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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 24 octobre 2025, n° 25/00529

NÎMES

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CA Nîmes n° 25/00529

23 octobre 2025

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 13 décembre 2022 par la SA Assurances du crédit mutuel Iard à l'encontre du jugement rendu le 29 novembre 2022 par le tribunal de commerce d'Aubenas dans l'instance n° RG 2021002775 ;

Vu l'arrêt du 6 décembre 2024 rendu par la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes (n° RG 22/03991) ordonnant le retrait de l'affaire du rôle ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 07 juin 2023 par la société Gaebre ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 18 mars 2025 par la SA Assurances du crédit mutuel Iard, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu la signification de l'assignation en intervention forcée délivrée le 17 mars 2025 par la SA Assurances du crédit mutuel Iard, à la société Gaebre prise en la personne de son mandataire ad hoc, Monsieur [C] [I], par acte laissé à la personne de son destinataire ;

Vu l'ordonnance du 3 mars 2025 de clôture de la procédure à effet différé au 18 septembre 2025.

***

La société Gaebre exploite un restaurant sous l'enseigne « La Truffolie » à [Localité 7] (07). Elle est titulaire d'un contrat d'assurances multirisque professionnelles auprès de la compagnie Assurances Crédit Mutuel Iard, ci-après la société ACM Iard.

Le contrat dénommé « Acajou Signature » établi sous le n° B1 6018421 couvre, entre autres garanties et au chapitre des garanties financières, les pertes d'exploitation du fait de l'interruption ou de la réduction de l'activité.

Par courrier daté du 15 mars 2020, adressé aux ACM IARD par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 octobre 2020, la société GAEBRE, invoquant une activité fortement perturbée par suite des annonces gouvernementales du14/03/2020, a sollicité l'ouverture d'un sinistre au titre de sa « perte d'exploitation ».

Par courrier en date du 3 novembre 2020 les ACM IARD ont indiqué à la société GAEBRE que les conditions de mise en 'uvre de la garantie pertes d'exploitation n'étaient pas réunies.

La société GAEBRE a sollicité la résiliation de son contrat au 24 mai 2021 par courrier et les ACM IARD lui ont confirmé, par courrier en date du 22 mars 2021, que cette résiliation serait effective à compter du 24 mai 2021 à minuit.

***

Par exploit du 26 mars 2021, la société Gaebre a fait assigner la société ACM Iard devant le tribunal de commerce d'Aubenas, sur le fondement de la garantie des pertes d'exploitation ainsi que pour manquement à ses obligations d'information et de conseil, et a agi en indemnisation de la perte de marge brute et, à titre subsidiaire, en paiement de diverses sommes pour perte de chance, en paiement de sommes à titre de provision, enfin en condamnation au paiement des frais irrépétibles et dépens.

***

Par décision du 31 décembre 2021, la société Gaebre a décidé sa liquidation à l'amiable à compter du 31 décembre 2021.

***

Par jugement du 29 novembre 2022, le tribunal de commerce d'Aubenas:

« Juge que la garantie des pertes d'exploitation telle que prévue au contrat d'assurance est acquise à la SARL Gaebre

Juge que la clause d'exclusion invoquée par la société ACM Iard SA n'est pas opposable à la SARL Gaebre

Rejette le moyen tiré de la déchéance de garantie en raison de la déclaration tardive du sinistre,

Ordonne une expertise judiciaire pour déterminer le préjudice subi par la SARL Gaebre,

Commet à cet effet, Monsieur [D] [F], domiciliée [Adresse 6], avec pour mission de :

- se faire communiquer tous documents utiles ;

- réunir les parties et leurs conseils ;

- entendre tous sachants ;

- évaluer et délimiter la seule perte de chiffre d'affaires directement en lien avec les mesures de restriction d'accueil du public dans les restaurants en replaçant la requérante dans la même situation que celle qui aurait été la sienne en l'absence de mesures restrictives d'accueil ;

- identifier, chiffrer et prendre en compte les charges supplémentaires et les charges économisées en les détaillant par nature ;

