Livv
Décisions

CA Limoges, ch. soc., 23 octobre 2025, n° 24/00528

LIMOGES

Arrêt

Autre

CA Limoges n° 24/00528

23 octobre 2025

ARRET N° .

N° RG 24/00528 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BISY5

AFFAIRE :

Mme [V] [T] Madame [V] [T], née le 3 février 1956 à [Localité 9] (57), de nationalité française, domiciliée [Adresse 1].

C/

S.A.S. LT INSTITUT

OJLG

Demande en paiement du prix et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

Grosse délivrée à Me Dorothée [U], Me Philippe CHABAUD, le 23-10-25

COUR D'APPEL DE LIMOGES

Chambre sociale

---==oOo==---

ARRET DU 23 OCTOBRE 2025

---===oOo===---

Le VINGT TROIS OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:

ENTRE :

Madame [V] [T] née le 03 Février 1956 à [Localité 9] (57), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe CHABAUD de la SELARL SELARL CHAGNAUD CHABAUD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIMOGES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-006804 du 09/07/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 7])

APPELANTE d'une décision rendue le 17 JUIN 2024 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES

ET :

S.A.S. LT INSTITUT, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Dorothée LEBOUC, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

---==oO§Oo==---

Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 01 Septembre 2025. L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juillet 2025.

La Cour étant composée de Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, de Madame Géraldine VOISIN et de Madame Marianne PLENACOSTE, Conseillers, assistées de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, a été entendue en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 23 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

---==oO§Oo==---

LA COUR

---==oO§Oo==---

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [V] [T] exploitait un fonds de commerce d'institut de beauté, de bien-être et de centre minceur situé au [Adresse 3] sous l'enseigne 'A fleur de peau'., créé le 31 janvier 2007 et immatriculé au RCS de [Localité 7] sous le numéro 493655278.

Par acte sous seings privés du 30 novembre 2022, Mme [V] [T] a cédé à la Société LT Institut, représentée par Mme [P] [X], le fonds de commerce susvisé, à effet au 1er décembre 2022, moyennant un prix de 60.283,70 €.

Mme [X] est également gérante d'une société L'Or Institut, exploitant deux instituts de beauté situés l'un à [Localité 6] et l'autre à [Localité 10].

Au terme de l'acte de cession, il a été convenu :

du transfert à la société LT Institut de plusieurs contrats de crédit-bails portant sur les matériels suivants utilisés par le fonds : un LPG, un laser Stella Corpoderm, et un appareil endermolift visage LPG, pour une valeur de 6.500 €,

la reprise en stock des marchandises listées en annexe 9, pour une valeur de 283,70 €,

l'engagement de Mme [T] à ne pas exercer d'activité concurrente dans un secteur de 25km autour du fonds vendu, pour une durée de trois ans, à l'exception d'une activité de soins énergétiques (du type bols ou chi nei tsang).

Le prix de cession a été séquestré amiablement entre les mains de la société d'avocats Carmes Conseils jusqu'à expiration des délais d'opposition

Une partie des fonds a été débloquée, laissant consignée la somme de 55.000 €.

Le 03 février 2023, Mme [I], salariée du fonds cédé depuis le 04 avril 2012, a démissionné de son poste, en dénonçant des conditions de travail détériorées et un harcèlement moral à son encontre.

Par lettre de son conseil du 10 février 2023, la société LT Institut a sollicité que le séquestre ne se désaississe pas du prix de cession à l'issue des délais d'opposition, à titre conservatoire, arguant de ce que Mme [T] aurait détourné sa clientèle ce dont il aurait résulté un chiffre d'affaires quasi-inexistant.

Mme [T] a contesté ces allégations par courrier du 1er mars 2023, et mis en cause la gestion du fonds de commerce par la société LT Institut depuis sa reprise.

Elle a accepté le maintien en consignation d'une somme de 10.000 €, mais a refusé le maintien en consignation des 45.000 € restants, nécessaires au remboursement des encours bancaires, dont prêts garantis par l'Etat, souscrits par elle pour l'exploitation du fonds cédé.

En conséquence, la société LT Institut a saisi le tribunal de commerce de [8] par exploit du 28 mars 2023 pour ordonner la consignation en référé de la totalité du prix de cession.

