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CA Lyon, 6e ch., 23 octobre 2025, n° 25/03849

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 25/03849

23 octobre 2025

N° RG 25/03849 - N° Portalis DBVX-V-B7J-QLPK

Décision de la

Cour d'Appel de LYON

du 13 mars 2025

RG : 24/9357

Société CISA PRODUCTION

C/

S.A.S. COLUSSI ICOS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 23 Octobre 2025

DEMANDERESSE A LA RETRACTATION

Société CISA PRODUCTION

[Adresse 4]

[Localité 2] (ITALIE)

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

assistée de Me Thierry BONNET, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSE A LA RETRACTATION

S.A.S. COLUSSI ICOS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Fabien GIRARDON de la SELARL LEGI AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 664

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 09 Septembre 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Septembre 2025

Date de mise à disposition : 23 Octobre 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Joëlle DOAT, présidente

- Evelyne ALLAIS, conseillère

- Stéphanie ROBIN, conseillère

assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Par arrêt en date du 13 mars 2025, la cour d'appel de Lyon, statuant en matière gracieuse, a :

- infirmé l'ordonnance rendue le 19 novembre 2024 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon ayant rejeté la requête présentée par la société Colussi Icos aux fins d'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les comptes bancaires de la société Cisa Production

statuant à nouveau,

- autorisé la société Colussi Icos à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société Cisa Production, pour conservation de sa créance évaluée à la somme de 365 055,58 euros

- annexé à l'arrêt la requête et l'ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires

- laissé les dépens d'appel à la charge de la société Colussi Icos.

Par acte de commissaire de justice en date du 29 avril 2025, la société Cisa Productions a fait assigner la société Colussi Icos devant la cour d'appel, pour s'entendre :

- rétracter l'arrêt

- débouter la société Colussi Icos de l'ensemble de ses prétentions

- condamner la société Colussi Icos au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, en admettant la SCP Aguiraud-Nouvellet, avocat, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 20 mai 2025, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 9 septembre 2025 et la société Cisa Productions a fait délivrer à la société Colussi Icos par acte du 27 mai 2025, une assignation d'avoir à comparaître à cette audience.

Par conclusions notifiées le 28 août 2025, la société Cisa Productions demande à la cour :

- de rétracter l'arrêt

- de débouter la société Colussi Icos de l'ensemble de ses prétentions

- de condamner la société Colussi Icos au paiement d'une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, en admettant la SCP Aguiraud-Nouvellet, avocat, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle demande que les conclusions de la société Colussi Icos notifiées le 31 juillet 2025, soit postérieurement à l'expiration du délai de deux mois ayant suivi la signification de l'ordonnance de fixation prescrit par l'article 906-2 du code de procédure civile, soient déclarées irrecevables.

Elle fait valoir que :

- aucune circonstance n'est susceptible d'affecter le recouvrement éventuel de la créance, puisqu'elle produit un rapport de l'institut Cerved qui certifie sa bonne situation financière, alors que la société Colussi Icos a présenté à la cour une vision tronquée et biaisée des faits et ne rapporte pas la preuve d'un risque concret lié à sa situation financière

- en vertu du règlement n°655/2014, il incombe à la société Colussi Icos de rapporter la preuve qu'il serait 'probablement' fait droit à sa demande au fond contre le débiteur, ce qu'elle ne fait pas, étant observé qu'elle (la société Cisa Productions) conteste le montant de la créance réclamée

- l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire a été accordée à la société Colussi Icos en parfaite violation du règlement n° 655/2014 puisque l'arrêt attaqué ne contient aucune mention relative à la constitution d'une garantie par la société Colussi Icos, ni aux éventuelles circonstances de l'espèce rendant la constitution d'une garantie inappropriée.

