de la requête, le 18 mars 2024, il a néanmoins produit, au cours de l'instance en rétractation, le procès-verbal de la réunion dudit conseil en date du 7 novembre 2023 démontrant qu'a été adoptée à l'unanimité des présents la décision autorisant l'UNCJ à engager une action civile et pénale dans le dossier [6].

Les appelantes font observer que ce procès-verbal a été communiqué le 24 septembre 2024, sans avoir été transmis lors de la requête, de sorte qu'il n'a pas date certaine et que les métas données du fichier PDF font apparaître que ce "prétendu" procès-verbal a été créé le 23 septembre 2024 soit postérieurement à la requête.

Mais, si la capture d'écran produite par les appelantes (pièce n° 23) fait apparaître une date de création au 23 septembre 2024, celle-ci est insuffisante pour établir que le procès-verbal litigieux a été antidaté, voire fabriqué pour justifier a posteriori la régularité de la requête.

En effet, il est relevé d'une part, que la date du 23 septembre 2024 peut correspondre à celle à laquelle la pièce litigieuse a été scannée et, d'autre part, et surtout, que dans les jours ayant suivi la réunion du conseil d'administration, le président de l'UNCJ a adressé aux adhérents un communiqué, par mail du 17 novembre 2023, afin de les informer de la décision prise par le conseil d'administration "d'agir en justice pour la défense des intérêts moraux et professionnels des commissaires de justice" en se référant aux informations préoccupantes qui lui étaient parvenues au sujet du fonctionnement de l'ADEC et de la société [6]. Cette concordance de dates permet d'écarter le doute émis par les appelantes sur la véracité du procès-verbal du 7 novembre 2023.

Il en résulte que lors de la présentation de la requête, l'UNCJ disposait d'un pouvoir pour agir de sorte que la requête n'est entachée d'aucune cause de nullité.

Sur la recevabilité de l'action engagée par l'UNCJ

Selon les articles 31 et 32 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ; toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir est irrecevable.

Les appelantes font état d'un défaut de qualité et de droit d'agir de l'UNCJ. Elles expliquent que ce syndicat invoque des faits qui ne le concernent pas tels la perte de contrôle de la [10] sur la société [6] et la privation de dividendes, faits dont seule la [10] peut se prévaloir, laquelle a d'ailleurs agi à ce titre devant le tribunal judiciaire, la monétisation des SUP causant un préjudice financier aux commissaires de justice, qui seuls pourraient agir pour sauvegarder leurs intérêts financiers individuels, ou encore les rémunérations illégitimes de dirigeants, pour lesquelles l'UNCJ ne serait pas recevable à se constituer partie civile dans le cadre d'une procédure pénale ni à agir en responsabilité civile à l'encontre des dirigeants de l'association ou de la société commerciale.

L'UNCJ est un syndicat professionnel placé sous le régime du livre I du code du travail, ayant pour objet, aux termes de ses statuts, l'étude et la défense des intérêts économiques, matériels, sociaux et moraux de la profession de commissaire de justice.

Selon l'article L.2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Il en résulte que l'UNCJ a qualité et intérêt pour agir dès lors que les faits qu'il invoque au soutien de la mesure d'instruction sollicitée, sont, à les supposer avérés, constitutifs de dysfonctionnements graves et donc susceptibles de porter atteinte aux intérêts collectifs de la profession de commissaire de justice et ce indépendamment du bien fondé des actions qu'il pourrait engager. Il est à cet égard observé que le développement et la gestion des outils numériques, devenus indispensables à l'activité des commissaires de justice, sont au coeur du litige opposant la [10] au groupe [6] (association et sociétés commerciales), lequel est de nature à avoir un retentissement sur la profession de commissaire de justice ainsi que le signalait le président de l'UNCJ dans le communiqué susvisé du 17 novembre 2023 et, à ce titre, concerne le syndicat.

Disposant du droit d'agir, l'UNCJ est recevable en sa demande de mesure d'instruction.

Les appelantes font encore valoir que la demande de l'UNCJ ne serait pas recevable dès lors qu'une procédure au fond avait été engagée par la [10] préalablement au dépôt de la requête, procédure reposant sur les mêmes griefs que ceux développés par le syndicat.