- prendre en compte les subventions, primes et indemnités reçues ou à recevoir au titre des périodes de restriction d'accueil et qui ont eu pour objet d'atténuer ou de compenser la perte d'exploitation ;

- évaluer le réel préjudice financier effectivement subi par la SARL Gaebre et imputables aux seules mesures de restriction d'accueil du public dans les bars et restaurants d'une part du 15 mars au 1er juin 2020, d'autre part du 17 octobre 2020 au 18 mai 2021 en excluant tout préjudice pour la période à laquelle le restaurant de la SARL Gaebre était volontairement fermé pour travaux,

Dit que les frais d'expertise seront avancés par la SARL Gaebre qui consignera à cette fin au greffe de ce tribunal la somme de 3.000 euros pour provision à valoir sur la rémunération de l'expert, dans le délai d'un mois suivant le prononcé de la présente décision,

Dit que l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation à cette mission, et qu'il déposera son rapport dans les six mois à compter de l'avis de consignation que le greffe lui adressera, sauf prorogation de ce délai sollicitée en temps utile auprès du juge en charge des mesures d'instruction,

Dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la mission deviendra automatiquement caduque, sans qu'il soit nécessaire de prendre une ordonnance pour constater cette caducité,

Dit que l'expert pourra être assisté d'un sapiteur de son choix,

Dit que le contrôle de l'expertise sera effectué par le juge chargé des mesures d'instruction de ce tribunal et qu'il lui en sera référé en cas de difficulté,

Dit que l'expert devra faire connaître aux parties ou à leurs conseils, oralement ou par écrit, ses conclusions en vue de recueillir leurs dernières observations, avant le dépôt de son rapport,

Renvoie la cause et les parties à l'audience d'instruction du 6 juin 2023 à 11 heures, pour vérification du dépôt du rapport,

Réserve tous droits et moyens des parties quant au fond, ainsi que les dépens de greffe s'élevant à un montant de 89,65 euros TTC, avancés, s'agissant du seul coût du présent jugement, par la SARL Gaebre ».

***

La société ACM Iard a relevé appel le 13 décembre 2022 de ce jugement pour le voir infirmer, annuler ou réformer en toutes ses dispositions.

***

L'expert désigné par le tribunal de commerce, M. [F], commissaire aux comptes, a rendu son rapport définitif le 19 juin 2024.

La liquidation amiable de la société Gaebre ayant été clôturée le 30 juin 2024, la cour a, par un arrêt du 6 décembre 2024, ordonné le retrait du rôle de l'affaire, afin de faire procéder à la désignation d'un mandataire ad hoc de la société Gaebre.

Par ordonnance du 31 janvier 2025, la présidente du tribunal de commerce de Nîmes a désigné aux fonctions de mandataire ad hoc de la société Gaebre M. [C] [I] du fait de la clôture de la liquidation amiable.

Par conclusions du 17 février 2025, la société ACM Iard a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.

Par acte du 17 mars 2025, la société ACM Iard a fait assigner en intervention forcée la société Gaebre prise en la personne de son mandataire ad hoc, M. [C] [I]

***

Dans ses dernières conclusions, la société ACM Iard, appelante, demande à la cour, au visa des articles 42 et 43 du code de procédure civile, des articles 1103, 1104 et 1192 du code civil, des articles L112-4 et L113-1, alinéa 1 du code des assurances, de l'article 1240 du code civil, et de l'article 700 du code de procédure civile, de :

« Infirmer le jugement rendu le 29 novembre 2022 par le tribunal de commerce d'Aubenas

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Juger que les mesures gouvernementales prises pour lutter contre l'épidémie de covid-19 n'emportaient pas interdiction d'accès ;

Juger que les ACM ne sont pas tenues de garantir les prétendues pertes d'exploitation de la société Gaebre ;

Juger que les ACM Iard ont respecté leurs obligations d'information et de conseil ;

Juger que la société Gaebre ne rapporte pas la preuve de son préjudice

Par conséquent,

Débouter la société Gaebre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

Juger que la clause d'exclusion relative aux micro-organismes est valide,

Juger que le virus du covid-19 est un micro-organisme

Juger que le covid-19 est la cause des pertes d'exploitations de la société Gaebre

