CA Douai, ch. 1 sect. 1, 23 octobre 2025, n° 23/01943
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 23/10/2025
****
MINUTE ELECTRONIQUE
N° RG 23/01943 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U3YP
Jugement (N° 19/02387)
rendu le 28 février 2023 par le tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTE
La SCI La Tuilerie
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Pierre Rotellini, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué
assistée de Me Aude Tondriaux-Gautier, avocat au barreau d'Amiens, avocat plaidant
INTIMÉE
Madame [O] [M]
née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Elisabeth Gobbers-Veniel, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 26 juin 2025, tenue par Céline Miller, magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, présidente de chambre
Céline Miller, conseiller
Hélène Billières, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2025 après prorogation du délibéré en date du 02 octobre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, présidente et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 juin 2025
****
La société civile immobilière La Tuilerie (la société La Tuilerie) a été constituée le 5 septembre 1978 entre M. [X] [M] et la société à responsabilité limitée Sogeclo (la société Sogeclo).
M. [X] [M] a été nommé aux fonctions de gérant de cette société dont le capital social, constitué de 60 parts sociales, était détenu à raison de 18 parts par la société Sogeclo et 42 parts par lui-même. La société Sogeclo a été constituée, quant à elle, entre M. [X] [M] et l'une de ses filles, Mme [O] [M], à hauteur de moitié du capital social chacun.
Mme [O] [M] a été nommée co-gérante de la société La Tuilerie le 17 mai 2008.
M. [X] [M] est décédé le [Date décès 3] 2012, laissant pour lui succéder :
- Mme [W] [L] veuve [M], son épouse avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts aux termes d'un contrat de mariage reçu le 9 janvier 1967, laquelle a été privée de ses droits dans sa succession aux termes d'un testament olographe du 14 décembre 2006,
- Mme [O] [M] et Mme [P] [M], ses deux enfants, héritières à concurrence de la moitié chacune de la succession.
Par jugement du 8 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Béthune a, notamment, prononcé la révocation de Mme [O] [M] de son mandat de gérante de la société La Tuilerie et désigné Me [G] [I], en qualité d'administrateur provisoire de cette société, avec pour mission de provoquer une réunion de l'assemblée générale des associés de la société aux fins de désignation d'un nouveau gérant et d'assurer provisoirement son administration courante, à l'effet de percevoir les revenus et d'engager les dépenses courantes.
Me [G] [I] a convoqué les parties à une assemblée générale extraordinaire le 22 mars 2019, au cours de laquelle Mmes [W] [L] et [P] [M] ont été nommées co-gérantes de la société.
Contestant la régularité des décisions votées au cours de cette assemblée générale et, plus précisément, le pouvoir invoqué par Mme [W] [L] pour participer seule au vote en qualité de représentante de « l'indivision successorale [X] [M] », Mme [O] [M] a, par acte en date du 19 juin 2019, fait assigner la société La Tuilerie devant le tribunal judiciaire de Béthune aux fins, notamment, de voir prononcer l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 22 mars 2019 et des délibérations prises dans son cadre.
Par jugement contradictoire du 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Béthune a :
- annulé l'assemblée générale extraordinaire de la société La Tuilerie et les délibérations prises lors de cette assemblée générale,
- déclaré irrecevable la demande de Mme [O] [M] tendant à voir prononcer la nullité de tous les actes effectués par les cogérantes, Mmes [W] et [P] [M],
- rejeté la demande présentée par la société La Tuilerie tendant à voir écarter les effets rétroactifs de l'annulation prononcée,
- sursis à statuer sur la demande de désignation d'un mandataire unique pour représenter les copartageants indivis dans l'exercice de leurs droits dans la société La Tuilerie,
- invité Mme [O] [M] à attraire Mme [W] [L] et Mme [P] [M] à défaut pour celles-ci de comparaître volontairement,
- invité Mme [O] [M] à préciser l'issue de la demande de désignation d'un mandataire unique qu'elle indiquait avoir présentée auprès du tribunal de grande instance dans son assignation,
- désigné Me [N] [R] en qualité d'administrateur provisoire de la société La Tuilerie avec pour mission de convoquer une nouvelle assemblée générale de cette société aux fins de nomination d'un nouveau gérant et de poursuivre son administration courante,
- condamné la société La Tuilerie aux dépens d'ores et déjà exposés par Mme [O] [M],
- condamné la même à payer à Mme [O] [M] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 9 mai 2023 à 9h30 devant le juge unique pour intervention forcée à l'instance ou intervention volontaire de Mme [W] [L] et de Mme [P] [M].
