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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 24 octobre 2025, n° 23/02744

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 23/02744

24 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°265

N° RG 23/02744 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I5PU

CC

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE [Localité 7]

16 mai 2023

RG:16/00005

S.A.S. BEEOPTIC

C/

S.A. MERCIALYS

Copie exécutoire délivrée

le 24/10/2025

à :

Me Jean-pascal PELLEGRIN

Me Romain LEONARD

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2025

Décision déférée à la cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de nimes en date du 16 Mai 2023, N°16/00005

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

Mme Nathalie ROCCI, Présidente,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Octobre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 Octobre 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

SARL BEEOPTIC, SARL au capital de 15 075 Euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NIMES sous le numéro 445 371 271, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 6]

[Adresse 4],

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-pascal PELLEGRIN de la SELARL CABINET PELLEGRIN AVOCAT-CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Sonia HARNIST avocat au barreau de NIMES

INTIMÉE :

S.A. MERCIALYS, immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le N° 424 064 707 dont le siège social est [Adresse 2] Prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Romain LEONARD de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Dominique COHEN-TRUMER de la SELAS COHEN-TRUMER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 18 Septembre 2025

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 24 Octobre 2025,par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 10 août 2023 par la SAS Beeoptic à l'encontre du jugement rendu le 16 mai 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nîmes, dans l'instance n° RG 16/00005 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11septembre 2025 par la SAS Beeoptic, appelante à titre principal, intimée à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 3 septembre 2025 par la SA Mercialys, intimée à titre principal, appelante à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 5 mars 2025 de clôture de la procédure à effet différé au 18 septembre 2025.

***

Par acte du 26 juin 2002, la société "Casino Guichard Perrachon", aux droits de laquelle vient la s.a. "Mercialys", a donné à bail à Mme [Z], aux droits duquel vient la s.a.r.l Beeoptic, un local à usage commercial dépendant du centre commercial "géant cap costières" à [Localité 7], portant le n°70, d'une surface de 130,29 m² au sol dont 110 m² maximum de surface de vente, pour y exploiter une activité de "optique, lunetterie, audioprothèses" et moyennant un droit d'entrée de 54 000 euros HT.

Le bail a été consenti pour une durée de dix ans ayant commencé à courir le 28 novembre 2002 pour venir à échéance contractuelle le 27 novembre 2012.

Le loyer a initialement été fixé à 49 640,49 € HT et hors charges outre un loyer variable additionnel de 6 % ht du chiffre d'affaires annuelles HT. Il a évolué en fonction de la clause d'indexation contractuelle et s'établissait au jour des débats en première instance à la somme de 67 712,52 euros HT et hors charges.

Par exploit d'huissier du 26 novembre 2012, la locataire a fait signifier à la bailleresse une demande de renouvellement de bail pour une durée de 10 ans à compter du 1er avril 2013, aux mêmes charges et conditions du bail initial, le loyer s'élevant alors à 65.251 euros.

Par exploit d'huissier du 18 juin 2013, la s.a Mercialys a signifié sa réponse d'acceptation du renouvellement du bail à compter du 28 novembre 2012, pour une durée de 10 ans, mais moyennant fixation du loyer de base de renouvellement à la somme de 88.000 € HT et hors charges par an.

Par courrier recommandé du 12 novembre 2014 réceptionné le 14 novembre, la s.a Mercialys a notifié son mémoire préalable à la société Beeoptic pour la fixation du loyer de base de renouvellement à la somme de 89.915 € HT et hors charges aux clauses et conditions du bail échu, en ce compris la clause de loyer variable.

La s.a.r.l Beeoptic s'est opposée à cette demande.

Aucun accord n'ayant été trouvé, la bailleresse a, par acte d'huissier de justice du 11 avril 2016, fait assigner la s.a.r.l Beeoptic devant le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Nîmes qui, par jugement du 1er février 2017, a :

- fixé le loyer pendant la procédure au montant du loyer actuel,

- dit n'y avoir lieu à consignation,

- ordonné à la s.a Mercialys de communiquer à l'expert qui lui-même les communiquera à la société Beeoptic les baux des cellules avec leurs avenants ainsi qu'un tableau récapitulatif des loyers, notamment ceux appelés au 28 novembre 2012, ceux versés actuellement, accompagnés de tous documents justificatifs,

