CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 8 octobre 2025, n° 23/18240
PARIS
Ordonnance
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Zouaoui
1. Le 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a rendu, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, une ordonnance d'autorisation d'opérations de visite et de saisie à l'encontre de la fédération professionnelle et des entreprises suivantes :
- Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande (ci-après, " la FICT ") ;
- ABC Industries et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Le Mont de la Coste et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Loste et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.
2. L'ordonnance a autorisé les opérations de visite et de saisie dans les lieux suivants :
- Fédération française des industriels charcutiers traiteurs transformateurs de viande, [Adresse 11], [Localité 8] ;
- ABC Industries, [Adresse 3], [Localité 2], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Le Mont de la Coste, [Adresse 12], [Localité 4], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse ;
- Loste, [Adresse 5], [Localité 9], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.
3. L'ordonnance a fait droit à la requête de l'Autorité de la concurrence (ci-après, "l'Autorité") en date du 3 novembre 2023 au motif que les éléments recueillis par l'Autorité permettaient d'établir des présomptions selon lesquelles les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ainsi que la FICT seraient convenues de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement la hausse, de limiter ou contrôler les débouchés et de répartir les marchés, et ce, en violation des dispositions des articles L. 420-1, 1°, 2°, 3° et 4° du code de commerce et 101-1 a), b), c) du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (ci-après, " TFUE ").
4. L'ordonnance d'autorisation retient que :
- en raison de leurs propriétés antimicrobiennes et technologiques, les nitrites et les nitrates (comme précurseurs des nitrites) sont utilisés en tant qu'additifs alimentaires dans une grande diversité de denrées, principalement carnées (charcuteries et salaisons) ; l'activité inhibitrice et microbicide des nitrites s'exerce sur un nombre important de micro-organismes, notamment des bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria ; leur usage permet d'éviter la production de toxines comme celles à l'origine du botulisme ; les nitrites sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites et permettent d'allonger la durée de conservation des denrées (annexes à la requête n° 2 et 3) ;
- dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie, les réglementations européenne et française autorisent l'utilisation de nitrites dans la charcuterie, mais l'encadrent, les charcutiers ne devant pas dépasser les doses maximales autorisées ; la réglementation européenne prévoit des doses d'incorporation maximales de 150 mg/kg de produits à base de viande ; que les charcutiers français se sont engagés dans le code des usages de la charcuterie à limiter l'utilisation des nitrites, d'au moins 20 %, soit 120 mg maximum par kilo en 2016 et prévoyaient une nouvelle baisse de 20 % en 2021 (annexes à la requête n° 4 et 5) ; il ressort de la nouvelle version du code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes, mise à jour en 2023, que l'utilisation des nitrites doit être limitée à 100 mg maximum par kilo pour les poitrines et lardons (annexe à la requête n° 6) ;
- l'utilisation des nitrates et nitrites ajoutés dans l'alimentation - les additifs E249, E250, E251 et E252 - serait controversée ; en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (« CIRC ») a classé la charcuterie dans la catégorie des aliments présentant un risque cancérigène pour l'homme (Groupe 1) (annexe à la requête n° 7, page 10) ;
- l'emploi des nitrites dans l'alimentation humaine est défendu par la FICT et l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) ; par un communiqué de presse en date du 14 septembre 2016 en réaction à un reportage de l'émission « Cash Investigations » intitulé « Industrie agroalimentaire : business contre santé » diffusé le 13 septembre 2016, L'ANIA a annoncé l'existence d'un « site d'informations proposé par la Fédération des Industriels de la Charcuterie Traiteur (FICT) : http://www.info-nitrites.fr./. Ce site, accessible à tous, met à disposition les connaissances scientifiques actuelles sur le sujet »(annexes à la requête n° 8 et 9) ;
- plusieurs opérateurs majeurs de la filière, notamment Herta et Fleury Michon, tous deux membres de la FICT, ont lancé des gammes de charcuterie sans nitrite, à compter respectivement de février 2017 et mars 2019 (annexe à la requête n° 7, page 63) ;
- si des industriels adhérents à la FICT, notamment Fleury Michon, Herta, Brocéliande, André Bazin et Madrange, produisent désormais de la charcuterie sans nitrite, en particulier du jambon blanc, aucun ne fait référence au débat sur le risque sanitaire potentiel lié à la consommation de nitrite dans la promotion de leurs produits (annexes à la requête n° 10 à 14) ;
- Fleury Michon précise que « les nitrites sont des conservateurs évalués et autorisés par la réglementation pour garantir la sécurité alimentaire et maîtriser le risque de botulisme » (annexe à la requête n° 10) ;
- Brocéliande, engagée dans la « charcuterie responsable » a lancé une campagne en 2021 intitulée « c'est le monde à l'envers » présentant les différents engagements et valeurs de la marque (bien-être animal, rémunération des éleveurs, production locale, respect de l'environnement) sans mettre en avant l'absence de nitrite alors même qu'elle propose des produits sans nitrite et qu'elle s'est engagée en juin 2022 à proposer l'ensemble de ses jambons et aides culinaires en conservation sans nitrite (annexes à la requête n° 15 à 18) ;
- Madrange, qui fait partie du même groupe que Brocéliande (annexe à la requête n° 19, page 74) a développé une large gamme de jambons sans nitrite mais semble insister davantage sur l'aspect recyclable de ces barquettes (annexe à la requête n° 14) ;
- pour expliquer le développement de gammes de charcuterie sans nitrite, la FICT indique vouloir répondre à l'attente des consommateurs « de plus de naturalité » (annexe à la requête n° 5, expression reprise par l'industriel André Bazin (annexe à la requête n° 13) ;
- la plupart des industriels membres de la FICT qui produisent de la charcuterie sans nitrite continuent de produire et commercialiser en parallèle la gamme de produits avec nitrite ;
- dans son rapport d'activités 2020, la FICT mentionne que « les recommandations de la FICT sur les allégations 'sans nitrites' viennent d'être révisées » ;
- ce rapport d'activités 2020 « d'encadrement volontaire professionnel vise à assurer une information transparente et loyale du consommateur, dans le contexte de développement de produits 'sans nitrites' visant à répondre aux attentes des consommateurs de plus de naturalité. Ces solutions 'sans nitrites' souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française » (annexe à la requête n° 5) ;
- si le rapport de l'année 2020 de la FICT ne tient pas compte de l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail (ANSES), c'est que ce dernier a été publié en juillet 2022, soit deux ans plus tard (page 114) ;
- certaines charcuteries espagnoles, corses ou italiennes sont produites sans nitrite comme, par exemple, le jambon de Parme depuis 1993, le Consortium du jambon de Parme qui regroupe 156 producteurs s'étant engagé à n'utiliser aucun additif alimentaire (annexe à la requête n° 7, pages 59 et 60) ;
- dans le secteur de la charcuterie, les trois premiers acteurs en France sont le groupe CASA TARRADELLAS qui détient Herta à 60 %, suivi du groupe COOPERL ARC ATLANTIQUE qui regroupe les marques Brocéliande, Madrange, Montagne Noire, Paul Prédault et Lampaulaise de Salaisons, puis du groupe FLEURY MICHON (annexe à la requête n° 19, page 74) ;
- l'étude Xerfi de septembre 2022 consacrée à la fabrication de charcuteries souligne que le chiffre d'affaires des fabricants français a dans l'ensemble augmenté de 1,1 % en 2021 et que les consommateurs se sont notamment reportés vers des produits à plus forte valeur ajoutée comme les charcuteries sans nitrite (annexe à la requête n° 19, pages 48 et 54) ; le jambon sans nitrite, en progression continue, représenterait, en mars 2022, 17 % du marché du jambon en France (annexe à la requête n° 20) ; selon un article de LSA du 2 novembre 2022, dans la catégorie du jambon cuit de porc, l'offre sans nitrite représenterait 23 % du CA et 16 % des volumes. Chez Herta qui a été la marque pionnière de ce segment, la conservation sans nitrites correspond à 34 % de son chiffre d'affaires et à 24 % de ses volumes de charcuterie. Sous l'effet du développement de l'offre par les MDD et d'autres intervenants comme Fleury Michon ou Brocéliande, le segment affiche une croissance en valeur et en volume supérieure à 30 % ;
- alors que son offre a peu évolué, Herta parvient à progresser en volume de 4 % sur la conservation sans nitrites à P9 2022. Sa part de marché est de 50 % en valeur et de 53 % en volume sur un total de la charcuterie « sans nitrites » (annexe à la requête n° 21) ; selon un article du site internet PorcMag du 26 juin 2022, « 1 acheteur sur 3 déclare déjà rechercher les produits sans sel nitrité au rayon charcuterie » (annexe à la requête n° 18) ;
- un débat au niveau national sur l'utilisation de ces additifs a notamment été initié en octobre 2019, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un député ayant présenté un amendement qui prévoyait la mise en place d'une taxe de 0,1 centime par kilo de charcuterie contenant des sels nitrités ; l'amendement, adopté en commission des affaires sociales, a été rejeté en séance ; que la FICT s'était mobilisée contre cet amendement (annexes à la requête n° 5 et n° 7, page 9) ;
- en novembre 2019, Yuka, Foodwatch et La Ligue nationale contre le cancer ont lancé une pétition demandant l'interdiction des nitrates et des nitrites ajoutés dans l'alimentation, à l'initiative de La Ligue (annexes à la requête n° 7, page 10, et n° 45) ;
- le 3 mars 2020, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a créé en son sein une mission d'information destinée à examiner la question des sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire ; le rapport d'information de cette mission a été enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 janvier 2021, assorti d'une proposition de loi du 14 décembre 2020 visant à l'interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de la charcuterie (annexe à la requête n° 7) ;
- l'examen de cette proposition de loi, initialement prévu en janvier 2021, a été repoussé et lié à la publication d'un rapport de l'ANSES sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, prévue pour avril 2021 (annexe à la requête n° 22) ; la sortie de ce rapport a été repoussée à deux reprises (annexe à la requête n° 23) ; le 6 décembre 2021, l'ANSES a indiqué que son avis et rapport d'expertise serait rendu à la fin du premier semestre 2022 (annexe à la requête n° 24) ;
- une nouvelle proposition de loi a été déposée (annexes à la requête n° 25 et 26); celle-ci relative « à la consommation de produits contenant des additifs nitrés » et non plus « à l'interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie » a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 3 février 2022 (annexes à la requête n° 23 et 27) ;
- l'avis et rapport de l'ANSES, publié le 12 juillet 2022, se fondant sur les études existantes, a confirmé l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrites et/ou aux nitrates, notamment ceux ingérés par la consommation de viande transformée et a préconisé une réduction de leur utilisation par ajout dans l'alimentation « aussi bas que raisonnablement possible » (annexes à la requête n° 3 et n° 19, pages 12 et 14) ; le Gouvernement a annoncé, le 28 mars 2023, la mise en place de son plan d'actions afin de tirer les conclusions de l'avis de l'ANSES ; ce plan présente une trajectoire de réduction de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie sur une durée de 5 ans sans suppression définitive de ces additifs pour tous les produits de la charcuterie (annexe à la requête n° 28) ; le 6 avril 2023, une nouvelle proposition de loi incluant une interdiction des nitrites dans toutes les charcuteries a été rejetée par l'Assemblée nationale (annexe à la requête n° 29) ;
- dans ce contexte, la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher ou, à tout le moins, à retarder, l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics ;
- le discours coordonné mis en place par la FICT visant à contrebattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés apparaît notamment dans ses différents rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 :
- dans le rapport annuel 2019, il est fait mention d' « un plan d'actions pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique », de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites (annexe à la requête n° 4) ;
- dans le rapport annuel 2020, un dossier de plusieurs pages est consacré aux nitrites, détaillant la stratégie de communication mise en place pour contrer la tentative d'interdire progressivement les nitrites ; la FICT précise qu'aucune étude ne prouve le lien entre les additifs nitrés et la survenue de cancer colorectal et estime que « les effets cancérogènes identifiés par l'OMS ne sont pas retrouvés aux faibles doses auxquelles les nitrites sont utilisés dans les charcuteries » (annexe à la requête n° 5) ;
- dans le rapport annuel 2021, la FICT estime que les nitrites sont injustement remis en cause, critique la mission d'information parlementaire et présente son plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat » (annexe la requête n° 30) ;
- dans le rapport annuel 2022, la FICT détaille sa communication « en réaction face aux attaques injustifiées sur les nitrites » (annexe à la requête n° 31) ; si la FICT s'engage dans le rapport précité à « baisser les seuils d'utilisation des nitrites dès que cela est possible », elle publie également, le 22 juillet 2022, un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie » (annexe à la requête n° 32) ;
- parallèlement à ces actions, la FICT semble s'être coordonnée avec des entreprises adhérentes pour attaquer en justice la société Yuca, cosignataire d'une pétition pour l'interdiction des nitrites ajoutés dans l'alimentation avec la Ligue nationale contre le cancer et Foodwatch ; les actions en justice intentées par la FICT et ses membres à l'encontre de Yuca et le niveau des dommages-intérêts demandés pourraient avoir pour objectif d'affaiblir Yuca, afin d'empêcher ou limiter toute communication sur la dangerosité potentielle des nitrites ;
- entre le 7 octobre 2020 et le15 décembre 2020, Yuca a reçu treize mises en demeure identiques de la FICT et d'industriels de la charcuterie membres de cette fédération professionnelle (annexe à la requête n° 33) ; ces mises en demeure visaient notamment à obtenir de Yuca la suppression de la pétition, de revoir son système de notation quant aux denrées contenant des nitrites et de corriger ses affirmations sur leur risque élevé ;
- seules trois de ces mises en demeure ont été suivies d'assignations en 2021 rédigées de manière identique : la FICT, Le Mont de la Coste et ABC Industries (annexes à la requête n°33 et 34) ; ces deux entreprises demandaient dans leurs assignations des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de Yuca de 1,6 million d'euros en 2020 (annexes à la requête n° 33 et 35) ;
- Yuca a été condamnée à trois reprises, le 25 mai 2021, par le Tribunal de commerce de Paris, le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le 24 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde pour pratiques commerciales trompeuses et déloyales et dénigrement (annexes à la requête n° 36 à 38) ; Yuca devait verser en tout 95000 euros de dommages-intérêts et avait dû retirer de l'application le lien vers la pétition demandant l'interdiction des nitrites (annexe à la requête n° 34) ; par des arrêts du 8 décembre 2022, du 13 avril 2023 et du 7 juin 2023, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la cour d'appel de Limoges et la cour d'appel de Paris ont chacune infirmé les jugements des tribunaux de commerce précités dans leur intégralité (annexes à la requête n° 39 à 41) ; il a été notamment reconnu en appel que les informations diffusées par Yuca sont fondées sur des fondements scientifiques sérieux et renommés, et que cette société n'a pas manqué à sa diligence professionnelle et n'a pas diffusé des informations trompeuses ou susceptibles d'induire les consommateurs en erreur ; le dénigrement a également été exclu, la question de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie faisant partie du débat d'intérêt général sur la santé publique ; ces arrêts n'ont pas fait l'objet de pourvois en cassation ;
- la société Yuca considère qu'il s'agit de procédures « bâillon » dans le dessein de la fragiliser et l'empêcher de s'exprimer au sujet des nitrites ; M. [J] [D], cofondateur de Yuka, a déclaré par PV du 7 juillet 2022 qu' « actuellement nous sommes une équipe de 7. Nous étions 11 l'année dernière, mais du fait des procédures judiciaires en cours concernant les nitrites, nous avons choisi de ne pas renouveler plusieurs personnes afin d'avoir une sécurité financière si jamais d'autres procédures devaient survenir (...) ces contentieux ont touché assez durement Yuca. Ça nous a touché financièrement puisque ça nous a coûté plus de 300 000 euros en amende et frais d'avocats (sur un chiffre d'affaires de 1, 6 M€). Cela nous a demandé beaucoup de temps et d'énergie et de ressources pour une petite équipe. Je pense qu'il s'agit d'une procédure bâillon. Ils n'avaient besoin que d'un seul procès pour faire retirer la pétition. Il n'y avait aucun besoin d'en faire 3 » (annexe à la requête n° 35) ;
- M. [K] [D], président et co-fondateur de Yuka a également précisé par PV du 5 septembre 2022 qu' « au-delà de l'aspect financier, c'est un investissement en temps considérable qui s'est fait au détriment du développement de l'application. Si d'autres assignations étaient venues, nous aurions pu fermer (...) Par ailleurs dans les deux affaires ABC INDUSTRIES et LE MONT DE LA COSTE, aucun préjudice commercial n'a été établi, ce qui explique le montant relativement faible des dommages intérêts octroyés par rapport aux montants demandés par ces sociétés. Comme mon frère vous l'a expliqué, la plupart des produits de la marque Noix fine fabriqués par ABC INDUSTRIES sont vendus à la coupe et ne comportent pas de codes-barres et ne peuvent donc être scannés dans l'application Yuka. Nous avons estimé dans le cadre de notre défense que pour les quelques produits scannables d'ABC INDUSTRIES, si tous les consommateurs avaient renoncé à leur acte d'achat, cela aurait représenté pour ABC INDUSTRIES une perte de marge de 657 €. ABC INDUSTRIES nous demandait 720 000 € au titre de leur préjudice commercial car c'est le montant qu'ils espéraient vendre sur la base de leurs objectifs de vente pour l'année en cours qui n'était pas encore clôturée. Ces procès visaient clairement à nous affaiblir, financièrement et moralement. mais nous avons souhaité poursuivre dans cette voie tout en sachant que Yuka pouvait s'arrêter » (annexe à la requête n° 33) ;
- il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 juin 2023 opposant la FICT à Yuca qu' « ainsi qu'il a été dit en réponse au moyen de nullité, il résulte de l'article 12 [article 161 des statuts de la FICT] qu'il confère à son Président 'pouvoir et qualité pour représenter la Fédération en justice, tant en demande qu'en défense' et que ce dernier 'peut, avec l'autorisation préalable du Comité Directeur ou du Bureau, intenter toutes actions en justice pour la défense des intérêts de la Fédération, consentir toutes transactions et former tous recours'. Il résulte en outre du compte rendu du comité directeur du 24 novembre 2020, qu'il a été décidé que 'la FICT doit poursuivre l'action juridique envers YUKA et aller jusqu'à l'assignation en justice' (annexes à la requête n° 41 et 43); les membres du Bureau dont l'autorisation préalable est requise sont MM. [RR] [W] (groupe Aoste), [I] [Y] (groupe Popy), [V] [P] (Lechef Premium), [YB] [YW] (Sofia BVA/AGRIAL), [S] [OG] (société [OG]), [LW] [BK] (Herta), [T] [X] (Groupe [X]), [O] [M] (Fleury Michon), [KR] [N] (LBC) (annexes à la requête n° 31 et 42) ; les membres du Comité Directeur ne sont pas précisés sur le site de la FICT, l'organigramme indiquant seulement que celui-ci est composé de 34 membres (annexe à la requête n° 42) ; l'article 12 des statuts de la FICT prévoit que ' Le Bureau est composé d'un maximum de 12 personnes, y compris le Président, élues par le Comité Directeur parmi ses membres » (annexe à la requête n° 43) ; les membres du Bureau sont également membres du Comité Directeur dont l'autorisation préalable est requise pour engager l'action en justice à l'encontre de la société Yuca ;
- le comportement de la FICT et de ses membres, s'il était avéré, pourrait relever d'une action concertée, convention, entente expresse ou tacite ou coalition qui viserait à préserver l'utilisation des nitrites dans la charcuterie ou, à tout le moins, à retarder leur interdiction ; en diffusant un discours coordonné et en poursuivant la société Yuca en justice, l'action de la FICT et de ses membres aurait pour but d'influencer le débat en cours en minimisant le danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation et en empêchant ou limitant la diffusion d'une pétition contre ces additifs ;
- la stratégie mise en 'uvre permettrait ainsi la coexistence de deux gammes de charcuterie (une gamme sans nitrite et une gamme avec nitrite), favorisant artificiellement un prix à la hausse de la charcuterie sans nitrite qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le prix payé par les consommateurs intéressés par cette gamme, restreignant la concurrence sur les qualités sanitaires et/ou nutritionnelles de la charcuterie produite, permettant un contrôle des débouchés, répartissant le marché entre les industriels et retardant l'innovation et le progrès ;
- un député a indiqué que les fabricants auraient intérêt d'un point de vue marketing et financier à faire durer les deux gammes (avec et sans nitrite) : l'une fait du volume avec moins de marge et l'autre fait moins de volume avec plus de marge (annexe à la requête n° 44) ;
- ce constat serait partagé par La Ligue nationale contre le cancer, Foodwatch et Yuka ;
- M. [C] [NW], délégué au service de prévention et promotion du dépistage de La Ligue nationale contre le cancer, a déclaré par PV du 7 avril 2022 que « Pour les autres, il y a un intérêt marketing au sans nitrites puisque cela permet un positionnement marketing de différenciation par rapport à la gamme avec nitrites, permettant d'appliquer un surprix, tandis que les charcuteries nitritées sont moins chères et permettent de faire du volume. » (annexe à la requête n° 45) ;
- M. [Z] [H], responsable de campagne de l'association Foodwatch a également précisé par PV du 16 juin 2022 : « Concernant le fait que le 'sans-nitrites' continue de coexister chez certains industriels avec les gammes comportant des nitrites relève pour moi d'une simple segmentation de gamme qui leur permet de réaliser des marges plus importantes sur le sans-nitrites, sans remettre en cause leur business model principal. En tout cas, toute la communication de la FICT permet de maintenir les deux gammes. D'après mon propre relevé partiel, j'ai identifié une différence de prix de 10 à 80 % entre des références identiques avec ou sans nitrites au sein des mêmes marques. Tous les produits sans additifs sont à la mode et connaissent un grand succès commercial auprès d'une classe sociale éduquée et ayant de l'argent, et prête à payer davantage pour disposer d'un produit perçu comme plus sain. Le 'sans-nitrite' existait avant que Foodwatch se lance dans cette campagne (notamment Herta). Les nitrites permettent notamment d'utiliser des viandes ou morceaux de moindre qualité tout en réduisant le risque bactérien, sans investir plus que nécessaire sur les chaînes de production en termes d'hygiène des process (le 'sans nitrite' nécessite un degré de rigueur supérieur en la matière) » (annexe à la requête n° 46) ;
- de la même manière, M. [K] [D], président et co-fondateur de la société Yuca, a déclaré par PV du 5 septembre 2022 : « Pour moi, la FICT ne souhaite pas l'interdiction des nitrites car ça permet de segmenter le marché en deux gammes : Une gamme classique avec nitrites qui permet d'utiliser des viandes de moindre qualité à des prix plus bas. Les nitrites ont aussi un pouvoir de rétention d'eau qui a pour avantage d'utiliser moins de matières premières. Une gamme premium sans nitrites pour des gens plus aisés et/ou qui se préoccupent davantage de leur santé, auxquelles ils peuvent vendre de la charcuterie plus cher avec des marges plus importantes, tout en pouvant produire un marketing sur la sécurité sanitaire, ce qui ne devrait pas être possible. J'ai l'intime conviction que même les acteurs du sans nitrites ont approuvé cette stratégie car ça va clairement dans leur sens et ça fait leurs affaires. Ils peuvent commercialiser une solution à un problème qui est entretenu. C'est donc un double discours. L'interdiction des nitrites ne permettrait pas la segmentation du marché et ça tirerait le prix du sans-nitrite vers le bas. Il y a finalement assez peu d'acteurs qui ne produisent que du sans-nitrite. La plupart conservent deux gammes en maintenant une gamme classique. » (annexe à la requête n° 33).