Parallèlement, par exploit du même jour, la société LT Institut a saisi le tribunal de commerce de [8] sur le fondement de la garantie d'éviction, afin de faire condamner Mme [T] à lui verser la somme de 60.283,70 €, outre 5.000 € de dommages et intérêts.

Par ordonnance de référé du 30 juin 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Limoges a constaté que la demande de séquestre était devenue sans objet, le prix de cession ayant été rétrocédé avant l'audience.

Par jugement du 17 juin 2024, le tribunal de commerce de Limoges a :

Débouté la société LT INSTITUT, de sa demande formée au titre de la garantie d'éviction,

Enjoint Mme [T] à cesser immédiatement l'accomplissement de toutes activités concurrentes hors soins énergétiques, sous astreinte de 200 € par jour de retard, passé le délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement,

Condamné Mme [T] à verser à la SAS LT INSTITUT la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices en raison de l'attitude déloyale de la cédante,

Puis vu le calendrier des loyers au titre du contrat de crédit-bail signé avec la BNP PARIBAS tel q'annexé à l'acte de cession,

Vu l'avenant signé par Mme [T] le 26 mai 2020 rallongeant de 6 mois la durée du contrat, non porté à la connaissance du cessionnaire au jour de la cession,

Condamné Mme [T] à verser à la SAS LT INSTITUT la somme de 2 581,30 euros en réparation de son préjudice économique lié au paiement de 6 échéances complémentaires du contrat de crédit-bail,

Débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

Condamné Mme [T] a verser à la SAS LT INSTITUT la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'à supporter les. entiers dépens de l'instance dont le coût de la présente décision liquidé à la somme de 60,22 euros dont 10,04 euros de TVA.

Par déclaration du 11 juillet 2024, Mme [T] a fait appel de ce jugement.

Par ordonnance du 19 février 2025, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation de l'affaire du rôle de la Cour, en l'absence d'exécution provisoire du jugement entrepris par l'appelante.

Le 10 avril 2025, Mme [T] a justifié du versement des condamnations mises à sa charge à titre provisoire par le biais de son conseil, et l'affaire a été fixée pour l'audience du 1er septembre 2025.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures du 18 juillet 2025, Mme [T] demande à la cour de :

Faisant droit à l'appel de Mme [V] [T], DECLARE recevable.

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société LT INSTITUT de sa demande formée au titre de la garantie d'éviction.

Réformer, pour le surplus, intégralement le jugement entrepris

Et, statuant à nouveau,

Débouter la Société LT INSTITUT de l'ensemble de ses demandes, [5] mal fondées.

Débouter la Société LT INSTITUT de son appel incident, [4] mal fondé

Condamner la Société LT INSTITUT à verser à Madame [V] [T] une indemnité de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, en accordant pour ces derniers à Maître Philippe CHABAUD, Avocat, le bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 08/03/2001 devront être supportées par le défendeur, en plus de l'indemnité mise à sa charge, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Mme [T] soutient que la société LT Institut n'a pas été évincée. Au contraire, elle a oeuvré afin que le changement de propriétaire se passe dans de bonnes conditions, et inciter ses clients à continuer leurs rendez-vous.

En réalité, la perte de clientèle dont se prévaut la société LT Institut est dûe aux choix effectués suite à la reprise :

de modifier les prestations et tarifs pratiqués,

d'abandonner certains soins dont tous les soins homme,

de modifier le nom commercial de la société, qui avait une notoriété locale et un bon référencement sur internet,

de mise en place d'un système de réservation en ligne difficile à appréhender pour certains clients,

de transfert d'une partie de l'activité du fonds à l'institut LT Institut à [Localité 6], incluant le transfert d'un matériel de laser,

de supprimer les activités commerciales promotionnelles telles que 'black friday'.

Ainsi, la société LT Institut se prévaut de sa propre turpitude.

Elle verse aux débats les attestations de plusieurs clientes démontrant son absence de manoeuvres de démarchage, et la baisse de qualité ou suppression des soins procurés suite à la reprise.

Par ailleurs, elle affirme que l'appareil de dermabrasion fonctionnait antérieurement à la vente, et que le retrait du mobilier lui a été demandé par Mme [X].

Mme [T] conteste avoir violé les termes de la clause de non-concurrence figurant à l'acte de cession, et souligne que la société LT Institut ne rapporte aucunement la preuve contraire.