La société La Tuilerie a interjeté appel de ce jugement le 21 avril 2023 et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 19 avril 2025, demande à la cour, au visa des articles 31, 122 et suivant du code de procédure civile, et abstraction faite des demandes de « constat » ou de « dire et juger » qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
à titre principal :
- déclarer irrecevable Mme [O] [M] en sa demande pour défaut de mandat unique pour représenter l'indivision des nus-propriétaires des parts démembrées de M. [M], irrecevabilité d'ordre public,
- déclarer irrecevable Mme [O] [M] pour défaut d'intérêt à agir, n'ayant de son côté, jamais fait désigner un mandataire unique pour représenter l'indivision,
- débouter Mme [O] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- à titre subsidiaire :
- débouter Mme [O] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- si par extraordinaire, la nullité devait être prononcée, confirmer l'absence de tout effet rétroactif de la nullité sur les actes d'ores et déjà pris par les cogérantes pour la sauvegarde de ses intérêts et, notamment, tout mandat donné ou contrat ratifié avec des tiers de bonne foi ;
en tout état de cause :
- débouter Mme [O] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [O] [M] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de l'absence de diligences avant l'assemblée,
- condamner la même à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 4 juin 2025, Mme [O] [M] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, en tout état de cause, de débouter la société La Tuilerie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irréptibles ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera observé que la décision entreprise n'est pas contestée en ce qu'elle a :
- sursis à statuer sur la demande de désignation d'un mandataire unique pour représenter les copartageants indivis dans l'exercice de leurs droits dans la société La Tuilerie,
- invité Mme [O] [M] à attraire Mme [W] [L] et Mme [P] [M] à défaut pour celles-ci de comparaître volontairement,
- invité Mme [O] [M] à préciser l'issue de la demande de désignation d'un mandataire unique qu'elle indiquait avoir présentée auprès du tribunal de grande instance dans son assignation.
Il ne sera donc pas revenu sur ces dispositions, dont la cour n'est pas saisie.
Sur la fin de non-recevoir
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 123 du même code ajoute que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
L'article 124 précise que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que l'irrecevabilité ne résulterait d'aucune disposition expresse.
Par ailleurs, en vertu de l'article 31 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 de ce code dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
En vertu de l'article 1181 alinéa 1 du code civil, la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger.
Enfin, aux termes de l'article 1844 du code civil, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Les copropriétaires d'une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d'eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent.
En l'espèce, il n'est pas discuté que, bien que ne l'ayant pas fait en première instance, la SCI la Tuilerie est recevable à soulever, en cause d'appel, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Mme [O] [M] pour solliciter, en sa qualité de nue-propriétaire indivise de parts de la société La Tuilerie, la nullité de l'assemblée générale extraordinaire de cette société du 22 mars 2019.
Il est constant que la société La Tuilerie était détenue, avant le décès d'[X] [M], à hauteur de 42 parts sociales par celui-ci (70%) et à hauteur de 18 parts sociales par la société Sogeclo (30 %).
[X] [M] est décédé le [Date décès 6] 2012, laissant pour lui succéder ses deux filles, Mmes [O] et [P] [M], héritières à concurrence de la moitié chacune de la succession, sous réserve des droits de son épouse survivante, Mme [W] [L], avec laquelle il s'était marié le [Date mariage 4] 1967 à [Localité 10] sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, et laquelle avait été privée expressément, par testament du 14 décembre 2006, de tous droits dans sa succession mais se trouve être propriétaire, en vertu de l'article 6 de leur contrat de mariage, reçu par Maître [T], notaire à [Localité 8], le 9 janvier 1967, de la moitié en pleine propriété et de la moitié en usufruit de tout ce qui composait la communauté après déduction du passif et l'exercice des reprises et prélèvements par chacun des époux.
Il s'ensuit qu'après partage des intérêts patrimoniaux ayant existé entre les époux, dont il semblerait qu'il ne soit toujours pas intervenu à ce jour, Mme [W] [L] a vocation à la pleine propriété de la moitié et à l'usufruit de l'autre moitié des parts sociales de la société La Tuilerie précédemment détenues par son époux, soit 21 parts en pleine propriété et 21 parts en usufruit, la nue-propriété de ces dernières étant détenue en indivision par ses filles [O] et [P].