Le juge des libertés et de la détention a ainsi retenu que :
- l'entente suspectée est susceptible d'avoir été discutée et décidée au sein de la FICT ; celle-ci serait également à l'origine de la stratégie qui viserait à influencer les travaux parlementaires au sujet du danger potentiel des nitrites ajoutés dans l'alimentation et de la coordination des actions judiciaires menées à l'encontre de la société Yuca ;
- les deux autres sociétés ayant assigné Yuca au Tribunal de commerce, ABC Industrie et Le Mont de la Coste, sont toutes deux filiales du groupe Loste situé à la même adresse que CA Holding, détenus par M. [U] [G] (annexe la requête n° 47); que celui-ci est également vice-président de la FICT (annexe à la requête n° 42).
Le juge des libertés a en conséquence considéré que :
- la mesure de vérification demandée par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus ainsi que leurs auteurs dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie ;
- l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes susceptible de relever des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce;
- si les pratiques illicites présumées examinées peuvent toucher potentiellement l'ensemble du territoire national, elles sont également susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 du TFUE.
Le juge des libertés et de la détention a ainsi estimé que la portée de ses présomptions était suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420 1°, 2°, 3° et 4° du code de commerce et 101-1 a), b) et c) du TFUE et la recherche de la preuve de ces pratiques justifiée pour autoriser les opérations de visite et de saisie.
5. Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées :
- les 16, 17 et 21 novembre 2023 dans les locaux de la FICT, [Adresse 11] [Localité 8] ;
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société ABC Industrie, sis [Adresse 3] [Localité 2] ;
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société Le Mont de la Coste, sis [Adresse 12] [Localité 4].
- les 16 et 17 novembre 2023 dans les locaux de la société Loste, sis [Adresse 5] [Localité 9] et les sociétés du même groupe, sises aux mêmes adresses ;
6. Les opérations de visite et de saisie ont donné lieu à la mise en 'uvre d'ouverture de scellés fermés provisoires :
- les 19, 20, 21 décembre 2023 pour la FICT ;
- le 15 janvier 2024 pour les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste.
7. Le 24 novembre 2023, les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ont interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris du 10 novembre 2023. Le même jour, les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ont formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie des 16, 17 novembre 2023.
8. L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 11 décembre 2024 puis renvoyée au 30 avril 2025.
9. A ladite audience, l'examen du recours a été renvoyé à l'audience du 10 décembre 2025.
10. Par conclusions déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 17 février 2025, les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste demandent au délégué du premier président de la cour d'appel de Paris (RG n° 23/18240, 23/18241, 23/18245) :
- juger que l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris le 10 novembre 2023 a été adoptée en violation des articles 6 et 8 de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles 9 et 9-1 du code civil ;
En conséquence,
- annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris le 10 novembre 2023 ;
Et par voie de conséquence,
- ordonner le retrait de la procédure, la destruction effective et la restitution aux sociétés Loste, ABC Industrie et Le Mont de la Coste de l'ensemble des documents saisis dans le cadre des opérations de visites et de saisies réalisées sur le fondement de l'ordonnance annulée, et l'interdiction pour l'Autorité de la concurrence de es utiliser en original ou en copie ;
En tout état de cause,
- débouter toutes demandes contraires au présent dispositif ;
- condamner l'Autorité de la concurrence à s'acquitter entre les mains des sociétés Loste, ABC Industrie et Le Mont de la Coste d'une somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens
11. Par conclusions déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 23 octobre 2024, l'Autorité de la concurrence demande au délégué du premier président de la cour d'appel de Paris de (RG n° 23/18240, 23/18241, 23/18245) :
- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 10 novembre 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;
- rejeter la demande, par voie de conséquence, de restitution des documents et des données saisis dans les locaux de ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste lors des opérations de visite et de saisie ;
- condamner les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste au paiement de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
12. Le ministère public, par un avis du 22 avril 2025, conclut au rejet de l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 10 novembre 2023.
13. Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties soutenues à l'audience du 22 avril 2025 pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Plus particulièrement, la présente juridiction renvoie aux écritures des appelantes déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 17 février 2025, et aux écritures de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour d'appel de Paris le 23 octobre 2024, s'agissant de leurs développements relatifs à l'utilisation des nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie, la réglementation correspondante et les débats parlementaires y afférents.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la jonction des instances
14. Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG n°23/18240, RG n°n°23/18241 et RG n°n°23/18245 qui seront regroupés sous le numéro le plus ancien (RG n°n°23/18240).
Moyens des parties
15. A l'appui de leur demande d'annulation de l'ordonnance du 10 novembre 2023 rendue par le juge des libertés et de la détention de Paris, les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, appelantes, soulèvent trois moyens. Elles soutiennent à titre liminaire qu'elles sont recevables à présenter des moyens de défense concernant la FICT et des entreprises tierces (1). Elles contestent le bien-fondé de l'ordonnance au regard des indices retenus par le juge des libertés et de la détention (2). Elles concluent à l'absence d'un contrôle réel et effectif de la requête et des annexes présentées par l'Autorité par le juge des libertés et de la détention (3), et arguent du caractère disproportionné et injustifié de la mesure (4).
(1) Sur la recevabilité des moyens de défense concernant la FICT et des entreprises tierces
16. A titre liminaire les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste soutiennent qu'elles sont recevables à présenter des moyens de défense concernant la FICT et des entreprises tierces.
17. Elles font valoir qu'elles ont qualité et intérêt à agir devant le premier président de la cour d'appel pour solliciter l'annulation de l'ordonnance d'autorisation des opérations de visite et de saisie dans leurs locaux respectifs.
18. Elles soulignent que l'Autorité s'est fondée notamment sur des présomptions de pratiques anticoncurrentielles au sein de la FICT dont les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste, sont membres.
19. Elles soutiennent :
- être en droit de présenter des moyens de défense concernant les agissements qui sont susceptibles de leur être personnellement reprochés ;
- que les arguments figurant aux paragraphes 112 à 147 puis 219, 220 et 223 de leurs écritures et relatifs à des sociétés tierces n'ont aucune raison d'être écartés en ce qu'ils servent à " mettre en lumière l'inconsistance du dossier présenté " par l'Autorité.
20. Elles considèrent que " la prétendue irrecevabilité des moyens de défense relatifs aux agissements de la FICT soulevée par le rapporteur général dans ses écritures constitue un aveu judiciaire manifeste de l'absence d'implication des appelantes dans le premier volet de la prétendue concertation ".
21. L'Autorité de la concurrence, dans ses observations en réplique et à l'audience, considère qu'en application du principe " nul ne plaide par procureur ", les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste n'ont pas " d'intérêt personnel, direct et actuel à se plaindre de ce que d'autres personnes morales n'ont pas été remplies de leurs droits " (not. CA de Paris, Premier président, 2 novembre 2010, n° 10/01884, société Urbaine de Travaux c/ Autorité de la concurrence, confirmée par Cass crim, 7 mars 2012, n° 10-88196).
22. Elle estime que les sociétés précitées n'ont pas d'intérêt à agir pour demander l'annulation de la visite et saisie effectuée dans les locaux de la FICT, qui a interjeté appel contre l'ordonnance d'autorisation et déposé un recours contre le déroulement des opérations dans ses locaux.
23. Elle soutient que sont irrecevables :
- les moyens soulevés par les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste visant à constater que l'ordonnance serait infondée " à l'égard de la stratégie présumée de la FICT visant à empêcher ou, à tout le moins, retarder l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics, qui visent à défendre la position de la FICT (pages 17 à 21 des conclusions adverses) " et " ce d'autant plus que les appelantes admettent ne pas être concernées par ce premier volet de la concertation présumée " ;
- les arguments développés pour soutenir que le discours de la FICT à l'égard des pouvoirs publics ne serait pas susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel (pages 25-26 des conclusions des sociétés appelantes) ;
- les moyens soulevés par les appelantes " visant à contester le fait que des visites domiciliaires n'ont pas été autorisées dans les locaux d'entreprises tierces à l'égard desquelles les appelantes allèguent que l'ordonnance décrirait des indices d'agissements suspects (pages 30 et 31 des conclusions adverses) " ;
24. L'Autorité affirme que :
- il n'appartient pas aux appelantes de définir les sociétés, les organisations professionnelles et les lieux visés par elle lors de son enquête ;
- le juge de l'autorisation n'avait pas à retenir l'ensemble des entreprises et organisations professionnelles qui pourraient être citées dans les annexes à la requête :
- les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste n'ont pas qualité pour critiquer l'ordonnance en ce qu'elle n'a pas étendu à d'autres sociétés les mesures de visite et de saisie qu'elle autorisait (not. Cass. Crim., 16 juin 2004, n°03-83593, sociétés Righini et Berkvens France ; CA Paris, 2 nov. 2010, n°10/01847 et 4 octobre 2011, n° 10/23197).
25. Le ministère public, dans son avis écrit et à l'audience, ne formule aucune observation sur la recevabilité des moyens invoqués par les sociétés appelantes.
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
26. Il ressort des écritures que les sociétés appelantes ne forment aucune demande relative à la FICT mais soutiennent pour elles-mêmes des moyens de défense relatifs à la FICT et des entreprises tierces.
27. Il ne résulte d'aucune disposition du code de procédure civile que les parties appelantes seraient irrecevables à invoquer à la présente instance tout moyen de défense relatif à une autre partie sur des agissements qui leur seront personnellement reprochés.
28. Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens d'irrecevabilité soulevés par l'Autorité de la concurrence, l'exception d'irrecevabilité sera rejetée.
(2) Sur le bien-fondé de l'ordonnance
29. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste font valoir " le caractère manifestement parcellaire et tronqué du dossier transmis au JLD, en violation des principes de loyauté dans la recherche des preuves et de la présomption d'innocence " (i). Elles soutiennent le défaut de force probante des annexes à la requête (ii).
30. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste contestent l'existence d'indices d'un discours coordonné qu'auraient tenu les appelantes et la FICT à l'égard des pouvoirs publics relativement aux nitrites (iii), contestent l'existence d'indices d'une stratégie coordonnée dans le contentieux qui oppose d'une part les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, Loste et la FICT, et d'autre part la société Yuca (iv). Elles soutiennent l'absence d'objet ou d'effet concurrentiel des pratiques présumées (v).
(i) Sur le caractère " manifestement parcellaire et tronqué " du dossier transmis au juge des libertés et de la détention en violation des principes de loyauté dans la recherche des preuves et de la présomption d'innocence
31. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste soutiennent " le caractère manifestement parcellaire et tronqué du dossier transmis au JLD, en violation des principes de loyauté dans la recherche des preuves et de la présomption d'innocente ".
32. Elles font valoir que l'Autorité de la concurrence a présenté un dossier tronqué au juge des libertés et de la détention, l'empêchant d'exercer de réaliser un contrôle du bien-fondé de la requêté, en violation de l'article L. 450-4 du code de commerce qui impose que la demande d'autorisation soumise au juge comporte " tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ", en violation des principes d'impartialité et de loyauté dans la recherche de la preuve, et en violation de leurs droits de la défense.
33. Elles soutiennent que des éléments n'ont pas été communiqués au juge des libertés et de la détention et auraient été de nature à modifier son appréciation des présomptions anticoncurrentielles retenues à leur encontre.
34. En premier lieu, elles considèrent que l'Autorité n'a pas fidèlement présenté au juge des libertés et de la détention le contexte scientifique et réglementaire existant sur la question de l'interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie en omettant de présenter l'absence de consensus scientifique sur l'emploi des nitrites dans l'alimentation humaine, présentation du contexte qu'elle a orienté et insuffisamment approfondie.
35. Elles estiment que cette information " était essentielle pour permettre au juge des libertés et de la détention d'évaluer les pratiques prétendument illicites reprochées ".
36. Elles soutiennent que " en l'absence de consensus scientifique sur l'utilisation des nitrites dans les produits de charcuterie, il est manifestement infondé de qualifier d'illicite une prétendue communication sur ce sujet qui ne s'alignerait pas avec la position de certains acteurs du débat (') ".
37. Elles affirment que l'Autorité a présenté le contexte scientifique et réglementaire et le débat national sur l'utilisation des nitrites en s'appuyant exclusivement sur le rapport d'information de la mission parlementaire sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire datant du 13 janvier 2021 (annexe 7), lequel est partial et dépourvu d'objectivité.
38. Elles font valoir que sur l'ensemble des annexes produites, seules trois proviennent de la communauté scientifique (annexes 2, 3 et 24), qui sont les seules à présenter de manière neutre le contexte scientifique et réglementaire du débat sur les nitrites.
39. Elles font observer que n'ont pas été communiqués au juge des libertés et de la détention:
- les avis et recommandations des autorités sanitaires au niveau européen et français, lesquels confirment que les additifs nitrés ont un rôle essentiel (pièce n°5), et que l'Autorité arguant de la non pertinence d'une communication intégrale aurait pu fournir un document concis tel qu'elle en produit en pièce n°10 ;
- l'existence d'un autre rapport présenté à la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur la proposition de résolution européenne n°381 présenté par Monsieur [ZU] [PW], publié le 12 avril 2023 (pièce n°6), lequel aurait permis de révéler au juge l'absence de consensus scientifique ;
- l'ensemble des documents publics relatifs au plan nitrites d'action du gouvernement visant à réduire l'utilisation des additifs, nitrites / nitrates dans les aliments, publié en mars 2023 (paragraphe 86).
40. Elles soutiennent que les conclusions et recommandations du rapport relatif à " l'évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrite " publié en juillet 2022 par l'ANSES, rapport non communiqué au juge des libertés et de la détention, sont présentées de façon parcellaire et biaisée dans la requête (page 19 des écritures des appelantes).
41. En second lieu, elles soutiennent que l'Autorité de la concurrence a " présenté de façon parcellaire et biaisée les illustrations de charcuteries qui seraient produites sans nitrites, laissant croire (') que le sans nitrite est accessible à tous les opérateurs et pour tous les types de produit " (paragraphes 89 à 104).
(ii) Sur l'analyse et la force probante des annexes produites à l'appui de la requête
42. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste contestent la force probante des pièces annexées à la requête.
43. Elles soutiennent que " seul un nombre infime d'entre elles vise spécifiquement les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste et la quasi-totalité d'entre elles portent sur l'appréciation du premier volet de la concertation alléguée ".
44. Elles font valoir que sur les 49 pièces annexées à la requête, et sur lesquelles s'est fondé le juge des libertés et de la détention, 37 pièces ne les concernent pas.
