CA Rouen, ch. soc., 23 octobre 2025, n° 24/02715
ROUEN
Autre
Autre
N° RG 24/02715 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JXEG
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Juin 2024
APPELANTES :
Madame [R] [U] prise en sa qualité de liquidateur amiable de la SCM DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 2]
[Localité 9]
Madame [E] [S] prise en sa qualité de liquidateur amiable de la SCM DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 3]
[Localité 10]
S.C.M. DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentées par Me Valérie GRAY, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Madame [M] [Y] [I]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Olivier BODINEAU de la SCP SILIE VERILHAC ET ASSOCIES SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Sophia ABDOU, avocat au barreau de ROUEN
Association AGS (CGEA DE [Localité 12])
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L'AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 Septembre 2025 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame KARAM, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
***
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme [D] [T] (la salariée) a été engagée par la société dentaire de la vallée du Cailly (la société ou l'employeur) dans le cadre d'un contrat de professionnalisation à durée déterminée du 3 juin 2021 au 7 octobre 2022.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cabinets dentaires.
Par lettre du 4 octobre 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 7 octobre suivant en vue de la rupture de son contrat avec mise à pied conservatoire.
L'entretien a été reporté au 21 octobre 2021.
Par requête du 5 novembre 2021, Mme [D] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de son employeur.
La société a notifié à Mme [D] [T] la rupture anticipée de son contrat pour faute grave par lettre du 19 novembre 2021 reprochant à cette dernière l'existence de comportements agressifs à l'égard d'une collègue, son comportement inadapté vis-à-vis de la patientèle.
La société comptait moins de 11 salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Par décision du 22 juin 2022, la société a fait l'objet d'une dissolution amiable et par décision du 28 septembre 2022, Mmes [U] et [S] ont été désignées liquidatrices.
Par requête du 21 février 2022, Mme [D] [T] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement.
Par décision du 14 décembre 2023, le conseil des prud'hommes a prononcé la radiation du rôle des affaires enregistrées sous les numéros RG 21/00714 et RG 22/0096.
Mme [D] [T] a procédé à la réinscription des dossiers.
Par jugement du 20 juin 2024, le conseil de prud'hommes de Rouen a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] aux torts exclusifs de la société dentaire de la vallée du Cailly prise en la personne des liquidateurs amiables, Mmes [U] et [S],
- déclaré la procédure de rupture anticipée du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] irrégulière,
- qualifié la mise à pied conservatoire comme étant une sanction disciplinaire,
- déclaré le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, Mmes [U] et [S], solidairement entre elles, à payer à Mme [D] [T] les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture : 16 271 ,59 euros,
indemnité de préavis : 777,30 euros,
indemnité de congés payés : 77,73 euros,
rappel de mise à pied : 2 383,73 euros,
congés payés y afférents : 238,37 euros,
heures supplémentaires : 773, 87 euros,
congés payés afférents : 77,38 euros,
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly à remettre à Mme [D] [T] la totalité des documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour passé un délai d'un mois après notification du jugement,
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, à verser à Mme [D] [T] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté Mme [D] [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice économique et financier sur la période de mise à pied, d'indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de dommages et intérêts eu égard aux circonstances de la rupture,
- débouté la société dentaire de la vallée du Cailly de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Le 25 juillet 2024, la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs Mmes [U] et [S], a interjeté appel de ce jugement.
L'association Ags Cgea de [Localité 12] a constitué avocat par voie électronique le 19 août 2024.
Mme [D] [T] a constitué avocat par voie électronique le 29 août 2024.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 24 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, Mmes [U] et [S], demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [D] [T] de ses demandes, de statuer à nouveau et de:
- juger la demande de résiliation judiciaire du contrat de professionnalisation irrecevable et infondée,
- juger la rupture anticipée du contrat de professionnalisation fondée,
En conséquence,
- débouter Mme [D] [T] de ses demandes financières subséquentes, à savoir :
dommages et intérêts en raison de l'illégitimité de la rupture anticipée du contrat de professionnalisation : 18 655,32 euros,
l'indemnité de préavis : 777,30 euros,
congés payés y afférents : 77,73 euros,
rappel de mise à pied à titre conservatoire : 2 383,73 euros,
congés payés y afférents : 238,37 euros,
dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail : 5 000 euros,
- juger que Mme [D] [T] n'a pas effectué d'heures supplémentaires,
En conséquence,
- débouter Mme [D] [T] de ses demandes financières subséquentes, à
savoir :
rappel de salaire pour heures supplémentaires : 2 442,95 euros,
congés y afférents : 244,29 euros,
indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 9 327,66 euros,
- débouter Mme [D] [T] de sa demande de paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [D] [T] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction est requise au profit de la Selarl Gray Scolan.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 17 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, Mme [D] [T] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société, déclaré la procédure de rupture anticipée du contrat irrégulière, qualifié la mise à pied comme une sanction disciplinaire, déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société dentaire à lui verser diverses sommes, ainsi qu'en ce qu'il a condamné la société à la remise de documents de fin de contrat sous astreinte,
- la recevoir en son appel incident,
- infirmer le jugement pour le surplus, et :
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, à lui payer les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour préjudice économique et financier sur la période de mise à pied à titre conservatoire : 3 000 euros,
indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 9 327,66 euros,
dommages et intérêts compte-tenu des circonstances particulièrement vexatoires de la rupture intervenue : 5 000 euros,
En tout état de cause,
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses liquidateurs amiables Mmes [U] et [S] à lui remettre ses documents de fin de contrat de travail rectifiés, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour et par document dans la limite de 90 jours,
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses
liquidateurs amiables, à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer la décision à intervenir commune et opposable à l'Ags [Adresse 11],
- débouter la société dentaire de la vallée du Cailly de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, l'association Ags Cgea de [Localité 12] demande à la cour de :
- la mettre hors de cause, la garantie Ags n'étant pas acquise,
- débouter toute partie en ce qu'elle présente des demandes à son encontre,
- statuer ce que de droit quant à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens, frais d'instance et astreintes, sans qu'ils puissent être mis à sa charge.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 août 2025 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 11 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'exécution du contrat de travail
1.1/ Sur les heures supplémentaires
La salariée soutient avoir réalisé 55 heures supplémentaires non rémunérées entre juin et septembre 2021.