Or si Mme [O] [M] entend agir, en sa qualité de nue-propriétaire indivise de ces 21 parts sociales, en nullité de l'assemblée générale de la société La Tuilerie du 22 mars 2019, elle ne justifie pas avoir été mandatée à cet effet par l'indivision en application de l'article 1844 du code civil précité, et n'a donc pas qualité à agir, peu important son éventuel intérêt à agir, lequel est discutable en l'absence de toute demande de sa part aux fins de désignation d'un mandataire de l'indivision, étant observé en outre que sa qualité d'associée de la société Sogeclo, titulaire de 18 parts dans la société La Tuilerie, ne lui donne pas qualité pour représenter cette société, qui dispose à cet effet d'un administrateur provisoire en la personne de Me [E] [Y], en vertu d'une ordonnance de référé du tribunal de commerce d'Arras du 6 juillet 2023.
Il convient donc, par infirmation de la décision entreprise, de déclarer Mme [O] [M] irrecevable pour défaut de qualité à agir en sa demande de nullité de l'assemblée générale extraordinaire de la société La Tuilerie du 22 mars 2019 et en toutes ses demandes subséquentes.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Il résulte de l'article 1240 du code civil qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.
En l'espèce, aucun élément au dossier ne permet de caractériser un comportement de Mme [O] [M] ayant dégénéré en abus, la seule appréciation inexacte de ses droits par celle-ci n'étant pas suffisante à caractériser l'existence d'un abus au sens des dispositions susvisées, de sorte qu'il y a lieu de débouter la société La Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les autres demandes
Mme [O] [M], qui succombe en appel, sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il n'est par ailleurs pas inéquitable de la condamner à payer à la société La Tuilerie, par infirmation du jugement entrepris, la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et, par dispositions nouvelles, la même somme au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Elle sera enfin déboutée de sa demande au même titre.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
Déclare Mme [O] [M] irrecevable en sa demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la SCI La Tuilerie du 22 mars 2019 et de toutes les délibérations prises lors de celle-ci, ainsi qu'en toutes ses demandes subséquentes,
Condamne Mme [O] [M] aux entiers dépens de première instance,
Condamne la même à payer à la SCI La Tuilerie la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance,
Déboute la même de sa propre demande formée au même titre,
Y ajoutant,
Déboute la SCI La Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne Mme [O] [M] aux entiers dépens d'appel,
Condamne la même à payer à la SCI La Tuilerie la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute la même de sa propre demande formée au même titre.
Le greffier
La présidente
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 23/10/2025
****
MINUTE ELECTRONIQUE
N° RG 23/01943 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U3YP
Jugement (N° 19/02387)
rendu le 28 février 2023 par le tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTE
La SCI La Tuilerie
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Pierre Rotellini, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué
assistée de Me Aude Tondriaux-Gautier, avocat au barreau d'Amiens, avocat plaidant
INTIMÉE
Madame [O] [M]
née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Elisabeth Gobbers-Veniel, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 26 juin 2025, tenue par Céline Miller, magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, présidente de chambre
Céline Miller, conseiller
Hélène Billières, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2025 après prorogation du délibéré en date du 02 octobre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, présidente et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 juin 2025
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La société civile immobilière La Tuilerie (la société La Tuilerie) a été constituée le 5 septembre 1978 entre M. [X] [M] et la société à responsabilité limitée Sogeclo (la société Sogeclo).
M. [X] [M] a été nommé aux fonctions de gérant de cette société dont le capital social, constitué de 60 parts sociales, était détenu à raison de 18 parts par la société Sogeclo et 42 parts par lui-même. La société Sogeclo a été constituée, quant à elle, entre M. [X] [M] et l'une de ses filles, Mme [O] [M], à hauteur de moitié du capital social chacun.
Mme [O] [M] a été nommée co-gérante de la société La Tuilerie le 17 mai 2008.
M. [X] [M] est décédé le [Date décès 3] 2012, laissant pour lui succéder :
- Mme [W] [L] veuve [M], son épouse avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts aux termes d'un contrat de mariage reçu le 9 janvier 1967, laquelle a été privée de ses droits dans sa succession aux termes d'un testament olographe du 14 décembre 2006,
- Mme [O] [M] et Mme [P] [M], ses deux enfants, héritières à concurrence de la moitié chacune de la succession.
Par jugement du 8 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Béthune a, notamment, prononcé la révocation de Mme [O] [M] de son mandat de gérante de la société La Tuilerie et désigné Me [G] [I], en qualité d'administrateur provisoire de cette société, avec pour mission de provoquer une réunion de l'assemblée générale des associés de la société aux fins de désignation d'un nouveau gérant et d'assurer provisoirement son administration courante, à l'effet de percevoir les revenus et d'engager les dépenses courantes.