45. Elles relèvent à cet égard que :
- les publications de l'ANSES (annexes 2, 3 et 24), une étude Xerfi sur la fabrication de charcuterie (annexe 19), les documents publiés par l'Assemblée nationale (annexes 7, 23, 26 et 27), les articles/communiqués de presse portant également sur le débat en cours relatif à l'interdiction des nitrites dans la charcuterie (annexes 22, 25, 28, 29 et 44), soient 13 pièces, si elles donnent des éléments d'information concernant le contexte de cette enquête, elles ne permettent pas de présumer l'existence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle impliquant les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, puisqu'aucune d'entre elles ne vise ces sociétés ;
- en communiquant les extraits de sites internet et des articles de presse concernant d'autres entreprises membres de la FICT n'ayant pas fait l'objet des opérations litigieuses (annexes 10 à 18, 20 et 21) soient 11 pièces, " les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont cherché à créer artificiellement un " effet de masse " afin de donner l'impression qu'ils détenaient un dossier consistant et suffisamment sérieux pour justifier la tenue de visites domiciliaires " alors qu'aucune de ces pièces ne présentent d'éléments à charge à l'encontre des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste et sans rapports avec les faits litigieux ;
- les documents diffusés publiquement par la FICT (annexes 4, 5, 9, 30, 31, 32 et 43), bien que mentionnant les sociétés appelantes, étaient insuffisants à fonder l'ordonnance d'autorisation;
- les procès-verbaux de déclaration et de recueil de copie de documents de M. [C] [NW], délégué au service de présentation et promotion du dépistage de la Ligue nationale contre le cancer, et M. [Z] [H], responsable de campagnes de l'association Foodwatch (annexes 45 et 46), relatent principalement l'existence du débat à propos des nitrites et l'implication de ces deux associations, aux côtés de la société Yuca et ne sont pas de nature à démontrer une implication des sociétés appelantes ;
- les jurisprudences (annexes 48 et 49) ne sont pas exploitées dans la requête, l'Autorité n'en tirant aucune conséquence.
46. Les appelantes considèrent que l'Autorité a fourni un nombre important de documents qui ne les concernent pas, et a cherché à étoffer " de manière fictive " le dossier, ce que le juge n'a pas vérifié.
(iii) S'agissant du volet relatif au discours coordonné entre la FICT et de ses adhérentes à l'égard des pouvoirs publics relativement aux nitrites
47. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste font valoir que :
- elles constatent l'absence d'indices les concernant spécifiquement et qui permettraient de présumer qu'elles auraient diffusé un discours coordonné relatif aux nitrites à l'égard des pouvoirs publics ;
- l'Autorité ne fournit aucun élément démontrant un parallélisme de comportement des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, toutes deux filiales de la société Loste, ainsi que le reconnaît selon elle l'Autorité de la concurrence dans ses écritures en page 2 ;
- le seul fait que Monsieur [U] [G], dirigeant du groupe Loste, soit vice-président de la FICT ne peut constituer un élément suffisant pour présumer que la société Loste ait pris part à cette concertation.
48. Elles soutiennent que :
- s'agissant des pratiques reprochées à la FICT et à ses membres, il est légitime et licite pour un organisme professionnel, dans le cadre de ses missions de représentation, conseil et défense des intérêts de la filière dont il a la charge, de relayer les préoccupations de leurs membres auprès des pouvoirs publics (paragraphes 124 à 129), et dans un contexte de débat public autour de l'utilisation des nitrites, la FICT était parfaitement fondée à faire valoir la position de ses membres sans qu'il ne puisse lui être reproché une quelconque stratégie ou discours coordonné anticoncurrentiel (paragraphes 130 à 147) ;
- qu'en l'espèce, " aucun des agissements décrits dans l'ordonnance ne permet de présumer que la FICT serait sortie de sa mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie " ;
- " aucun des éléments figurant au dossier ne permettent de sérieusement présumer que la FICT et ses membres auraient indûment tenté de minimiser le danger potentiel des nitrites ajoutés dans la charcuterie, dans le but d'empêcher ou de retarder, indûment, leur interdiction " et " aucune pièce du dossier ne permet de présumer que la FICT serait allée au-delà de ses missions, en tentant d'influer indûment sur le débat public " ou que son discours aurait été dénué de fondement juridique et/ou scientifique.
49. Elles soutiennent que le juge des libertés et de la détention doit être en mesure d'établir une présomption de pratique anticoncurrentielle imputable à la personne visitée et résultant de ses propres agissements, et que tel n'est pas le cas en l'espèce.
50. Elles estiment que le juge des libertés et de la détention a rendu sa décision sur le fondement de la combinaison de deux volets de façon cumulative et que l'absence d'éléments qui permettraient de présumer que les appelantes auraient pris part à ce premier volet de la concertation prive de fondement l'ordonnance qui doit être annulée de ce seul chef, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner le second volet de la concertation.
51. Elles en concluent que le juge des libertés et de la détention a failli à son obligation de contrôle effectif en autorisant les opérations de visite et de saisie à leur encontre sur " la base d'un faisceau d'indices s'agissant du premier volet de la concertation, puisqu'il repose exclusivement sur le comportement d'autres acteurs du secteur économique concerné ".
(iv) S'agissant du volet relatif au contentieux qui oppose d'une part la FICT, les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, et d'autre part la société YUCA
52. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste font valoir que :
- l'action judiciaire dirigée contre la société Yuca ne constitue pas plus un élément suffisant pour présumer de l'existence d'une quelconque entente anticoncurrentielle dont la FICT et ses membres ;
- " aucune pièce du dossier ne permet de présumer sérieusement l'existence d'une telle pratique, que ce soit en raison de ce seul agissement ou d'un faisceau d'indices reposant sur d'autres agissements propres aux appelantes " ;
- l'accès au juge est un droit fondamental ;
- le fait pour une entreprise ou une organisation professionnelle d'intenter une action mal fondée ne pourrait pas, à lui seul, constituer une infraction au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101§1 du TFUE, à moins que cette action ne poursuive un but anticoncurrentiel;
- une action en justice ne peut être considérée qualifiée de pratique anticoncurrentielle que si deux conditions cumulatives et interprétées restrictivement sont réunies à savoir d'une part, que l'action soit manifestement dépourvue de tout fondement, au point de ne pouvoir être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise ou de l'organisation professionnelle concernée et d'autre part, l'action doit s'inscrire dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré (not. Arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T-111/96, point 55) ;
- en l'espèce, s'agissant de la première condition, la recevabilité des actions engagées par la FICT et les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste à l'encontre de la société Yuca a été confirmée par les juridictions d'appel de Paris et de Limoges (annexe 41 page 10 et annexe 40 page 9) et les tribunaux de commerce saisis par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste ont fait droit, en première instance, aux demandes de ces dernières (annexes 37 et 38 à la requête), circonstance suffisant à démontrer que les actions n'étaient ni déraisonnables, ni infondées de sorte qu'elles ne sauraient caractériser une quelconque pratique anticoncurrentielle;
- la cour d'appel d'Aix-en-Provence a reconnu que cette pratique pouvait être constitutive d'un acte de dénigrement, ce qui suffit à établir que les actions engagées par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste n'étaient ni manifestement déraisonnables, ni infondées (annexe 39 à la requête page 15) ;
- l'Autorité de la concurrence reconnaît dans avis 25-A-01 " qu'une action judiciaire intentée contre un éditeur d'un système de notation qui serait fondée sur des faits de dénigrement, puisse être légitime et justifiée, sans qu'il ne puisse lui être conféré un quelconque caractère abusif, confirmant ainsi l'inexistence de toute pratique prohibée s'agissant de l'action " judiciaire intentée par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste à l'encontre de la société Yuca " ;
- en retenant que les procédures judiciaires intentées par la FICT et les sociétés " ABC Industrie et Le Mont de la Coste, ainsi que les mises en demeure qui les auraient précédées, permettraient de présumer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, alors que celles-ci étaient parfaitement légitimes et justifiées, le JLD a manifestement failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence " ;
- la qualification de " procédure bâillon " retenue en page 8 de l'ordonnance repose exclusivement sur les déclarations des co-fondateurs de la société Yuca (annexes 33 et 35) qui sont insuffisantes à remettre en cause la légitimité des actions judiciaires, ce d'autant qu'elles ont été réalisées par l'Autorité avant l'infirmation des jugements de première instance ;
- à supposer ces actions analysées comme étant une pratique prohibée, " aucune pièce figurant au dossier ne permet de sérieusement présumer que les procédures contentieuses engagées contre la société Yuca étaient susceptibles de s'inscrire dans une stratégie ayant pour but d'éliminer la concurrence, de sorte que la seconde condition permettant de qualifier de pratique anticoncurrentielle une action en justice n'est pas plus remplie " ;
- " la circonstance selon laquelle les actions judiciaires de la FICT et des sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste aient été engagées parallèlement n'est pas déterminante en soi pour présumer, en l'espèce, l'existence d'une stratégie anticoncurrentielle " ;
- le simple parallélisme de comportement entre la FICT et ses adhérentes comme les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste, était, " en l'absence d'autres éléments, insuffisant pour établir une présomption d'entente " en ce qu'il peut résulter de prises de décisions identiques mais indépendantes ;
- " la proximité temporelle " entre leurs assignations et celle de la FICT ainsi que la similitude des rédactions ainsi que le retient l'ordonnance sont dénues de pertinence en ce qu'elles émanent d'un conseil commun et que les actions visent à défendre des intérêts communs (paragraphe 177) ;
- le fait que Monsieur [U] [G], dirigeant du groupe Loste, soit vice-président de la FICT ne peut constituer un élément suffisant pour présumer l'existence d'une concertation, " cette fonction ne lui confère en effet aucun pouvoir décisionnel quant à l'engagement de l'action judiciaire intentée par la FICT contre la société Yuca " ;
- " par principe, l'action d'une fédération professionnelle ne prive pas ses adhérents du droit d'agir pour la défense de leurs propres intérêts et la réparation de leur préjudice personnel ";
- l'action de la FICT en sa qualité de syndicat professionnel n'empêche pas ses adhérentes d'introduire une action tendant à obtenir d'une part la cessation des agissements de Yuca et d'autre part, la réparation de leur préjudice personnel.
53. Elles déclarent que " Il ressort de ce qui précède que, contrairement à ce que le JLD a retenu dans son Ordonnance, il n'existe pas d'éléments suffisants permettant de présumer l'existence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle dont la FICT et ses membres (et notamment les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, toutes deux filiales de la société Loste) seraient les auteurs, dans la mesure où l'action judiciaire engagée contre la société Yuca ne permettait en aucune manière de caractériser une pratique anticoncurrentielle, de sorte que le JLD a failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence ".
(v) Sur l'absence d'objet ou d'effet concurrentiel des pratiques présumées
54. Les sociétés appelantes considèrent qu'aucune pièce du dossier ne permet de présumer " que le discours de la FICT à l'égard des pouvoirs publics et l'action diligentée à l'encontre de la société Yuca seraient susceptibles d'avoir un quelconque objet ou effet anticoncurrentiel ".
55. Elles font valoir qu'il ressort de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence qu'elles citent aux paragraphes 183 à 185 de leurs écritures qu'une organisation professionnelle ne peut être considérée comme enfreignant les articles L. 420-1 du code de commerce et 101§1 du TFUE que si " elle sort de la mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie, en adoptant un comportement de nature à influer directement ou indirectement sur la concurrence que se livrent ses membres ".
56. S'agissant de l'existence présumée d'un discours coordonné portant sur l'utilisation des nitrites dans l'alimentation, elles soutiennent que :
- " à supposer qu'il puisse être considéré que la FICT ait mis en 'uvre une " stratégie " visant à empêcher ou retarder l'interdiction des nitrites dans la charcuterie, aucune pièce du dossier ne permet de présumer que celle-ci aurait un quelconque objet ou effet anticoncurrentiel ", ce discours reposant sur des considérations sanitaires ;
- le juge des libertés et de la détention ne pouvait présumer l'existence d'incidences anticoncurrentielles, la FICT n'ayant fait que reprendre, dans sa communication à l'égard des pouvoirs publics, les positions des autorités sanitaires ;
- en l'absence de consensus scientifique, les partisans de chaque thèse étaient libres d'exprimer leur position et " rattacher un objet anticoncurrentiel à la défense de la position défendue par la FICT reviendrait à faire peser indûment le bénéfice du doute au profit d'une thèse plutôt que de l'autre ".
57. S'agissant de l'existence présumée d'une coordination des actions judiciaires menées à l'encontre de la société Yuca, elles soutiennent que :
- " à supposer qu'il puisse être considéré que l'action dirigée contre la société Yuca par la FICT et certains de ses membres ait pu empêcher ou limiter la diffusion d'une pétition contre ces additifs - aucune pièce figurant au dossier ne permettant de présumer qu'elle ait eu " pour objectif d'affaiblir Yuca " " ;
- aucun lien ne peut être fait entre ladite pétition et la prise de position des pouvoirs publics qui étaient alors en attente des conclusions et recommandations des autorités sanitaires (et notamment de l'ANSES) avant toute évolution législative.
58. Elles affirment que " la thèse du JLD selon laquelle " la stratégie mise en 'uvre ainsi que deux gammes de charcuterie (une gamme sans nitrite et une gamme avec nitrite), favorisant artificiellement un prix à la hausse de la charcuterie sans nitrite qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le prix payé par les consommateurs intéressés par cette gamme, restreignant la concurrence sur les qualités sanitaires et/ou nutritionnelles de la charcuterie produite, permettant un contrôle des débouchés, répartissant le marché entre les industriels et retardant l'innovation et le progrès " n'est tout simplement pas crédible " en ce que :
- cette thèse repose uniquement sur les déclarations des partisans du projet de loi visant à interdire les nitrites dans la charcuterie (annexes 33, 35, 45 et 46) qui " imputent aux industriels des considérations uniquement financières et marketing, alors qu'il est manifeste que les considérations d'ordre sanitaire sont essentielles pour la détermination de leur stratégie commerciale " (pièce n°9) ;
- le maintien de deux gammes de produits, l'une sans nitrites et l'autres avec additifs nitrés n'a pas d'objet ou d'effet anticoncurrentiel car le cas échéant, " toute stratégie commerciale de différenciation adoptée par les opérateurs économiques serait susceptible d'enfreindre le droit de la concurrence ", d'autant que " les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste ne commercialisent pas de produits de charcuterie sans nitrite ".
59. Les sociétés appelantes estiment ainsi qu'il n'existe aucun élément " permettant de présumer l'existence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle susceptibles d'être reprochée aux membres de la FICT, et plus particulièrement aux sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste, filiales de la société Loste, dans la mesure où celles-ci ne commercialisent pas de produits de charcuterie sans nitrites, de sorte que le JLD a failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence ".
60. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste concluent que " l'addition, le rapprochement, la confrontation et la combinaison des éléments figurant au dossier ne permettent aucunement d'aboutir à la présomption d'une quelconque concertation anticoncurrentielle entre les membres de la FICT et qui impliquerait les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, toutes deux filiales de la société Loste, de sorte que l'Ordonnance est infondée, conformément à la jurisprudence précitée aux paragraphes 43 à 54 ".
61. Elles considèrent, aux paragraphes 214 à 220 de leurs écritures et dans leurs développements relatifs au moyen tiré de la proportionnalité des mesures autorisées, que " les éléments du dossier ne permettent pas plus de présumer que la société Loste aurait pris part aux prétendus agissements anticoncurrentiels, et donc de nature à justifier la réalisation d'une opération de visite et de saisie dans ses locaux ".
62. Elles soutiennent que :
- le fait que les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste soient des filiales de la société Loste ne constitue pas un élément suffisant pour permettre de mettre les agissements présumés de ces dernières à la charge de la société Loste, " faute d'éléments de preuve la concernant " ;
- il est de jurisprudence constante que le fait qu'une société soit contrôlée à 100 % ne suffit pas à caractériser l'existence d'une imbrication susceptible de constituer une entité fonctionnelle qui permettrait de retenir à la charge de l'une les agissements de l'autre (CA Paris, 20 mai 2010, Sixt, 09/12406) ;
- le juge des libertés et de la détention ne s'est appuyé sur aucune pièce qui permettrait de présumer que la société Loste, société holding n'ayant pas d'activité commerciale, serait autrice des pratiques soupçonnées, celle-ci n'ayant pas intenté d'action judiciaire à l'encontre de la société Yuca ;
- le fait que Monsieur [U] [G], dirigeant du groupe Loste, soit vice-président de la FICT est sans indifférent.
63. L'Autorité de la concurrence, dans ses observations écrites et à l'audience, conclut au bien-fondé de l'ordonnance et des présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention.
64. Elle conclut à l'absence de violation des principes d'impartialité, de loyauté et de la présomption d'innocence (i), le respect du droit au procès équitable, des droits de la défense et du principe du contradictoire (ii).
65. Elle conteste l'allégation selon laquelle le dossier communiqué au juge des libertés et de la détention serait " manifestement parcellaire et tronqué " (iii), et considère qu'il comporte des éléments suffisants pour présumer une entente anticoncurrentielle au sein de la FICT et de nature à présumer que les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste seraient les auteurs d'agissements anticoncurrentiels (iv).
(i) Sur les principes d'impartialité, de loyauté et la présomption d'innocence
66. L'autorité soutient que les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste n'établissent pas que " la pratique du projet d'ordonnance serait contraire au principe d'impartialité, ni que les principes de loyauté et de la présomption d'innocence imposeraient au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence de communiquer au JLD " tous les éléments d'information en sa possession " ".
67. En premier lieu, l'Autorité fait valoir que le principe d'impartialité prévu à l'article 6-1 de la CESDH ne s'oppose pas à ce que la requête et l'ordonnance d'autorisation soient similaires. Elle fait valoir que :
- l'Autorité de la concurrence présente au juge des libertés et de la détention, " dans un souci de commodité, une requête et un projet d'ordonnance " en version papier accompagnée d'une version numérique, pour permettre au magistrat d'en faire usage s'il le souhaite " ;
- le juge peut refuser de donner son autorisation (not. CA de Paris, Premier président, 28 juin 2017, n° 15/21311) ;
- le juge peut substituer d'autres motifs et un autre dispositif à ceux qui lui sont proposés ;
- les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité, et la circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision ainsi qu'il en résulte de la jurisprudence que l'Autorité cite en page 10 et 11 de ses écritures ;
- les juridictions ont rejeté l'argument tiré d'une violation du principe d'impartialité du fait de la similarité entre la requête de l'administration et l'ordonnance d'autorisation (jurisprudence citée en page 12 et 13 des écritures de l'Autorité) ;
- la pratique consistant à accompagner la requête d'un projet d'ordonnance est courante en matière civile, et l'Autorité produit à cet égard (annexe A de ses observations, page 14, paragraphes 3 à 5) un rapport du barreau de Paris lequel fait état de modèles d'ordonnances prérédigés que les avocats complètent lorsqu'ils présentent au juge une requête aux fins de mesures d'instruction in futurum ;
- en l'espèce, la requête a été déposée le 6 novembre 2023 et l'ordonnance rendue le 10 novembre 2023, ce dont elle déduit qu'en 5 jours, le juge a pu procéder aux vérifications qui s'imposaient ;
- aucun élément ne permet aux appelantes de soutenir qu'il n'y a pas eu un examen attentif par le juge des 49 annexes utiles jointes à la requête afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence d'une présomption d'entente.
68. L'Autorité considère qu'il en résulte que la similarité des termes de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention au regard de sa requête est sans effet sur sa régularité et " l'argumentation captieuse des appelantes ne permet pas de mettre en doute l'appréciation concrète par le JLD des éléments d'information qui lui ont été soumis ".