Elle indique avoir alerté son employeur dès août 2021 sur la réalisation d'heures supplémentaires non réglées.
Les liquidatrices ès qualités concluent au débouté de la demande. Elles indiquent que la salariée n'a jamais sollicité le paiement d'heures supplémentaires avant sa convocation à un entretien préalable. Elles contestent la réalisation de ces heures indiquant qu'il appartenait à la salariée de respecter les horaires mentionnés sur son contrat de travail et précisent que ceux-ci correspondaient aux heures d'ouverture et de fermeture du cabinet dentaire, ce qui rendait impossible la réalisation d'heures supplémentaires.
Sur ce ;
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1, de l'article L. 3171-3 et de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Les heures supplémentaires doivent avoir été réalisées selon les instructions de l'employeur ou du moins avec l'accord, même implicite, de celui-ci. A défaut d'un tel accord le salarié ne peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires que s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
Le salarié qui, pendant la durée de son contrat de travail, ne formule pas de demande spécifique à l'employeur en paiement d'heures supplémentaires, ne renonce pas pour autant à son droit de les réclamer, dans la limite de la prescription de l'article L.3245-1 du code du travail.
Au soutien de sa demande, la salariée verse aux débats:
- des tableaux détaillés concernant les mois de juin à septembre 2021 faisant apparaître ses heures quotidiennes de prise de poste et de départ, sa durée quotidienne de travail, le nombre d'heures supplémentaires effectuées chaque mois,
- la copie d'un mail en date du 2 août 2021 adressé à son employeur aux termes duquel elle indique notamment ne pas être rémunérée des heures de travail accomplies après 19h, bénéficier d'une pause repas limitée à 15 minutes, avoir effectué une garde d'une durée de 9 heures le dimanche 1er août 2021,
- la copie du courrier adressé à son employeur le 6 octobre 2021 aux termes duquel elle sollicite le paiement de 55 heures supplémentaires ainsi que la majoration des heures effectuées le dimanche 1er août 2021,
- la copie de ses bulletins de paie.
La salariée présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.
En réponse, l'employeur conteste la valeur probante des tableaux produits par la salariée, rappelle que son contrat de travail mentionnait une durée de travail de 35 heures et précisait des horaires de travail correspondant aux heures d'ouverture et de fermeture du cabinet dentaire précisant qu'il était d'usage que les assistantes dentaires quittent le cabinet après le dernier patient puisqu'elles procédaient à l'encaissement et à la désinfection de la salle de soins.
L'employeur verse aux débats la liste des tâches à accomplir par l'assistante dentaire.
Il précise que si la salariée a accompli des heures supplémentaires, cela ne pouvait être à la demande des dentistes qui n'avaient pas connaissance de celles-ci.
Au regard de ces éléments, la cour constate que les liquidatrices ès qualités ne produisent pas d'éléments relatifs aux horaires effectivement réalisés par la salariée.
Il n'est pas contesté que la durée contractuelle de travail de la salariée était fixée à 35 heures par semaine.
L'employeur ne peut légitimement soutenir ne pas avoir donné son accord implicite à la réalisation de ces heures en ce qu'il ressort de la lecture du mail de la salariée du 2 août 2021 et de sa réception qu'il était parfaitement informé de l'amplitude de travail de Mme [D] [T].
Il ressort en outre des éléments produits et des propres déclarations de l'employeur que la réalisation de ces heures supplémentaires a été rendue nécessaire par les tâches qui ont été confiées à la salariée en ce qu'il appartenait à cette dernière de quitter le cabinet après le départ du dernier patient.
Ainsi, eu égard aux éléments versés de part et d'autre, par confirmation du jugement entrepris, il sera fait droit au principe et au quantum de la demande formée par Mme [D] [T] pour la période comprise entre juin et septembre 2021.