Par conséquent,

Débouter la société Gaebre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre très subsidiaire,

Juger que la société Gaebre ne démontre pas l'existence du préjudice dont elle demande réparation,

Par conséquent,

Débouter la société Gaebre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre infiniment subsidiaire,

Juger que la société Gaebre a déclaré son sinistre de manière tardive

Juger que cette déclaration tardive cause un préjudice aux ACM Iard

En conséquence,

Juger que la société Gaebre est déchue de sa garantie en raison de la déclaration tardive de son sinistre ;

Débouter la société Gaebre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause,

Condamner la société Gaebre au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens au titre de la procédure de première instance.

Condamner la société Gaebre au paiement d'une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens au titre de la présente procédure d'appel. ».

Au soutien de ses prétentions, la société Assurances du Crédit Mutuel Iard, appelante, expose que :

1°) A titre principal, les conditions de la garantie ne sont pas réunies :

Elle soutient à ce titre que le dommage garanti, à savoir les pertes d'exploitation résultant d'une interruption ou d'une réduction d'activité ne peut être indemnisé, sauf dénaturation de la lettre du contrat, que s'il est justifié d'un des évènements garantis à l'article 17.1.

Elle soutient que pour que les pertes d'exploitation puissent être indemnisées, il faut que le dommage soit consécutif à un évènement déterminé par la police et qu'en l'occurrence, ni l'épidémie, ni la pandémie ne sont citées dans les Conditions Générales au titre des sinistres garantis

Elle souligne que s'agissant d'une condition de la garantie et non d'une exclusion, la charge de la preuve incombait à l'assuré et non à l'assureur et que l'assuré ne démontre pas avoir fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accès à l'origine d'un dommage.

Elle soutient que la notion d'interdiction d'accès au sens du contrat est claire et insusceptible d'interprétation, et que les mesures prises à l'occasion de la crise du

COVID 19 n'ont jamais eu pour conséquences de rendre inaccessible l'établissement de la société Gaebre.

Elle indique que :

- l'interdiction d'accès est donc par principe absolue et implique forcément l'interdiction d'entrer, d'habiter ou d'exploiter le lieu concerné et que ce n'est que par des aménagements exprès qu'il est possible de déroger à cette interdiction ;

- les mesures administratives issues des arrêtés des 14 et 15 mars 2020 ou du Décret du 29 octobre 2020 n'interdisaient pas l'accès de l'établissement à la Direction, aux salariés et même aux clients sous certaines conditions.

Elle cite plusieurs décisions de cours d'appels qui font une distinction entre l'interdiction de recevoir du public qui laisse la possibilité de pratiquer des livraisons ou des ventes à emporter, de l'impossibilité d'accéder à un lieu.

Elle soutient que :

- les mesures gouvernementales consécutives à la crise sanitaire n'emportaient pas interdiction d'accès aux locaux assurés, mais une restriction d'accueil du public ;

- l'interruption de l'activité est une des conditions de la garantie qui doit s'ajouter à l'interdiction d'accès de sorte que la seule interruption de l'activité ne saurait démontrer l'existence d'une interdiction d'accès.

2°) A titre subsidiaire, elle est en droit de se prévaloir d'une clause d'exclusion de garantie

3°) A titre très subsidiaire, aucune perte d'exploitation n'est démontrée par la société Gaebre : Elle soutient que l'expert judiciaire désigné par le tribunal de commerce a constaté l'absence de pertes d'exploitation

4°) A titre infiniment subsidiaire, la société Gaebre doit être déchue de son droit à garantie en raison de l'absence de déclaration de sinistre dans le délai contractuel de 5 jours, dès lors qu'elle n'a adressé son courrier valant déclaration de sinistre daté du 15 mars 2020 que le 24 octobre 2020.