69. En second lieu, l'Autorité soutient que le principe de loyauté et la présomption d'innocence n'imposent pas au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence de communiquer au juge des libertés et de la détention tous les éléments d'information en sa possession. Elle fait valoir que :
- conformément à l'article L. 450-4 alinéa 2 du code de commerce, l'ordonnance d'autorisation a été rendue sur le fondement des seules pièces annexées à la requête ;
- le juge des libertés et de la détention saisi sur ce fondement n'a pas à instruire à charge et à décharge, mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur une ou de simples présomptions suffisantes de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte ;
- en l'espèce, toutes les pièces annexées à la requête y figurent, et le juge a souverainement caractérisé l'existence d'une présomption d'entente, justifiant ainsi sa décision ;
- le juge a satisfait aux exigences de l'article L. 450-4 du code de commerce en appréciant souverainement que l'ensemble des informations utiles communiquées par l'Autorité de la concurrence permettait de présumer l'existence d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ;
- le juge a vérifié qu'il y avait dans le dossier annexé à la requête une demande d'enquête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 1 du code de commerce et à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, seule pièce obligatoire lors d'une demande d'autorisation.
70. Elle ajoute que :
- aucun devoir d'exhaustivité ne peut être imputé à l'Autorité dans la production de pièces et de faits à l'appui de la requête présentée au juge car d'une part, l'Autorité de la concurrence a uniquement le devoir de produire les informations et documents utiles à étayer les présomptions qui justifient la demande de procéder à des opérations de visite et de saisie et d'autre part, au stade de l'enquête préliminaire afin de confirmer ou d'infirmer la suspicion de mise en 'uvre de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité n'a pas connaissance de l'intégralité des faits et éléments d'information relatifs à l'existence ou non de pratiques anticoncurrentielles présumées;
- les appelantes ont été informées de l'objet de la mesure autorisée, des pratiques anticoncurrentielles présumées et du secteur concerné ;
- les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste disposent d'un dossier complet pour pouvoir exercer leur appel de l'ordonnance en cause ;
- le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence n'avait pas à communiquer juge des libertés et de la détention, au stade de l'enquête préalable, toutes les informations dont il dispose à propos d'une infraction présumée, ni aux sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, mais seulement les informations qu'il a jugé utiles à la démonstration de simples présomptions pour emporter la conviction du juge.
(ii) Sur le droit au procès équitable, les droits de la défense et le principe du contradictoire
71. L'Autorité de la concurrence estime que les jurisprudences invoquées par les sociétés appelantes dans leurs écritures sont sans objet.
72. Sur le droit au procès équitable, l'Autorité soutient que " en ce qui concerne plus particulièrement la violation prétendue du droit au procès équitable de l'article 6§1 de la CESDH invoquée par les appelantes, il paraît utile de préciser que celles-ci ont eu accès à l'intégralité du dossier sur lequel s'appuie l'ordonnance d'autorisation et ont pu contester devant la Cour de céans, en fait et en droit, la légalité de l'ordonnance d'autorisation et chacune des pièces annexées à la requête qu'elles souhaitaient mettre en discussion, ainsi que le déroulement des opérations de visite et saisie ".
73. Sur les droits de la défense, l'Autorité fait valoir que :
- les droits de la défense, tels que définis par l'article 6§1 de la CESDH, ne sont pas pleinement applicables au stade de la procédure de constatation des infractions qui inclut la mise en 'uvre de la recherche de la preuve ;
- la CEDH a statué en ce sens en précisant que l'assujettissement de telles enquêtes préparatoires à ces garanties procédurales gênerait en pratique la recherche et la constatation des infractions dans le domaine des activités commerciales et financières (not. CEDH, IJL et autres c/ Royaume-Uni, 19 septembre 2000, n° 29522/95, n° 30056/96, n°30574/96, paragraphe 100) et qu'il en va de même pour la recherche et la constatation de la preuve de la pratique anticoncurrentielle d'entente prévue à l'article L. 420-1 du code de commerce, qui fait partie de la " matière pénale " au sens de la CEDH ;
- seules certaines dispositions de l'article 6§1 de la CESDH sont applicables à la phase préliminaire, les règles du délai raisonnable et de l'équité, et seulement si leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès dans son ensemble, ce qui ne peut s'apprécier qu'au stade de la décision ;
- en droit des pratiques anticoncurrentielles, les droits de la défense, notamment la mise à disposition du dossier, ne commencent qu'à la communication des griefs par l'Autorité de la concurrence alors que la recherche de la preuve est terminée.
74. Sur le principe du contradictoire, elle considère que :
- s'agissant des enquêtes de l'Autorité des marchés financiers, la Cour de cassation a considéré que le principe de la contradiction est sans application aux enquêtes, préalables à la notification des griefs, auxquelles le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers peut décider de procéder (Cass Com, 6 février 2007, n° 05-20811) ;
- s'agissant des enquêtes de l'Autorité de la concurrence, le principe du contradictoire, notamment la mise à disposition du dossier, ne commence qu'à la communication des griefs par l'Autorité de la concurrence (article L. 463-1 du code de commerce et not. Cass. Com, 14 janvier 1992, n° 89-20576 ; 23 novembre 2010, n° 09-72031) ;
- cette position est conforme à la " clause d'ordre public " énoncée par la CEDH qui autorise l'Etat à limiter l'exercice du droit proclamé. Pour être admissible, l'ingérence de l'Etat dans le droit garanti (en ce qui concerne notre affaire, le report du principe contradictoire au stade de la communication des griefs par l'Autorité de la concurrence) est subordonnée à une triple condition : être prévue par la loi (article L. 463-1 du code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve des pratiques anticoncurrentielles qui constitue une mesure nécessaire au bien-être économique du pays) et être nécessaire dans une société démocratique ;
- au stade de la recherche de la preuve par le biais de la visite et saisie prévue à l'article L. 450-4 du code de commerce, c'est le principe de loyauté qui s'applique et non pas celui du contradictoire ;
- la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la constitution de l'article 76 du code de procédure pénale (Cass. Crim., 27 avril 2011, n° 11-90010), que l'Autorité considère transposable aux opérations de visite et de saisie de l'article L. 450-4 du code de commerce ;
- la Cour de cassation se prononçant sur la transmission d'une autre question prioritaire de constitutionnalité (Cass. Com., 28 novembre 2012, n°12-18410) rendue dans le domaine du droit de la concurrence précise : " ('), ne constitue pas par elle-même une atteinte aux droits de la défense, en particulier au principe de l'égalité des armes, ni au droit à un recours juridictionnel effectif, dès lors que le principe de l'égalité des armes ne s'applique pas à ce stade, non contradictoire, de la procédure d'enquête ".
75. Sur le principe de loyauté, l'Autorité fait valoir que :
- dans la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles, le principe de loyauté est garanti (CA de Paris, Premier président, 11 octobre 2011, n° 10/23208, société Dachser c/ Autorité de la concurrence, page 6) par la notification de l'ordonnance d'autorisation qui mentionne l'objet de l'enquête, la connaissance et le respect des règles éthiques, déontologiques et de probité par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, la présence possible d'un conseil mentionnée dans l'ordonnance, la présence d'un officier de police judiciaire qui contrôle le respect de la procédure et qui constitue une garantie pour le justiciable (CEDH, 16 octobre 2008, n° 10447/03, Maschino c/ France, § 33 à 35 ; voir également CA de Nîmes, Premier président, 10 février 2015, n° 13/05645, société Eiffage et autres c/ DGCCRF), la saisine en cas de difficulté et le déplacement possible sur les lieux du JLD, et enfin le recours en contestation tant de la légalité de l'ordonnance d'autorisation que du déroulement des opérations de visite et de saisie ouvert aux appelantes et exercé par celles-ci, afin de tenter d'obtenir l'annulation de la procédure.
76. Sur la présomption d'innocence, l'Autorité estime qu'il résulte de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce ne contreviennent pas à celle des article 6, 8 et 13 de la CESDH (jurisprudence citée pages 20 et 21 des écritures de l'Autorité).
77. L'Autorité conclut qu'il ressort de ces éléments que " les appelantes n'établissent pas que d'une part, le principe d'impartialité s'opposerait à ce que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration et d'autre part, que le principe de loyauté et la présomption d'innocence obligeraient le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence de communiquer au JLD " tous les éléments d'information en sa possession ". " et que " le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence n'a donc pas manqué à son obligation de loyauté ni le JLD à son obligation de contrôle en rendant une ordonnance sur la base des seules pièces utiles annexées à la requête ".
(iii) Sur l'allégation selon laquelle le dossier communiqué au juge des libertés et de la détention serait " manifestement parcellaire et tronqué "
78. A titre liminaire, l'Autorité fait valoir que l'article L. 450-4 alinéa 6 du code de commerce offre une voie de recours devant le premier président de la cour d'appel concernant exclusivement la légalité de l'ordonnance d'autorisation et que par conséquent, toute discussion relative à la requête est inopérante dès lors que celle-ci ne constitue qu'une simple demande du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence qui ne pourrait recevoir aucune suite en l'absence de l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention.
79. En premier lieu, l'Autorité soutient que l'ordonnance fait état, de manière neutre, du débat national sur l'utilisation des nitres dans la charcuterie.
80. Elle estime que :
- l'ordonnance fait état aussi bien de la position des organismes professionnels partisans de l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie (annexes à la requête n° 4, 5, 6, 8, 9, 30, 31 et 32) que de la position des sociétés et associations qui mettent en avant le caractère cancérigène de ces additifs (annexes à la requête n° 33, 34, 35, 45 et 46), ainsi que des initiatives prises par certains industriels producteurs de charcuterie sans nitrites (annexes à la requête n° 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20 et 21 à la requête) et des initiatives prises par les pouvoirs publics afin d'encadrer l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie (annexes à la requête n° 7, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 et 44 à la requête) et des travaux de l'ANSES résumant le consensus scientifique sur ce sujet (annexes à la requête n° 2 et 3) ;
- le dossier communiqué au juge comportait davantage d'annexes issues des organismes professionnels partisans de l'utilisation des additifs nitrés (8 annexes au total) que d'annexes issues des opposants à leur emploi dans ces denrées alimentaires (5 annexes au total) ;
- l'ordonnance comprend des annexes relatives aux initiatives prises par les pouvoirs publics afin d'encadrer l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie (10 annexes au total), qui permettent de comprendre l'évolution du débat public sur le sujet des additifs nitrés ;
- l'ordonnance ne s'est pas appuyée exclusivement sur le rapport d'information de la mission parlementaire (annexe à la requête n°7).
81. L'Autorité conteste la partialité du rapport d'information de la mission parlementaire (annexe à la requête n°7). Elle soutient que la composition de cette mission d'information, son rôle, sa durée et son fonctionnement offrent des gages d'impartialité. Elle ajoute que " la critique en partialité des appelantes, qui repose sur le seul rejet par ce rapport du risque de multiplication des cas de botulisme dans l'hypothèse d'une suppression des additifs nitrés, il convient de relever que ce rejet argumenté par le rapport (pages 24 à 26) n'est pas repris par l'ordonnance du JLD ".
82. Sur l'allégation selon laquelle les services d'instructions n'auraient pas communiqué au juge des libertés et de la détention des éléments déterminants pour apprécier le contexte du débat sur l'utilisation des additifs nitrés, l'Autorité soutient que les éléments d'information que les appelantes ont relevé dans leurs pièces n° 5 (version intégrale de l'avis révisé et du rapport d'expertise collective sur l'évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrites publiés par l'ANSES en juillet 2022 et avis scientifiques publiés par l'EFSA) et 6 (rapport fait au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne relative à l'interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie) se retrouvent dans les annexes communiquées au juge des libertés et de la détention ainsi qu'elle le développe en pages 24 à 26 de ses écritures.
83. Elle estime que l'ordonnance ne se prononce pas en faveur de l'interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, mais se contente de relever des agissements des sociétés et organisme professionnel visés, agissements susceptibles d'être anticoncurrentiels dans le contexte du débat sur l'utilisation des additifs nitrés.
84. Elle en conclut que ni les pièces des appelantes n° 5 et 6, ni des documents plus complets sur le plan d'action du gouvernement ne sont susceptibles de " modifier l'appréciation portée [par le JLD] sur les éléments démontrant les présomptions de fraude " et ce " d'autant plus que les appelantes admettent que les documents dont l'absence de communication est critiquée portent sur le " contexte scientifique " de l'utilisation des additifs nitrés dans les produits de charcuterie et non pas sur agissements frauduleux présumées ".
85. Elle ajoute qu'il ne relève ni de la compétence de l'Autorité de la concurrence, ni de celle du juge des libertés et de la détention de trancher le débat portant sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie " de sorte qu'aucune recherche supplémentaire visant à davantage éclairer l'Autorité de la concurrence ou le JLD sur le débat scientifique sur l'utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie n'apparaît nécessaire ".
86. En second lieu, l'Autorité considère que l'allégation des appelantes selon laquelle le juge des libertés et de la détention aurait fait une confusion entre la charcuterie sans nitrite et la charcuterie sans nitrite ajouté, est sans conséquence.
87. Elle fait valoir que :
- l'autorisation de visite domiciliaire est délivrée pour un secteur économique, sans pour autant que le juge des libertés et de la détention ne soit tenu d'individualiser les marchés pertinents à ce stade de l'autorisation ;
- l'autorisation délivrée concerne des présomptions dans un " secteur " économique et non sur un ou des marchés pertinents dont la délimitation relève de l'Autorité puis des juridictions éventuellement saisies ultérieurement ;
- les visites et saisies autorisées ont pour but de vérifier si dans un secteur économique donné, en l'espèce, celui de la charcuterie-salaisonnerie, les règles de la concurrence jouent pleinement;
- il est de jurisprudence constante que le juge des libertés et de la détention ne délivre pas une autorisation indéterminée et respecte les prescriptions de l'article L. 450-4 du code de commerce en autorisant des visites et saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques dans un secteur de l'économie (jurisprudence citée en page 27 et 28 des écritures de l'Autorité) ;
- il n'appartient pas aux sociétés appelantes de déterminer elles-mêmes le champ de l'ordonnance d'autorisation et les produits susceptibles d'être concernés par la pratique anticoncurrentielle d'entente présumée ;
- le juge des libertés et de la détention " a pu décrire et analyser, sur la base des éléments d'information en sa possession, des comportements suspects de la FICT et des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, toutes deux filiales du groupe Loste, visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés afin que l'émergence de gammes sans nitrites ne nuise pas à la commercialisation des produits avec des nitrites ajoutés et réduire ainsi toute concurrence qu'il pourrait y avoir entre les deux gammes de produits ".
88. L'Autorité en conclut qu'il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention de ne pas avoir circonscrit son autorisation à un marché ou à un produit spécifique, mais à un secteur économique.
89. L'Autorité fait valoir que les appelantes soutiennent à tort que l'ordonnance confondrait les charcuteries " sans nitrite " et " sans nitrites ajoutés " et que cette distinction ressort des annexes à la requête n° 2, 3 et 19, dont le juge des libertés et de la détention a eu connaissance.
90. Elle ajoute que cette distinction entre les modes de production des charcuteries sans nitrite ou sans nitrites ajoutés est indifférente dès lors que l'ordonnance autorise les services d'instruction à s'intéresser à l'ensemble des modes de production dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie.
91. Elle considère que cette distinction entre les modes de production des charcuteries sans nitrite ou sans nitrites ajoutés est indifférente dès lors que l'ordonnance autorise les services d'instruction à s'intéresser à l'ensemble des modes de production dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie.
92. Elle affirme que cette allégation est " sans emport sur le bien-fondé de l'ordonnance, son objectif n'étant pas de trancher le débat entre détracteurs et partisans des nitrites ajoutés dans la charcuterie, comme l'insinuent à tort les appelantes, mais de vérifier si dans un contexte de débat sur une proposition de modification du cadre réglementaire, le JLD disposait d'éléments d'information suffisants permettant de présumer que les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste, auraient participé à la stratégie mise en place par la FICT visant à réduire toute concurrence qu'il pourrait y avoir entre les gammes de produits avec et sans nitrites ".
(iv) Sur l'existence d'éléments suffisants pour présumer l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre les membres de la FICT qui impliquerait les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste
93. A titre liminaire, l'Autorité soutient que l'ordonnance ne fait pas application de la procédure de flagrance, contrairement à ce qu'allèguent les appelantes.
94. Elle indique que l'article L. 450-4 alinéa 2 du code de commerce organise ainsi un régime dual, comportant la procédure normale en sa première phrase et la procédure de flagrance en sa seconde phrase.
95. Elle soutient que dans le cadre d'une procédure de flagrance, la présentation d'indices suffit, à la différence de la procédure normale où les indices et tout autre élément d'information produits et analysés par le juge doivent, au minimum, aboutir à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle afin d'obtenir l'autorisation d'aller chercher la preuve de la pratique prohibée soupçonnée.
96. Elle affirme qu'en l'espèce, " l'ordonnance du JLD du TJ de Paris ne fait pas référence à la seconde phrase de l'alinéa 2 de l'article L. 450-4 du code de commerce, de sorte qu'il ne peut être soutenu que la procédure de flagrance aurait été mise en 'uvre et que le juge de l'autorisation se serait limité à présenter et décrire les indices en possession de l'Autorité de la concurrence sans aucune analyse " et que le juge de l'autorisation a donc délivré son autorisation dans le cadre de la procédure normale.
97. L'Autorité de la concurrence affirme qu'au stade de demande de visite domiciliaire, un seul indice de mise en 'uvre de pratiques anticoncurrentielles suffit, en droit, à justifier l'autorisation de visite et saisie dans les locaux d'une entreprise ou d'une organisation professionnelle, sans qu'il ne soit nécessaire de produire des éléments probatoires.
98. Elle soutient que l'argument selon lequel le juge des libertés et de la détention ne peut fonder son appréciation sur 15 documents doit être rejeté dès lors qu'une seule peut être suffisante à emporter la conviction du juge.
99. Elle estime que le nombre de pièces concernant les appelantes n'est pas un critère déterminant pour présumer de leur implication dans la pratique frauduleuse en cause.
100. En premier lieu, l'Autorité estime que les appelantes ne peuvent " soutenir que l'ordonnance serait manifestement infondée " en ce que la coordination présumée entre la FICT et ses adhérents sur la communication à l'égard des additifs nitrés relèverait de " pratiques de lobbying habituelles des organismes professionnels " et que les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ne sont pas présumées avoir participé à ce premier indice ".
101. Elle fait valoir que l'ordonnance relève que :
- " la stratégie mise en place par la FICT visant à empêcher ou, à tout le moins, retarder l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics et relayée dans les rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 de la FICT (annexes à la requête n° 4, 5, 30 et 31) semble indûment minimiser le risque cancérigène des additifs nitrés dès lors que le JLD relève que les travaux de l'ANSES publiés en juillet 2022 se fondent sur les études existantes pour confirmer l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux additifs nitrés, notamment ingérés par la consommation de viande transformée (page 7 de l'ordonnance) alors que le rapport annuel 2020 de la FICT " précise qu'aucune étude ne prouve le lien entre les additifs nitrés et la survenue de cancer colorectal " (page 8 de l'ordonnance). " ;
- " la stratégie mise en place par la FICT visant à fournir des " éléments de langage à disposition des adhérents au sujet des nitrites " (annexe à la requête n° 4, page 8 de l'ordonnance), ainsi que des " recommandations " sur les " allégations sans nitrites " (annexe à la requête n° 5, page 6 de l'ordonnance) est susceptible d'avoir influencé la communication des industriels ayant lancé des gammes de charcuterie sans nitrite, étudiée en page 6 de l'ordonnance. Il apparaît que ces industriels éludent le risque cancérigène des additifs nitrés dans leur communication sur les gammes sans nitrites, se concentrant davantage sur des aspects qui ne sont pas susceptibles de créer une concurrence frontale entre la gamme de charcuterie sans nitrites et celle avec nitrites, à l'instar du caractère recyclable du packaging, ou en utilisant des éléments de langage de la FICT, à l'instar de la justification de la création de ces gammes sans nitrites par une demande de " plus de naturalité " de la part des consommateurs ".