- ordonné une expertise et commis à cet effet et M.[O] (...) avec mission de:

' convoquer les parties et leurs conseils respectifs dans le respect des textes en vigueur en précisant la date, l'heure et le lieu des opérations d'expertise,

' se rendre sur les lieux, se faire remettre tous documents utiles à la poursuite de sa mission, entendre tous sachants

' décrire les lieux loués, leur état d'entretien en distinguant en ce qui concerne le bâti, les aménagements réalisés par le locataire,

' appliquer notamment la méthode d'évaluation des surfaces pondérées préconisée par la charte de l'expertise en évaluation immobilière faisant suite aux travaux du comité pour la pondération des surfaces commerciales,

' préciser les surfaces pondérées,

' donner tous éléments permettant d'établir si les critères imposés par l'article L. 145'33 du code de commerce sont réunis,

' dire pour chaque critère, s'il est susceptible d'être pris en compte ou non et, dans l'affirmative, expliquer les raisons au moyen d'arguments objectifs, joints au rapport,

- dit que l'expert missionné devra fournir des éléments de comparaison dans le centre commercial Cap Costières mais aussi dans les galeries marchandes des centres commerciaux construits à proximité dudit centre commercial,

- dit que l'expert devra donner tous éléments permettant d'apprécier une éventuelle décote, les abattements éventuels sur lesquels il donnera tous éléments

- dit que l'expert au vu de ces éléments proposera une estimation de la valeur locative des biens loués,

-(...)

- réservé les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par arrêt du 28 juin 2018, la cour d'appel de Nîmes :

« Confirme le jugement déféré dans ses dispositions non contraires aux présentes et le réformant sur les chefs suivants :

- dit que l'expert missionné devra fournir des éléments de comparaison dans le centre commercial Cap Costières exclusivement,

- dit que la société Beeoptic supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la SAS Mercialys une somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. ».

Le 30 mars 2018, M. [R] [V] a été désigné en remplacement de l'expert, Monsieur [O].

L'expert a déposé son rapport au greffe du tribunal judiciaire de Nîmes le 6 décembre 2021.

Par jugement du 16 mai 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nîmes :

« Constate l'accord des parties pour fixer la date de renouvellement du bail au 28 novembre 2012 ;

Dit que le bail renouvelé s'effectuera aux clauses et conditions du bail échu en ce compris la clause de loyer variable ;

Fixe le montant de loyer de renouvellement à la somme annuelle de 75.435,93 euros hors taxes et hors charges à compter du 28 novembre 2012 ;

Rejette la demande d'expertise ;

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et que les frais d'expertise judiciaire resteront à la charge de la société Mercialys. ».

***

La société Beeoptic a relevé appel le 10 août 2023 de ce jugement pour le voir réformer ou infirmer en ce qu'il a :

- fixé le montant du loyer de renouvellement à la somme annuelle de 75 435,93 euros hors taxes et hors charges à compter du 28 novembre 2012,

- rejeté la demande de la société Beeoptic au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

***

Dans ses dernières conclusions, la société Beeoptic, appelante à titre principal, intimée à titre incident, demande à la cour de :

« Sur l'appel principal,

- Déclarer l'appel de la société Beeoptic recevable et bien-fondé ;

- Infirmer le jugement du 16 mai 2023 en ce qu'il a fixé le montant du loyer de renouvellement à la somme de 75 435,93 euros hors taxes et hors charges par an à compter du 28 novembre 2012 et rejeté la demande formulée par la société Beeoptic au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

- Fixer le montant du loyer de renouvellement à la somme de 51 190,76 euros hors taxes et hors charges par an au 28 novembre 2012 ;

Sur l'appel incident,

- Débouter la société Mercialys de l'ensemble des demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire,

- Déclarer que le loyer de base fixé portera intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016 ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Mercialys à payer à la société Beeoptic la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Mercialys aux entiers dépens de première instance et d'appel. ».

Au soutien de ses prétentions, la société Beeoptic, appelante à titre principal, intimée à titre incident, expose que le bail du 26 juin 2012 renvoie exclusivement aux dispositions légales pour la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative et que l'article L. 145-33 du code de commerce dans sa version en vigueur à la date du renouvellement, énumère plusieurs critères, lesquels sont précisés aux articles R. 145-2 et suivants du même code.

