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CA Douai, jrdp, 22 octobre 2025, n° 24/00028

DOUAI

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CA Douai n° 24/00028

22 octobre 2025

AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

COUR D'APPEL DE DOUAI

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

EN MATIÈRE DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

minute n° 25/25

n° RG : 24/0028

A l'audience publique du 22 octobre 2025 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de

M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :

Sur la requête de :

M. [I] [G]

né le [Date naissance 1] 2000 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 2]

ayant pour avocat Me Quentin MYCINSKI, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 3]

Les débats ayant eu lieu à l'audience du 24 septembre 2025, à 10 heures

L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier;

En présence de :

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,

représenté par M. Augustin JOBERT, avocat général

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des affaires juridiques

dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé

[Adresse 5]

[Localité 4]

ayant pour avocat Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de Béthune

JRDP - 28/24 - 2ème page

Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 23 septembre 2024, M. [I] [G] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.

M. [G] a été mis en examen le 7 janvier 2021 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lille et placé en détention provisoire, le même jour, par le juge des libertés et de la détention de cette juridiction pour'des faits de':

- tentative de meurtre commis en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre de la victime';

- extorsion commise avec une arme en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre de la victime.

Par arrêt du 25 mars 2024, la cour d'assises des mineurs du Nord a acquitté M. [G] et a ordonné sa remise en liberté immédiate.

M. [G] était détenu pour autre cause entre le 22 janvier 2021 et le 22 juillet 2023, de sorte que l'indemnisation sollicitée au titre de la détention provisoire injustifiée ne concerne que la période comprise, d'une part, entre le 7 et le 22 janvier 2021 et, d'autre part, entre le 22 juillet 2023 et le 25 mars 2024, soit une durée de 262 jours.

Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :

- 50 000 € en réparation de son préjudice moral,

- 4'593,60 € au titre du préjudice matériel'né de la perte de chance d'occuper un emploi,

- 2'000 € au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

M. [G] souhaite aussi que les dépens soient laissés à la charge du Trésor Public et que soit ordonnée l'exécution provisoire de la décision à venir.

Dans ses conclusions du 7 février 2025, l'Agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 19 000 €, qu'il soit débouté de sa demande en réparation de son préjudice matériel, à titre principal, et soit, subsidiairement, indemnisé à ce titre à hauteur de 911,76 €. Il propose également de réduire à de plus justes proportions la demande d'indemnisation présentée au titre des frais irrépétibles et de débouter M.'[G] du surplus de ses demandes.

Dans ses conclusions du 31 mars 2025, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [G] soit indemnisé à hauteur de 19'000 €, que le préjudice matériel soit indemnisé à hauteur de 911,76 €, que la somme sollicitée au titre des frais irrépétibles soit réduite à de plus justes proportions'et que le requérant soit débouté du surplus de ses demandes.

Aux termes des débats tenus le 7 mai 2025, l'avocat du requérant sollicite un renvoi.

Celui-ci est fixé au 24 septembre 2025.

Lors de l'audience tenue le 24 septembre 2025, le conseil du requérant indique que la période indemnisable est effectivement de 262 jours et que la demande au titre des frais irrépétibles est fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'Agent judiciaire de l'Etat et le ministère public se référant à leurs écritures maintiennent leur offre indemnitaire.

Au terme des débats, le premier président indique qu'il met l'affaire en délibéré au 22 octobre 2025.

Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,

vidant son délibéré à l'audience de ce jour,

SUR CE,

Sur la recevabilité :

Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

JRDP - 28/24 - 3ème page

Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.

En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

En l'espèce, la requête a été reçue au greffe de la cour d'appel de Douai le 23 septembre 2024, soit dans le délai de six mois suivant l'arrêt du 25 mars 2024 rendu par la cour d'assises des mineurs du Nord.

Figure au dossier un certificat établi par le greffe de la cour d'assises du Nord en date du 23 septembre 2024 attestant qu'aucun appel n'a été interjeté à l'encontre de cet arrêt.

En conséquence, il y a lieu de déclarer recevable la requête de M. [G].

S'agissant de la période d'indemnisation, le requérant reconnaît avoir été détenu pour autre cause entre le 22 janvier 2021 et le 22 juillet 2023, de sorte que l'indemnisation sollicitée au titre de la détention provisoire injustifiée ne concerne que la période comprise, d'une part, entre le 7 et le 22 janvier 2021 et, d'autre part, entre le 22 juillet 2023 et le 25 mars 2024, soit pendant une durée de 262 jours.

Sur le préjudice moral :

Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.

La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.

En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire du requérant contient la mention des condamnations suivantes':

- le 5 octobre 2018, par le tribunal correctionnel de Lille, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général de 140 heures dans un délai d'un an et six mois pour vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas 8 jours. Révocation totale du sursis TIG par le juge de l'application des peines du tribunal judiciaire de Chartres le 20 juillet 2020';

- le 5 février 2019, par le tribunal correctionnel de Dunkerque, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et confiscation des biens ou instruments ayant servi à commettre l'infraction pour vol avec destruction ou dégradation';

- le 19 juin 2019, par le tribunal correctionnel de Lille, à 6 mois d'emprisonnement pour vol dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt (récidive)';

- le 7 juillet 2020, par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis pour violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique sans incapacité (récidive).