En ce qui concerne le décalage du financement sur la location de matériels, Mme [T] soutient n'en avoir pas eu connaissance avant la cession, et qu'en tout état de cause, la société Lt Institut ne démontre pas qu'elle aurait payé un prix de cession moindre à raison de ce décalage. La somme de 2.581,30 euros n'est pas justifiée.

Aux termes de ses dernières écritures du 17 juillet 2025, la société LT Institut demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de LIMOGES en ce qu'il a condamné Mme [T] à verser à la société LT INSTITUT la somme de 5.000 €uros à titre de dommages et intérêts en raison de l'attitude déloyale de la cédante, ainsi que la somme de 2.581,30 € en réparation du préjudice économique subi par la société LT INSTITUT lié au paiement de 6 échéances complémentaires du contrat de crédit-bail, outre la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a enjoint Mme [T] à cesser immédiatement l'accomplissement de toutes activités concurrentes hors soins énergétiques, sous astreinte de 200 € par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, et en ce qu'il a débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

Faisant droit à l'appel incident formé par la société LT INSTITUT,

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société LT INSTITUT de sa demande formée au titre de la garantie d'éviction,

Condamner Mme [T] à verser à la société LT INSTITUT la somme de 60.283,70 €uros au titre du prix de cession du fonds de commerce.

Condamner Mme [T] à verser à la société LT INSTITUT la somme de 3.000 €uros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner Mme [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société LT Institut soutient avoir été évincée au sens de l'article 1626 du Code Civil, en ce qu'elle aurait été privée par les agissements de Mme [T] des éléments principaux constitutifs du fonds de commerce vendu.

Elle sollicite le remboursement total du prix de cession.

Les agissements d'éviction de Mme [T] seraient caractérisés :

par le faible nombre de rendez-vous pris pour des dates postérieures à la cession, dont seulement quinze sur la semaine du 1er au 8 décembre 2022 ;

la baisse de moitié du chiffre d'affaires réalisé sur les trois premiers mois postérieurs à la cession,

l'attitude de dénigrement de Mme [T], en ce qu'elle a fait part à l'école de Mme [Z] du mal être de cette dernière au sein de LT Institut,

la remise par Mme [T] d'un simple listing des noms et adresses des clientes, sans mention des prestations dont elles avaient bénéficié et de leur fréquence,

l'enlèvement par Mme [T] de la quasi-totalité du mobilier antérieurement à la reprise,

le mauvais état de fonctionnement de l'appareil de dermabrasion,

la violation par Mme [T] de la clause de non-concurrence figurant à l'acte de cession, en ce qu'elle aurait publié sur Facebook son intention de prodiguer des soins esthétiques sur [Localité 7].

Les attestations versées par les clientes proches de Mme [T], dont Mme [Y], sa belle-fille, ne sont pas probantes, et contiennent de fausses informations.

La société LT Institut affirme avoir repris l'ensemble des prestations antérieurement offertes, à l'exception des massages tibétains, des prestations de microblading et de dermopigmentation, et du maillot intégral pour les hommes.

Les tarifs pratiqués étaient moins onéreux, et s'il n'y avait plus d'abonnements, les clients pouvaient être prélevées du prix des soins en 12 fois.

Bien que le nom commercial ait été changé, cela ne peut avoir causé la perte de clientèle, le nouveau nom bénéficiant également d'un bon référencement sur internet s'agissant des instituts de [Localité 6] et de [Localité 10].

La réservation en ligne ne constituait pas un obstacle, mais une option à la prise de rendez-vous.

Selon la société LT Institut, Mme [T] a agit déloyalement en encourageant Mme [I] à développer une activité concurrente, et en ne révélant pas la date réelle de fin des loyers de location du matériel, qui n'était pas le 26 avril 2023, comme inscrit sur l'acte de cession, mais le 26 octobre 2023.

Elle a donc dû supporter six mois de loyer supplémentaires, pour un montant de 2.581,30 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juillet 2025.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur l'éviction:

La société LT Institut fonde ses prétentions sur les dispositions de l'article 1626 du code civil, qui dispose que 'quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation de la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction dont il souffre en totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet et non déclarées lors de la vente'.