S'agissant du critère tiré de la surface du local, elle indique que le juge des loyers n'a pas appliqué de coefficient de pondération pour tenir compte de l'intérêt commercial que présente chaque partie des locaux, alors qu'il convient de retenir une surface pondérée de 109 m2 pour le calcul de la valeur locative.

En premier lieu, selon elle, alors que la première juridiction a mentionné que la surface contractuelle stipulée dans le bail correspondait effectivement à la surface GLA (« gross leasable area », soit surface locative brute) définie par la Charte de l'expertise en évaluation immobilière, le bail ne renvoie pas à la notion de surface GLA pour la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative. Par conséquent, elle affirme que la pondération s'impose même lorsqu'il s'agit de retenir la surface GLA.

En second lieu, il convient selon l'appelante de distinguer dans les calculs la surface de vente (soit 96,51 m2) et celle de la réserve (24,8 m2) pour parvenir à une surface pondérée de 108.61 m2 comme l'a retenu l'expert.

En troisième lieu, elle rappelle que l'expert [V] a émis plusieurs hypothèses de calculs selon que la surface doit être pondérée ou non conformément à la décision avant dire droit du juge des loyers commerciaux du 1er février 2017.

Enfin, elle affirme que les calculs de l'expert [V] effectués à partir de la surface de vente induite (108,61 m2) sont corroborés par l'expert [K] lequel avait retenu une surface pondérée de 109 m2 déterminée à partir de la surface utile des locaux.

Elle précise que la charte de l'expertise est purement indicative et que le juge dispose d'un pouvoir souverain pour chiffrer la valeur locative. Par ailleurs, elle indique que le contrat de bail ne renvoie pas à la charte de l'expertise qui est purement indicative et que les annexes comprennent l'atelier, les bureaux et le wc séparé qui doivent en conséquence être pondérés.

Concernant les causes de minoration de la valeur locative, l'appelante invoque l'application de l'article R.145-8 du code de commerce dont bénéficient les centres commerciaux. En l'occurrence, elle estime que ses charges résultant du bail commercial du 26 juin 2002 sont multiples (notamment une indemnité forfaitaire en cas de changement d'enseigne, un loyer fixe et additionnel, taxe foncière relative aux parties communes) et particulièrement lourdes présentant un caractère exorbitant et justifiant un abattement de 20 % sur la valeur locative.

Elle précise que les locataires de locaux dans les centres commerciaux ne peuvent pas négocier leur loyer et les charges qui leur sont imposés et que l'application de ce mécanisme est conforme au dernier état du droit positif.

En conclusion, elle estime que la valeur locative fixée par le juge des loyers commerciaux doit être révisée à la baisse et arrêtée à la somme de 51 190,76 euros hors taxes et hors charges par an (587,05 euros x 109 x 0,8), à la date du 28 novembre 2012.

Concernant l'appel incident, elle estime qu'une nouvelle demande d'expertise est sans objet, la méthode de calcul de l'expert étant cohérente. S'agissant des intérêts légaux, elle affirme que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis la date de prise d'effet du renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du loyer, lorsque celle-ci émane du bailleur.

***

Dans ses dernières conclusions, la société Mercialys, intimée à titre principal, appelante à titre incident, demande à la cour, au visa des articles L.145-33, R.145-2 à R.145-8 du code de commerce, de :

« Il est demandé à la cour de réformer le jugement du 16 mai 2023 en ce qu'il a :

- fixé le montant de loyer de renouvellement à la somme annuelle de 75.435,93 euros hors taxes et hors charges à compter du 28 novembre 2012 ;

- rejeté la demande d'expertise ;

- rejeté la demande de la société Mercialys au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau, de :

- Débouter la société Beeoptic de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- A titre subsidiaire, si un abattement sur la valeur locative devait être pratiqué en raison des charges exorbitantes, celui-ci serait limité à 5% ;

- Fixer le montant du loyer de base de renouvellement à la somme de 89 915 euros hors taxes et hors charges par an au 28 novembre 2012 ;

- Juger que le loyer de base fixé portera intérêts au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, de plein droit à compter de sa date d'effet ;

- Juger que les intérêts échus depuis plus d'un an produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- A titre subsidiaire, voir désigner tel nouvel expert qu'il plaira à Madame ou Monsieur le président, avec mission de donner son avis sur la valeur locative ;