102. Elle ajoute que le parallélisme de comportement observé dans la communication de la FICT et de plusieurs producteurs de charcuterie sans nitrites fait partie des indices de la coordination mise en place par la FICT visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des nitrites afin que l'émergence de la gamme sans nitrites ne nuise pas à la commercialisation des gammes avec nitrites.
103. Elle fait valoir qu'au stade de la demande d'autorisation de visite et saisie, le parallélisme de comportement des entreprises visées dans l'ordonnance peut constituer une présomption sérieuse de pratiques anticoncurrentielles (CA de Paris, 15 juin 2010, n° 2009/20624, société Veolia Transports c/ Autorité de la concurrence, page 8) et que seule l'instruction en cours pourra permettre de déterminer si le parallélisme de comportement des entités mentionnées, notamment les sociétés appelantes, constitue une pratique anticoncurrentielle.
104. Elle soutient que, contrairement à ce qu'affirment les appelantes, la circonstance selon laquelle les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste n'auraient pas pris part à " ce premier volet de la concertation présumée " ne permet pas de soutenir que l'ordonnance serait dépourvue de fondement à leur égard, et qu'elles sont concernées par le second volet, justifiant la mise en 'uvre des opérations de visite domiciliaire.
105. En second lieu, l'Autorité estime que les appelantes ne peuvent " que la concertation suspectée pour agir en justice contre Yuca ne serait pas un élément suffisant pour présumer une entente entre la FICT et certains de ses adhérents, dont notamment les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste ".
106. Elle fait valoir que :
- le fait d'analyser les indices un à un, comme le font les appelantes, pour en tirer la conclusion que le juge des libertés et de la détention n'avait rien dans le dossier lui permettant d'autoriser la visite de leurs locaux n'a pas de sens selon la jurisprudence qu'elle cite (page 34 de ses écritures) ;
- seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat est révélateur d'une ou plusieurs simples présomptions de pratiques anticoncurrentielles ;
- c'est l'ensemble des agissements de différentes entreprises dans le secteur de l'économie considéré qui importe ;
- les agissements présumés des entités visées par l'ordonnance sont examinés par le juge de l'autorisation à la lumière des comportements express ou tacites des autres acteurs du secteur économique concerné dans la mesure où l'entente soupçonnée nécessiterait la mise au point de stratégies et tactiques communes ;
- il suffit que les appelantes paraissent impliquées dans l'un des agissements frauduleux suspectés dont la preuve est recherchée pour que la mesure d'autorisation soit justifiée.
107. Elle considère qu'en l'espèce :
- le juge des libertés et de la détention a satisfait à son obligation de contrôle en s'assurant de la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation (recevabilité de la demande) et du caractère suffisant des faits exposés par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ayant conduit, après description et analyse, à des soupçons de comportements illicites dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie (bien-fondé de la demande) ;
- l'ordonnance en cause démontre que le juge des libertés et de la détention a estimé, aux termes d'une analyse motivée, que les éléments produits par l'Autorité permettaient de retenir la présomption que les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, Loste et la FICT se seraient coordonnées pour introduire des actions judiciaires contre la société Yuca, visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés afin d'éviter que l'émergence de gammes de charcuterie sans nitrites n'affecte la commercialisation de celles comportant des additifs nitrés ;
- le juge des libertés et de la détention a décrit et analysé les 49 annexes à la requête, dont 15 mentionnaient l'une ou plusieurs des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste (annexes à la requête n° 1, 4, 5, 30, 31, 33, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 42, 46, 47) et a retenu l'existence possible d'agissements de celles-ci visant à empêcher toute communication négative à l'encontre des additifs nitrés, par des actions judiciaires coordonnées à l'encontre de la société Yuca, laissant présumer une entente entre ces sociétés, organisée dans le cadre de la FICT ;
- le juge des libertés et de la détention a indiqué plusieurs indices aboutissant à une simple présomption de pratique anticoncurrentielle ;
- la participation, même passive des appelantes à une seule réunion ou à un seul échange illicite d'informations confidentielles par tout autre moyen, suffirait à établir une présomption d'adhésion à une entente expresse ou tacite entre elles et la FICT ;
- " le parallélisme de comportement observé entre les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste, et la FICT lors de leur assignation en justice de la société Yuca, s'il est insuffisant pour établir l'existence d'une entente, constitue néanmoins un indice suffisant de concertation au stade de la demande d'autorisation judiciaire " ;
- le juge des libertés et de la détention a relevé " la proximité dans le temps de ces assignations, leur rédaction quasi-identique, ainsi que la nécessité d'une autorisation préalable du Bureau de la FICT pour intenter ces actions en justice, Bureau composé de représentants d'entreprises du secteur, dont M. [U] [G], vice-président de la FICT et détenteur indirect des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, éléments qui corroborent la présomption d'une concertation préalable entre les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste du groupe Loste et la FICT dans l'introduction de ces actions judiciaires " ;
- l'allégation des appelantes selon laquelle cette présomption reposerait exclusivement sur les déclarations des co-fondateurs de Yuca est inopérante dès lors que la jurisprudence valide les autorisations judiciaires d'opérations de visite et de saisie ayant eu pour origine quelques PV de déclarations et qu'ainsi, les déclarations jointes à la requête peuvent aussi constituer des indices crédibles d'une présomption d'entente, en particulier lorsqu'elles sont convergentes et établies par PV signés qui font foi jusqu'à preuve contraire, conformément à l'article L. 450-2 du code de commerce.
108. L'Autorité soutient que la circonstance selon laquelle les éléments retenus par le juge des libertés et de la détention puissent faire l'objet d'interprétations différentes de la part des appelantes n'empêche pas qu'ils constituent des indices sérieux au stade de l'autorisation.
109. Elle estime que l'argumentation des appelantes sur la qualification d'entente est prématurée et relèvera du contentieux au fond dont peuvent être saisies.
110. Elle soutient que les appelantes ne peuvent exiger que soient réunies les conditions posées par la pratique décisionnelle et la jurisprudence au fond relatives à la caractérisation d'une pratique en justice au stade de la mise en 'uvre de la procédure de visite domiciliaire, alors qu'aux fins d'autorisation de la visite, le juge doit uniquement apprécier si les éléments soumis par le rapporteur général concernant les différentes actions introduites par la FICT et certains de ses adhérents à l'encontre de Yuca permettaient de présumer qu'elles s'inséraient dans une stratégie coordonnée, faisant partie d'un ensemble d'actions visant à empêcher toute forme de communication négative à l'encontre des additifs nitrés, susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle.
111. Elle affirme que l'ordonnance fait état des effets anticoncurrentiels présumés à titre illustratif, afin de faciliter la compréhension des pratiques dont la preuve est recherchée.
112. L'Autorité en conclut que le juge des libertés et de la détention disposait d'informations suffisantes concernant les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste permettant de les soupçonner d'une éventuelle entente décidée au sein de la FICT.
113. Le ministère public, dans son avis écrit et à l'audience, conclut au bien-fondé des présomptions retenues à l'encontre des sociétés appelantes.
114. S'agissant du manquement allégué aux principes d'impartialité et de loyauté, le ministère public considère que :
- dès lors qu'il est de jurisprudence constante que le juge peut signer ou non, et modifier s'il le souhaite une ordonnance prérédigée, le juge a exercé un contrôle réel et effectif sur les arguments et pièces qui lui ont été soumis ;
- il n'existe aucune obligation pour l'Autorité de produire des pièces à décharge ;
- le juge des libertés et de la détention n'a pas à instruire à charge et à décharge, il doit seulement vérifier de manière concrète si la demande est fondée, sans être tenu d'expliquer sur les éléments qu'il écarte.
115. S'agissant du caractère " parcellaire et tronqué " du dossier soumis au juge des libertés et de la détention, le ministère public soutient que l'accusation de partialité de l'ordonnance est inopérante en ce que l'office du juge n'est pas de trancher le débat scientifique sur les nitrites, lesquels sont par ailleurs " correctement décrits " par le juge des libertés et de la détention dans son ordonnance.
116. Sur l'insuffisance alléguée des éléments permettant de présumer d'une entente anticoncurrentielle impliquant les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste, le ministère public soutient que :
- il suffit pour le juge des libertés et de la détention d'apprécier souverainement l'existence d'indice d'une pratique anticoncurrentielle fondés sur le dossier soumis par l'Autorité pour autoriser la visite domiciliaire, étant précisé qu'un seul indice peut emporter la conviction du juge ;
- le parallélisme de comportement observé entre la FICT et les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste lors de leur assignation en justice de la société YUCA constitue un indice suffisant de concertation ;
- concernant le groupe Loste, le juge des libertés et de la détention a relevé que ce dernier est situé à la même adresse que CA Holding, détenu par [U] [G], que ce dernier est également vice-président de la FICT et que la société Loste détient 100% des sociétés ABC Industries et Le Mont de La Coste et ainsi susceptible d'abriter des éléments relatifs à l'objet de l'enquête.
117. Sur l'absence de prise en compte alléguée d'éléments à décharge, le ministère public soutient que :
- le juge des libertés et de la détention n'a pas à instruire à charge ou à décharge mais doit seulement vérifier que la demande d'autorisation est fondée ;
- les appelantes peuvent produire argumentation et pièce devant le délégué du premier président qui peut alors statuer au regard de ces éléments complémentaires.
118. Sur la mise en 'uvre prétendue de la procédure de flagrance sans analyse des indices, le ministère public soutient que :
- le juge des libertés et de la détention a suivi la procédure normale, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient présentés ;
- ce faisant, le juge des libertés et de la détention a exercé son contrôle " in concreto " et a ainsi exercé de fait un contrôle de proportionnalité sur la mesure.
119. Par conséquent, le ministère public conclut au rejet des moyens présentés par les appelantes et à la confirmation de l'ordonnance du 10 novembre 2023 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris.
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
120. En application de l'article L 450-4 du code de commerce, "les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information et, le cas échéant, de leurs moyens de déchiffrement, susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.(...); Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée".
121. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste font valoir que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne répond pas aux exigences des articles 6 et 8 de la CESDH et de l'article L 450-4 du code de commerce ainsi que de la jurisprudence correspondante en ce que le juge doit vérifier l'existence d'indices sérieux fondant des présomptions suffisantes d'agissements prohibés et, qu'en application du principe d'impartialité, le juge ne doit pas se limiter à reprendre les prétentions d'une partie afin d'établir sa décision et qu' en application des principes de loyauté et d'impartialité dans la recherche de la preuve et de la présomption d'innocence, le choix des éléments en possession de l'Autorité ne doit pas conduire à tromper le juge des libertés et de la détention.
Elles en déduisent, pour la requête présentée et l'ordonnance rendue au vu de la requête, une insuffisance des présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention pour conclure à l'annulation de l'ordonnance.
122. En premier lieu, s'agissant de la référence par les sociétés appelantes à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles (« CESDH »), il convient de rappeler que l'article L. 450-4 du code de commerce est entouré de garanties procédurales, en particulier outre une autorisation judiciaire préalable et le contrôle du juge, la possibilité de recours à l'encontre de la décision d'autorisation et de contester le déroulement des opérations de visite et de saisie (voir Cons. constitutionnel. n° 08-D-30 du 4 déc. 2008 : CCC 2009, n° 56, obs. [B].).
Il a ainsi été jugé postérieurement à l'arrêt RAVON contre France (CEDH 21 févr. 2008, Ravon et a. c/ France, req. n° 18497/03) que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce assurent un contrôle effectif, par le juge, de la nécessité de chaque visite et lui donnent les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, de régler les éventuels incidents portant notamment sur la saisie, par l'Administration, de documents de nature personnelle, confidentielle ou couverts par le secret professionnel et, le cas échéant, de mettre fin à la visite à tout moment (..) ( Crim. 27 juin 2012, n° 12-90.028).
123. En outre, d'une part, l'article L. 450-4 du code de commerce renvoie expressément à l'article L. 450-1 dudit code, lequel permet de définir avec suffisamment de précision le cadre des enquêtes dans lesquelles les agents de l'administration peuvent procéder sur le fondement de ce texte aux opérations de visites et de saisies, soit les enquêtes liées à l'application des titres II et III du livre IV du code de commerce, destinées à rechercher les preuves de pratiques anticoncurrentielles ou d'opérations de concentration prohibées.
124. D'autre part, selon l'interprétation de ce texte par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le juge du fond doit exercer un contrôle effectif sur les présomptions de pratiques prohibées et les agissements dont la preuve est recherchée. (Crim. 9 déc. 2020, n° 20-83.001).
125. S'agissant de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles (« CESDH »), les sociétés appelantes ne justifient pas en quoi tant devant le juge des libertés et de la détention, qui, même s'il statue non contradictoirement, entoure sa décision de garanties procédurales, que dans le cadre de l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le délégué du premier président, leur droit à un procès équitable aurait été violé.
126. En second lieu, il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation, qui ne se fonde que sur la réunion de simples indices, il n'y a pas lieu, pour le juge des libertés et de la détention, de rechercher si les éléments constitutifs de telle ou telle pratique anticoncurrentielle suspectée sont réunis.
Le juge doit se limiter à apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément (Cass crim, 8 novembre 2017, n° 16-8452 ; n° 16-84531).
A ce stade de l'enquête, de simples présomptions de l'existence de pratiques anticoncurrentielles suffisent donc pour fonder l'autorisation délivrée.
127. Il convient de rappeler en effet, qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre des sociétés appelantes, l'Autorité de la concurrence n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles ou à démontrer la réalité de celles-ci, mais seulement des indices qui, par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison, aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.
128. Il est constant en outre qu'il suffit au juge des libertés et de la détention de ne retenir qu'un seul indice laissant apparaître de simples présomptions d'agissements prohibés pour lui permettre de délivrer une ordonnance d'autorisation de visite et de saisie.
129. En l'espèce, pour conclure à l'annulation de l'ordonnance pour insuffisance de présomptions, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent cinq griefs au regard des éléments produits par l'Autorité, qu'elles qualifient de "manifestement parcellaire et tronqué" en violation des principes de loyauté dans la recherche de la preuve et de la présomption d'innocence (i), au regard de l'absence d'analyse et de force probante des annexes à la requête (ii), au regard de l'absence d'indices sur un discours coordonné entre la FICT et ses adhérentes à l'égard des pouvoirs publics relativement aux nitrites en faveur de l'utilisation des nitrites (iii), au regard de l'absence d'indices d'une entente entre la FICT et ses adhérents dans le contentieux les opposant à la société YUCA (iv), et de l'absence d'indices de possibles incidences anticoncurrentielles (v).
(i) Sur le dossier présenté par l'autorité de la concurrence et son caractère manifestement parcellaire et tronqué quant à la description du débat national sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie
130. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent un premier grief à l'égard de l'Autorité de la Concurrence selon lequel elle n'a pas communiqué au juge des libertés et de la détention l'ensemble des éléments utiles pour lui permettre d'exercer son contrôle en violation de son obligation de loyauté et en violation des droits de la défense.
Elles précisent que des éléments du débat national sur l'utilisation des nitrites et nitrates dans la charcuterie ont été tronqués par l'Autorité et que ces éléments auraient dû conduire le juge des libertés et de la détention à ne pas faire droit à la demande de l'Autorité.
Elles déclarent que l'Autorité s'est abstenue de mettre l'accent tant sur l'entièreté du débat scientifique relatif à l'utilisation des nitrites que sur l'absence de consensus scientifique en soulignant en premier lieu que les nitrates et nitrites ajoutés dans la charcuterie sont recommandés pour leur rôle de protection sanitaire contre les bactéries pathogènes et sont autorisés par la réglementation nationale et européenne.
Elles soutiennent également que l'Autorité de la concurrence a délibérément présenté au juge des libertés et de la détention le contexte scientifique et sanitaire à l'aune d'un seul constat - le caractère cancérigène de la charcuterie nitrée- en s'appuyant exclusivement sur le rapport d'information parlementaire du 13 janvier 2021 auquel est annexée la proposition de loi relative à l'interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, rapport qu'elles qualifient de partial.
131. L'Autorité rétorque que l'ordonnance fait état du rôle protecteur des nitrites contre les bactéries pathogènes, de l'autorisation de ces additifs dans les charcuteries, ainsi que de la démarche volontariste des charcutiers français, se traduisant par des doses d'incorporation maximale de nitrites inférieures à celles prévues par la réglementation européenne.
132. En l'espèce, il ressort de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qu'elle fait référence aux divers documents versés par l'Autorité en relevant que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public mais également de l'exercice par l'Autorité de la concurrence de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière.
133. Il ressort en outre de la procédure que 49 documents ont été présentés à l'appui de la requête et sont constitués, s'agissant du débat national sur l'utilisation des nitrites, de documents publiés en ligne ou accessibles au public tels que : des publications sur le site de l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) du 6 décembre 2021 et du 12 juillet 2022 (pièces n°2, 3 et 24), de documents émanant des entreprises de charcuterie et de la FICT (pages internet d'entreprises de charcuteries sur la charcuterie sans nitrite, rapports d'activités de la FICT sur les années 2019 à 2022, code des usages de la charcuterie édition 2016 mise à jour en 2023, communication de l'ANIA (Association nationale des industries alimentaires) (pièces n°4, 5, 6, 8, 9 à 15, 17, 18, 30 à 32), d'extraits d'articles de presse ( pièces n°16, 20, 21, 29, 44, d'extraits d'une étude intitulée « la fabrication de la charcuterie » (pièce n°19), de communications, publications du gouvernement et de l'Assemblée nationale et propositions de loi (pièces n°7, 22, 23, 25 à 28), de publications sur le site de YUCA ( pièces n°34), décisions de justice (pièces n° 36 à 41), de procès-verbaux d'audition par l'Autorité des présidents et co-fondateurs de YUCA ainsi que du responsable des campagnes de l'association FOODWATCH (pièces n° 33, 35, 45, 46) outre des documents qui sont nécessaires à la procédure (demande d'enquête du rapporteur, extraits de Kbis, pièces n°1, 42, 43) et de la jurisprudence (pièces n°48 et 49).
134. Tous ces documents sont visés à l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui est reprise dans l'exposé du litige de la présente décision ( paragraphe n°4). Ladite ordonnance mentionne expressément la teneur et l'ampleur du débat national sur l'utilisation des nitrites en ses pages 5 à 7 où sont relevées les propriétés antimicrobiennes et technologiques des nitrites et nitrates, la réglementation européenne et française applicable avec la détermination des doses maximales admises, l'engagement à réduire lesdites doses dans le code des usages de la FICT, les actions de communication des acteurs de la filière sur la charcuterie avec et sans nitrites, les publications scientifiques et plus particulièrement celles de l'ANSES, les initiatives de la société civile à travers l'association Foodwatch, la Ligue contre la cancer et la société YUCA, les débats parlementaires, les propositions de loi, le plan d'action du gouvernement et les articles de presse qui exposent les enjeux du débat scientifique et sanitaire sur le recours aux nitrites et nitrates dans la charcuterie.