Elle prétend que Mme [T], venderesse, l'a évincée en ce que:

- elle lui a cédé une clientèle quasi inexistante,

- la principale salariée du fond s'est avérée ne pas vouloir poursuivre son contrat de travail avec elle,

- cette salariée a au surplus commencé d'exploiter sa propre activité de soins esthétiques,

- elle l'a dénigrée auprès de l'établissement dans lequel son apprentie réalisait sa scolarité,

- il ne lui a pas été remis de fichier concernant les données de la clientèle,

- du mobilier cédé ne se trouvait pas dans le fonds,

- Mme [K] a continué à dispenser des soins esthétiques en violation de sa clause de non-concurrence et a détourné sa clientèle.

Le grief concernant la salariée du fonds:

Il résulte d'un courrier rédigé le 07 mars 2023 par Me [U], conseil de la société LT INSTITUT, que son rédacteur y évoque le fait que sa cliente, acquéreuse du fonds de commerce, avait obtenu un rabais de 5.000 euros sur le prix, correspond aux frais afférents à la rupture du contrat de travail de la salariée, Mme [I].

Me [U] écrivait ainsi:

'Mme [I] avait part à Mme [T] de son souhait en cas de cession de l'institut de beauté, de ne pas continuer à y travailler, et avait évoqué avec elle une demande de rupture conventionnelle.

Mme [P] [X], présidente de la SAS LT INSTITUT a donc logiquement tenu compte de cette situation dans le cadre de la reprise qui l'obligeait à reprendre les contrats en cours'.

Il en résulte explicitement qu'aucune information n'a été cachée avant la vente à la société LT INSTITUT, qui savait que Mme [I] ne souhaitait pas poursuivre son contrat de travail avec elle.

Que la société LT INSTITUT ait souhaité, ainsi que Me [U] l'évoque, la conserver durant les premiers mois suivant la reprise est possible, néanmoins, Mme [T], qui l'avait avertie de la situation et lui avait consenti un rabais permettant de financer la rupture, ne peut être jugée garante du maintien en fonction de cette salariée.

Ainsi, le fait que Mme [I] ait effectivement demandé une rupture conventionnelle le lendemain de la reprise était parfaitement envisageable par l'acheteuse au moment de la vente.

Ensuite, le fait qu'elle se soit placée en arrêt de travail après que sa rupture lui ait été refusée en peut être imputé à Mme [T].

De la même façon, le fait que Mme [I] ait monté son propre institut de beauté ne relève pas de la garantie due par son ancien employeur et Mme [T] pouvait parfaitement lui apporter publiquement ses félicitations à défaut de clause de non concurrence insérée dans son contrat de travail.

Le grief est infondé.

Sur l'absence ou la défectuosité de certains mobiliers:

Le jour de la vente, les parties ont paraphé contradictoirement une liste de mobiliers et appareils cédés dans des annexes à l'acte de vente.

Ces listes paraphées, dont l'une était intitulée 'inventaire de stock', ont pour objet d'éviter tout litige sur la consistance et la délivrance des matériels cédés.

La seule démonstration de l'absence de certains matériels et de la dégradation de la tête de l'appareil de dermabrasion repose sur l'attestation d'une apprentie encore mineure au moment de la rédaction de ses deux témoignages, Mme [Z], dans lesquels elle accable Mme [T].

Or, celle-ci démontre qu'au mois de janvier 2023, soit un mois et demi après la cession, cette apprentie lui adressait des SMS affectueux dans lesquels elle se plaignait de Mme [X].

Il en résulte que cette jeune fille, dont la minorité doit être soulignée, a visiblement été engagée dans un conflit qui aurait dû lui être épargné.

Ses attestations ne peuvent être considérées comme probantes et ne peuvent donc servir à démontrer l'absence ou la dégradation de tel ou tel matériel.

D'autre part, la société LT INSTITUT possède deux autres instituts de beauté et ne peut dès lors démontrer l'absence ou la défaillance d'un matériel à la date de la vente par l'achat du même matériel, d'autant que ces achats ont eu lieu en février 2023 soit plusieurs semaines après la vente.

Le grief n'est pas démontré.

L'inexistence et le détournement de la clientèle:

Ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme [T] n'est pas comptable des actes de l'ancienne salariée du fonds.