- Condamner la société Beeoptic à payer à la société Mercialys la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Beeoptic aux dépens de première instance et d'appel ;

Au soutien de ses prétentions, la société Mercialys, intimée à titre principal, appelante à titre incident expose qu'il n'y a pas lieu d'appliquer la pondération invoquée par l'appelante pour les surfaces à usage de bureaux et d'atelier, mais de se conformer à la charte de l'expertise, qui constitue l'ouvrage de référence pour l'expertise immobilière, appliquée tant par les Experts que par les Juridiction qui, dans cette hypothèse, ne prévoit pas de pondération pour les réserves pour les locaux en centre commerciaux. L'intimée explique que cette charte précise qu'en centre commercial, il convient de retenir la surface GLA, le bail prévoyant également l'application de la surface GLA en son article I ' 2). Elle estime par ailleurs, que dans ce cas, les locaux de référence devraient également être pondérés justifiant une nouvelle expertise.

Concernant les minorations sollicitées, le bailleur explique que le transfert de charges ne peut avoir aucune incidence sur la détermination de la valeur locative sauf à ce que les valeurs de référence soient corrélativement majorées d'autant ; il en résulte que la négociation est globale et le montant du loyer dépend du montant des charges.

Elle souligne que la précision de l'article R 145-8 du code de commerce selon laquelle les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative, ne peut aboutir à minorer deux fois la valeur locative. De même, elle indique que selon l'article R 145-7 du code de commerce les références concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6 qu'elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation.

Concernant le droit positif, elle indique que dès lors que les juridictions sont mises en mesure de pouvoir comparer concrètement les charges et obligations dites exorbitantes incombant au preneur en renouvellement avec celles incombant aux locataires de référence et qu'ils constatent qu'elles sont identiques, elles refusent de retenir un abattement sur la valeur locative.

Selon elle, la jurisprudence de la cour de cassation se présente en ces termes :

- lorsque les juges du fond n'étaient pas précisément renseignés sur la teneur des obligations des locataires de référence et/ou lorsque le moyen de droit soulevé pour écarter tout abattement de ce chef était jugé inapproprié, elle a approuvé les cours d'appel ayant retenu la minoration ou a cassé les décisions l'ayant rejetée.

- lorsque l'identité des obligations des preneurs de références et celles du preneur en renouvellement ont été constatées par les juges du fond qui disposaient de tous les éléments de comparaison, la cour de cassation a approuvé la minoration ou au contraire cassé les décisions l'ayant retenue.

Or, en l'espèce, l'intimée soutient que ce n'est pas en raison de l'usage qu'il n'y a pas lieu à abattement mais parce que les locataires de référence sont soumis aux mêmes charges, taxes et obligations. Subsidiairement, elle sollicite que l'abattement soit limité à d'un montant maximum de 5 %.

Dans le cadre de son appel incident, la société Mercialys fait valoir que l'expert n'a pas été impartial et qu'il a exclu du rapport les éléments qui avaient pour objectif de diminuer artificiellement la valeur locative :

- il a pondéré les locaux en utilisant la méthode pour le centre ville de la charte de l'expertise (page 63 du pré-rapport) ce qui est contraire à la charte de l'expertise ;

- les 8 références retenues sont antérieures de 10 ans au 28 novembre 2012 ;

- les pondérations effectuées sur les 8 références sont inexactes : le calcul pour arriver au résultat du coefficient global est erroné ; la pondération en fonction des valeurs est inappropriée puisque les valeurs des références sont nécessairement diverses ; l'utilisation des méthodes usant du taux d'effort ne peut être retenue dans la valeur locative et la valeur utilisée dans la méthode statistique correspond à celle appliquée à toute une parcelle cadastrale sans distinction.

L'intimée estime que l'expert a rédigé son pré-rapport avec un postulat sur les bailleurs institutionnels et sur l'état du marché et a tout fait pour que son estimation corresponde à ce postulat comme le démontra également les réponses aux dires des parties. Elle estime que le rapport a été rédigé avec le parti pris de protéger le locataire indépendant face à un bailleur institutionnel en impactant le niveau des valeurs locatives de renouvellement, c'est-à-dire en fixant le loyer en dessous de la valeur locative.