Par conclusions notifiées le 3 septembre 2025, la société Colussi Icos demande à la cour:

- de débouter la société Cisa Production de toutes ses demandes

- de confirmer l'arrêt du 13 mars 2025

- de condamner la société Cisa Production à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que :

- malgré le nombre considérable de dysfonctionnements et défauts de conception affectant les autoclaves fabriqués par la société Cisa Production, cette dernière ne lui a plus répondu depuis mars 2024 et s'est ainsi placée en situation d'inexécution du contrat de distribution

- elle-même est ou risque d'être débitrice envers cinq clients d'une somme totale de

365 055,58 euros

- des circonstances laissent craindre que la société Cisa Production ne paie pas la somme dont elle est redevable envers elle conformément à l'article 4.2 du contrat du 1er janvier 2022, à savoir d'une part l'importance de la créance, d'autre part la santé financière vacillante de la société Cisa Production, laquelle est fortement déficitaire depuis 2019 et ne survit que grâce au renflouement de sa société mère, la société italienne Faper Group

- elle a justifié qu'il sera probablement fait droit à ses demandes, l'obligation de garantie du fabricant et la validité du contrat liant les parties n'ayant jamais été contestées par la société Cisa Production

- la circonstance selon laquelle une partie de la somme dont il est demandé la garantie fait l'objet de procédures en cours est parfaitement indifférente puisqu'il n'appartient pas à la juridiction qui accorde la saisie de statuer sur la demande au fond en lieu et place des jurdictions compétentes

- dès sa requête, elle a démontré que la constitution de la garantie était inappropriée et que beaucoup d'éléments plaidaient en faveur du créancier

- en tout état de cause, la constitution d'une garantie telle qu'énoncée à l'article 12 du règlement ne figure pas au nombre des conditions de délivrance d'une ordonnance de saisie conservatoire prescrites par l'article 7.

SUR CE :

Sur la recevabilité des premières conclusions de la défenderesse à la demande de rétractation notifiées le 31 juillet 2025

Dans la mesure où la présente procédure, qui n'est pas une procédure d'appel, ne relève pas des dispositions des articles 906 et suivants du code de procédure civile lesquelles ont été appliquées à tort en l'espèce, aucun délai ne pouvait être imposé aux parties pour notifier leurs conclusions et aucune sanction ne saurait en conséquence être encourue.

Les premières conclusions de la société Colussi Icos étaient bien recevables.

Sur la demande de rétractation

L'article 7 du règlement (UE) n°655/2014 du 15 mai 2014 dispose que :

1. la juridiction délivre l'ordonnance de saisie conservatoire lorsque le créancier a fourni suffisamment d'éléments de preuve pour la convaincre qu'il est urgent de prendre une mesure conservatoire sous la forme d'une ordonnance de saisie conservatoire parce qu'il existe un risque réel qu'à défaut d'une telle mesure, le recouvrement ultérieur de sa créance soit empêché ou rendu sensiblement plus difficile

2. lorque que le créancier n'a pas encore obtenu dans un Etat membre une décision, une transaction judiciaire ou un acte authentique exigeant du débiteur le paiement de sa créance, le créancier fournit également suffisamment d'éléments de preuve pour convaincre la juridiction qu'il sera probablement fait droit à sa demande au fond contre le débiteur.

L'article 33 de ce même règlement prévoit que, sur demande du débiteur adressée à la juridiction compétente de l'État membre d'origine, l'ordonnance de saisie

conservatoire est révoquée ou, le cas échéant, modifiée au motif que, notamment :

a) il n'a pas été satisfait aux conditions ou aux exigences énoncées dans le présent règlement.

L'article 4.2 du contrat de distribution exclusive conclu entre les sociétés Cisa Production, fabricant, et Colussi Icos, distributeur, stipule qu'en tant que fabricant, Cisa Production garantit le distributeur de tout préjudice, condamnation, charge, dépense liée à un litige relatif à la non conformité d'un produit.

La cour d'appel a considéré, à l'examen des pièces produites devant elle, que la société Colussi Icos justifiait d'une créance certaine sur son fournisseur, à hauteur de

290 413,31 euros au titre des frais exposés pour remédier aux dysfonctionnements des autoclaves qu'elle avait revendus à ses clients français et à hauteur de 74 642,27 euros au titre des dommages et intérêts à percevoir en réparation du préjudice subi par la faute de la société Cisa Production.

La société Cisa Production produit aux débats une ordonnance d'injonction de payer publiée le 29 juillet 2024, signifiée le 8 octobre 2024, enjoignant la société Colussi Icos à lui payer la somme de 179 176,66 euros à titre de factures non réglées datées de 2022, 2023 et 2024.

La société Colussi Icos a formé opposition à cette ordonnance au motif qu'elle avait été émise pour des sommes en partie non dûes et a sollicité la suspension de l'exécution provisoire.