Elles indiquent que détournant la procédure fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, l'UNCJ chercherait, en réalité, à obtenir des pièces destinées à être produites dans la procédure au fond introduite par la [10], et/ou soutenir des poursuites pénales, ou encore à aider son président, qui, à l'époque de la requête, faisait l'objet d'une procédure déontologique dans laquelle lui était reproché le contenu de ses communiqués dont celui du 17 novembre 2023, et/ou enfin, à servir des intérêts étrangers à ceux qu'il prétend défendre, précisant à cet égard que les administrateurs du syndicat sont membres et bénéficiaires du GIE dit "[24]" ([23]), concurrent de la société [6].

L'article 145 du code de procédure civile prévoit la possibilité pour une partie d'obtenir une mesure d'instruction, avant tout procès, afin de rechercher des éléments de preuve dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

L'absence de procès en cours est une condition de recevabilité de la demande de mesure d'instruction. Mais, seul un procès en cours engagé entre les mêmes parties interdit que soit ordonné, sur le fondement de ce texte, une mesure d'instruction.

Or, au cas présent, lors de la présentation de la requête, le 18 mars 2024, l'UNCJ n'avait pas introduit de procédure au fond et n'était pas partie au procès engagée par la [10] à l'encontre de l'ADEC, de la société [6] et de M. [A] de sorte que sa requête aux fins de mesure d'instruction était recevable.

Le fait que l'UNCJ soit intervenu volontairement à la procédure engagée par la [10], le 28 octobre 2024, ne peut faire obstacle à sa requête dès lors que celle-ci a été présentée à une époque où n'existait aucun procès entre les parties à la présente procédure.

Par ailleurs, le détournement de procédure invoqué n'est pas caractérisé dès lors qu'il n'est pas démontré que l'action de l'UNCJ aurait d'autres finalités que la défense des intérêts collectifs de la profession de commissaire de justice, étant rappelé qu'une mesure d'instruction peut être sollicitée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile afin de réunir des preuves pour une future action pénale susceptible d'être ultérieurement engagée, l'action publique pouvant en effet être mise en mouvement par une partie civile et un syndicat professionnel pouvant avoir cette qualité.

L'action de l'UNCJ est donc recevable.

Sur la régularité de la communication des pièces 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 28 et 29 produites par l'UNCJ

Les appelantes critiquent la communication de ces pièces produites à l'appui de la requête, consistant en des bulletins de salaires, contrats de travail, contrats de location et contrats de prestation de services, en soutenant qu'il s'agit de documents confidentiels qui se trouvaient sur le serveur informatique privé des entités [6]. Elles expliquent qu'une analyse du système de traitement automatisé des données interne à la société [6] a permis d'établir le téléchargement de ces documents, en septembre 2023, par M. [K], alors salarié de celle-ci, qui les a détournés et précisent qu'une plainte visant les pièces litigieuses a été déposée le 21 décembre 2023 des chefs, notamment, d'extraction, détention, et transmission de données informatiques.

Elles considèrent qu'outre le détournement de ces documents, qui constitue une infraction pénale, leur production à l'appui de la requête porte atteinte à la vie privée des dirigeants et salariés de la société [6] et de l'association et au secret des affaires.

Mais, il n'est aucunement justifié que l'UNCJ aurait obtenu de manière déloyale les pièces litigieuses, ce syndicat indiquant, sans être contredit, les avoir reçues sans les avoir demandées à travers des courriels qu'il verse aux débats, reçus par de nombreux commissaires de justice. Il est relevé à la lecture de la pièce 14 produite par l'UNCJ, consistant en une série de mails provenant de personnes sous pseudonymes, ayant créé un collectif "[25]", qu'un de ces courriels, adressé à des commissaires de justice, en date du 29 novembre 2023, dénonce principalement le comportement de deux dirigeants du groupe [6], MM. [O] et [W], et contient le lien wetransfer permettant le téléchargement des documents contestés.

Par ailleurs, ainsi que l'indique l'UNCJ, il n'est pas démontré que M. [K] aurait lui-même obtenu illicitement ces pièces, la plainte déposée étant à elle seule insuffisante pour caractériser un comportement illicite.