Dans le rapport définitif, suite aux dires, l'intimée affirme que l'expert a repris les modifications dans son pré-rapport mais non dans le document définitif.

La société Mercialys estime que :

- s'agissant de la surface à prendre en compte, il convient de retenir celle de 128.50 m2

- concernant la valeur locative, l'expert a finalement retenue une augmentation de 28 % entre les anciennes références de 10 années et les nouvelles sans modifier son estimation ; en prenant en compte le calcul du coefficient global en calculant la moyenne des déterminants étudiés, sans les multiplier et en faisant abstraction du déterminant analyse des baux, la base de renouvellement du loyer doit être fixé à 700 euros/m2 hors taxe et hors charges par an.

Elle explique que contrairement à ce qu'a indiqué la juridiction de première instance, seule est contestée l' analyse des baux puisque l'expert n'a pas pratiqué d'abattement pour tenir compte du droit d'entrée de 54 000 euros mais a pondéré les valeurs de références car elles sont supérieures au loyer d'origine du preneur. De même l'intimée fait valoir que s'agissant du calcul du coefficient, l'expert n'est pas parvenu à donner une explication convaincante pour justifier son calcul.

Subsidiairement, elle affirme que l'expert actuel qui n'a pas rédigé son rapport avec objectivité en ayant pour objectif de diminuer artificiellement la valeur locative, rend nécessaire la désignation d'un nouvel expert.

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

L'article VI-I du contrat de bail précise « il est expressément convenu entre les parties à titre de conditions essentielles et déterminantes qu'à l'occasion de chacun des éventuels renouvellements successifs du présent bail, le loyer de base sera fixé à la valeur locative des lieux appréciée par application des dispositions des articles 23 à 23'5 du décret du 30 septembre 1953 ou du texte qui leur sera substitué, toutes les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées, en ce compris la clause de loyer variable additionnel ci-après. À défaut d'accord entre les parties, le loyer de base de renouvellement sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur afférente aux baux commerciaux»

Aux termes de l'article L 145-33 du code de commerce applicable au présent litige « le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1 Les caractéristiques du local considéré ;

2 La destination des lieux ;

3 Les obligations respectives des parties ;

4 Les facteurs locaux de commercialité ;

5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ».

Selon l'article R 145-3 du code de commerce « Les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :

1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;

2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;

3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;

4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;

5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire ».

sur la surface du local

Selon l'article I 2) intitulé « surface contractuelle », « la surface du local prise en compte pour le calcul du loyer correspond à la surface mesurée : au nu extérieur des murs périphériques, lorsque ces murs séparent le local de l'extérieur des locaux de circulations communes ou de locaux à usage commun étant précisé que l'épaisseur desdits murs périphériques à prendre en considération pour le calcul des surfaces louées sera limité à 40 cm ; à l'axe des murs périphériques, lorsque ces murs séparent le local de locaux concédés à un autre preneur ou à tiers. Ces surfaces ne supportent aucune déduction en raison des trémies, poteaux , réseaux, cloisons intérieurs ».

Ainsi que l'a relevé le juge des loyers commerciaux, cette définition contractuelle correspond à la surface GLA qui doit par conséquent s'appliquer à l'espèce.

L'expert a estimé la valeur locative de renouvellement à 587.05 euros dans une fourchette comprise entre 63 750 euros et 67 000 euros en proposant différentes valeurs locatives :

N° 1 surfaces mesurées par le géomètre expert en m2 128.50 = 75 435.93 euros

N° 2 Surfaces de vente induite en m2 108.61 = 63 759.50 euros

N° 3 Surfaces de réserve induite en m2 102.90 = 60 407.45 euros

N°4 Surfaces inscrites au bail en m2 114.06 = 66 958.92 euros.

Si le juge des loyers commerciaux s'est référé à la charte de l'expertise immobilière 2017 pour indiquer qu'elle ne prévoit aucune pondération pour les surfaces en rez-de-chaussée, ce qui est le cas, l'extrait de la charte de l'expertise immobilière 2012 (pièce 17 de l'appelante) retient également l'absence de pondération pour un local commercial situé au rez-de-chaussée d'un centre commercial. Cette charte n'a qu'une valeur indicative mais elle est utilisée comme référence par tous les experts immobiliers et la cour ne voit aucune raison de faire abstraction des renseignements donnés par la Charte.