1.2/ Sur le travail dissimulé
La salariée indique avoir débuté son activité au sein du cabinet dentaire le 3 juin 2021 alors que son contrat de travail n'a été régularisé que le 10 juin suivant. En outre, elle considère qu'en ne lui rémunérant pas les heures supplémentaires effectuées, son employeur a souhaité s'affranchir de ses obligations et s'est rendu coupable de l'infraction de travail dissimulé.
Les liquidatrices ès qualités soutiennent que la salariée procède uniquement par voie d'allégations. Elles indiquent que le contrat de professionnalisation prévoyait expressément un début de contrat au 3 juin 2021, justifiant avoir procédé à la déclaration d'embauche de la salariée dès le 1er juin 2021 et précisant que la fiche de paie de juin 2021 fait bien état d'une période d'emploi débutant le 3 juin 2021.
Elles contestent la réalisation d'heures supplémentaires non rémunérées par la salariée et constatent que cette dernière ne démontre pas l'intention frauduleuse de l'employeur.
Sur ce ;
En application de l'article L8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L1221-10 du code du travail relatif à la déclaration préalable à l'embauche ou à l'article L3243-2 du code du travail relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail.
Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.
L'attribution par une juridiction au salarié d'heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.
En l'espèce, il ressort des éléments produits que le contrat de professionnalisation de la salariée versé aux débats, s'il a été signé le 10 juin 2021, mentionne un début de contrat au 3 juin 2021 et que le bulletin de paie de juin 2021 produit par la salariée stipule une période d'emploi du 3 au 30 juin 2021, de sorte que l'intimée ne peut légitimement soutenir qu'elle a débuté son activité antérieurement à la date mentionnée au sein du contrat de travail.
Il ne résulte pas des pièces versées aux débats et compte tenu du désaccord entre les parties quant au calcul du nombre d'heures effectuées par la salariée, que c'est sciemment que l'employeur a omis de lui payer des heures supplémentaires.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de débouter la salariée de sa demande au titre du travail dissimulé.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
En cas d'action en résiliation judiciaire suivie en cours d'instance d'un licenciement, l'examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l'employeur se trouve privé d'effet. L'examen de la légitimité du licenciement n'a donc lieu d'être opéré qu'en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 5 novembre 2021, soit antérieurement à la date d'échéance du contrat et antérieurement au prononcé de son licenciement le 19 novembre 2021, de sorte que sa demande est recevable et qu'il appartient à la cour d'examiner en premier lieu cette demande.
Le juge doit apprécier la réalité et la gravité des faits allégués et si la résiliation judiciaire est prononcée, il y a lieu d'en faire remonter les effets à la date à laquelle la collaboration a cessé.
2.1/ Sur la demande de résiliation judiciaire
Au soutien de sa demande, la salariée invoque le non paiement des heures supplémentaires, la durée excessive de la mise à pied conservatoire ainsi que le recours au travail dissimulé.
Les liquidatrices ès qualités contestent la réalité des manquements invoqués. Elles rappellent que le contrat de travail étant un contrat à durée déterminée, la résiliation de celui-ci ne peut être prononcée qu'à la condition de démontrer l'existence d'une faute grave, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur ce ;
Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie.
Il appartient au salarié d'apporter la preuve des manquements invoqués.
Le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant terme que pour faute grave ou force majeure et le juge, saisi d'une action en résiliation judiciaire, ne peut la prononcer que pour l'une de ces deux causes.
En l'espèce, il a été précédemment jugé d'une part que la salariée n'avait pas été remplie de ses droits au titre des heures supplémentaires réalisées et, d'autre part, que l'employeur ne s'était pas rendu coupable de travail dissimulé.
Le non règlement des heures supplémentaires effectuées caractérise une faute grave de l'employeur, un manquement d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur au regard notamment du nombre d'heures supplémentaires effectuées au cours de la brève relation contractuelle et du fait que la salariée était partiellement scolarisée.
En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le manquement allégué relatif à la durée excessive de la mise à pied à titre conservatoire prononcée, il y a lieu de prononcer la rupture anticipée du contrat de travail aux torts de l'employeur et d'en fixer les effets à la date du prononcé du licenciement, soit le 19 novembre 2021.
2.2/ Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail
L'article L. 1243-4 du code du travail dispose notamment que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.
La réparation ainsi fixée est une réparation forfaitaire minimale, indépendante du préjudice réellement subi par le salarié, qui ne peut subir de réduction. Cependant, elle ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse allouer une indemnisation supérieure ou complémentaire.
En l'espèce, la salariée sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a fait droit à sa demande en condamnant la société à lui verser la somme de 16 271,59 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture outre 2 383,73 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied injustifiée augmentée de 238,37 euros au titre des congés payés afférents.
La somme allouée au titre de la réparation a cependant une nature indemnitaire et n'ouvre pas droit à des congés payés.
En l'espèce, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 4 octobre 2021.
Le terme de son contrat de professionnalisation était fixé au 7 octobre 2022.
Son salaire brut mensuel était de 1 554,61 euros.
La salariée peut prétendre à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat, soit une somme équivalente à 11 mois de salaire.
En conséquence, il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, d'accorder à la salariée la somme de 17 100,71 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture du contrat de travail et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaire et congés payés afférents.