En outre, ces documents, constituant l'essentiel des pièces produites à l'appui de la requête, sont indispensables pour permettre à l'UNCJ de justifier des indices nécessaires pour fonder sa demande de mesure d'instruction et, donc, à l'exercice de son droit à la preuve et, au regard de leur nature, l'atteinte invoquée à la vie privée et au secret des affaires est proportionnée au but poursuivi.

Il n'y a dès lors pas lieu d'écarter ces pièces. Le premier juge n'ayant pas statué dans le dispositif de l'ordonnance sur ce chef de demande, il conviendra de l'ajouter.

Sur la demande en rétractation de l'ordonnance du 20 mars 2024

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Pour ordonner une mesure d'instruction en application de ce texte, le juge doit constater l'existence d'un procès "en germe", possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, sans qu'il lui appartienne de statuer sur le bien-fondé de l'action au fond susceptible d'être ultérieurement engagée.

Le recours à une mesure d'instruction sur le fondement de ce texte ne requiert donc pas de commencement de preuve, la mesure ayant précisément pour objet de rechercher et établir les preuves en vue d'un procès futur. Le requérant doit seulement justifier d'éléments rendant plausibles ses suppositions.

Le juge des requêtes doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Enfin, il doit s'assurer que la mesure d'investigation ordonnée est proportionnée au regard des objectifs annoncés par le requérant.

Sur le motif légitime

Pour justifier la mesure d'instruction sollicitée, l'UNCJ invoque des faits, qui, à les supposer avérés, seraient susceptibles de revêtir une qualification pénale et, donc à avoir un retentissement certain sur la profession de commissaires de justice en ce qu'ils porteraient nécessairement atteinte à l'image de ces derniers dont il convient de rappeler qu'ils sont officiers publics et ministériels.

Au soutien de sa requête, l'UNCJ expliquait que la [11] (devenue depuis la [10]) a été dépossédée du contrôle de la société [6] et donc des outils numériques indispensables à l'exercice de la profession de commissaire de justice par l'effet du contrat d'apport partiel d'actif du 24 octobre 2018, au profit de l'ADEC, administrée par un directoire de quatre à cinq membres, nommés à vie, dont quatre membres de droit, MM. [A], [W], [C] et [O], le cinquième étant coopté par les quatre premiers. Il indiquait que les administrateurs de l'ADEC ont alors créé un groupe commercial générant des profits à travers l'exploitation, notamment, des SUP, qui ont été monétisés, les droits d'adhésion ayant été facturés pour des sommes très importantes aux commissaires de justice. Il ajoutait que les revenus conséquents du groupe [6] auraient dû revenir à la chambre et, donc, d'une certaine manière, bénéficier à l'ensemble de la profession, mais qu'ils ont permis de financer des rémunérations significatives aux membres du directoire de l'association, précisant que la chambre n'a pu percevoir de dividendes en application d'un pacte d'associés signé le 30 juin 2022, dont elle soupçonne de façon sérieuse la véracité, ce qui l'a conduite à engager une action au fond le 21 septembre 2023.

L'UNCJ rapportait encore les informations préoccupantes relatives au fonctionnement de la société [6] dont il avait été destinataire par plusieurs courriels provenant de "lanceurs d'alerte", qui dénonçaient des faits graves à l'encontre des dirigeants de la société [6] et les étayaient par des documents rendant crédibles leurs accusations portant, notamment, sur la signature antidatée du pacte d'associés susvisé, sur des flux financiers indus et des avantages illégitimes consentis aux dirigeants des différentes sociétés du groupe [6] (cumul de fonctions pouvant laisser craindre l'existence d'emplois fictifs, rémunérations importantes perçues, avantages en nature perçus dans des conditions suspectes, contrats conclus avec des tiers dans des conditions également suspectes tant en ce qui concerne le lien entre les prestations commandées et l'objet social d'une société du groupe, en l'occurrence la société [20], que le montant des rémunérations versées en contrepartie de prestations dont la réalité de certaines ne serait pas avérée).