135. Dès lors, au vu desdites pièces, par une appréciation que la présente juridiction fait sienne, le juge des libertés et de la détention s'est estimé suffisamment informé sur ce débat scientifique et les opinions des différents acteurs privés et publics impliqués dans les enjeux de la fabrication, de la commercialisation et de la consommation des produits de charcuterie avec ou sans nitrites pour autoriser les opérations de visite et de saisie, ce d'autant que, n'étant pas juge du fond, il ne lui appartient pas d'apprécier, à ce stade de l'autorisation, les enjeux et effets de ce débat mais d'apprécier l'existence d'indices de présomptions d'agissement anti-concurrentiel.
136. En outre, il convient de constater que les sociétés appelantes ne démontrent pas en quoi l'ensemble des avis et recommandations émanant de l'Autorité européenne de sécurité des aliments et de l'ANSES et le rapport sur la proposition de résolution européenne de Monsieur [ZU] [PW] en date du 12 avril 2023 qu'elles produisent en pièces n°5 et 6 et visent dans leurs écritures, non soumises au juge des libertés et de la détention par l'Autorité de la concurrence, auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation de la présomption d'agissement anti-concurrentiel retenue par le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation de l'opération de visite et de saisie.
137. Enfin, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste invoquent un manquement à ses obligations d'impartialité et de loyauté dans la recherche des preuves par l'Autorité en faisant valoir que cette dernière n'a produit ' délibérément et volontairement' que des éléments à charge sur le débat scientifique sur l'usage des nitrites dans la charcuterie.
138. L'article L 450-4 du code de commerce dispose que « Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ».
139. Il ne ressort de ce texte aucune obligation pour l'Autorité de la concurrence de produire des pièces qui seraient considérées comme à décharge par les sociétés appelantes.
140. Pas davantage, le juge des libertés et de la détention n'a à instruire à charge et à décharge, mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur une ou de simples présomptions suffisantes de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte (Cass com, 8 décembre 2009, n° 08-21017).
141. Dès lors, l'Autorité avait l'obligation de produire tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier l'autorisation aux fins d'opérations de visite et saisie et non celle de produire des éléments « à charge ou à décharge » contre les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste.
142. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
ii) Sur l'analyse et la force probante des annexes produites à l'appui de la requête
143. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent un deuxième grief selon lequel 'seul un nombre infime d'entre elles vise spécifiquement les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste et la quasi-totalité d'entre elles portent sur l'appréciation du premier volet de la concertation alléguée '.
144. Evoquant de façon détaillée les pièces annexées à la requête, elles font valoir que sur les 49 pièces annexées à la requête, et sur lesquelles s'est fondé le juge des libertés et de la détention, 37 pièces ne les concernent pas, que l'ordonnance repose notamment sur les procès-verbaux d'audition par l'Autorité des dirigeants de l'association de FOODWATCH et de la Ligue contre le cancer, qui sont partiaux et dénués de force probante et que les jurisprudences produites en annexe de la requête ne sont pas exploitées dans la requête.
Elles ajoutent que, pour le surplus, les pièces constituées d'articles de presse et de décisions de justice ne permettent pas de suspecter l'existence d'une présomption de pratiques anticoncurrentielles.
Elles en concluent que l'Autorité a fourni un nombre important de documents qui ne les concernent pas et a cherché à étoffer " de manière fictive " le dossier, ce que le juge n'a pas vérifié.
145. Toutefois, conformément à l'article L 450-4 du code de commerce et à la jurisprudence établie, il convient de rappeler que le juge des libertés et de la détention s'est fondé sur un faisceau d'indices qui englobe l'ensemble des annexes à la requête produites, laissant présumer l'existence d'un risque de pratique anticoncurrentielle à l'encontre des sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste, résultant notamment des actions judiciaires des sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste, à l'égard de la société YUCA, peu important à cet égard que les appelantes ne soient pas expressément visées par toutes les annexes à la requête auxquelles le juge s'est référé.
Au surplus, il convient de souligner que les sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste sont adhérentes de la FICT et sont toutes les deux des filiales de la société Loste, détenue par [U] [G], également vice-président de la FICT. En conséquence, il importe peu que les pièces relatives à la FICT tels ses rapports annuels ( pièces annexées à la requête n°4,5,30 et 31) ne mentionnent pas nommément les sociétés appelantes dès lors qu'en qualité d'adhérentes et de sociétés détenues indirectement par le Groupe LOSTE, présidé par le vice président de la FICT, elles étaient destinataires et avaient à tout le moins connaissance des documents précités et diffusés par la FICT.
146. Il est ainsi usuel que les faisceaux d'indices sur lesquels reposent les ordonnances d'autorisation, comme en l'espèce, soient fondés à la fois sur des documents accessibles publiquement et des documents émanant des sociétés visées lors de saisines de l'Autorité de la concurrence ainsi que des témoignages que cette dernière a recueillis en application de l'article L450-3 du code de commerce.
147. En effet, l'Autorité de la concurrence peut produire des éléments qu'elle a constitués elle-même, comme en l'espèce, les procès-verbaux d'audition des dirigeants de la société YUCA et ceux des dirigeants de la Ligue contre le cancer et l'association Foodwatch (pièces n°33,35, 45, 46).
148. En outre, si à lui seul, chacun des documents produits par l'Autorité de la Concurrence ne peut constituer un indice susceptible de présumer de l'existence de la pratique anticoncurrentielle recherchée, il contribue, par son examen dans le cadre de l'analyse globale des pièces par le juge des libertés et de la détention, à éclairer les autres indices présentés.
149. Ainsi, les pièces annexées à la requête constituent un ensemble cohérent à l'appui de la requête et leur dénier, comme les sociétés appelantes y prétendent, toute force probante au motif qu'elles transcrivent, pour certaines d'entre elles, une position, dans le débat public, défavorable à l'utilisation des nitrites en charcuterie ou prônant leur interdiction, est inopérant.
150. Ainsi, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste échouent à démontrer que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas exercé, en l'espèce, de contrôle sur le bien-fondé de la requête en examinant et en analysant les 49 pièces annexées à la requête.
151. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
(iii) S'agissant du volet relatif au discours coordonné entre la FICT et ses adhérentes à l'égard des pouvoirs publics relativement aux nitrites
152. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent un troisième grief selon lequel les éléments produits par l'Autorité ne constituent pas des indices suffisants d'un discours coordonné de la FICT et de ses adhérents sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie, constitutif d'un comportement anticoncurrentiel mis en oeuvre par la FICT, de ce qu'elles auraient diffusé ce discours, que la fonction de vice président de la FICT par le dirigeant du groupe Loste ne constitue pas un élément suffisant pour présumer que le groupe Loste a pris part à cette concertation et qu'ainsi aucun parallélisme de comportement ne peut leur être imputé.
153. Cependant, comme évoqué plus haut (paragraphe n°126), il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention procède par la méthode de faisceau d'indices et n'a pas à prouver que la pratique prohibée était caractérisée par des indices sérieux mais que cette pratique est présumée à travers de simples indices.
154. En l'espèce, s'agissant des éléments caractérisant l'existence de présomptions d'agissement anti-concurrentiel retenues par le juge des libertés et de la détention, la décision d'autorisation querellée mentionne par une appréciation pertinente des éléments du dossier qui lui a été présenté et que cette juridiction fait sienne ce qui suit :
- en raison de leurs propriétés antimicrobiennes et technologiques, les nitrites et les nitrates (comme précurseurs des nitrites) sont utilisés en tant qu'additifs alimentaires dans une grande diversité de denrées, principalement carnées (charcuteries et salaisons) ; l'activité inhibitrice et microbicide des nitrites s'exerce sur un nombre important de micro-organismes, notamment des bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria ; leur usage permet d'éviter la production de toxines comme celles à l'origine du botulisme ; les nitrites sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites et permettent d'allonger la durée de conservation des denrées (annexes à la requête n° 2 et 3) ;
- dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie, les réglementations européenne et française autorisent l'utilisation de nitrites dans la charcuterie, mais l'encadrent, les charcutiers ne devant pas dépasser les doses maximales autorisées ; la réglementation européenne prévoit des doses d'incorporation maximales de 150 mg/kg de produits à base de viande; que les charcutiers français se sont engagés dans le code des usages de la charcuterie à limiter l'utilisation des nitrites, d'au moins 20%, soit 120 mg maximum par kilo en 2016 et prévoyaient une nouvelle baisse de 20% en 2021 (annexes à la requête n° 4 et 5) ; il ressort de la nouvelle version du code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes, mise à jour en 2023, que l'utilisation des nitrites doit être limitée à 100 mg maximum par kilo pour les poitrines et lardons (annexe à la requête n° 6) ;
- l'utilisation des nitrates et nitrites ajoutés dans l'alimentation - les additifs E249, E250, E251 et E252 - serait controversée ; en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (« CIRC ») a classé la charcuterie dans la catégorie des aliments présentant un risque cancérigène pour l'homme (Groupe 1) (annexe à la requête n°7, page 10) ;
- l'emploi des nitrites dans l'alimentation humaine est défendu par la FICT et l'ANIA par un communiqué de presse en date du 14 septembre 2016 en réaction à un reportage de l'émission « Cash Investigations » intitulé « Industrie agroalimentaire : business contre santé » diffusé le 13 septembre 2016, L'ANIA a annoncé l'existence d'un « site d'informations proposé par la Fédération des Industriels de la Charcuterie Traiteur (FICT) : http://www.info-nitrites.fr./. Ce site, accessible à tous, met à disposition les connaissances scientifiques actuelles sur le sujet» (annexes à la requête n° 8 et 9) ;
- plusieurs opérateurs majeurs de la filière, notamment Herta et Fleury Michon, tous deux membres de la FICT, ont lancé des gammes de charcuterie sans nitrite, à compter respectivement de février 2017 et mars 2019 (annexe à la requête n° 7, page 63) ;
- si des industriels adhérents à la FICT, notamment Fleury Michon, Herta, Brocéliande, André Bazin et Madrange, produisent désormais de la charcuterie sans nitrite, en particulier du jambon blanc, aucun ne fait référence au débat sur le risque sanitaire potentiel lié à la consommation de nitrite dans la promotion de leurs produits (annexes à la requête n° 10 à 14) ;
- pour expliquer le développement de gammes de charcuterie sans nitrite, la FICT indique vouloir répondre à l'attente des consommateurs « de plus de naturalité » (annexe à la requête n° 5), expression reprise par l'industriel André Bazin (annexe à la requête n° 13) ;
- la plupart des industriels membres de la FICT qui produisent de la charcuterie sans nitrite continuent de produire et commercialiser en parallèle la gamme de produits avec nitrites ;
- dans son rapport d'activités 2020, la FICT mentionne que « les recommandations de la FICT sur les allégations « sans nitrites » viennent d'être révisées ; ce rapport d'activités 2020 d'encadrement volontaire professionnel vise à assurer une information transparente et loyale du consommateur, dans le contexte de développement de produits « sans nitrites » visant à répondre aux attentes des consommateurs de plus de naturalité. Ces solutions « sans nitrites ». souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française » (annexe à la requête n° 5) ;
- dans ce contexte, la FICT aurait mis en place une stratégie visant à empêcher ou, à tout le moins, à retarder, l'interdiction des nitrites dans la charcuterie par les pouvoirs publics ;
- le discours coordonné mis en place par la FICT visant à contrebattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés apparaît notamment dans ses différents rapports annuels de 2019, 2020, 2021 et 2022 :
' dans le rapport annuel 2019, il est fait mention d'« un plan d'actions pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique «, de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites (annexe à la requête n° 4) ;
' dans le rapport annuel 2020, un dossier de plusieurs pages est consacré aux nitrites, détaillant la stratégie de communication mise en place pour contrer la tentative d'interdire progressivement les nitrites ; la FICT précise qu'aucune étude ne prouve le lien entre les additifs nitrés et la survenue de cancer colorectal et estime que « les effets cancérigènes identifiés par l'OMS ne sont pas retrouvés aux faibles doses auxquelles les nitrites sont utilisés dans les charcuteries » (annexe à la requête n° 5) ;
' dans le rapport annuel 2021, la FICT estime que les nitrites sont injustement remis en cause, critique la mission d'information parlementaire et présente son plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat » (annexe la requête n° 30) ;
' dans le rapport annuel 2022, la FICT détaille sa communication « en réaction face aux attaques injustifiées sur les nitrites » (annexe à la requête n° 31) ; si la FICT s'engage dans le rapport précité à « Baisser les seuils d'utilisation des nitrites dès que cela est possible », elle publie également, le 22 juillet 2022, un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie » (annexe à la requête n° 32).
155. Ainsi, le juge des libertés et de la détention relève à juste titre que les éléments d'information détenus par l'Autorité de la concurrence permettent de présumer que la FICT est susceptible d'avoir mis en 'uvre des pratiques anticoncurrentielles à travers :
- une stratégie et des outils de communication publique pour elle-même et ses membres, à travers des éléments de langage, destinés aux consommateurs mais également destinée aux pouvoirs publics pour prévenir l'interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie ;
- cette stratégie a été déclinée dans les rapports annuels d'activité de la FICT qui mentionnent ainsi dans le rapport de 2019 « un plan d'action pour faire entendre la voix de la Profession et rétablir les vérités sur la base d'un argumentaire partagé par la communauté scientifique », de « rencontres et prises de contact avec les administrations et les cabinets ministériels en charge du sujet », de rencontres avec les parlementaires dans le rapport d'activité 2020 avec 'La FICT s'est attachée à faire de la pédagogie sur les nitrites et nitrates auprès des élus, en s'appuyant sur les données scientifiques disponibles, les avis des agences sanitaires, et les risques pour le patrimoine charcutier si le retrait des nitrites était généralisé à l'ensemble des charcuteries. La FICT a ainsi organisé un débat parlementaire en janvier 2020, en présence notamment du député [PW], et de plusieurs scientifiques, pour faire le point sur les nitrites. En janvier 2021, c'est un événement organisé par le Club de la Table Française qui a permis de soulever l'enjeu de ce sujet pour la préservation de notre savoir-faire charcutier français, avec un éclairage scientifique par l'Institut du porc, et avec la participation de [A] [F], Présidente de la FNSEA, de la Confédération Française des Bouchers Charcutiers Traiteurs, et de [E] [R], ancien chef de l'Elysée et actuellement représentant de la Gastronomie française » et des « éléments de langage à disposition des adhérents » au sujet des nitrites, dans le rapport de 2021, un plan d'action mis en place pour « rétablir la vérité dans les médias » et « remettre la science au c'ur du débat », dans le rapport de 2022 et un document intitulé « Pourquoi les nitrites et les nitrates ne doivent pas être interdits dans les produits de charcuterie ».
156. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste font valoir que 'aucun des agissements décrits dans l'ordonnance ne permet de présumer que la FICT serait sortie de sa mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie ", " aucun des éléments figurant au dossier ne permettent de sérieusement présumer que la FICT et ses membres auraient indûment tenté de minimiser le danger potentiel des nitrites ajoutés dans la charcuterie, dans le but d'empêcher ou de retarder, indûment, leur interdiction " et " aucune pièce du dossier ne permet de présumer que la FICT serait allée au-delà de ses missions, en tentant d'influer indûment sur le débat public " ou que son discours aurait été dénué de fondement juridique et/ou scientifique.
Elles soutiennent que le discours de la FICT n'était pas fondé sur des informations trompeuses, que la FICT a eu recours à l'état des données scientifiques pour affirmer que l'interdiction immédiate des nitrites dans la charcuterie n'était ni souhaitable ni possible au regard des risques sanitaires encourus.
157. Ainsi, il convient de relever que les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ne contestent ni la réalité ni la teneur desdits rapports dont la FICT est l'auteur mais font valoir que la FICT agit là en sa mission de défense de l'intérêt collectif professionnel de ses membres, mission légitime et pratique admise par l'Autorité de la concurrence s'agissant d'intervenir dans un débat public portant sur l'évaluation de l'éventuelle dangerosité de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie.
158. Cependant, il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention, au stade de l'autorisation des opérations de visite et de saisie, d'apprécier la teneur du débat public et l'état des données scientifiques sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie et le bien fondé ou non de l'interdiction de leur usage dans la charcuterie.
159. Pas davantage, il ne lui appartient d'apprécier si le comportement de la FICT est en conformité avec les critères de l'Autorité de la Concurrence pour l'exercice de la défense de l'intérêt collectif d'une profession.
160. En effet, au stade de l'autorisation, il appartient au juge des libertés et de la détention de déterminer si des indices de la mise en place d'une stratégie coordonnée de communication entre la FICT et ses adhérents, de nature à caractériser une présomption de pratique anticoncurrentielle, sont suffisants.
161. En l'espèce, le fait que la position de la FICT et de ses adhérents sur l'utilisation des nitrites soit connue et revendiquée comme conforme à la réglementation et nécessaire pour prévenir des risques sanitaires, en sa qualité de syndicat professionnel, est sans incidence dans la mesure où la diffusion, même publique, d'éléments de langage, est susceptible de participer d'une stratégie coordonnée constitutive d'un indice de présomption d'une pratique anti-concurrentielle alors que le juge de l'autorisation n'a pas à caractériser les éléments constitutifs de la pratique anticoncurrentielle suspectée mais seulement à apprécier l'existence d'indices de présomption d'une telle pratique.
162. En outre, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ne contestent pas la mise en place par la FICT d'un plan d'action caractérisé notamment par la diffusion d'éléments communs de langage à disposition de ses adhérents, l'organisation de rencontres et prises de contact avec les administrations, cabinets ministériels et des élus du Parlement, la publication d'articles destinés à combattre tout lien entre le risque de survenue du cancer colorectal et la consommation de nitrites dans la charcuterie, la critique du travail parlementaire sur l'évaluation de la dangerosité de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie.
163. Par ailleurs, il convient de relever que cette stratégie coordonnée de communication s'inscrit dans un contexte où la FICT prétend à la fois tendre à la réduction des seuils d'incorporation de nitrites dans la charcuterie et à communiquer sur la charcuterie sans nitrite censée correspondre à un besoin de naturalité sans lien avec un risque sanitaire.
164. Dès lors, c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention a pu retenir des indices suffisants de ce que la FICT avait mis en place un discours coordonné avec ses adhérents destiné à combattre la tentative d'interdiction des additifs nitrés et à tout le moins retarder cette interdiction.
165. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste faisant leurs les arguments de la FICT dans leurs écritures et ne contestant pas avoir reçu les éléments d'un discours coordonné de la FICT, destinés aux consommateurs mais également destinés aux pouvoirs publics pour prévenir l'interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie, cette branche du moyen sera donc rejetée.
(iv) S'agissant du contentieux qui oppose d'une part la FICT, les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste, et d'autre part la société YUCA
166. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent un quatrième grief d'absence d'indices suffisants d'une entente de la FICT et des membres pour agir en justice contre la société YUCA.