La salariée avait acquis une ancienneté inférieure à six mois à la date de la rupture du contrat de travail. Elle ne peut en conséquence prétendre au versement d'une indemnité de préavis en application de l'article L 1234-1 du code du travail étant constaté qu'elle ne se prévaut d'aucune disposition conventionnelle spécifique.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice économique et financier subi pendant la période de mise à pied conservatoire
La salariée, qui rappelle avoir été mise à pied à titre conservatoire du 4 octobre au 19 novembre 2021, soit pendant 46 jours, soutient qu'elle a subi un préjudice financier en ce qu'elle a été privée de ressources pendant toute cette période. Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a requalifié cette mesure en sanction disciplinaire et sollicite la condamnation de son employeur au paiement de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Les liquidatrices ès qualités concluent au débouté de la demande. Elles indiquent que la durée de la mesure n'est limitée ni par les textes ni par la jurisprudence ; qu'en l'espèce, l'indication du caractère conservatoire de la mise à pied a été rappelée sur les convocations des 4 et 7 octobre 2021 et que la notification de la mise à pied a été concomitante à l'enclenchement de la procédure de rupture anticipée du contrat de professionnalisation.
Sur ce ;
La mise à pied conservatoire est une mesure d'urgence destinée à éloigner le salarié de l'entreprise et à permettre à l'employeur de disposer du temps nécessaire au choix de la sanction disciplinaire appropriée aux faits fautifs. Contrairement à la mise à pied disciplinaire , elle n'a pas pour objet de sanctionner le salarié et elle doit être d'une durée raisonnable.
Pour que la mise à pied conserve son caractère conservatoire, il faut que la procédure disciplinaire soit engagée de manière concomitante. La mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire. Lorsque sa durée est excessive, la mise à pied conservatoire constitue en réalité une sanction.
En l'espèce, 17 jours ont séparé la notification de la mise à pied à titre conservatoire (4 octobre 2021) de la date de l'entretien préalable (21 octobre 2021) sans que la société ne justifie de l'organisation de mesures d'investigation durant ce délai.
De plus, le licenciement n'a été notifié à la salariée que 29 jours après l'entretien préalable (19 novembre 2021), soit 46 jours après sa mise à pied conservatoire, sans que les appelantes ne justifient de la nécessité d'un tel délai.
Dès lors, c'est par de justes motifs que les premiers juges ont requalifié la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire.
La salariée, qui a été privée de ressources pendant 46 jours a subi un préjudice distinct de celui réparé précédemment qu'il convient de réparer par l'octroi de 1 000 euros de dommages et intérêts.
4/ Sur la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail
Le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère abusif et vexatoire de la procédure.
Il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.
En l'espèce, la salariée, à l'initiative de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de sa demande.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de l'en débouter.
5/ Sur la garantie de l'Ags
L'assurance prévue à l'article L. 3253-6 du code du travail ne couvrant le risque de non-paiement des sommes dues aux salariés en exécution d'un contrat de travail, dans les conditions énoncées aux articles L. 3253-2 à L. 3253-21 de ce code, qu'en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du même code n'ont pas à être mises en cause devant la juridiction prud'homale en vue de la garantie de telles sommes dues par une société en liquidation après une décision judiciaire de dissolution prise sur le fondement de l'article 1844-7 5° du code civil.
En conséquence, la société ayant été dissoute en application de l'article 1844-7 du code civil, il y a lieu de mettre hors de cause l'Ags Cgea de [Localité 12].
6/ Sur la remise des documents de fin de contrat
Il sera ordonné la remise par les liquidatrices ès qualités à la salariée des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt , sans que le prononcé d'une astreinte soit nécessaire à ce stade de la procédure.
7/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [D] [T] les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer. Il convient en l'espèce de mettre à la charge de l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des appelantes les frais irrépétibles exposés par elles.
Il y a également lieu de fixer au passif de la société appelante les dépens d'appel et de confirmer la condamnation de l'employeur aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 20 juin 2024 sauf en ce qu'il a accordé à Mme [D] [T] un rappel de salaire et congés payés au titre des heures supplémentaires, en ce qu'il a requalifié la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire, en ce qu'il a débouté Mme [D] [T] de ses demandes au titre du travail dissimulé et au titre des circonstances de la rupture, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et au dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Prononce la rupture anticipée du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] pour faute grave de la société dentaire de la vallée du Cailly au 19 novembre 2021 ;
Fixe au passif de la liquidation de la société dentaire de la vallée du Cailly les sommes suivantes dues à Mme [M] [Y] [D] [T] :
- 17 100,71 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture du contrat de travail,
- 1 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi à raison de la durée excessive de la mise à pied,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Ordonne la mise hors de cause de l'Ags délégation Cgea de [Localité 12] ;
Ordonne la remise à Mme [M] [Y] [D] [T] des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que les dépens d'appel seront fixés au passif de la liquidation de la société dentaire de la vallée du Cailly.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Juin 2024
APPELANTES :
Madame [R] [U] prise en sa qualité de liquidateur amiable de la SCM DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 2]
[Localité 9]
Madame [E] [S] prise en sa qualité de liquidateur amiable de la SCM DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 3]
[Localité 10]
S.C.M. DENTAIRE DE LA VALLEE DU CAILLY
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentées par Me Valérie GRAY, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Madame [M] [Y] [I]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Olivier BODINEAU de la SCP SILIE VERILHAC ET ASSOCIES SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Sophia ABDOU, avocat au barreau de ROUEN
Association AGS (CGEA DE [Localité 12])
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L'AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 Septembre 2025 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame KARAM, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
***
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme [D] [T] (la salariée) a été engagée par la société dentaire de la vallée du Cailly (la société ou l'employeur) dans le cadre d'un contrat de professionnalisation à durée déterminée du 3 juin 2021 au 7 octobre 2022.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cabinets dentaires.