Il est rappelé que l'ADEC, émanation de la [11], a fonctionné pendant plus de dix ans en développant les outils numériques nécessaires à la profession des huissiers de justice et dans l'intérêt de celle-ci, avant de constituer une société commerciale dénommée [6], dont elle était l'associée unique, en charge, notamment, de la promotion, l'amélioration et la gestion de ces outils numériques ; que par suite de contrats dit d'apport partiel d'actif, la [11] s'est trouvée associée majoritaire de la société commerciale, en détenant la pleine propriété des actions représentant 99,66 % du capital social, puis, l'usufruit seulement de ces actions, la nue-propriété ayant été transférée à l'association et que par l'effet d'un pacte d'associés dont la [10] n'a pas trouvé trace dans ses archives, celle-ci s'est trouvée limitée dans la perception des dividendes générés par l'activité de la société [6], laquelle s'est fortement développée avec la dématérialisation des actes et que dans le même temps cette société a constitué ou acquis des filiales.

Les éléments développés dans la requête et les pièces produites à l'appui de celle-ci également communiquées à hauteur de cour, permettent d'établir les soupçons de l'UNCJ quant aux dysfonctionnements allégués de la société [6] et ses conséquences pour la [10] et, par, suite, pour l'ensemble de la profession dont le requérant a la défense des intérêts collectifs.

C'est ainsi qu'il a été produit :

- un mail de M. [K], ancien directeur général de la société [6], en date du 12 janvier 2024, transmis à l'UNCJ par un commissaire de justice, ayant pour objet "[6] et sa vérité", dans lequel son auteur indique avoir été témoin de faits graves l'ayant conduit à transmettre des documents accompagnés de constats de commissaires de justice dans le cadre d'un signalement au défenseur des droits, en faisant état de "la production au commissaire aux comptes et à l'AG de l'ADEC d'un acte sous-seing privé antidaté, qui a eu pour effet de priver la [10] de toute perception de dividendes" et faisant part de sa prochaine audition par la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière ;

- plusieurs mails (pièce 14 susvisée) dénonçant des comportements illicites des dirigeants du groupe [6], dont un révélant la création d'une société [18] qui transférerait les noms de domaine des produits développés par l'ADEC et hébergés par [19], sous les noms "CJ ENCHERES" et "CJ TRANSFERT" ;

- un bulletin de salaire du président de la société [6], par ailleurs président de l'association [6], un contrat de travail à durée indéterminée conclu entre ce dernier et la société [20], susceptibles de démontrer un cumul d'emplois au sein du groupe;

- deux bulletins de salaire concernant le président de la société [20] également directeur général de la société [6] ;

- des contrats de location d'un véhicule Mercedes et d'un appartement au bénéfice d'un dirigeant,

- des contrats de prestation de services conclus par la société [6] et/ou ses filiales avec des tiers dont il est soutenu que les rémunérations seraient excessives ou non causées ;

- un article de Challenges, intitulé "Huissier contre huissier : récit d'une profession qui se déchire et règle ses comptes ... en justice", qui rapporte, notamment, que la comptabilité de la société [20] "fait apparaître une tournée des grands circuits de course automobile aux quatre coins du monde en 2019 (...)" dont l'objet était "la fluidification des relations avec les clients d'OC3, huissiers et sous-traitants, pour un montant de 300.000 euros", et fait état de deux autres contrats conclus l'un avec la société [7], détenue par M. [A] et son épouse, qui n'a pas été exécuté et l'autre avec la société [15], laquelle n'aurait exécuté aucune prestation.

Les éléments qui précèdent justifient les interrogations de l'UNCJ et rendent vraisemblables ses soupçons quant à une éventuelle atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu'il représente. Ce syndicat justifie donc d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d'instruction afin d'améliorer sa situation probatoire pour le futur procès qu'il pourrait engager à l'encontre des appelantes, qui, en l'état, n'apparaît pas manifestement voué à l'échec.

Sur la dérogation au principe de la contradiction

L'éviction du principe de la contradiction, principe directeur du procès, nécessite que la requérante justifie, dans la requête, de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise, le seul fait que les documents recherchés se trouvent sur des supports volatiles étant insuffisant à les caractériser.