***

Le mandataire ad hoc régulièrement assigné en intervention forcée n'a pas conclu et au terme des dernières conclusions déposées par la société Gaebre le 7 juin 2023, celle-ci demande à la cour de :

« - CONFIRMER le jugement du 29 novembre 2022, n°2021002775 dans toutes ses dispositions ;

A toutes fins, si elle entendait statuer à nouveau :

- JUGER que la garantie perte d'exploitation est acquise à la société GAEBRE pour les périodes suivantes :

o du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 au titre de la fermeture et des restrictions ordonnées dans le contexte du premier pic épidémique ;

o du 24 Octobre 2020 au 31 octobre 2020 au titre du couvre-feu de l'automne 2020 ;

o du 1 er novembre au 9 juin 2021 au titre de la fermeture et des restrictions ordonnée dans le contexte des deuxièmes et troisièmes pics épidémiques ;

- JUGER que la société ACM IARD SA a manqué à ses obligations d'information et de conseil ;

Par conséquent, à titre principal :

- CONDAMNER la société ACM IARD SA à indemniser la société GAEBRE de la perte de marge brute subie lors de ces périodes, dans les proportions qui seront déterminées par le Tribunal de commerce d'Aubenas après expertise, actuellement en cours, et sous réserve de toute contestation desdits montants ;

En toute hypothèse :

- CONDAMNER ACM IARD SA à verser à la société GAEBRE la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ACM IARD SA aux entiers dépens de l'instance, lesquels pourront être recouvrés par Maître Antoine VEY, Avocat au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civil. »

Au soutien de ses prétentions, la société Gaebre expose que :

La garantie perte d'exploitation lui est acquise dés lors qu'elle a été victime de trois sinistres:

* La fermeture administrative ordonnée dans le cadre de la première vague épidémique, du 15 mars au 02 juin 2020, suivant l'arrêté ministériel du 14 mars 2020 ;

* La fermeture administrative partielle ordonnée dans le contexte de couvre-feu, dans le cadre de la seconde vague épidémique, du 24 Octobre 2020 au 31 octobre 2020 ;

* La fermeture administrative ordonnée dans le cadre de la seconde vague épidémique, du 1er novembre 2020 au 9 juin 2021, et qu'il ne fait aucun doute que ces mesures constituent une interdiction d'accès prise par une autorité administrative à raison d'un évènement extérieur à son activité ou à ses locaux ;

Elle fait état de plusieurs décisions de cours d'appel en ce sens.

En tout état de cause, le contrat couvre la perte de d'exploitation liée à une « interruption » comme à une « réduction » de l'activité, ce qui suppose que sont également couverts les évènements de fermeture ou d'interdiction partiels ;

A supposer qu'il y ait le moindre doute sur l'interprétation de la notion « d'interdiction d'accès », ce doute doit conduire à une interprétation en faveur de l'assuré, puisqu'il s'agit d'un contrat d'adhésion.

S'agissant de la clause d'exclusion visant « les dommages causés par les insectes, rongeurs, champignons, moisissures et autres parasites, ainsi que par les micro-organismes. », la société Gaebre fait valoir que :

La clause comporte au moins une imprécision sanctionnée par la jurisprudence, à savoir l'utilisation du terme « autres parasites », ce qui fait tomber la clause en vertu de la récente jurisprudence précitée, dans laquelle une clause d'exclusion comportant le terme « et autres mal de dos » a été considérée nulle par la Cour de cassation ;

Le contrat ne comprend aucune définition du terme « micro-organismes », ce qui renforce l'imprécision de la clause. Or, toute clause d'exclusion devant être interprétée doit être considérée non écrite ;

Il n'est pas certain que le COVID puisse être considéré comme un micro-organisme ;

A supposer la clause valable et que le COVID puisse être considéré comme un microorganisme, en tout état de cause, le dommage subi n'a pas été causé directement par le COVID, mais pas les mesures gouvernementales prises dans le cadre de l'épidémie. Le COVID ne serait ainsi que la cause indirecte du dommage, et il y a lieu de relever que lorsque les dommages indirects sont exclus, les exclusions de la liste dont est tirée la clause querellée mentionnent

spécifiquement le terme « indirectement ». Il en ressort que seuls sont exclus les dommages directement causés par un micro-organisme, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Sur la déchéance de garantie :

La société ACM Iard ne démontre ni la tardiveté de la déclaration, ni un grief qui est seul susceptible de justifier une déchéance de garantie à raison de la tardiveté de la déclarations, au visa de l'article L. 113-2, alinéa 4, du code des assurances et de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass.Civ, 7 juillet 2022, n°20-18.657), selon laquelle « Il résulte de ce texte que, lorsqu'elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l'assuré que si l'assureur établit que ce retard lui a causé un préjudice.»