Par lettre du 4 octobre 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 7 octobre suivant en vue de la rupture de son contrat avec mise à pied conservatoire.
L'entretien a été reporté au 21 octobre 2021.
Par requête du 5 novembre 2021, Mme [D] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de son employeur.
La société a notifié à Mme [D] [T] la rupture anticipée de son contrat pour faute grave par lettre du 19 novembre 2021 reprochant à cette dernière l'existence de comportements agressifs à l'égard d'une collègue, son comportement inadapté vis-à-vis de la patientèle.
La société comptait moins de 11 salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Par décision du 22 juin 2022, la société a fait l'objet d'une dissolution amiable et par décision du 28 septembre 2022, Mmes [U] et [S] ont été désignées liquidatrices.
Par requête du 21 février 2022, Mme [D] [T] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement.
Par décision du 14 décembre 2023, le conseil des prud'hommes a prononcé la radiation du rôle des affaires enregistrées sous les numéros RG 21/00714 et RG 22/0096.
Mme [D] [T] a procédé à la réinscription des dossiers.
Par jugement du 20 juin 2024, le conseil de prud'hommes de Rouen a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] aux torts exclusifs de la société dentaire de la vallée du Cailly prise en la personne des liquidateurs amiables, Mmes [U] et [S],
- déclaré la procédure de rupture anticipée du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] irrégulière,
- qualifié la mise à pied conservatoire comme étant une sanction disciplinaire,
- déclaré le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, Mmes [U] et [S], solidairement entre elles, à payer à Mme [D] [T] les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture : 16 271 ,59 euros,
indemnité de préavis : 777,30 euros,
indemnité de congés payés : 77,73 euros,
rappel de mise à pied : 2 383,73 euros,
congés payés y afférents : 238,37 euros,
heures supplémentaires : 773, 87 euros,
congés payés afférents : 77,38 euros,
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly à remettre à Mme [D] [T] la totalité des documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour passé un délai d'un mois après notification du jugement,
- condamné la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, à verser à Mme [D] [T] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté Mme [D] [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice économique et financier sur la période de mise à pied, d'indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de dommages et intérêts eu égard aux circonstances de la rupture,
- débouté la société dentaire de la vallée du Cailly de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Le 25 juillet 2024, la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs Mmes [U] et [S], a interjeté appel de ce jugement.
L'association Ags Cgea de [Localité 12] a constitué avocat par voie électronique le 19 août 2024.
Mme [D] [T] a constitué avocat par voie électronique le 29 août 2024.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 24 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, Mmes [U] et [S], demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [D] [T] de ses demandes, de statuer à nouveau et de:
- juger la demande de résiliation judiciaire du contrat de professionnalisation irrecevable et infondée,
- juger la rupture anticipée du contrat de professionnalisation fondée,
En conséquence,
- débouter Mme [D] [T] de ses demandes financières subséquentes, à savoir :
dommages et intérêts en raison de l'illégitimité de la rupture anticipée du contrat de professionnalisation : 18 655,32 euros,
l'indemnité de préavis : 777,30 euros,
congés payés y afférents : 77,73 euros,
rappel de mise à pied à titre conservatoire : 2 383,73 euros,
congés payés y afférents : 238,37 euros,
dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail : 5 000 euros,
- juger que Mme [D] [T] n'a pas effectué d'heures supplémentaires,
En conséquence,
- débouter Mme [D] [T] de ses demandes financières subséquentes, à
savoir :
rappel de salaire pour heures supplémentaires : 2 442,95 euros,
congés y afférents : 244,29 euros,
indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 9 327,66 euros,
- débouter Mme [D] [T] de sa demande de paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [D] [T] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction est requise au profit de la Selarl Gray Scolan.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 17 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, Mme [D] [T] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société, déclaré la procédure de rupture anticipée du contrat irrégulière, qualifié la mise à pied comme une sanction disciplinaire, déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société dentaire à lui verser diverses sommes, ainsi qu'en ce qu'il a condamné la société à la remise de documents de fin de contrat sous astreinte,
- la recevoir en son appel incident,
- infirmer le jugement pour le surplus, et :
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses deux liquidateurs, à lui payer les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour préjudice économique et financier sur la période de mise à pied à titre conservatoire : 3 000 euros,
indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 9 327,66 euros,
dommages et intérêts compte-tenu des circonstances particulièrement vexatoires de la rupture intervenue : 5 000 euros,
En tout état de cause,
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses liquidateurs amiables Mmes [U] et [S] à lui remettre ses documents de fin de contrat de travail rectifiés, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour et par document dans la limite de 90 jours,
- condamner la société dentaire de la vallée du Cailly, prise en la personne de ses
liquidateurs amiables, à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer la décision à intervenir commune et opposable à l'Ags [Adresse 11],
- débouter la société dentaire de la vallée du Cailly de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, l'association Ags Cgea de [Localité 12] demande à la cour de :
- la mettre hors de cause, la garantie Ags n'étant pas acquise,
- débouter toute partie en ce qu'elle présente des demandes à son encontre,
- statuer ce que de droit quant à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens, frais d'instance et astreintes, sans qu'ils puissent être mis à sa charge.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 août 2025 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 11 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'exécution du contrat de travail
1.1/ Sur les heures supplémentaires
La salariée soutient avoir réalisé 55 heures supplémentaires non rémunérées entre juin et septembre 2021.