En l'espèce, pour justifier le recours à une procédure non contradictoire, l'UNCJ a fait état, dans la requête, du risque de dépérissement des preuves au regard des supports informatiques des pièces recherchées, du comportement des personnes mises en cause laissant craindre une volonté de dissimulation de leur part afin de masquer les avantages illicites octroyés ou les cumuls de rémunérations ou encore les dépenses réalisées sans lien avec l'objet social des sociétés les ayant réalisées, et de la nature des faits soupçonnés susceptibles de relever d'une juridiction pénale.

L'ordonnance, qui y fait droit, a retenu les moyens soutenus par l'UNCJ tenant au caractère volatile des pièces recherchées et à la nature du différend faisant craindre une disparition des preuves et un risque de dissimulation.

Il est constant que la seule fragilité des pièces ne peut suffire à justifier la dérogation au principe de la contradiction. Mais, au cas présent, cet élément est conforté par le contexte de la requête dont il n'est pas interdit au juge de tenir compte pour apprécier les circonstances qui légitimaient cette dérogation dès lors que la nature des faits en cause et des comportements dénoncés, contraires à l'éthique attendue de la part de commissaires de justice, sont en effet susceptibles de constituer des infractions pénales ce qui justifiait la nécessité, pour l'UNCJ, de préserver un effet de surprise afin d'assurer l'efficacité de la mesure sollicitée.

C'est donc vainement que les appelantes contestent la réalité de cet effet de surprise en indiquant qu'antérieurement au dépôt de la requête, les "entités [6]" avaient déjà dû se défendre des allégations portées contre elles tant sur le terrain médiatique que judiciaire.

En effet, la procédure contradictoire engagée quelques mois plus tôt par la [10], la plainte déposée contre x par la société [6] des chefs, notamment, d'extraction, reproduction, détention et transmission frauduleuses de données informatiques contenues dans un système de traitement automatisé des données, de recel et tentative de chantage du 21 décembre 2023 et celle de ses dirigeants en date du 6 mars 2024 du chef de diffamation publique contre le président de l'UNCJ ainsi que la réclamation déontologique formée contre ce dernier n'étaient pas de nature à rendre sans utilité l'effet de surprise au regard de la nature des faits en cause et des éléments de preuve recherchés pour les établir.

Il doit donc être considéré que la dérogation au principe de la contradiction est en l'espèce justifiée.

Sur le caractère légalement admissible de la mesure d'instruction

Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la requérante et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Les appelantes soutiennent que le juge des requêtes n'a donné aucune limite matérielle et temporelle à la mesure d'instruction en permettant la saisie de documents et donc de données stratégiques permettant le développement d'outils techniques répondant aux besoins de l'activité du GIE [22], concurrent de la société [6], sous le seul contrôle du commissaire de justice désigné et, par ailleurs, lié à l'UNCJ.

Elles indiquent que les mots-clés ont un caractère général et imprécis, que leur combinaison alternative résultant de la préposition "ou" mentionnée dans la mission et les termes "si besoin" pour leur utilisation offrent un périmètre de saisie disproportionnée au regard de la finalité de la mesure. Elles précisent que les commissaires de justice désignés, Maître [H] et Maître [G], ont procédé à une copie intégrale des téléphones privés et professionnels de leurs confrères sans réaliser, sur place, de recherche par mots-clés, permettant de retenir un nombre extrêmement important de messages et que le séquestre prévu ne protège pas d'une violation manifeste de la vie privée des dirigeants de la société [6] ni d'une atteinte disproportionnée au secret des correspondances et au secret des affaires.

Elles font encore valoir, en se fondant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 et sur l'article 2 du décret n° 2023-1296 du 28 décembre 2023 relatif au code de déontologie des commissaires de justice, que Maître [H] ne pouvait instrumenter en l'espèce puisqu'elle entretient des liens personnels avec l'associé du président de l'UNCJ, qui est par ailleurs le président honoraire de ce syndicat, ce qui caractérise tant pour elle-même que pour Maître [G], leur absence d'indépendance et d'impartialité.

Il sera relevé sur ce dernier point, que la proximité de Maître [H] avec l'associé du président de l'UNCJ dont il est justifié par ce syndicat qu'il a été son adhérent jusqu'au 31 décembre 2021, pourrait constituer un possible conflit d'intérêts dans la mesure où l'article 2 du décret du 28 décembre 2023 susvisé dispose que "officier public et ministériel, le commissaire de justice conserve en toutes circonstances la plus stricte indépendance dans l'exercice de ses missions d'auxiliaire de justice, afin de garantir l'impartialité subjective et objective qui est le fondement de la confiance qu'on lui porte.