Sur la demande subsidiaire au titre de la perte de chance :

La société Gaebre soutient à titre subsidiaire, au cas où la garantie perte d'exploitation ne serait pas acquise qu'elle doit être indemnisée dès lors que :

* le risque épidémique est assurable

* la société ACM Iard SA a manqué à son obligation de conseil et d'information dès lors qu'elle estimait légitimement être couverte pour ses pertes d'exploitation, ce dont il résulte pour elle une perte de chance. »

Sur l'indemnisation :

La société Gaebre indique que l'indemnisation n'est pas encore fixée par l'expert mais qu'en tout état de cause, l'attestation de son expert-comptable et les bilans versés aux débats démontrent une lourde perte de marge brute.

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur la procédure :

La société Gaebre, représentée par son liquidateur amiable, M. [C] [I], a déposé de nouvelles conclusions par courrier reçu le 30 septembre 2025, postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Ces conclusions sont écartées des débats par application des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

Sur le fond :

1°) sur les conditions de la garantie :

La question posée à la cour est celle de l'application de la disposition contractuelle garantissant les pertes d'exploitation résultant « d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un évènement extérieur à votre activité ou aux locaux dans lesquels vous exercez »

L'article 17.1. GARANTIE DE BASE est libellé comme suit

« Nous garantissons les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l'interruption ou de la réduction de votre activité résultant soit :

' d'un dommage matériel garanti,

' d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à vos locaux professionnels, et/ou d'une impossibilité ou d'une difficulté pour les exploiter consécutive à un événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels survenant à moins de 500 mètres de vos locaux, dès lors que ceux-ci auraient été garantis par le présent contrat s'ils avaient atteint les biens assurés,

' d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez,

' d'une carence d'approvisionnement de vos fournisseurs ayant leur établissement situé dans le territoire de /l'Union Européenne résultant de dommages matériels survenant dans leurs locaux, dès lors que ces dommages auraient été couverts au titre de votre contrat d'assurance si ces dommages étaient survenus dans les locaux assurés».

L'interprétation des clauses contractuelles relève du pouvoir souverain des juges, dans le respect de certaines limites tenant, notamment, à l'interdiction de dénaturer les actes clairs et précis qui résulte des dispositions de l'article 1192 du code civil.

En revanche, l'interprétation des clauses contractuelles ambiguës ou obscures est exclusive de dénaturation (2e Civ., 2 mars 2017, pourvoi n 15-27.831, Bull; 2017, II, on 45 o ) et il appartient alors aux juges du fond, conformément aux dispositions de l'article 1188 du code civil, de rechercher quelle a été la commune intention des parties.

Dans deux arrêts publiés au bulletin, le premier du 28 mai 2025 (C.cass ch. civ n°2 n° 00513), et le second du 18 septembre 2025 (C.cass. ch civ. 2 n° 00848), la Cour de cassation juge que :

« Dénature un contrat d'assurance garantissant « les pertes subies du fait de l'interruption ou de la réduction de l'activité de l'assuré résultant d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires », une cour d'appel qui énonce que la notion d'interdiction d'accès suppose une impossibilité totale et matérielle d'accéder aux locaux et expose que les mesures gouvernementales de lutte contre le Covid-19 ont seulement édicté des restrictions d'accès aux restaurants limitées à la clientèle en autorisant les activités de livraison et de vente à emporter, sans avoir pour effet d'en interdire l'accès au sens du contrat dès lors que les restaurants demeuraient accessibles aux exploitants ou aux salariés, voire aux fournisseurs et que, sous certaines conditions, les clients pouvaient venir chercher des commandes et même s'installer dans les établissements entre deux mesures gouvernementales sanitaires.