Elle indique avoir alerté son employeur dès août 2021 sur la réalisation d'heures supplémentaires non réglées.
Les liquidatrices ès qualités concluent au débouté de la demande. Elles indiquent que la salariée n'a jamais sollicité le paiement d'heures supplémentaires avant sa convocation à un entretien préalable. Elles contestent la réalisation de ces heures indiquant qu'il appartenait à la salariée de respecter les horaires mentionnés sur son contrat de travail et précisent que ceux-ci correspondaient aux heures d'ouverture et de fermeture du cabinet dentaire, ce qui rendait impossible la réalisation d'heures supplémentaires.
Sur ce ;
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1, de l'article L. 3171-3 et de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Les heures supplémentaires doivent avoir été réalisées selon les instructions de l'employeur ou du moins avec l'accord, même implicite, de celui-ci. A défaut d'un tel accord le salarié ne peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires que s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
Le salarié qui, pendant la durée de son contrat de travail, ne formule pas de demande spécifique à l'employeur en paiement d'heures supplémentaires, ne renonce pas pour autant à son droit de les réclamer, dans la limite de la prescription de l'article L.3245-1 du code du travail.
Au soutien de sa demande, la salariée verse aux débats:
- des tableaux détaillés concernant les mois de juin à septembre 2021 faisant apparaître ses heures quotidiennes de prise de poste et de départ, sa durée quotidienne de travail, le nombre d'heures supplémentaires effectuées chaque mois,
- la copie d'un mail en date du 2 août 2021 adressé à son employeur aux termes duquel elle indique notamment ne pas être rémunérée des heures de travail accomplies après 19h, bénéficier d'une pause repas limitée à 15 minutes, avoir effectué une garde d'une durée de 9 heures le dimanche 1er août 2021,
- la copie du courrier adressé à son employeur le 6 octobre 2021 aux termes duquel elle sollicite le paiement de 55 heures supplémentaires ainsi que la majoration des heures effectuées le dimanche 1er août 2021,
- la copie de ses bulletins de paie.
La salariée présente ainsi des éléments préalables suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.
En réponse, l'employeur conteste la valeur probante des tableaux produits par la salariée, rappelle que son contrat de travail mentionnait une durée de travail de 35 heures et précisait des horaires de travail correspondant aux heures d'ouverture et de fermeture du cabinet dentaire précisant qu'il était d'usage que les assistantes dentaires quittent le cabinet après le dernier patient puisqu'elles procédaient à l'encaissement et à la désinfection de la salle de soins.
L'employeur verse aux débats la liste des tâches à accomplir par l'assistante dentaire.
Il précise que si la salariée a accompli des heures supplémentaires, cela ne pouvait être à la demande des dentistes qui n'avaient pas connaissance de celles-ci.
Au regard de ces éléments, la cour constate que les liquidatrices ès qualités ne produisent pas d'éléments relatifs aux horaires effectivement réalisés par la salariée.
Il n'est pas contesté que la durée contractuelle de travail de la salariée était fixée à 35 heures par semaine.
L'employeur ne peut légitimement soutenir ne pas avoir donné son accord implicite à la réalisation de ces heures en ce qu'il ressort de la lecture du mail de la salariée du 2 août 2021 et de sa réception qu'il était parfaitement informé de l'amplitude de travail de Mme [D] [T].
Il ressort en outre des éléments produits et des propres déclarations de l'employeur que la réalisation de ces heures supplémentaires a été rendue nécessaire par les tâches qui ont été confiées à la salariée en ce qu'il appartenait à cette dernière de quitter le cabinet après le départ du dernier patient.
Ainsi, eu égard aux éléments versés de part et d'autre, par confirmation du jugement entrepris, il sera fait droit au principe et au quantum de la demande formée par Mme [D] [T] pour la période comprise entre juin et septembre 2021.