Me [G] [I] a convoqué les parties à une assemblée générale extraordinaire le 22 mars 2019, au cours de laquelle Mmes [W] [L] et [P] [M] ont été nommées co-gérantes de la société.
Contestant la régularité des décisions votées au cours de cette assemblée générale et, plus précisément, le pouvoir invoqué par Mme [W] [L] pour participer seule au vote en qualité de représentante de « l'indivision successorale [X] [M] », Mme [O] [M] a, par acte en date du 19 juin 2019, fait assigner la société La Tuilerie devant le tribunal judiciaire de Béthune aux fins, notamment, de voir prononcer l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 22 mars 2019 et des délibérations prises dans son cadre.
Par jugement contradictoire du 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Béthune a :
- annulé l'assemblée générale extraordinaire de la société La Tuilerie et les délibérations prises lors de cette assemblée générale,
- déclaré irrecevable la demande de Mme [O] [M] tendant à voir prononcer la nullité de tous les actes effectués par les cogérantes, Mmes [W] et [P] [M],
- rejeté la demande présentée par la société La Tuilerie tendant à voir écarter les effets rétroactifs de l'annulation prononcée,
- sursis à statuer sur la demande de désignation d'un mandataire unique pour représenter les copartageants indivis dans l'exercice de leurs droits dans la société La Tuilerie,
- invité Mme [O] [M] à attraire Mme [W] [L] et Mme [P] [M] à défaut pour celles-ci de comparaître volontairement,
- invité Mme [O] [M] à préciser l'issue de la demande de désignation d'un mandataire unique qu'elle indiquait avoir présentée auprès du tribunal de grande instance dans son assignation,
- désigné Me [N] [R] en qualité d'administrateur provisoire de la société La Tuilerie avec pour mission de convoquer une nouvelle assemblée générale de cette société aux fins de nomination d'un nouveau gérant et de poursuivre son administration courante,
- condamné la société La Tuilerie aux dépens d'ores et déjà exposés par Mme [O] [M],
- condamné la même à payer à Mme [O] [M] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 9 mai 2023 à 9h30 devant le juge unique pour intervention forcée à l'instance ou intervention volontaire de Mme [W] [L] et de Mme [P] [M].
La société La Tuilerie a interjeté appel de ce jugement le 21 avril 2023 et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 19 avril 2025, demande à la cour, au visa des articles 31, 122 et suivant du code de procédure civile, et abstraction faite des demandes de « constat » ou de « dire et juger » qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
à titre principal :
- déclarer irrecevable Mme [O] [M] en sa demande pour défaut de mandat unique pour représenter l'indivision des nus-propriétaires des parts démembrées de M. [M], irrecevabilité d'ordre public,
- déclarer irrecevable Mme [O] [M] pour défaut d'intérêt à agir, n'ayant de son côté, jamais fait désigner un mandataire unique pour représenter l'indivision,
- débouter Mme [O] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- à titre subsidiaire :
- débouter Mme [O] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- si par extraordinaire, la nullité devait être prononcée, confirmer l'absence de tout effet rétroactif de la nullité sur les actes d'ores et déjà pris par les cogérantes pour la sauvegarde de ses intérêts et, notamment, tout mandat donné ou contrat ratifié avec des tiers de bonne foi ;
en tout état de cause :
- débouter Mme [O] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [O] [M] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de l'absence de diligences avant l'assemblée,
- condamner la même à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 4 juin 2025, Mme [O] [M] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, en tout état de cause, de débouter la société La Tuilerie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irréptibles ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera observé que la décision entreprise n'est pas contestée en ce qu'elle a :
- sursis à statuer sur la demande de désignation d'un mandataire unique pour représenter les copartageants indivis dans l'exercice de leurs droits dans la société La Tuilerie,
- invité Mme [O] [M] à attraire Mme [W] [L] et Mme [P] [M] à défaut pour celles-ci de comparaître volontairement,
- invité Mme [O] [M] à préciser l'issue de la demande de désignation d'un mandataire unique qu'elle indiquait avoir présentée auprès du tribunal de grande instance dans son assignation.
Il ne sera donc pas revenu sur ces dispositions, dont la cour n'est pas saisie.
Sur la fin de non-recevoir
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 123 du même code ajoute que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
L'article 124 précise que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que l'irrecevabilité ne résulterait d'aucune disposition expresse.
Par ailleurs, en vertu de l'article 31 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 de ce code dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
En vertu de l'article 1181 alinéa 1 du code civil, la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger.