167. En l'espèce, le juge des libertés et de la détention a relevé que les documents produits par l'Autorité de la concurrence permettent de présumer que la FICT s'est coordonnée avec des entreprises adhérentes pour mener des actions en justice à l'encontre de la société Yuca dont le niveau des dommages-intérêts demandés pourrait avoir pour objectif d'affaiblir Yuca, afin d'empêcher ou limiter toute communication sur la dangerosité potentielle des nitrites en raison de la campagne de pétition de ladite société avec la Ligue contre le cancer contre l'utilisation des nitrites dans la charcuterie à travers les éléments suivants :
- l'envoi de treize lettres de mises en demeure identiques de la FICT et d'industriels de la charcuterie membres de cette fédération professionnelle entre le 7 octobre 2020 et 15 décembre 2020, à la société Yuca (annexe à la requête n° 33) ;
- trois de ces mises en demeure suivies d'assignations en 2021 rédigées de manière identique: la FICT, Le Mont de la Coste et ABC Industries (annexes à la requête n° 33 et 34)
- la demande des sociétés Le Mont de la Coste et ABC Industries dans leurs assignations des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de Yuca de 1,6 million d'euros en 2020 (annexes à la requête n° 33 et 35) ;
- le fait que la société Yuca a été condamnée à trois reprises, le 25 mai 2021, par le Tribunal de commerce de Paris, le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le 24 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde pour pratiques commerciales trompeuses et déloyales et dénigrement (annexes à la requête n° 36 à 38) ; Yuca devait verser en tout 95 000 euros de dommages-intérêts et avait dû retirer de l'application le lien vers la pétition demandant l'interdiction des nitrites (annexe à la requête n° 34) ; par des arrêts du 8 décembre 2022, du 13 avril 2023 et du 7 juin 2023, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la cour d'appel de Limoges et la cour d'appel de Paris ont chacune infirmé les jugements des tribunaux de commerce précités dans leur intégralité (annexes à la requête n° 39 à 41) ; il a été notamment reconnu en appel que les informations diffusées par Yuca sont fondées sur des fondements scientifiques sérieux et renommés, et que cette société n'a pas manqué à sa diligence professionnelle et n'a pas diffusé des informations trompeuses ou susceptibles d'induire les consommateurs en erreur ; le dénigrement a également été exclu, la question de l'utilisation des nitrites dans la charcuterie faisant partie du débat d'intérêt général sur la santé publique ; ces arrêts n'ont pas fait l'objet de pourvois en cassation.
168. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste font valoir qu'elles disposent de l'accès au juge qui est un droit fondamental, qu'elles n'ont pas abusé de leur droit d'agir en justice, qu'en première instance, la société YUCA a été condamnée par les juridictions commerciales pour des pratiques commerciales trompeuses et que les décisions d'infirmation rendues par les cours d'appel ont été fondées sur la liberté d'expression et n'ont pas remis en cause le caractère dénigrant des propos de la société YUCA.
169. Elles arguent de la nécessité de deux conditions cumulatives dans l'exercice d'une action en justice, en l'espèce non remplies selon elles, pour retenir une présomption de pratique anti-concurrentielle.
Elles estiment qu'une action en justice ne peut être qualifiée de pratique anticoncurrentielle que si deux conditions cumulatives et interprétées restrictivement sont réunies à savoir d'une part, que l'action soit manifestement dépourvue de tout fondement, au point de ne pouvoir être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise ou de l'organisation professionnelle concernée et d'autre part, que cette action doit s'inscrire dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré (not. Arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T-111/96, point 55).
Elles concluent qu'en l'espèce, s'agissant de la première condition, la recevabilité des actions engagées par la FICT et les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste à l'encontre de la société Yuca a été confirmée par les juridictions d'appel de Paris et de Limoges (annexe 41 page 10 et annexe 40 page 9) et les tribunaux de commerce saisis par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste ont fait droit, en première instance, aux demandes de ces dernières (annexes 37 et 38 à la requête), circonstance suffisant à démontrer que les actions n'étaient ni déraisonnables, ni infondées de sorte qu'elles ne sauraient caractériser une quelconque pratique anticoncurrentielle, que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a reconnu que cette pratique pouvait être constitutive d'un acte de dénigrement, ce qui suffit à établir que les actions engagées par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste n'étaient ni manifestement déraisonnables, ni infondées (annexe 39 à la requête page 15).
Elles soulignent que l'Autorité de la concurrence reconnaît dans l'avis 25-A-01 " qu'une action judiciaire intentée contre un éditeur d'un système de notation qui serait fondée sur des faits de dénigrement, puisse être légitime et justifiée, sans qu'il ne puisse lui être conféré un quelconque caractère abusif, confirmant ainsi l'inexistence de toute pratique prohibée s'agissant de l'action " judiciaire intentée par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste à l'encontre de la société Yuca " et qu'en retenant que les procédures judiciaires intentées par la FICT et les sociétés " ABC Industrie et Le Mont de la Coste, ainsi que les mises en demeure qui les auraient précédées, permettraient de présumer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle, alors que celles-ci étaient parfaitement légitimes et justifiées, le JLD a manifestement failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence ".
170. Elles contestent la qualification de " procédure bâillon " retenue en page 8 de l'ordonnance qui repose exclusivement sur les déclarations des co-fondateurs de la société Yuca (annexes 33 et 35) qui sont insuffisantes à remettre en cause la légitimité des actions judiciaires, ce d'autant qu'elles ont été réalisées par l'Autorité avant l'infirmation des jugements de première instance et concluent qu'à supposer ces actions analysées comme étant une pratique prohibée, " aucune pièce figurant au dossier ne permet de sérieusement présumer que les procédures contentieuses engagées contre la société Yuca étaient susceptibles de s'inscrire dans une stratégie ayant pour but d'éliminer la concurrence, de sorte que la seconde condition permettant de qualifier de pratique anticoncurrentielle une action en justice n'est pas plus remplie ".
171. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste estiment fondé et logique qu'elles aient assigné YUCA sur les mêmes fondements au regard de leur situation identique de préjudice réputationnel et économique subi en raison du discrédit jeté sur leurs produits par l'application de notation YUKA.
172. Elles contestent tout parallélisme de comportement entre les sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste avec la FICT au motif qu'en l'absence d'autres éléments, ce parallélisme est insuffisant pour établir une présomption d'entente, en ce qu'il ne peut résulter de prises de décisions identiques mais indépendantes.
173. Elles considèrent que la présomption retenue de pratique anticoncurrentielle n'est fondée que sur les déclarations des fondateurs de YUCA et que les indices relevés (similarité de rédaction, parallélisme, proximité temporelle des actions en justice de sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste, avec l'action en justice de la FICT et la fonction de vice président de la FICT du président du groupe LOSTE, dont ces deux sociétés sont filiales) sont insuffisants à établir une présomption de pratique anticoncurrentielle.
174. En l'espèce, même si elles ne produisent ni leurs lettres de mise en demeure, ni leurs assignations, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste ne contestent pas que la société YUCA a fait l'objet de treize lettres de mises en demeure identiques de la FICT dont deux ont émané des sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste, filiales du groupe Loste, adhérentes de la FICT, visant notamment à obtenir de la société YUCA la suppression de la pétition, la révision de son système de notation quant aux denrées contenant des nitrites et la correction de ses affirmations sur leur risque élevé et que leurs assignations ayant le même objet font suite à leurs lettres de mise en demeure.
175. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste procèdent à un examen détaillé et individuel des éléments à l'appui des indices pour contester que lesdits éléments, pris isolément ou ensemble, ont conduit le juge des libertés à retenir un parallélisme de comportement dans l'action judiciaire.
176. Cependant, comme évoqué plus haut (paragraphes n°145 et 146) , le juge des libertés et de la détention a procédé à un examen global de la requête et des annexes et en a déduit des indices selon lesquels la FICT et d'autres entreprises membres ont agi en justice contre la société YUCA, selon une stratégie identique et coordonnée tendant, pour certaines d'entre elles comme les sociétés ABC Industrie et LE MONT DE LA COSTE, à travers un montant significatif des dommages-intérêts, à mettre en péril l'existence de la société YUCA et de faire cesser toute campagne d'information sur les éventuels dangers potentiels du recours aux nitrites dans la charcuterie.
177. Le juge a ainsi relevé que les deux assignations délivrées par les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste à la société YUCA sollicitent des dommages et intérêts d'un montant total de 1,4 million d'euros, soit la quasi-totalité du chiffre d'affaires annuel de la dite société d'un montant de 1,6 million d'euros en 2020.
178. A ce titre, les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste sont mal fondées à déclarer que la FICT et les sociétés ABC Industries, et Le Mont de la Coste, entreprises membres de la FICT, ont agi en justice de façon autonome et indépendante alors qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 juin 2023 (annexe n°41) visé par l'ordonnance, que:
- l'autorisation d'agir en justice au nom de la FICT a été donnée au président de la FICT conformément aux statuts par les membres du comité directeur dont le président est également membre ;
- Monsieur [G], vice président de la FICT, membre du comité directeur ayant donné l'autorisation d'agir en justice, est par ailleurs président du groupe LOSTE auquel appartiennent à 100 % les filiales 'sociétés ABC et le Mont de la Coste',domiciliées à l'adresse du groupe Loste, membres de la FICT, qui ont également assigné la société YUCA et sollicité l'octroi de dommages-intérêts pour pratiques commerciales trompeuses.
179. Dès lors, c'est effectivement au vu des éléments relatifs aux actions judiciaires engagées contre la société YUCA que le juge des libertés et de la détention a retenu, par une appréciation que la présente juridiction fait sienne, que, par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison, ils constituent un indice de parallélisme de comportement, constitutif d'une présomption de pratique anticoncurrentielle destinée à faire taire toute communication négative de la société YUCA sur l'utilisation des nitrites dans la charcuterie pour empêcher ou retarder le plus longtemps possible leur interdiction.
180. Au surplus, il convient de rappeler aux sociétés appelantes qu'au stade de l'autorisation, le juge des libertés et de la détention, n'étant pas le juge du fond, il n'a pas à apprécier le fondement juridique d'une action en justice, la probabilité ou non d'échec de cette action en justice, ou la preuve d'un plan d'action, 's'inscrivant dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré' comme le prétendent les sociétés appelantes, mais d'apprécier si des indices, caractérisant une action judiciaire coordonnée entre la FICT et les sociétés appelantes ABC Industries et Le Mont de la Coste, susceptibles de constituer une présomption de pratique anticoncurrentielle, sont suffisants.
181. Cette branche du moyen sera donc rejetée.
v) Sur l'absence d'objet ou d'effet concurrentiel des pratiques présumées
182. Les sociétés appelantes ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste articulent un cinquième grief en faisant valoir qu'aucune pièce de l'ordonnance querellée ne permet d'identifier les incidences anticoncurrentielles présumées de la prétendue mise en oeuvre d'une stratégie illicite de la FICT et de ses adhérentes.
183.Elles contestent avoir participé à toute stratégie " visant à empêcher ou retarder l'interdiction des nitrites dans la charcuterie' et concluent 'qu'il n'existe aucun élément permettant de présumer l'existence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle susceptibles d'être reprochée aux membres de la FICT, et plus particulièrement aux sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste, filiales de la société Loste, dans la mesure où celles-ci ne commercialisent pas de produits de charcuterie sans nitrites, de sorte que le JLD a failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence'.
184. Cependant, si elles ne contestent pas que la FICT fait état dans sa communication publique du besoin de naturalité des consommateurs pour expliquer le développement de la charcuterie sans nitrite par certains de ses membres, elles ne contestent pas davantage que la vente de charcuterie sans nitrite est en augmentation et que son prix est supérieur à la charcuterie avec nitrites tel que cela ressort de l'ordonnance visant les annexes n° 18, 19 et 21 de la requête.
185. En effet, lesdites pièces mentionnent les éléments suivants :
- pièce n°18, article PorcMag du 26 juin 2022, mentionnant « Brocéliande propose désormais l'intégralité de ses gammes de jambons et aides culinaires en conservation sans nitrite, répondant ainsi à la demande du marché : « 1 acheteur sur 3 déclare déjà rechercher les produits sans sel nitrité au rayon charcuterie »;
- pièce n° 19, pages 48 et 54, étude XERFI intitulée 'la fabrication de charcuterie conjoncture et précisions 2022-2023, Analyse de la concurrence et des nouveaux équilibres, performances financières des entreprises' qui évoque l'évolution du marché tel qu'évoqué par le juge des libertés et de la détention : « le chiffre d'affaires des fabricants français a dans l'ensemble augmenté de 1,1 % en 2021 et les consommateurs se sont notamment reportés vers des produits à plus forte valeur ajoutée comme les charcuteries sans nitrite » ;
- pièce n°20, article l'Usine nouvelle, 2022, intitulé « Fleury Michon accélère sur le jambon sans nitrite. L'ETI vendéenne Fleury Michon continue son offensive pour reprendre la place de leader du secteur du jambon à Herta. Pour cela, l'entreprise française va notamment étendre son offre « sans nitrite » » qui indique « Pionnière sur le sujet, l'entreprise, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 735 millions d'euros en 2020, travaille depuis 2009 sur la substitution des nitrites (un additif alimentaire controversé) dans les jambons de porcs. En 2019, Fleury Michon créait même la rupture en lançant le premier jambon 0 nitrite. Aujourd'hui, l'entreprise réalise 38% des ventes de ce segment »;
- pièce n°21, article du site Lsa- conso.fr intitulé , « au rayon charcuterie LS ( libre service), les industriels font de la résistance », qui indique 'Le poids du sans-nitrites toutes offres confondues (conservation sans nitrites, zéro nitrite et sans conservation ajoutée) représente 9 % du chiffre d'affaires du marché et 6 % des volumes, selon les données de NielsenIQ. Dans la catégorie du jambon cuit de porc, cette offre pèse plus lourd : 23 % du CA et 16 % des volumes. Chez Herta qui a été la marque pionnière de ce segment, la conservation sans nitrites correspond à 34 % de son chiffre d'affaires et à 24 % de ses volumes de charcuterie. Sous l'effet du développement de l'offre par les MDD (marque de distributeur) et d'autres intervenants comme Fleury Michon ou Brocéliande, le segment affiche une croissance en valeur et en volume supérieure à 30 %. Alors que son offre a peu évolué, Herta parvient à progresser en volume de 4 % sur la conservation sans nitrites à P9 2022. Sa part de marché est de 50 % en valeur et de 53 % en volume sur un total de la charcuterie sans nitrites. Plus généralement, dans le contexte de crise de pouvoir d'achat et d'inflation galopante, ce rayon pourrait bien répondre à un besoin de protéine accessible sans pour autant renoncer aux impératifs de la santé.»
186. Pas davantage, elles sociétés appelantes ne contestent que d'autres adhérents de la FICT ont développé et commercialisé simultanément deux gammes de produits avec nitrites et de produits sans nitrite tout en déclarant que 'cette fabrication de charcuterie sans nitrite ne peut être généralisée à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de la charcuterie française' (pièce n°5 rapport d'activité 2020 de la FICT).
187. A cet égard, il importe peu que les sociétés appelantes ne commercialisent pas de charcuterie sans nitrite dans la mesure où elles font leurs, dans leurs écritures, le discours et les arguments de la FICT sur les deux gammes de produits avec ou sans nitrites dans le débat national sur l'utilisation des nitrites et dans les moyens soulevés dans leurs contentieux judiciaires.
188. Dès lors, il convient de constater que c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention a relevé :
- l'existence de deux gammes de charcuterie, l'une avec nitrites se distinguant de l'autre sans nitrites dont les volumes de vente sont en croissance, dont les moyens de production ne sont pas accessibles, selon la FICT, à toutes les entreprises du secteur de la charcuterie (pièce n°5, rapport d'activité de la FICT 2020, qui indique dans un chapitre dénommé « les nitrites « : Ces solutions « sans nitrites », souvent développées par des grandes entreprises avec des moyens importants de recherche & développement, et des moyens drastiques de maîtrise des risques pour assurer la sécurité des produits malgré l'absence de nitrite, ne peuvent être généralisées à l'ensemble des PME qui constitue la majeure partie des entreprises de charcuterie française» et dans une rubrique intitulée « ALLER VERS PLUS DE NATURALITE - Une réduction de 50% de la liste des additifs autorisés dans le code des usages - Après une première réduction en 2016 de 20%, des teneurs maximales par rapport à la réglementation, poursuivre la réduction volontaire des nitrites dans les charcuteries : Une nouvelle réduction de 20% en moyenne, a été proposée par la FICT et validée par les pouvoirs publics en 2020. - Concilier naturalité et prix des produits ») et dont le prix de vente est plus élevé (pièce n°46, déclaration de Monsieur [Z] [H], responsable de campagne de l'association Foodwatch, auditionné le 16 juin 2002 par l'Autorité de la concurrence « Concernant le fait que le « sans-nitrites » continue de coexister chez certains industriels avec les gammes comportant des nitrites relève pour moi d'une simple segmentation de gamme qui leur permet de réaliser des marges plus importantes sur le « sans-nitrites », sans remettre en cause leur business model principal. En tout cas, toute la communication de la FICT permet de maintenir les deux gammes. D'après mon propre relevé partiel, j'ai identifié une différence de prix de 10 à 80 % entre des références identiques avec ou sans nitrites ou sein des mêmes marques. Tous les produits sans additifs sont à la mode et connaissent un grand succès commercial auprès d'une classe sociale éduquée et ayant de l'argent, et prêt à payer davantage pour disposer d'un produit perçu comme plus sain. Le « sans-nitrite » existait avant que Foodwatch se lance dans cette campagne (notamment Herta) » ;
- une communication coordonnée de la FICT et de ses adhérents sur la nécessité des nitrites dans la charcuterie pour des raisons sanitaires tout en en minimisant les éventuels dangers potentiels pour la santé et tout en qualifiant de réponse au besoin de naturalité, la commercialisation de charcuterie sans nitrite et des actions judiciaires concertées contre la société YUCA. (pièce n°5, rapport d'activité de la FICT 2020 qui mentionne la nécessité « de rétablir la vérité dans les médias du fait d'une remise en cause répétée et injuste des nitrites et nitrates » et indique « avoir obtenu gain de cause devant le tribunal de commerce de Paris contre la société YUCA »).
189. Ainsi, par une appréciation que la présente juridiction fait sienne, le juge des libertés et de la détention a déduit de ces éléments pris dans leur ensemble qu'ils sont constitutifs d'indices suffisants d'une présomption de pratique anti-concurrentielle susceptible d'affecter le libre jeu du marché.
190. A cet égard, il convient de rappeler qu'il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention, au stade de l'autorisation de visite et de saisie, d'apprécier la réalité d'incidences anticoncurrentielles et de qualifier l'éventualité d'une segmentation de marché résultant d'une entente entre la FICT et ses adhérentes dont les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste mais, à travers la méthode du faisceau d'indices, de déterminer s'il disposait d'indices suffisants pour présumer une pratique anticoncurrentielle susceptible d'affecter le libre jeu du marché.
191. Le moyen pris en toutes ses branches sera donc écarté.
192. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments décrits ci-dessus et relevés dans l'ordonnance entreprise constituent les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'une entente des sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste avec la FICT, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-2 du code de commerce.
(3) Sur le contrôle du juge
193. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste affirment que rien ne démontre que la FICT et ses membres auraient indûment tenté d'interférer dans le débat public relatif aux nitrites " de sorte que le JLD a failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence et que l'Ordonnance est infondée et devra être annulée de ce seul chef ".