Il s'interdit tout conflit d'intérêts et prend toutes mesures nécessaires pour le prévenir ou le faire cesser.

En cas de doute, il s'abstient ou en réfère au président de la chambre régionale ou interrégionale dont il relève."

Mais, il ne peut se déduire de cette difficulté d'ordre déontologique que la mesure d'instruction ne serait pas légalement admissible et que celle-ci devrait conduire à la rétractation de l'ordonnance sur requête, étant en tout état de cause rappelé que le juge de la rétractation ne peut statuer sur la régularité des opérations de saisie de sorte qu'une nullité de celles-ci, à la supposer avérée, ne peut être appréciée dans le cadre de cette procédure.

Par ailleurs, l'article 8 de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 qui énonce notamment, que "les commissaires de justice ne peuvent, à peine de nullité, instrumenter à l'égard de leurs parents et alliés, en ligne directe à tous les degrés et en ligne collatérale jusqu'au quatrième degré, de leur conjoint et de leur partenaire de pacte civil de solidarité (...)", n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, dès lors que la SCP Carole [H] et Olivier [G] dont Maître [H] est associée, n'a pas de lien de la nature de ceux visés par ce texte à l'égard de l'UNCJ ainsi que l'a exactement retenu le premier juge.

Il ne peut par ailleurs être sérieusement reproché au commissaire de justice commis d'avoir procédé à une recherche différée des pièces saisies alors que cette possibilité lui a été donnée par l'ordonnance sur ce point non critiquable, cette recherche différée, réalisée en présence de l'expert en informatique, étant justifiée par la multiplicité des recherches.

Il apparaît à la lecture de la mission confiée au commissaire de justice que la mesure d'instruction est limitée dans le temps, les recherches devant être réalisées au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2021 et la date de réalisation de la mesure.

L'ordonnance a prévu que la mesure d'instruction s'exécute dans des lieux précisément déterminés (siège de l'association [6] et de la société [6], bureaux de la société [6] et de la société [20], deux appartements loués par la société [6]), et parfaitement justifiés puisqu'en lien avec les faits exposés.

Mais l'ordonnance a également donné mission au commissaire de justice de "se rendre en tout lieu où serait assurée la gestion administrative et/ou l'exploitation de l'activité des sociétés [6] et [20] et de l'association [6] et/ou en tout lieu où les éléments recherchés pourraient être entreposés, détenus ou accessibles, mais encore en tout lieu où les dirigeants de ces sociétés et/ou personnes visées seraient susceptibles de se réunir et/ou d'exercer une activité professionnelle ou économique". Si la première partie de cette phrase tend à viser les sièges et bureaux des appelantes, en revanche, la seconde partie se rapportant à "tout lieu" où pourraient se trouver les éléments recherchés ou les dirigeants des sociétés et/ou personnes visées, lesquelles ne sont, au demeurant, pas identifiées, est sans limite spatiale, et confère un caractère disproportionné à la mesure.

En conséquence, seuls les documents saisis dans les lieux précisément définis seront retenus et le paragraphe précité sera retiré de l'ordonnance sur requête ainsi qu'il sera précisé au dispositif.

Par ailleurs, l'ordonnance a permis la recherche et la saisie de documents sur quelque support qu'ils se trouvent, professionnels et personnels, y compris les tablettes et téléphones portables, définis de manière exhaustive, en lien avec les faits exposés, en particulier s'agissant du pacte d'associés du 30 juin 2022 et des contrats de prestation de services critiqués.

L'ordonnance a également permis la recherche et la saisie de tous documents, fichiers, échanges correspondances, groupe de discussion, messages, contacts, rendez-vous, sans que cette liste soit limitative, y compris les pièces jointes, ayant trait à l'embauche, aux fonctions, à la rémunération, à l'intéressement, aux jetons de présence, prime, bonus, défraiements et tous avantages en nature de MM. [O] et [W] en lien avec l'activité de l'association et de la société [6], de la société [20] et de la société [18], en listant les adresses mails de MM. [O] (président de l'association et de la société [6], de la société [18], et directeur général de la société [20]), [W] (président de la société [20], membre du directoire de l'association [6] et directeur général des sociétés [6] et [18]), [X] (directeur général délégué de la société [6]), et Mme [F] (directrice des ressources humaines de la société [6]).