Enfin, aux termes de l'article 1844 du code civil, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Les copropriétaires d'une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d'eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent.
En l'espèce, il n'est pas discuté que, bien que ne l'ayant pas fait en première instance, la SCI la Tuilerie est recevable à soulever, en cause d'appel, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Mme [O] [M] pour solliciter, en sa qualité de nue-propriétaire indivise de parts de la société La Tuilerie, la nullité de l'assemblée générale extraordinaire de cette société du 22 mars 2019.
Il est constant que la société La Tuilerie était détenue, avant le décès d'[X] [M], à hauteur de 42 parts sociales par celui-ci (70%) et à hauteur de 18 parts sociales par la société Sogeclo (30 %).
[X] [M] est décédé le [Date décès 6] 2012, laissant pour lui succéder ses deux filles, Mmes [O] et [P] [M], héritières à concurrence de la moitié chacune de la succession, sous réserve des droits de son épouse survivante, Mme [W] [L], avec laquelle il s'était marié le [Date mariage 4] 1967 à [Localité 10] sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, et laquelle avait été privée expressément, par testament du 14 décembre 2006, de tous droits dans sa succession mais se trouve être propriétaire, en vertu de l'article 6 de leur contrat de mariage, reçu par Maître [T], notaire à [Localité 8], le 9 janvier 1967, de la moitié en pleine propriété et de la moitié en usufruit de tout ce qui composait la communauté après déduction du passif et l'exercice des reprises et prélèvements par chacun des époux.
Il s'ensuit qu'après partage des intérêts patrimoniaux ayant existé entre les époux, dont il semblerait qu'il ne soit toujours pas intervenu à ce jour, Mme [W] [L] a vocation à la pleine propriété de la moitié et à l'usufruit de l'autre moitié des parts sociales de la société La Tuilerie précédemment détenues par son époux, soit 21 parts en pleine propriété et 21 parts en usufruit, la nue-propriété de ces dernières étant détenue en indivision par ses filles [O] et [P].
Or si Mme [O] [M] entend agir, en sa qualité de nue-propriétaire indivise de ces 21 parts sociales, en nullité de l'assemblée générale de la société La Tuilerie du 22 mars 2019, elle ne justifie pas avoir été mandatée à cet effet par l'indivision en application de l'article 1844 du code civil précité, et n'a donc pas qualité à agir, peu important son éventuel intérêt à agir, lequel est discutable en l'absence de toute demande de sa part aux fins de désignation d'un mandataire de l'indivision, étant observé en outre que sa qualité d'associée de la société Sogeclo, titulaire de 18 parts dans la société La Tuilerie, ne lui donne pas qualité pour représenter cette société, qui dispose à cet effet d'un administrateur provisoire en la personne de Me [E] [Y], en vertu d'une ordonnance de référé du tribunal de commerce d'Arras du 6 juillet 2023.
Il convient donc, par infirmation de la décision entreprise, de déclarer Mme [O] [M] irrecevable pour défaut de qualité à agir en sa demande de nullité de l'assemblée générale extraordinaire de la société La Tuilerie du 22 mars 2019 et en toutes ses demandes subséquentes.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Il résulte de l'article 1240 du code civil qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.
En l'espèce, aucun élément au dossier ne permet de caractériser un comportement de Mme [O] [M] ayant dégénéré en abus, la seule appréciation inexacte de ses droits par celle-ci n'étant pas suffisante à caractériser l'existence d'un abus au sens des dispositions susvisées, de sorte qu'il y a lieu de débouter la société La Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les autres demandes
Mme [O] [M], qui succombe en appel, sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il n'est par ailleurs pas inéquitable de la condamner à payer à la société La Tuilerie, par infirmation du jugement entrepris, la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et, par dispositions nouvelles, la même somme au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Elle sera enfin déboutée de sa demande au même titre.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
Déclare Mme [O] [M] irrecevable en sa demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la SCI La Tuilerie du 22 mars 2019 et de toutes les délibérations prises lors de celle-ci, ainsi qu'en toutes ses demandes subséquentes,
Condamne Mme [O] [M] aux entiers dépens de première instance,
Condamne la même à payer à la SCI La Tuilerie la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance,
Déboute la même de sa propre demande formée au même titre,
Y ajoutant,
Déboute la SCI La Tuilerie de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne Mme [O] [M] aux entiers dépens d'appel,
Condamne la même à payer à la SCI La Tuilerie la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
Déboute la même de sa propre demande formée au même titre.
Le greffier
La présidente