L'interdiction faite aux restaurants d'accueillir du public pendant la période visée par le décret du 15 mars 2020, a pour conséquence une fermeture de l'établissement sur ordre des autorités au sens des dispositions contractuelles, en sorte que la distinction qui est opérée par la société Assurances du Crédit Mutuel IARD entre une interdiction d'un lieu au public et une impossibilité d'accès constitue la dénaturation de termes univoques.

Il en résulte que la garantie des pertes d'exploitation résultant « d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un évènement extérieur à votre activité ou aux locaux dans lesquels vous exercez » est mobilisable. Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

2°) sur la clause d'exclusion de la garantie :

A titre subsidiaire, les ACM IARD se prévalent des dispositions de l'article 29 de ses conditions générales qui excluent les dommages causés par les insectes, rongeurs, champignons, moisissures et autres parasites, ainsi que par les micro-organismes.

Le tribunal de commerce d'Aubenas a jugé cette clause d'exclusion invalide au motif que :

« La clause d'exclusion alléguée se révèle pour le moins imprécise en ce qu'elle ne distingue pas si elle vise l'action directe ou indirecte des éléments cités, ainsi que des dommages directs ou indirects, matériels ou immatériels, ni l'objet qui aurait subi les dommages »

Les ACM IARD soutiennent que les éventuelles pertes d'exploitation de la société Gaebre sont causées par le virus du Covid 19 qui est un micro-organisme.

Elle invoque la théorie de l'équivalences des conditions pour soutenir que l'épidémie de Covid 19 est bien une cause nécessaire au dommage, qu'elle en est même une des causes déterminantes et le micro-organisme qu'est le Covid 19 est bien une cause du dommage

Il a été rappelé ci-avant que l'interprétation des clauses contractuelles ambiguës ou obscures est exclusive de dénaturation et qu'il appartient alors aux juges du fond, conformément aux dispositions de l'article 1188 du code civil, de rechercher quelle a été la commune intention des parties.

La cour observe que la notion de micro-organismes figure dans une clause relative aux dégâts causés par des insectes, des rongeurs ou des moisissures et que si le virus du Covid 19 répond à la définition scientifique d'un micro-organisme, il n'est jamais désigné comme tel dans les mesures administratives prises au titre de la prévention de sa propagation.

La cour souligne que les termes d'épidémie, de virus, de pandémie ne sont pas employés par la clause d'exclusion litigieuse, seuls termes permettant de déterminer si la volonté des parties a été d'insérer au titre des dommages causés par les rongeurs et les moisissures, ceux liés à une épidémie ou une pandémie.

Il s'agit bien en l'espèce d'une clause équivoque et c'est par une juste application du droit que les premiers juges ont écarté cette clause d'exclusion de garantie.

3°) sur les pertes d'exploitation alléguées :

Les ACM IARD exposent que :

l'Expert judiciaire désigné par le Tribunal de commerce a constaté l'absence de pertes d'exploitation ;

la société Gaebre a en outre réalisé un profit complémentaire de 38.490 euros pour la seule année 2020, et elle a distribué pour 30.000 euros de dividendes à l'associé unique en 2020 contre seulement 13.000 euros en 2019 ;

la société Gaebre demande l'indemnisation de son chiffre d'affaires alors que le contrat d'assurances stipule que ce n'est pas le chiffre d'affaire qui est indemnisé, mais la perte de marge brute ;

la demande de 97 305 euros correspond à la perte du chiffre d'affaires sur les périodes du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 et du 30 octobre au 15 janvier 2021 ;

la somme de 221 707, 59 euros sollicitée au titre du second confinement ne résulte d'aucun élément comptable de la société ;

celle-ci s'est contentée de produire ses comptes annuels pour les exercices 2017, 2018 et 2019 et non ceux de l'exercice 2020 lesquels ont nécessairement été clôturés compte tenu de la cession du fonds de commerce ;

elle a réussi à obtenir auprès du RCS la communication des comptes 2020 de la société Gaebre dont il résulte qu'elle a réalisé un bénéfice de 29 765 euros en 2020 contre 1.618 € en 2019, 5.974 € en 2018 et ' 3.265 € en 2017, soit un bénéficie 2020 égal à 18 fois son bénéfice en 2019 ;

du calcul de la marge brute, il convient de déduire les charges économisées comme l'indemnisation du chômage partiel ainsi que les aides et subventions perçues telles que la prime de relance mutualiste ou les aides du fonds de solidarité.