Il apparaît ainsi que les éléments recherchés sont ciblés et en lien avec les faits dénoncés et les personnes soupçonnées de comportement illicite.

Les recherches et saisies d'éléments portant sur le pacte d'associés du 30 juin 2022, les divers dysfonctionnements dénoncés au sein de la société [6] et ses filiales, et les rémunérations et avantages susceptibles d'avoir été perçus par MM. [O] et [W], sont encore limitées par les mots-clés.

A cet égard, il est relevé que l'ordonnance sur requête a prévu une série de mots-clés devant être utilisés si nécessaire. Cette formulation tend à permettre au commissaire de justice de rechercher des éléments laissés à son appréciation, alors que sa mission ne peut porter que sur la saisie de documents en fonction de mots-clés précédemment déterminés afin d'éviter une mesure d'instruction trop générale et disproportionnée par rapport au but poursuivi. Ces termes seront donc retirés de la décision, les mots-clés devant en effet être systématiquement utilisés pour pouvoir appréhender les documents recherchés.

Parmi les mots-clés définis dans l'ordonnance, certains pour lesquels il n'a pas été prévu de combinaison, n'apparaissent pas suffisamment en lien avec les faits reprochés ou sont susceptibles de conduire à une saisie trop large tels que, notamment, "conseil en organisation", "capacité d'autofinancement", "démembrement", "fleet", "cycle d'exploitation", "prise de contrôle", "pacte" et "pacte d'associés".

Ainsi, le commissaire de justice devra rechercher sur les supports tels que définis dans l'ordonnance, tous les documents visés dans cette décision, obtenus par les mots clés suivants, en majuscules ou minuscules, et, pour certains, selon les combinaisons ci-après indiquées :

- "pacte" ou "pacte d'associés" en combinaison avec "[11]" ou "[10]" et/ou "antidaté",

- "[11]" ou "[10]" en combinaison avec "dividendes",

- "services d'utilité publique" ou "SUP" en combinaison avec "[11]" et/ou "[10]",

- "rémunération" et/ou "salaire" et/ou "prime" et/ou "intéressement" et/ou "frais" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "bail d'habitation" en combinaison avec "[Adresse 3]" et avec "[J]" ou "[O]",

- "Mercedes" et/ou "[Immatriculation 14]" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "Fleet" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "rémunération" et/ou "salaire" et/ou "prime" et/ou "intéressement" et/ou "voiture" et/ou "frais" en combinaison avec "[S]" ou "[W]",

- "[U] 27" en combinaison avec "[Z]" et/ou "[V]",

- "convention de consultance" en combinaison avec "[20]" et "[U] 27",

- "Koncord",

- "Up2You",

- "[Localité 17]" et/ou "[Localité 16]" et /ou "[Localité 12]",

- "Nextgen",

- "CJ ENCHERES",

- "CJ TRANSFERT".

L'ordonnance sur requête sera donc modifiée en ce sens ainsi qu'il sera précisé au dispositif.

La mesure d'instruction apparaît circonscrite dans son objet, dès lors que même si les recherches sont effectuées sur des supports personnels (ordinateurs, tablettes, téléphones portables), elles restent limitées aux seuls faits ayant justifié le motif légitime et donc avec l'objet du futur litige, ne concernent que les seuls dirigeants des entités [6], et sont, au surplus, limités par les mots clés susvisés.

Ainsi, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits de l'association [6] et des sociétés [6] et [20] et, tenant compte de l'objectif poursuivi, concilie le droit à la preuve de l'UNCJ et le droit au secret des affaires des appelantes, étant rappelé que la protection du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client est assurée par les dispositions de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Sur la mainlevée du séquestre

Les appelantes soulèvent l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle formée devant le premier juge par l'UNCJ tendant à la levée du séquestre. Elles soutiennent que le juge des requêtes, saisi en référé afin de statuer sur la rétractation de son ordonnance, ne dispose pas du pouvoir d'ordonner la mainlevée du séquestre.