Elle-même, aux termes de l'acte de cession, était tenue par une clause de non-concurrence figurant page 9 de l'acte de cession, aux termes de laquelle, elle s'engageait, dans un rayon de 25Km à vol d'oiseau du fonds cédé, à ne pas exercer, directement, ou indirectement, pour son compte personnel ou celui d'un tiers, une quelconque activité d'institut de beauté et de bien être, de centre minceur ou toute activité concurrente, sauf à conserver une activité de soins énergétiques du type bols ou chi nei tsang.

La société LT INSTITUT démontre qu'en juillet 2023, Mme [T] proposait sur les réseaux sociaux des 'ateliers soins visages', à mi-chemin entre la formation et le soin, pour des groupes de cinq à six personnes: il était dit dans le descriptif que chaque personne recevrait un soin visage et des conseils personnalisés.

Cette activité était assurée [Adresse 11] à [Localité 7], soit à l'intérieur du périmètre visé par la clause de non-concurrence.

Elle était de celles visées par la clause puisque relative pour partie à des soins esthétiques, sans toutefois être une activité réellement concurrente de celle du fonds cédé, s'agissant de soins et conseils dispensés en groupe et non individuellement.

La société LT INSTITUT démontre aussi que Mme [T] à une date non précisée, mais à la même adresse que précédemment, avait créé une association ayant pour objet de 'promouvoir les thérapies holistiques avec l'énergie naturelle', et dans ce cadre:

- organisait des ateliers: 'comment gérer ses émotions', 'relaxation sonore avec méditation énergétique' en groupe

- organisait des formations: formation au massage tibétain, formation au massage énergétique aux bols tibétains, formation massage oriental,

- proposait des massages: massage énergétique du visage KOBIDO, massage tibétain aux bols sonores, réflexologie faciale.

Seul le massage KOBIDO est visé par la clause de non concurrence, étant tout à la fois à visée esthétique et énergisant. Il était d'ailleurs proposé dans le fonds cédé, sans toutefois que la société LT INSTITUT ait poursuivi cette prestation.

De la même façon que précédemment, il y a violation de la clause de non concurrence sans toutefois que l'activité exercée soit réellement concurrente de celle du fonds cédé, visant une clientèle très particulière à la recherche de soins et thérapies excédant les seuls soins esthétiques.

Enfin, la société LT INSTITUT démontre qu'au mois de septembre 2023, Mme [T] présentait sur un réseau social 'son nouveau lieu de soins énergétiques' situé en annexe d'un magasin bio situé dans le périmètre interdit par la clause, indiquant exercer uniquement le mardi et le jeudi.

Au commentaire 'tu fais des soins visage', elle répondait 'oui bien sûr', ce qui est suffisant à démontrer qu'effectivement, elle se préparait à en proposer en violation de la clause déjà visée.

Les attestations des propriétaires du magasin bio hébergeant cette activité démontrent toutefois que l'activité de massage a été marginale, les témoins décrivant que la cabine louée était remplie des matériels de 'bols tibétains, carillons, bâtons de pluie, et autres instruments sonores' nécessaires à la 'relaxation vibratoire', les témoins entendant les instruments pendant qu'eux-mêmes travaillent à côté.

La société LT INSTITUT soutient toutefois que le fait que la clientèle ait été inexistante ou détournée au moment de la vente résulte du fait que très peu de rendez vous avaient été pris les jours précédant la cession afin de permettre la continuité de l'activité dans les jours ayant suivi.

Le fonds cédé était un petit fonds de soins esthétiques réalisés par Mme [T] elle-même et une salariée, avec l'aide d'une apprentie, visant une clientèle de proximité, et avait été créé par Mme [T] plus de dix années avant la cession.

L'intimité créée par les soins esthétiques font que pour de nombreuses clientes ceux-ci ont un caractère intuitu personae.

Il est plausible que de nombreuses clientes aient souhaité attendre la reprise du fonds pour voir par elles-mêmes ce qui était offert et vérifier si elles souhaitaient continuer à la fréquenter.

La société LT INSTITUT ne démontre pas que le faible nombre de rendez-vous pris pour les jours ayant suivi la cession avait un caractère anormal compte tenu du contexte de cession et le premier juge a dit avec pertinence que le chiffre d'affaire des premiers mois, s'il était inférieur au chiffre d'affaire antérieur, existait et démontrait l'absence d'éviction.