194. Elles soutiennent que le juge des libertés et de la détention a failli à son obligation de contrôle effectif en autorisant les opérations de visite et de saisie à leur encontre sur " la base d'un faisceau d'indices s'agissant du premier volet de la concertation, puisqu'il repose exclusivement sur le comportement d'autres acteurs du secteur économique concerné ".
195. Elles déclarent que " contrairement à ce que le JLD a retenu dans son Ordonnance, il n'existe pas d'éléments suffisants permettant de présumer l'existence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle dont la FICT et ses membres (et notamment les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste, toutes deux filiales de la société Loste) seraient les auteurs, dans la mesure où l'action judiciaire engagée contre la société Yuca ne permettait en aucune manière de caractériser une pratique anticoncurrentielle, de sorte que le JLD a failli à son obligation de procéder à un contrôle réel et effectif des éléments présentés par l'Autorité de la concurrence".
196. L'Autorité de la concurrence, dans ses observations écrites et à l'audience, en premier lieu, fait état du rôle du juge tel qu'il en ressort de l'article L. 450-4 alinéa 2 du code de commerce et de la jurisprudence qu'elle cite en page 7 et 8 de ses écritures. Elle soutient que, au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre des appelantes, celles-ci ayant le simple statut de personnes suspectées :
- l'Autorité n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles (ou démontrer la réalité de celles-ci) mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées ;
- il n'y a pas lieu de rechercher si les éléments constitutifs d'une infraction sont réunis ;
- le juge doit apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, s'il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément (Cass. Crim, 8 novembre 2017, n° 16-84525 ; n° 16-84531) ;
- il n'appartient pas au juge de l'autorisation de qualifier les pratiques prohibées présumées ni de constater l'existence ou le caractère avéré de telles pratiques à ce stade de la procédure, conformément à la jurisprudence en vigueur (Cass. Crim., 4 mai 2017, n° 16-81060, société Darty c/ Autorité de la concurrence) ;
- le rôle du juge se limite à recueillir et analyser les faits utiles afin d'en extraire une ou des présomptions simples de pratiques anticoncurrentielles.
197. L'Autorité soutient qu'en l'espèce :
- le juge a examiné de manière détaillée les 49 annexes dont la concordance en fonction des agissements reprochés lui a notamment permis de suspecter une entente organisée au sein de la FICT, à laquelle ont pris part des adhérents de celle-ci, notamment les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste, toutes deux filiales du groupe Loste :
- le juge a listé des présomptions de la pratique d'entente prohibée prévue par la loi (articles L. 420-1 1°, 2°, 3° et 4° du code de commerce et 101-1 a), b) et c) du TFUE), " même s'il n'est pas tenu, au stade de l'enquête préalable, d'apporter des éléments de preuve des agissements illicites suspectés ".
198. En second lieu, l'Autorité considère que les sociétés appelantes invoquent à l'appui de leur argumentation de la jurisprudence qui est soit censurée par la Cour de cassation, soit positive pour l'administration, ce qu'elle développe en pages 8 et 9 de ses écritures.
199. Le ministère public, dans son avis écrit et à l'audience, soutient que le juge des libertés et de la détention a exercé son contrôle " in concreto " en appréciant souverainement les éléments qui lui étaient présentés.
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
200. L'article L 450-4 du code de commerce dispose que 'Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite'.
201. Il convient de rappeler que, conformément audit article, le juge des libertés a rendu l'ordonnance du 10 novembre 2023 sur le fondement des seules 49 pièces visées et annexées à la requête qu'il a appréciées souverainement pour retenir des présomptions de pratiques anticoncurrentielles et autoriser en conséquence les opérations de visite et de saisie.
202. Les sociétés appelantes font grief au juge des libertés et de la détention de ne pas avoir exercé un contrôle effectif de la requête et des pièces ce qui l'aurait conduit à constater l'absence d'une quelconque pratique anticoncurrentielle entre les membres de la FICT et qui impliquerait les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste .
203. En premier lieu, les sociétés appelantes considèrent que le juge des libertés et de la détention a fondé sa décision sur deux volets cumulatives, soit en l'espèce, le premier volet de la diffusion d'un discours coordonné et le second volet d'une concertation pour agir en justice contre la société YUCA et qu'aucun élément produit par l'Autorité de la concurrence ne lui permettait de retenir tant le premier volet que le second volet à leur encontre.
Elles estiment que, si par extraordinaire, le premier volet n'est pas retenu à leur encontre comme l'admet l'Autorité de la concurrence, les éléments produits à l'appui du second volet sont insuffisants.
204. Cependant, il convient de rappeler aux sociétés appelantes que la division qu'elles ont opéré dans l'interprétation et l'analyse de l'ordonnance et l'éventuel acquiescement de l'Autorité de la concurrence à cette analyse ne saurait lier la présente juridiction dont l'office est d'examiner au vu de la requête et des pièces, le contrôle " in concreto " exercé par le juge des libertés et de la détention en appréciant souverainement les éléments qui lui étaient présentés.
205. Au surplus, il convient de rappeler que le juge des libertés et de la détention n'a à instruire à charge et à décharge, mais doit seulement vérifier, de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information qui lui sont fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur une ou de simples présomptions suffisantes de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte (Cass com, 8 décembre 2009, n° 08-21017).
206. Au surplus, il convient de rappeler aux sociétés appelantes qu'aucune obligation ne pèse sur l'Autorité de la concurrence de produire des pièces visées dans une de ses annexes à sa requête ou de produire des documents à l'origine de ses annexes tels en l'espèce, l'avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments ou de l'ANSES ou le plan d'action du gouvernement.
207. En effet, il appartient à l'Autorité de la concurrence de produire les éléments et documents en sa possession de nature à justifier des présomptions qu'elle entend voir constater par le juge des libertés et de la détention pour autoriser les opérations de visite et de saisie.
208. Dès lors, l'Autorité avait l'obligation de produire tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier l'autorisation aux fins d'opérations de visite et saisie et non celle de produire des éléments 'à charge ou à décharge' contre les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste.
209. Comme rappelé plus haut, il ne ressort pas de l'article L 450-4 du code de commerce une obligation pour l'Autorité de la concurrence de produire des pièces qui seraient considérées comme à décharge par les appelantes.
210. S'agissant de la violation alléguée au droit au procès équitable, il convient de rappeler à aux sociétés appelantes, comme évoqué plus haut (paragraphe n°125), que l'article L. 450-4 du code de commerce est entouré de garanties procédurales, en particulier outre une autorisation judiciaire préalable et le contrôle du juge durant les opérations, la possibilité d'appel à l'encontre de la décision d'autorisation et de recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie devant le premier président.
211. En l'espèce, les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste ne justifient pas en quoi tant devant le juge des libertés et de la détention, qui, même s'il statue non contradictoirement, entoure sa décision de garanties procédurales que dans le cadre de l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le délégué du premier président, leur droit à un procès équitable aurait été violé.
212. En outre, comme rappelé plus haut (paragraphe n°136), il convient de constater que les appelantes ne démontrent pas en quoi toutes lesdites pièces qu'elles visent, non soumises au juge des libertés et de la détention par l'Autorité de la concurrence, auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation de la présomption d'agissement anti-concurrentiel retenue par le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation de l'opération de visite et de saisie.
213. Enfin, il convient de rappeler que les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, lequel en endosse la responsabilité. La circonstance que l'ordonnance soit la reproduction de la requête de l'administration est sans incidence sur la régularité de la décision (Cass crim, 14 octobre 2015, n° 14-83303, n° 14-83302 et 14-83301 ; 11 juillet 2017, n° 16-81042).
214. En l'espèce, au vu des énonciations de l'ordonnance, cette juridiction considère qu'il n'est pas établi que le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à un examen attentif des 49 annexes utiles jointes à la requête, afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les motifs de cette ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence de présomptions d'une entente entre la FICT et ses membres, les filiales du groupe Loste, les sociétés ABC Industries et Le Mont de la Coste.
215. Il y a lieu en outre de rappeler que l'ensemble des éléments justificatifs présentés par la FICT dans ses écritures n'ont pas à être validés par le juge des libertés et de la détention qui n'instruit pas à charge et à décharge et ne se prononce pas sur le fond.
216. Cette branche du moyen sera en conséquence écartée.
(4) Sur la proportionnalité de la mesure
217. Les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste soutiennent qu'en application de l'article L. 450-4, alinéa 2 du code de commerce, de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH), et de l'article 6 de la même convention, ainsi que de la jurisprudence correspondante, que le juge des libertés et de la détention ne peut autoriser des opérations de visite et de saisie qu'à la condition qu'elles soient proportionnées au but poursuivi, d'être mis en mesure par l'Autorité de la concurrence d'exercer son contrôle, et de procéder à cette appréciation dans le respect des principes d'impartialité et de loyauté dans la recherche des preuves et de la présomption d'innocence.
218. Elles estiment que le recours aux visites domiciliaires n'est justifié qu'à la condition qu'il existe des éléments suffisants pour soupçonner l'existence d'une pratique anticoncurrentielle.
219. Elles font valoir que les éléments retenus par le juge des libertés et de la détention aux fins d'autoriser la mise en 'uvre des visites domiciliaires dans leurs locaux respectifs étaient insuffisants de sorte que les visites n'étaient ni justifiées ni proportionnées et que l'adoption d'une mesure moins contraignante aurait pu permettre de recueillir les éléments recherchés par l'Autorité de la concurrence.
220. Elles soutiennent que :
- les agissements retenus ne revêtent aucunement les " modalités secrètes " qui justifient le recours aux opérations de visites et saisies (CA Paris, 27 mars 2024, n° 22/19280, Lactalis) ;
- il a été démontré que " aucun élément du dossier ne permet de présumer que les actions judiciaires intentées par les sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste seraient susceptibles d'être constitutives d'agissements anticoncurrentiels " et ni de présumer que la société Loste aurait pris par aux agissements anticoncurrentiels présumés ;
- " seul un nombre infime de pièces vise spécifiquement les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste et la quasi-totalité d'entre elles portent sur l'appréciation du premier volet de la concertation alléguée ", pour lequel elles déclarent avoir démontré qu'aucune pièce du dossier ne permet de présumer que les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste y auraient pris part ;
- " aucun élément au dossier ne permet de présumer que les pratiques en cause auraient été établies selon des modalités secrètes, de sorte que le JLD ne pouvait présumer que les éléments de preuves recherchés encourent un risque de dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification ".
221. L'Autorité de la concurrence considère que les sociétés ABC Industrie, Le Mont de la Coste et Loste n'établissent pas que l'ordonnance ne répondrait pas à l'exigence de proportionnalité de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
222. En premier lieu, elle fait valoir que :
- l'article L. 450-4 du code de commerce n'a jamais été remis en cause par la jurisprudence de la CEDH, ni d'ailleurs par celle des juridictions nationales ;
- violation de l'article 8-1 de la CESDH est écartée lorsqu'elle est justifiée par l'article 8-2, qu'ainsi pour être admissible, l'ingérence de l'autorité publique dans le droit garanti par l'article 8-1 est subordonnée à une triple condition : être prévue par la loi (article L. 450-4 du code de commerce), viser un but légitime (la recherche de la preuve de pratiques anticoncurrentielles qui constitue une mesure nécessaire au bien-être économique du pays) et être nécessaire dans une société démocratique, conditions remplies par le texte ;
- la jurisprudence de la Cour de cassation a confirmé, à plusieurs reprises, cette position pour les opérations de visite et saisie de l'article L. 450-4 du code de commerce en précisant : " les dispositions de l'article L 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du JLD qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation " (Cass. Crim., 11 juillet 2017, n° 16-81065 not.), analyse partagée par les cours d'appel selon la jurisprudence citée par l'Autorité en pages 4 et 5 de ses écritures ;
- la Cour de cassation a conclu à deux reprises le 27 juin 2012 qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité de l'article L. 450-4 du code de commerce au droit au respect et au secret de la vie privée aux motifs que " attendu que les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux, dès lors que les dispositions contestées de l'article L. 450-4 du code de commerce assurent un contrôle effectif, par le juge de la nécessité de chaque visite et lui donnent les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, de régler les éventuels incidents portant notamment sur la saisie, par l'administration, de documents de nature personnelle, confidentielle ou couverts par le secret professionnel et, le cas échéant, de mettre fin à la visite à tout moment ; " (Cass crim, 27 juin 2012, n°12-90028 et n°12-80331, 12-80334 not.) ;
- la Cour européenne des droits de l'homme a validé le procédé prévu par l'article L. 450-4 du code de commerce (CEDH, 21 décembre 2010, Canal Plus et autres c/ France, n° 29408/08, § 57 à 59 not.).
223. L'Autorité relève que l'allégation du défaut de proportionnalité de la mesure judiciairement autorisée par rapport au but poursuivi doit être évaluée au regard de l'importance des enjeux économiques de cette enquête dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie qui, visant à rechercher la preuve de la pratique présumée d'entente illicite, est nécessaire au bien-être économique du pays.
224. Elle déduit de ces éléments que les visites domiciliaires prévues à l'article L. 450-4 du code de commerce sont respectueuses des exigences fixées par la jurisprudence nationale et européenne.
225. En second lieu, l'Autorité fait valoir que la jurisprudence invoquée par les appelantes soit n'est pas applicable au contentieux de la légalité de l'ordonnance d'autorisation en cause, soit est positive pour l'administration. Elle soutient que :
- l'arrêt de la CEDH du 2 octobre 2014, n° 97/11, Delta Pekarny c/ République Tchèque, n'est pas pertinent car il porte sur le régime tchèque de visites domiciliaires de concurrence sans autorisation judiciaire ;
- l'ordonnance du Premier président de la CA Paris du 27 mars 2024, n° 22/19280, groupe Lactalis c/ Autorité de la concurrence, est positive pour l'Autorité de la concurrence : " En autorisant le 14 novembre 2022 les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusif en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité ".
226. L'Autorité considère que les visites domiciliaires autorisées dans les locaux des appelantes répondent parfaitement aux 3 conditions nécessaires au regard de la jurisprudence de la CEDH et qu'il ne peut être allégué du défaut de proportionnalité de la mesure autorisée par le juge des libertés et de la détention.
227. En troisième lieu, l'Autorité de la concurrence reproduit dans ses écritures les paragraphes de l'ordonnance qui justifient selon elle la mise en 'uvre d'une opération de visite et de saisie à l'égard de la société Loste.
228. Elle juge utile de préciser que :
- les sociétés Loste et CA Holding, situées au [Adresse 5] à [Localité 9], exercent toutes les deux une activité de holding (annexe à la requête n° 47) ;
- la chambre criminelle permet au juge d'autoriser des visites et saisies en tous lieux, même privés, dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver (Cass. Com., 29 octobre 1991, n° 90-12924 not.) ;
- les locaux de la société Loste, qui détient 100% du capital social des sociétés ABC Industrie et Le Mont de la Coste pouvaient aussi être concernés par les investigations dans la mesure où ils sont susceptibles d'abriter des éléments matériels de preuve et non en qualité de participante directe, le cas échéant, aux pratiques collusoires suspectées à ce stade de l'enquête préalable;
- conformément à la jurisprudence, il suffit que la personne morale visée ait des liens capitalistiques pour que la mesure autorisée soit justifiée, ce qui était le cas en l'espèce ;
- les liens capitalistiques entre " les sociétés Loste, d'une part, et ABC Industrie et Le Mont de la Coste, d'autre part, justifient la présomption que celles-ci peuvent constituer une unité économique " ;
- il est admis en droit de la concurrence que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique pouvant être constituée de plusieurs personnes physiques ou morales ;
- dès lors que des documents ou supports d'information susceptibles d'intéresser l'enquête peuvent se trouver dans les locaux de Loste, cette société pouvait faire l'objet d'une visite et saisie, conformément à l'article L. 450-4 alinéa 1 du code de commerce et à la jurisprudence applicable ;
- les appelantes font une interprétation erronée de l'ordonnance Sixt (CA de Paris, Premier président, 20 mai 2010, n°09/12406, société Sixt c/ DGCCRF) qu'elles invoquent, laquelle ayant établi une confusion entre une société dénommée " Sixt " et une autre nommée " SIXTI".
229. Le ministère public, dans son avis écrit et à l'audience, soutient qu'en exerçant son contrôle " in concreto " et en appréciant souverainement les éléments qui lui étaient présentés, le juge des libertés et de la détention a ainsi exercé de fait un contrôle de proportionnalité sur la mesure.
Sur ce, le magistrat délégué du premier président :
230. Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête dite " lourde " n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets, comme il est allégué en l'espèce. Il est de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509 ; Cass crim, 10 janvier 2023, n° 21-85524).
231. Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements susceptibles d'être constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne des entreprises ou relatifs à leur organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique.
232. A cet égard, il convient de constater que le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit, en l'espèce, que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L.450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons.
233. En effet, il est souligné à juste titre, par des motifs que cette juridiction fait siens, que les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence, et en l'espèce de prévenir ou retarder l'interdiction de l'utilisation des nitrites sur le marché de la charcuterie, sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.
234. Du reste, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris dans sa décision a justifié à bon droit la proportionnalité de son autorisation (page 11 de l'ordonnance) comme suit :
" Attendu que, par ailleurs, l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons ;
Qu'en effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, limiter ou contrôler les débouchés et répartir les marchés, sont établies selon des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification ;
Que dans ces conditions, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché ;
Qu'en outre, les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises et fédération professionnelle concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous notre contrôle;".
235. Il convient en outre de rappeler que les dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce énoncent que les agents des administrations visées à l'article L 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquels une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie, la décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.
A ce titre, il s'en déduit que dans le cadre de la procédure devant le juge des libertés et de la détention, les sociétés appelantes ne justifient pas d'une violation de leurs droits de la défense et pas davantage de la violation du principe de la contradiction, ce principe étant rétabli devant la cour d'appel.
236. Il convient enfin de rappeler qu'en exerçant son contrôle 'in concreto' sur le dossier présenté par l'Autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple " enquête simple "...).
237. En autorisant le 20 novembre 2023 les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusif en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité.
238. En l'espèce, en effet, conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, et ainsi que cela a été évalué lors de la réponse au moyen y afférent soulevé par les appelantes, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.
239. Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance", c'est sous réserve qu' " Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".
240. Il a été jugé par la Cour de cassation que "Les dispositions de l'article L 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation." (Cass crim, 11 juillet 2017, n° 16-81065).
241. En l'espèce, il s'infère donc de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions des articles 6 et 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce précité était nécessaire et n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.
242. Ce moyen, pris en toutes ses branches, sera rejeté.
243. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés par les parties, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
245. Conformément à l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste, parties perdantes à la présente instance, seront condamnées à payer la somme de 5.000 euros à l'Autorité de la concurrence au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.
Sur les dépens
246. Les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste, qui succombent en toutes leurs prétentions, seront tenues aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement et en dernier ressort,
Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 23/18240, RG 23/18242 et RG 23/18245 et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro le plus ancien, soit le numéro de RG 23/18240 ;
Confirmons l'ordonnance rendue le 10 novembre 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamnons les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste à payer à l'Autorité de la concurrence la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejetons le surplus des demandes ;
Condamnons les sociétés ABC Industries, Le Mont de la Coste et Loste aux dépens.