Selon l'article R.153-1, dernier alinéa, du code de commerce, le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10.

Il résulte de ce texte que la demande de mainlevée du séquestre formée par l'UNCJ devant le premier juge, qui, aux termes de l'ordonnance entreprise, a organisé la procédure de tri des pièces placées sous séquestre, est recevable. Le dispositif de l'ordonnance entreprise ne contenant aucune mention sur le rejet de cette fin de non-recevoir, il conviendra de l'y ajouter.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d'instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d'un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Au regard de l'issue du litige, chacune des parties conservera la charge de ses dépens exposés tant en première instance qu'en appel.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions ayant :

- dit recevable l'action engagée par l'Union nationale des commissaires de justice ;

- rejeté la demande de nullité des opérations réalisées par la SCP Carole [H] et Olivier [G] ;

- organisé la procédure de tri des pièces placées sous séquestre ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de l'association [13] et des sociétés [6] et [20] tendant à ce que soient écartées des débats les pièces produites par l'Union nationale des commissaires de justice à l'appui de la requête sous les n° 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 28 et 29 ;

Déclare recevable la demande reconventionnelle de l'Union nationale des commissaires de justice tendant à la mainlevée du séquestre ;

Infirme l'ordonnance en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Rejette les demandes de l'association [13] et des sociétés [6] et [20] de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 20 mars 2024;

Modifie la mission de la SCP Carole [H] et Olivier [G] définie dans l'ordonnance sur requête du 20 mars 2024 en ce sens que :

- est retiré, en page 2 de l'ordonnance, le paragraphe suivant :

"Ou encore en tout lieu où serait assurée la gestion administrative et/ou l'exploitation de l'activité de ces personnes morales et/ou en tout lieu où les éléments recherchés pourraient être entreposés, détenus ou accessibles, mais encore en tout lieu où les dirigeants de ces sociétés et/ou personnes visées seraient susceptibles de se réunir et/ou d'exercer une activité professionnelle ou économique" ;

- en page 4 de l'ordonnance, le paragraphe relatif aux mots clés est ainsi rédigé :

Dit que les recherches des documents ci-avant définis s'effectueront à l'aide des mots clés suivants, en majuscules ou minuscules, et, pour certains, selon les combinaisons ci-après indiquées :

- "pacte" ou "pacte d'associés" en combinaison avec "[11]" ou "[10]" et/ou "antidaté",

- "[11]" ou "[10]" en combinaison avec "dividendes",

- "services d'utilité publique" ou "SUP" en combinaison avec "[11]" et/ou "[10]",

- "rémunération" et/ou "salaire" et/ou "prime" et/ou "intéressement" et/ou "frais" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "bail d'habitation" en combinaison avec "[Adresse 3]" et avec "[J]" ou "[O]",

- "Mercedes" et/ou "[Immatriculation 14]" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "Fleet" en combinaison avec "[J]" ou "[O]",

- "rémunération" et/ou "salaire" et/ou "prime" et/ou "intéressement" et/ou "voiture" et/ou "frais" en combinaison avec "[S]" ou "[W]",

- "[U] 27" en combinaison avec "[Z]" et/ou "[V]",

- "convention de consultance" en combinaison avec "[20]" et "[U] 27",

- "Koncord",

- "Up2You",

- "[Localité 17]" et/ou "[Localité 16]" et /ou "[Localité 12]",

- "Nextgen",

- "CJ ENCHERES",

- "CJ TRANSFERT" ;

Ordonne au commissaire de justice séquestre et à son expert de faire, à partir des fichiers saisis, un nouveau tri conformément aux modifications définies ci-dessus ;

Ordonne au commissaire de justice séquestre et à son expert de faire, à partir des éléments issus de ce nouveau tri, un tri supplémentaire ayant pour but de supprimer les doublons, chaque pièce issue des nouvelles opérations de tri étant identifiée par une numérotation distincte ;

Ordonne au commissaire de justice séquestre de dresser procès-verbal de ces nouvelles opérations de tri, donnant le nombre et le type des éléments issus de celles-ci et d'en donner copie aux conseils des parties afin de leur permettre d'en tirer toute conséquence dans l'instance en mainlevée du séquestre ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

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