1.2/ Sur le travail dissimulé
La salariée indique avoir débuté son activité au sein du cabinet dentaire le 3 juin 2021 alors que son contrat de travail n'a été régularisé que le 10 juin suivant. En outre, elle considère qu'en ne lui rémunérant pas les heures supplémentaires effectuées, son employeur a souhaité s'affranchir de ses obligations et s'est rendu coupable de l'infraction de travail dissimulé.
Les liquidatrices ès qualités soutiennent que la salariée procède uniquement par voie d'allégations. Elles indiquent que le contrat de professionnalisation prévoyait expressément un début de contrat au 3 juin 2021, justifiant avoir procédé à la déclaration d'embauche de la salariée dès le 1er juin 2021 et précisant que la fiche de paie de juin 2021 fait bien état d'une période d'emploi débutant le 3 juin 2021.
Elles contestent la réalisation d'heures supplémentaires non rémunérées par la salariée et constatent que cette dernière ne démontre pas l'intention frauduleuse de l'employeur.
Sur ce ;
En application de l'article L8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L1221-10 du code du travail relatif à la déclaration préalable à l'embauche ou à l'article L3243-2 du code du travail relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail.
Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.
L'attribution par une juridiction au salarié d'heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.
En l'espèce, il ressort des éléments produits que le contrat de professionnalisation de la salariée versé aux débats, s'il a été signé le 10 juin 2021, mentionne un début de contrat au 3 juin 2021 et que le bulletin de paie de juin 2021 produit par la salariée stipule une période d'emploi du 3 au 30 juin 2021, de sorte que l'intimée ne peut légitimement soutenir qu'elle a débuté son activité antérieurement à la date mentionnée au sein du contrat de travail.
Il ne résulte pas des pièces versées aux débats et compte tenu du désaccord entre les parties quant au calcul du nombre d'heures effectuées par la salariée, que c'est sciemment que l'employeur a omis de lui payer des heures supplémentaires.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de débouter la salariée de sa demande au titre du travail dissimulé.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
En cas d'action en résiliation judiciaire suivie en cours d'instance d'un licenciement, l'examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l'employeur se trouve privé d'effet. L'examen de la légitimité du licenciement n'a donc lieu d'être opéré qu'en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 5 novembre 2021, soit antérieurement à la date d'échéance du contrat et antérieurement au prononcé de son licenciement le 19 novembre 2021, de sorte que sa demande est recevable et qu'il appartient à la cour d'examiner en premier lieu cette demande.
Le juge doit apprécier la réalité et la gravité des faits allégués et si la résiliation judiciaire est prononcée, il y a lieu d'en faire remonter les effets à la date à laquelle la collaboration a cessé.
2.1/ Sur la demande de résiliation judiciaire
Au soutien de sa demande, la salariée invoque le non paiement des heures supplémentaires, la durée excessive de la mise à pied conservatoire ainsi que le recours au travail dissimulé.
Les liquidatrices ès qualités contestent la réalité des manquements invoqués. Elles rappellent que le contrat de travail étant un contrat à durée déterminée, la résiliation de celui-ci ne peut être prononcée qu'à la condition de démontrer l'existence d'une faute grave, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur ce ;
Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie.
Il appartient au salarié d'apporter la preuve des manquements invoqués.
Le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant terme que pour faute grave ou force majeure et le juge, saisi d'une action en résiliation judiciaire, ne peut la prononcer que pour l'une de ces deux causes.
En l'espèce, il a été précédemment jugé d'une part que la salariée n'avait pas été remplie de ses droits au titre des heures supplémentaires réalisées et, d'autre part, que l'employeur ne s'était pas rendu coupable de travail dissimulé.
Le non règlement des heures supplémentaires effectuées caractérise une faute grave de l'employeur, un manquement d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur au regard notamment du nombre d'heures supplémentaires effectuées au cours de la brève relation contractuelle et du fait que la salariée était partiellement scolarisée.
En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le manquement allégué relatif à la durée excessive de la mise à pied à titre conservatoire prononcée, il y a lieu de prononcer la rupture anticipée du contrat de travail aux torts de l'employeur et d'en fixer les effets à la date du prononcé du licenciement, soit le 19 novembre 2021.
2.2/ Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail
L'article L. 1243-4 du code du travail dispose notamment que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.
La réparation ainsi fixée est une réparation forfaitaire minimale, indépendante du préjudice réellement subi par le salarié, qui ne peut subir de réduction. Cependant, elle ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse allouer une indemnisation supérieure ou complémentaire.
En l'espèce, la salariée sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a fait droit à sa demande en condamnant la société à lui verser la somme de 16 271,59 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture outre 2 383,73 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied injustifiée augmentée de 238,37 euros au titre des congés payés afférents.
La somme allouée au titre de la réparation a cependant une nature indemnitaire et n'ouvre pas droit à des congés payés.
En l'espèce, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 4 octobre 2021.
Le terme de son contrat de professionnalisation était fixé au 7 octobre 2022.
Son salaire brut mensuel était de 1 554,61 euros.
La salariée peut prétendre à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat, soit une somme équivalente à 11 mois de salaire.
En conséquence, il y a lieu, par infirmation du jugement entrepris, d'accorder à la salariée la somme de 17 100,71 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture du contrat de travail et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaire et congés payés afférents.