****

La cour observe à titre liminaire que la société Gaebre n'a pas chiffré sa demande et qu'elle n'a pas conclu en lecture du rapport d'expertise judiciaire.

L'expert M. [D] [F] a déposé son rapport le 19 janvier 2024. Il a procédé, conformément à sa mission, à l'évaluation du préjudice subi par la Sarl Gaebre imputable aux seules mesures de restriction d'accueil du public dans les bars et restaurants, d'une part du 15 mars au 1er juin 2020, d'autre part, du 17 octobre au 18 mai 2021 en excluant tout préjudice pour la période à laquelle le restaurant de la Sarl Gaebre était volontairement fermé pour travaux.

Pour évaluer la seule perte de chiffre d'affaires en lien avec l'interdiction d'accueil, il a procédé par comparaison des périodes visées avec le chiffre d'affaires moyen réalisé sur les mêmes périodes au titre des deux années précédentes, à savoir 2018 et 2019. La perte de chiffres d'affaires s'élève à 109.467 euros.

L'expert a retenu que la société Gaebre a économisé, au cours de ces périodes, un certain nombre de charges soit les sommes suivantes:

40 328 euros de charges variables

4 256 euros de salaires et charges de gérance;

9 185 euros de salaires et charges.

La société Gaebre a par ailleurs bénéficié, au cours des périodes en cause, de :

12 346 euros d'aides à l'activité partielle ;

1 027 euros d'exonérations de charges dues à l'URSSAF ;

70 111 euros d'aide du fonds de solidarité ;

15 493 euros d'aide exceptionnelle assureur

5 639 euros d'abandon de loyers par son bailleur.

Enfin, la société Gaebre a subi des charges supplémentaires directement liées à la fermeture de l'établissement à hauteur de 5 700 euros correspondant à l'abondement au titre du PEE pour ses salariés et son gérant, ainsi qu'à une facture de son cabinet d'expertise comptable relative à la gestion des demandes d'allocations de chômage partiel.

L'expert a conclu que la Sarl Gaebre n'a subi aucun préjudice financer imputable aux seules mesures de restriction d'accueil du public dans les bars et restaurants sur chacune des deux périodes identifiées, et qu'elle a réalisé un gain net évalué à

43 218 euros, notamment du fait des subventions, primes et indemnités reçues ou à recevoir.

La société Gaebre qui n'apporte dans le débat aucun élément contraire, ne justifie pas le préjudice qu'elle invoque.

La cour rejette la demande de la société Gaebre tendant à l'indemnisation d'une perte de marge brute subie au cours des périodes de fermeture administrative de l'établissement à la suite des décisions gouvernementales prises dans le cadre de l'épidémie de Covid 19.

Compte tenu de l'issue du litige, la garantie perte d'exploitation ayant été jugée mobilisable, la demande de la société Gaebre de voir juger que la société ACM IARD a manqué à son devoir de conseil et d'information et qu'il en est résulté pour elle une perte de chance au motif que la société pouvait légitimement penser qu'elle était couverte par la garantie perte d'exploitation, est sans objet et doit être rejetée.

Sur les frais de l'instance :

Les dépens de l'instance seront supportés par M. [C] [I] en sa qualité de liquidateur amiable de la société Gaebre.

L'équité et la situation respective des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Déclare irrecevables les conclusions déposées par la société Gaebre, représentée par son liquidateur amiable M. [C] [I], le 30 septembre 2025

Confirme le jugement déféré

Y ajoutant

Déboute la société Gaebre représentée par M. [C] [I], ès qualités, de sa demande d'indemnisation d'une perte d'exploitation

Déboute la société Gaebre représentée par M. [C] [I], ès qualités, de sa demande de voir juger que la société ACM IARD a manqué à son devoir de conseil et d'information

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne M. [C] [I], ès qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

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