La surface à retenir est donc bien de 128,50 m2 comme retenu dans le jugement déféré.

sur la minoration de la valeur locative

Selon l'article R 145-8 du code de commerce « du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer ».

Pour fonder la demande d'abattement de 20 %, l'intimée la détaille ainsi :

- 5 % au titre des travaux de mises en conformité supportées par la société Beeoptic.

- 5 % au titre de la stipulation d'un loyer binaire.

- 5 % au titre du transfert de charges (taxe foncière en particulier) et le cas échéant de l'ensemble immobilier y compris la taxe des ordures ménagères.

- 5 % au titre de toutes les autres charges exorbitantes notamment l'ensemble des primes d'assurance réglées par le bailleur au titre de la copropriété et de ses polices d'assurances.

La société Beeoptic ajoute qu'elle s'acquitte d'une indemnité forfaitaire (un an de loyer) en cas de changement d'enseigne, qu'elle doit supporter les travaux du bailleur même s'ils excèdent 40 jours, qu'elle doit respecter des horaires d'ouverture sauf pénalité d'une majoration de 50 % du loyer.

Le juge des loyers commerciaux a refusé tout abattement au motif que les baux de référence sélectionnés par l'expert judiciaire font tous reposer sur le preneur la charge de la taxe foncière et, de façon générale, les mêmes obligations et charges.

Cependant, la cour de cassation estime que lorsque l'impôt foncier, les travaux de mise en conformité, l'assurance souscrite par le bailleur et les frais de gérance sont mis contractuellement à la charge du locataire, sans contrepartie, ils constituent un facteur de diminution de la valeur locative. ( 3e Civ., 24 novembre 2021, pourvoi n° 20-21.570)

Par un arrêt du 8 février 2024, la Cour de cassation a confirmé que, sauf dispositions contraires, en matière de détermination du loyer du bail renouvelé, le paiement de la taxe foncière et les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire, constituent un facteur de diminution de la valeur locative, même si ce transfert de charges est couramment pratiqué dans le secteur considéré et si les termes de comparaison retenus par l'expert correspondent à des baux mettant la taxe foncière à la charge du preneur.

(3e Civ., 8 février 2024, pourvoi n° 22-24.268)

L'article V du contrat de bail stipule notamment que « le preneur s'engage à tout moment à faire effectuer, à ses frais, dans les lieux loués, les travaux de mise en conformité avec toutes les règles et normes de sécurité, et notamment en matière de protection incendie. » Il est référé pour ce faire à l'alinéa 1 du même article en vertu duquel les locaux sont mis à la disposition du preneur en l'état brut de décoffrage mais dans la mesure où les travaux de mise en conformité avec les règles et normes de sécurité sont à la charge du preneur « à tout moment », il est dérogé à l'article 1719 du code civil et il y a lieu de retenir que cette clause constitue un facteur de diminution de la valeur locative.

L'article IX.2 demande au preneur de rembourser toutes les charges relatives à l'immeuble et à l'ensemble immobilier en ce, « le coût de tous les travaux, de quelque nature qu'ils soient, de réparation, de rénovation ou de remplacement réalisés dans le centre commercial ou sur les équipements communs du centre, en ce compris les travaux relevant de l'article 606 du code civil ». Il s'agit encore d'une clause exorbitante au droit commun de nature à diminuer la valeur locative du bien.

L'article VI relatif au loyer prévoit un loyer de base et un loyer variable additionnel. Il s'agit d'une modalité de paiement du loyer résultant de la libre convention des parties et non pas une clause exorbitante du droit commun. Il en est de même pour l'indemnité forfaitaire (un an de loyer) en cas de changement d'enseigne, la clause de souffrance, le respect des horaires d'ouverture sauf pénalité d'une majoration de 50%.

L'article IX.2 stipule que « les charges dues par le preneur comportent également l'impôt foncier relatif aux parties communes de l'immeuble, y compris la taxe sur les ordures ménagères et les frais d'établissement des rôles ainsi que tous impôts et taxes présents ou à venir afférents à la propriété ou à la gestion de l'immeuble, et ce suivant la pondération des surfaces' »

L'article précédent met à la charge du preneur « la contribution financière relative au local, en ce compris la taxe sur les ordures ménagères et les frais d'établissement des rôles' »

A la date du renouvellement, le montant de la taxe foncière et des ordures ménagères s'élevait à 3 875 euros pour un loyer s'élevant alors à 65.251 euros.

Le même article met à la charge du preneur l'ensemble des primes d'assurance supportées par le bailleur tant au titre de la copropriété qu'en vertu de l'article V.2 du contrat, à savoir les assurances souscrites par le bailleur ou le syndicat de copropriété contre le risque incendie, explosions, dégâts des eaux et responsabilité civile. Il s'agit une nouvelle fois d'une clause exorbitante au droit commun.

L'ensemble de ces stipulations exorbitantes du droit commun justifie que la valeur locative soit minorée de 12%, quand bien même il est d'usage de pratiquer ces transferts de charge dans les centres commerciaux.

sur la valeur locative

Il n'y a pas lieu de revenir sur la pondération de la surface qui a été retenue en vertu des stipulations contractuelles et de la Charte de l'expertise.

Après avoir pris en compte un dire de la société Mercialys critiquant des baux de référence trop anciens, l'expert judiciaire a sélectionné de nouvelles références aboutissant à une moyenne de 680 euros par mètre carré. Mais la société Mercialys prétend que l'expert n'a pas modifié son estimation précédente et elle conteste la valeur locative retenue par l'expert , à savoir entre 63 750 euros et 67 000 euros, ce qui est inexact puisqu'il propose une hypothèse avec une valeur locative d'environ 75 000 euros.

L'expert explicite ses hypothèses: il a pris en considération la situation du local par rapport à l'accès de l'hypermarché, la localisation par rapport aux différentes entrées de la galerie, la surface commerciale, ce qui est conforme en tous points à l'article L.145-33 1° du code du commerce . Il les a ensuite appliqués sur une surface différente selon que l'on prenne ou non en considération les surfaces de vente, réserves et celles mentionnées dans le bail.

Il s'est enfin attaché aux facteurs locaux de commercialité décrits avec précision dans son rapport.

Il a en outre pris en considération l'obligation pour le preneur d'acquitter un droit d'entrée de 54 000 euros alors que les autres enseignes référencées n'ont pas eu à régler cette somme et calculé les différences entre les loyers avec ou sans droit d'entrée par m2 (pages 69 à 71 du rapport), dans une logique de pondération.

C'est ainsi que l'expert aboutit à une valeur locative (avant abattement) de 75 435,93 euros, ce qui revient à 587,05 euros par m2, la surface retenue étant de 128,5 m2.

Cette conclusion parfaitement documentée dans le rapport a été retenue par le juge des loyers commerciaux et la cour confirme cette décision. Le parti pris de l'expert contre les bailleurs institutionnels tel que stigmatisé par la société Mercialys n'est absolument pas démontré, d'autant que l'expert a refusé de prendre en compte un quelconque facteur de minoration de la valeur locative, ce qui était en faveur du bailleur mais contra legem.

Il s'ensuit que le loyer de renouvellement s'élève à la somme annuelle de 75 435,93 euros qu'il convient de minorer de 12% (9 052,31 euros) ce qui revient à un loyer annuel hors taxes et hors charges de 66 383,61 euros à compter du 28 novembre 2012.

Le bailleur fait appel incident sur le point de départ des intérêts dus qu'il voudrait voir fixer à la date du renouvellement.

Le preneur s'y oppose et se fonde sur un arrêt de la cour de cassation qui précise que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

3e Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n° 19-19.285

C'est l'application de l'article 1155 du code civil, applicable à l'espèce qui dispose «Néanmoins, les revenus échus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêt du jour de la demande ou de la convention. »

Par conséquent le loyer de base portera intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016, date de l'assignation en justice délivrée à la requête du bailleur.

La capitalisation des intérêts, de droit est ordonnée.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens, étant rappelé que le juge des loyers commerciaux a mis à la charge du bailleur les frais de l'expertise judiciaire.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé le montant de loyer de renouvellement à la somme annuelle de 66 383,61 euros hors taxes et hors charges à compter du 28 novembre 2012,

Statuant à nouveau sur le montant de ce loyer,

Fixe le montant de loyer de renouvellement à la somme annuelle de 75 435,93 euros hors taxes et hors charges à compter du 28 novembre 2012,

Y ajoutant,

Dit que le loyer de base fixé portera intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'ancien article 1154 du code civil,

Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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