D'autre part, Mme [T] démontre avoir communiqué à la société LT INSTITUT le 18 novembre 2022, soit quinze jours avant la cession, le fichier clients du fonds, constitué des noms, adresses et numéros de téléphone des clientes.

Ainsi, si la société LT INSTITUT estimait que ces informations étaient insuffisantes comme ne mentionnant pas les soins reçus par chaque client, elle en a été avisée avant la vente.

Ensuite, Mme [T] justifie par sa pièce 46, soit une attestation de l'avocat rédacteur de l'acte de cession, qu'elle avait invité Mme [P] [X] au pot de départ qu'elle organisait en présence de ses clientes, et que Mme [X], dirigeante de la société LT INSTITUT, a décliné l'invitation, se privant ainsi de rencontrer ses futures clientes.

A cet égard , la société LT INSTITUT ne justifie pas des actions commerciales entreprises une fois en possession de ce fichier pour présenter au plus vite ses prestations aux clientes et leur donner envie de prendre rendez vous.

Il est sans incidence qu'elle ait ou n'ait pas modifié les prestations offertes, une cession entraînant toujours une modification des offres; en revanche, il est constant que des actions commerciales appuyées doivent accompagner le nouvel exploitant.

Enfin, Mme [T] a versé aux débats de nombreuses attestations d'anciennes clientes attestant qu'elle n'avait jamais dénigré son successeur ni cherché à rentrer en contact avec elle postérieurement à la cession pour leur proposer ses services.

Le fait qu'elle ait souhaité présenter Mme [X] lors de la réception organisée pour son départ démontre qu'elle était attentive au suivi de la cession.

Il résulte de l'ensemble de ces motifs l'absence de démonstration que la clientèle de Mme [T], qui existait au moment de la vente ainsi qu'en témoignent ses états comptables, ait fait l'objet d'un détournement massif et ait été inexistante lors de la cession.

Il en résulte toutefois la démonstration d'un détournement partiel de clientèle, celle ayant recherché et apprécié chez Mme [T] la mise en oeuvre de soins à visée tout à la fois esthétique et 'énergisante'.

A l'examen de l'offre de soins proposée en son temps par Mme [T], très traditionnelle en la matière, l'offre de soins énergisants ou hollistiques était minoritaire, ce dont il peut être déduit que la clientèle y étant attachée l'était aussi.

La cour ayant constaté que les autres griefs invoqués par la société LT INSTITUT n'étaient pas fondés, il s'en déduit que la société LT INSTITUT n'a pas été évincée par la venderesse et le jugement déféré est confirmé de ce chef.

Le détournement très partiel de la clientèle à la recherche de soins énergisants lui a toutefois causé un préjudice, que le premier juge a pertinemment évalué à la somme de 5.000 euros, prenant au surplus les mesures d'injonction nécessaires pour le faire cesser pour l'avenir.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société LT INSTITUT de sa demande au titre de l'éviction, en ce qu'il a enjoint à Mme [T] de cesser toute activité concurrente et en ce qu'il a condamné Mme [T] au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 5.000 euros.

Sur le contrat de crédit-bail:

Il n'est pas contesté que l'acte de cession mentionne que le crédit bail de l'appareil LPG se termine le 26 avril 2023 (terme initial), alors qu'ayant fait l'objet d'un report d'échéances, il se terminera le 26 octobre 2023.

Il en résulte nécessairement l'obligation pour la société LT INSTITUT de procéder au paiement des loyers de mai à octobre 2023 si elle souhaite conserver le matériel loué, et l'existence d'un préjudice égal au paiement de ces loyers est établie, les contestations de Mme [T] sur ce point apparaissant inopérantes.

Que l'omission du report des échéances ait résulté d'une erreur ou d'un dol, la venderesse a manqué à son obligation d'information loyale, prévue aux dispositions de l'article 1602 du code civil, ainsi qu'à son obligation de délivrance, ayant cédé un contrat différent de celui figurant sur le contrat de cession.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné Mme [T] au paiement des loyers reportés, soit à la somme de 2.581,30 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

Mme [T], qui succombe dans son recours, est condamnée aux dépens d'appel.

Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

---==oO§Oo==---

PAR CES MOTIFS

---==oO§Oo==---

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré.

Condamne Mme [T] aux dépens d'appel.

Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Sophie MAILLANT. Olivia JEORGER-LE GAC.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site