Aux termes d'une décision en date du 9 janvier 2025, le tribunal de Lucques indique que les prétendus défauts du matériel fourni n'ont pas été prouvés et rejette la demande de suspension d'exécution provisoire de l'ordonnance d'injonction de payer.

Il apparaît ainsi que chacune des deux sociétés revendique une créance à l'égard de l'autre et qu'une compensation entre les deux créances réciproques est susceptible d'être effectuée par la juridiction saisie au fond, de sorte qu'il n'est pas démontré par la société Colussi Icos qu'il sera probablement fait droit à sa demande au fond contre le débiteur, à hauteur de la totalité de la somme dont elle demande la conservation.

Or, il appartient bien à la juridiction saisie de la demande d'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire d'évaluer le montant de la créance qu'elle estime fondée en son principe selon la définition de l'article 7 du règlement n°655/2014.

En l'espèce, au vu des éléments ci-dessus, la créance de la société Colussi Icos doit être évaluée à la somme de 180 000 euros.

En ce qui concerne le risque réel qu'à défaut de la saisie conservatoire sollicitée, le recouvrement ultérieur de sa créance par la société Colussi Icos soit empêché ou rendu sensiblement plus difficile, les comptes de résultat de la société Cisa Production arrêtés au 31 décembre 2022 révèlent l'existence d'une perte importante, comme il a été relevé dans l'arrêt critiqué.

Un rapport intitulé'Cerved' est produit, relatif à la société à responsabilité limitée Cisa Production (qui ne comporte aucune date mais semble avoir été édité en 2024 puisqu'il reprend des chiffres du bilan de l'exercice arrêté au 31 décembre 2023).

Il y est mentionné qu'aucune protestation n'a été relevée concernant l'entreprise, ni faillite ou procédure collective, ni saisie ou mesure conservatoire et qu'aucune nouvelle négative n'est résultée de la revue de presse qui comprend l'analyse quotidienne de 100 quotidiens nationaux, régionaux et provinciaux.

Toutefois, la société Cisa Production ne produit pas ses comptes de l'exercice 2024 tandis que le rapport ci-dessus fait apparaître une perte de 1 603 000 euros au 31 décembre 2023, soit presque le double de la perte inscrite au compte de l'exercice 2022, de sorte qu'il est démontré qu'il existe un risque réel de non recouvrement de la créance au sens de l'article 7 1. du règlement.

Aux termes de l'article 12 du règlement n°655/2014, avant de délivrer une ordonnance de saisie conservatoire dans les cas où le créancier n'a pas encore obtenu une décision, une transaction judiciaire ou un acte authentique, la juridiction exige du créancier qu'il constitue une garantie pour un montant suffisant afin de prévenir un recours abusif à la procédure prévue par le présent règlement et afin d'assurer la réparation de tout préjudice subi par le débiteur en raison de l'ordonnance, dans la mesure où le créancier est responsable dudit préjudice en vertu de l'article 13.

La juridiction peut, à titre exceptionnel, dispenser de l'exigence prévue au premier alinéa si elle considère que, compte-tenu des circonstances de l'espèce, la constitution de garantie visée au premier alinéa est inappropriée.

La cour estime qu'elle n'avait pas à exiger la constitution d'une garantie par la société Colussi Icos avant de statuer sur la demande aux fins d'infirmation de l'ordonnance et d'autorisation de saisie, dans la mesure où s'agissant d'une mesure conservatoire, la société Colussi Icos ne peut pas disposer des fonds saisis avant d'avoir obtenu un titre exécutoire.

Il convient de rétracter partiellement l'arrêt du 23 mars 2025 ayant autorisé la société Colussi Icos à pratiquer une saisie conservatoire européenne, de modifier le montant de la créance pour laquelle la saisie a été autorisée et de dispenser la société Colussi Icos de constituer une garantie.

Chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés dans le cadre de la présente procédure en rétractation.

Les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement:

DECLARE recevables les conclusions de la société Colussi Icos notifiées le 31 juillet 2025

ORDONNE la rétractation partielle de l'arrêt rendu par la présente cour d'appel le 13 mars 2025

Statuant à nouveau,

MODIFIE le montant de la somme à hauteur de laquelle la saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société Cisa Production a été autorisée

AUTORISE la société Colussi Icos à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société Cisa Production pour conservation de sa créance évaluée à la somme de 180 000 euros

LAISSE à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés dans le cadre de la présente procédure en rétractation.

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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