Il s'ensuit que M. [G] n'avait jamais été incarcéré lors de son placement en détention provisoire le 7 janvier 2021, ce qui constitue un facteur de majoration de son préjudice moral.

Le requérant fait valoir que sa détention provisoire a été particulièrement dommageable du fait des circonstances suivantes':

- son jeune âge (20 ans),

- la durée de la détention,

- la gravité des faits poursuivis,

- la perte du bénéfice d'un aménagement de peine.

JRDP - 28/24 - 4ème page

La circonstance du jeune âge de M. [G] au moment de son placement en détention provisoire n'est pas en tant que telle, et sans autre élément relatif à la personnalité du requérant, de nature à aggraver le préjudice moral consécutif à son incarcération injustifiée.

S'agissant de la circonstance relative à la gravité des faits poursuivis, seul le préjudice moral résultant directement de la détention peut être indemnisé, à l'exclusion du préjudice résultant du déroulement de la procédure judiciaire ou de la qualification des faits, objets de la poursuite.

La circonstance ainsi invoquée de la gravité des faits poursuivis pour établie qu'elle puisse être ne saurait donner lieu à indemnisation.

Le requérant fait également valoir que la détention provisoire, alors qu'il était détenu pour autre cause, l'a privé d'une chance d'obtenir un aménagement de peine.

La réparation de la perte de chance suppose que le fait constitutif en soit établi. Or, en l'espèce, le casier judiciaire de M. [G] faisait état au moment de son incarcération de quatre mentions de condamnations correctionnelles depuis 2018 ainsi que de la révocation prononcée le 20 juillet 2020 par le juge de l'application des peines du tribunal judiciaire de Chartres de son sursis travail d'intérêt général.

Il s'ensuit que le requérant ne justifie pas qu'il ait pu se trouver, à l'occasion de la mise en exécution des peines d'emprisonnement durant sa détention provisoire, dans une situation lui permettant d'espérer utilement le bénéfice d'une mesure d'aménagement de peine.

Cette circonstance ne saurait donc être retenue.

S'agissant de la durée de la détention, elle constitue un critère d'appréciation du préjudice moral, dont le montant se trouve ainsi proportionné à la durée de cette détention injustifiée.

L'ensemble de ces éléments justifie qu'il soit accordé à M. [G] la somme de 22'000'€ en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel':

M. [G] soutient que la détention provisoire l'a privé d'une perte de chance d'occuper un emploi dans la mesure où, dès sa libération, il a rapidement trouvé un travail avec un salaire mensuel de 521,69 €, à raison de 17,40 € par jour.

Il sollicite, en réparation de ce chef de préjudice, la somme de 4'593,60 € au titre des 251 jours passés en détention ainsi que des 13 jours séparant sa libération de la signature de son contrat de travail.

L'Agent judiciaire de l'Etat et le ministère public sollicitent que le requérant soit débouté de sa demande relative à la perte de chance d'obtenir des revenus. A titre subsidiaire, ils proposent une indemnisation de 911,76 €.

L'indemnisation de la perte de chance de percevoir des revenus du fait de son activité est subordonnée à la preuve que le fait dont la privation du bénéfice est invoquée soit établi et son caractère certain.

Or, pour justifier de sa demande, M. [G] ne produit qu'un certificat de travail d'une durée de 4 jours, couvrant la période du 8 au 12 avril 2024, conclu pour remplacer un salarié en arrêt maladie, soit à une période postérieure à sa remise en liberté.

Les justificatifs produits par le requérant sont inopérants à apporter la démonstration qu'il se trouvait avant son incarcération dans une situation lui permettant d'exercer un emploi et à justifier de la sorte de la perte d'une chance d'exercer un emploi.

Il convient donc de débouter M. [G] de sa demande.

Sur les frais irrépétibles :

Il sera alloué à M. [G] la somme de 1 200 € au titre des frais engagés pour la présente procédure.

JRDP - 28/24 - 5ème page

Sur les dépens :

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS,

Après débats en audience publique

statuant publiquement et contradictoirement,

DECLARONS recevable la requête de M. [I] [G] ;

ALLOUONS à M. [I] [G] la somme de vingt-deux mille euros (22 000 €) au titre de son préjudice moral';

DEBOUTONS M. [I] [G] de sa demande de réparation du préjudice matériel';

ALLOUONS à M. [I] [G] la somme de mille deux cents euros (1'200 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.

Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de Douai, le 22 octobre 2025,

en présence de M. Augustin JOBERT, avocat général

assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.

Le greffier Le premier président

C. BERQUET J. SEITHER

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