La salariée avait acquis une ancienneté inférieure à six mois à la date de la rupture du contrat de travail. Elle ne peut en conséquence prétendre au versement d'une indemnité de préavis en application de l'article L 1234-1 du code du travail étant constaté qu'elle ne se prévaut d'aucune disposition conventionnelle spécifique.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice économique et financier subi pendant la période de mise à pied conservatoire
La salariée, qui rappelle avoir été mise à pied à titre conservatoire du 4 octobre au 19 novembre 2021, soit pendant 46 jours, soutient qu'elle a subi un préjudice financier en ce qu'elle a été privée de ressources pendant toute cette période. Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a requalifié cette mesure en sanction disciplinaire et sollicite la condamnation de son employeur au paiement de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Les liquidatrices ès qualités concluent au débouté de la demande. Elles indiquent que la durée de la mesure n'est limitée ni par les textes ni par la jurisprudence ; qu'en l'espèce, l'indication du caractère conservatoire de la mise à pied a été rappelée sur les convocations des 4 et 7 octobre 2021 et que la notification de la mise à pied a été concomitante à l'enclenchement de la procédure de rupture anticipée du contrat de professionnalisation.
Sur ce ;
La mise à pied conservatoire est une mesure d'urgence destinée à éloigner le salarié de l'entreprise et à permettre à l'employeur de disposer du temps nécessaire au choix de la sanction disciplinaire appropriée aux faits fautifs. Contrairement à la mise à pied disciplinaire , elle n'a pas pour objet de sanctionner le salarié et elle doit être d'une durée raisonnable.
Pour que la mise à pied conserve son caractère conservatoire, il faut que la procédure disciplinaire soit engagée de manière concomitante. La mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire. Lorsque sa durée est excessive, la mise à pied conservatoire constitue en réalité une sanction.
En l'espèce, 17 jours ont séparé la notification de la mise à pied à titre conservatoire (4 octobre 2021) de la date de l'entretien préalable (21 octobre 2021) sans que la société ne justifie de l'organisation de mesures d'investigation durant ce délai.
De plus, le licenciement n'a été notifié à la salariée que 29 jours après l'entretien préalable (19 novembre 2021), soit 46 jours après sa mise à pied conservatoire, sans que les appelantes ne justifient de la nécessité d'un tel délai.
Dès lors, c'est par de justes motifs que les premiers juges ont requalifié la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire.
La salariée, qui a été privée de ressources pendant 46 jours a subi un préjudice distinct de celui réparé précédemment qu'il convient de réparer par l'octroi de 1 000 euros de dommages et intérêts.
4/ Sur la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail
Le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère abusif et vexatoire de la procédure.
Il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.
En l'espèce, la salariée, à l'initiative de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de sa demande.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de l'en débouter.
5/ Sur la garantie de l'Ags
L'assurance prévue à l'article L. 3253-6 du code du travail ne couvrant le risque de non-paiement des sommes dues aux salariés en exécution d'un contrat de travail, dans les conditions énoncées aux articles L. 3253-2 à L. 3253-21 de ce code, qu'en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du même code n'ont pas à être mises en cause devant la juridiction prud'homale en vue de la garantie de telles sommes dues par une société en liquidation après une décision judiciaire de dissolution prise sur le fondement de l'article 1844-7 5° du code civil.
En conséquence, la société ayant été dissoute en application de l'article 1844-7 du code civil, il y a lieu de mettre hors de cause l'Ags Cgea de [Localité 12].
6/ Sur la remise des documents de fin de contrat
Il sera ordonné la remise par les liquidatrices ès qualités à la salariée des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt , sans que le prononcé d'une astreinte soit nécessaire à ce stade de la procédure.
7/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [D] [T] les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer. Il convient en l'espèce de mettre à la charge de l'employeur, appelant succombant dans la présente instance, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des appelantes les frais irrépétibles exposés par elles.
Il y a également lieu de fixer au passif de la société appelante les dépens d'appel et de confirmer la condamnation de l'employeur aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 20 juin 2024 sauf en ce qu'il a accordé à Mme [D] [T] un rappel de salaire et congés payés au titre des heures supplémentaires, en ce qu'il a requalifié la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire, en ce qu'il a débouté Mme [D] [T] de ses demandes au titre du travail dissimulé et au titre des circonstances de la rupture, en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et au dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Prononce la rupture anticipée du contrat de professionnalisation de Mme [D] [T] pour faute grave de la société dentaire de la vallée du Cailly au 19 novembre 2021 ;
Fixe au passif de la liquidation de la société dentaire de la vallée du Cailly les sommes suivantes dues à Mme [M] [Y] [D] [T] :
- 17 100,71 euros à titre de dommages et intérêts pour illégitimité de la rupture du contrat de travail,
- 1 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi à raison de la durée excessive de la mise à pied,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Ordonne la mise hors de cause de l'Ags délégation Cgea de [Localité 12] ;
Ordonne la remise à Mme [M] [Y] [D] [T] des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que les dépens d'appel seront fixés au passif de la liquidation de la société dentaire de la vallée du Cailly.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE