CA Rouen, ch. soc., 23 octobre 2025, n° 24/03771
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 24/03771 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JZPT
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 11 Octobre 2024
APPELANT :
Monsieur [K] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me François GARRAUD de la SCP GARRAUD-OGEL, avocat au barreau de DIEPPE
INTIMEE :
S.A.S. 2H ENERGY
[Adresse 5]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Cyprien PIALOUX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Septembre 2025 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame DE LARMINAT, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Monsieur LABADIE, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Monsieur GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 10 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame DE LARMINAT,présidente et par Madame KARAM,grefière.
***
M. [K] [B] a été engagé par la société 2H Energy en contrat à durée déterminée du 5 au 31 juillet 2004 en qualité de dessinateur bureau d'études, puis dans le cadre d'un second contrat à durée déterminée ayant débuté le 1er septembre 2004, lequel n'a pas été à son terme dans la mesure où les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée le 18 octobre 2004.
Il lui a été notifié son licenciement pour motif économique le 25 octobre 2022 dans les termes suivants :
'Nous faisons suite à votre entretien préalable qui s'est tenu le 7 octobre 2022 et nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique en raison des difficultés économiques et de la suppression de votre emploi.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre du licenciement collectif pour motif économique qui a fait l'objet d'une procédure d'information et de consultation du comité social et économique qui s'est achevée le 21 juillet dernier.
La cause économique soutenant ce licenciement collectif a été présentée aux instances représentatives du personnel. Elle est rappelée ci-après :
- Confrontée à d'importantes difficultés économiques, la société 2HEnergy, qui est la seule entité du groupe [Localité 4] au sein du secteur d'activité 'Groupe électrogènes' du groupe [Localité 4], est obligée de se réorganiser.
- Depuis plusieurs années, la société rencontre des difficultés financières et économiques. Son EBE (excédent brut d'exploitation) est négatif et avec la conjoncture économique actuelle, la société ne peut faire face ni aux hausses de prix de matières premières, ni aux coûts fixes engendrés par les structures.
L'EBE qui semblait s'améliorer en 2018, a dépassé les -13% en 2019 et 2020. La crise Covid a continué à augmenter les pertes et en 2021, la société clôture avec un EBE de moins 8,30%.
En outre, malgré un chiffre d'affaires relativement stable et en faible progression, la société enregistre depuis des années des résultats négatifs, notamment du fait que le chiffre d'affaires est généré sans marges, ce qui accélère les pertes.
Pour 2021, elle a généré un chiffre d'affaires de 30,3 millions € et un résultat net déficitaire de -2,8 millions €. Les capitaux propres de l'entreprise au 31/12/2021 sont inférieurs à la moitié du capital social.
Le résultat net d'exploitation reste fortement négatif à -2,6 millions d'euros (pertes).
Sur les 6 derniers exercices, 2HEnergy a enregistré une perte nette cumulée de 17 millions d'euros. Les chiffres du premier trimestre 2022 ne laissent entrevoir aucune amélioration des performances économiques et financières.
Aucun exercice n'est bénéficiaire sur la période.
Cette situation déjà compliquée se place dans un contexte de crise économique mondiale sur les matières premières et approvisionnements.
Dans ce contexte extrêmement difficile, il convient de constater que les achats et la masse salariale chargée représente plus de 106% du chiffre d'affaires, en 2021.
La pérennité de l'entreprise est à risque. Elle a longtemps été soutenue par CNH mais avec la crise économique de 2020 puis les conséquences en matière de conjoncture, CNH auquel appartenait 2HEnergy n'entendait pas continuer à financer les pertes d'exploitation.
Ainsi, l'actionnaire CNH Industrial finance (FIAT) a décidé de vendre l'entreprise en mai 2022 à Green transfo.
- Depuis plusieurs années, le résultat net du groupe [Localité 4], tout comme son résultat d'exploitation sont également en forte baisse comme le démontre le tableau ci-dessous :
En K€
2016
2017
2018
2019
Résultat d'exploitation
3 824
- 1728
- 4137
984
Résultat net
- 4 909
- 7 470
- 10 693
- 6 905
- Compte tenu de la situation, la société doit impérativement se réorganiser afin de retrouver de la marge dans les affaires, diminuer son point mort, avoir des coûts de structure faibles pour retrouver un résultat net positif et une viabilité, tout en choisissant des marchés rentables.
Cette réorganisation comprend les volets suivants :
- Une organisation commerciale unique ;
- Une organisation industrielle dédiée à la sécurisation de la marge ;
- Un pilotage économique axé sur la trésorerie ;
- Une qualité de décision toujours améliorée et un futur anticipé.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de cette réorganisation, justifiée par les difficultés économiques rencontrées par le secteur groupes électrogènes au niveau du groupe, tous les postes de votre catégorie professionnelle sont supprimés, dont votre poste de responsable bureau d'études.
Nous avons déployé tous les efforts possibles pour vous reclasser et recenser les postes qui pouvaient vous être proposés en application de l'article L. 1233-4 du code du travail.
Nous avons recherché les postes de reclassement disponibles sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, conformément à l'article L. 1233-4 du code du travail.
Par courrier du 26 août 2022, nous vous avons fait part des offres de reclassement interne au sein du groupe [Localité 4] en vous adressant la liste de l'ensemble des postes disponibles dans le groupe. Votre absence de réponse à cette proposition équivaut à un refus. Le 9 septembre 2022, vous nous avez fait part de votre refus de donner suite à cette proposition.
En dépit des recherches effectuées, nous n'avons donc pas pu procéder à votre reclassement.
C'est dans ces circonstances que, par lettre du 15 septembre 2022, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement pour motif économique.
Malheureusement, en l'absence de reclassement, nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour motif économique en raison de la suppression de votre emploi consécutive à la réorganisation de notre entreprise rendue nécessaire par les difficultés qu'elle rencontre ainsi que le secteur d'activité groupe électrogènes du groupe [Localité 4] sur le territoire national. (...)'.
M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 14 septembre 2023 en contestation de la rupture ainsi qu'en paiement d'indemnités.
Par jugement du 11 octobre 2024, le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement de M. [B] reposait sur un motif économique réel et sérieux et que la société 2H Energy avait respecté son obligation de reclassement, a débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la société 2H Energy la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.
M. [B] a interjeté appel de cette décision le 28 octobre 2024.
Par conclusions remises le 3 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [B] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société 2H Energy à lui payer les sommes de 81 154,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 248,01 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement, 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens et de la débouter de l'intégralité de ses demandes.
Par conclusions remises le 3 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société 2H Energy demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de juger le licenciement pour motif économique de M. [B] parfaitement justifié, le débouter de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites éventuelles.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 26 août 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la question du bien-fondé du licenciement.
M. [B] soutient en premier lieu que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où, alors que le bien-fondé du motif économique s'apprécie à la date de la rupture du contrat de travail et que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, aucune mention de quelconques difficultés économiques à la date du licenciement n'y apparaît.
Il considère par ailleurs qu'il y a eu fraude et explique à cet égard que la société 2H Energy a fait l'objet le 2 mai 2022 d'une cession de fonds de commerce sous la forme d'une cession de parts sociales au profit de la société Green transfo, sans que le comité social et économique n'ait été informé que cette société n'avait été créée qu'en février 2022, ni que le capital social avait été augmenté de 2 millions à 24,5 millions d'euros, étant d'ailleurs constaté qu'il était mentionné dans la lettre de licenciement que les capitaux propres de l'entreprise étaient, au 31 décembre 2021, inférieurs à la moitié du capital social, sans préciser sa reconstitution et son augmentation en avril 2022.
Il soutient par ailleurs qu'il y a bien eu transfert des contrats de travail sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail dès lors qu'au-delà de la cession d'actions, c'est une cession totale de l'entreprise qui est intervenue et qu'il appartient en conséquence à la société Green transfo de faire la preuve d'éventuelles difficultés économiques survenues entre le 2 mai et le 25 octobre 2022.
Il indique encore que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse à défaut pour la société 2H Energy de justifier de difficultés économiques à la date de son licenciement puisqu'aucune pièce comptable postérieure au 31 décembre 2021 n'est produite, et notamment pour la période comprise entre le 26 avril et le 25 octobre 2022.
Enfin, il conteste toute recherche loyale de reclassement dès lors que les propositions n'ont été ni écrites, ni précises, et que les recherches ont duré six jours avec un seul courrier envoyé au groupe [Localité 4], sans aucune lettre adressée aux sociétés du groupe.
En réponse, la société 2H Energy relève qu'il ne peut y avoir eu fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail dès lors que la cession du capital d'une société n'entraîne pas de cession de son fonds de commerce et qu'elle est d'ailleurs restée l'employeur de M. [B] comme en attestent ses bulletins de salaire.
Elle ajoute qu'il n'y a pas eu davantage fraude puisqu'au-delà du fait qu'il est indifférent pour le comité social et économique et les salariés d'avoir connaissance de la date de création de la société Green transfo et de l'augmentation de son capital social qui ne permet pas d'effacer les pertes cumulées depuis six ans mais simplement de renflouer la trésorerie, en tout état de cause, ces informations ont été transmises comme en témoigne le procès-verbal du comité social et économique d'avril 2022.
Elle estime par ailleurs que la réalité des difficultés économiques est particulièrement justifiée dans la lettre de licenciement dont elle reprend les termes, rappelant que sur les six derniers exercices précédant le licenciement, elle avait enregistré une perte cumulée de 17 millions d'euros sans que les chiffres du premier trimestre 2022 ne laisse entrevoir d'amélioration et sans que M. [B] puisse sérieusement invoquer les données chiffrées prévisionnelles annoncées au comité social et économique en mai 2023 alors même qu'il s'agit simplement d'estimations de commandes et que ces données sont postérieures de plusieurs mois à son licenciement et sont le fruit de la réorganisation opérée.
Elle rappelle en outre que la recapitalisation dont elle a bénéficié est indifférente quant à l'appréciation de sa rentabilité et ce d'autant qu'elle ressortait d'une obligation légale puisque ses capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié de son capital social, étant ajouté qu'elle ne pouvait détailler les données économiques de 2022 dans la lettre de licenciement puisqu'elle ne disposait pas au mois d'octobre de données fiables et certifiées, les résultats nets et résultats d'exploitation étant des indicateurs annuels.
Enfin, elle constate que les prétendues embauches réalisées en 2023 ne correspondent aucunement à des postes qui auraient pu être proposés à M. [B] au titre du reclassement et qu'aucune d'entre elles ne concerne le poste de responsable bureau d'études, lequel a été supprimé.
Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d'activité de l'entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.
Lorsque n'est pas établie la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement, telle que définie à l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
En l'espèce, au-delà de la lettre de licenciement qui ne fait état que de chiffres actualisés au 31 décembre 2021, il n'est produit pour seule pièce comptable que la liasse fiscale pour l'exercice clos à cette date, sans aucun autre élément comptable, et notamment aucun élément comptable postérieur, alors même que le licenciement de M. [B] est intervenu le 25 octobre 2022, soit près de dix mois plus tard, et que la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel quant au projet de réorganisation et de licenciement collectif pour motif économique de moins de 10 salariés s'est achevée en juillet 2022.
Aussi, et quand bien même la société 2H Energy justifie d'un résultat d'exploitation négatif pour l'année 2021 et que la recapitalisation opérée ne permet pas en soi d'écarter l'existence de difficultés économiques, pour autant, à défaut de tout élément comptable quant à la période courant de janvier à octobre 2022, il convient, alors que les difficultés économiques doivent s'apprécier à la date du licenciement, de dire que le licenciement de M. [B] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens développés.
Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit une indemnisation comprise entre 3 et 14,5 mois pour un salarié ayant une ancienneté de 18 années complètes, il convient, alors que M. [B], qui bénéficiait d'un salaire de 5 596,83 euros, justifie d'une situation de chômage de juin à novembre 2023 après avoir bénéficié d'un congé de reclassement de quatre mois, de condamner la société 2H Energy à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, en vertu de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société 2H Energy de rembourser à France Travail les indemnités chômage versées à M. [B] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.
Sur la demande de rappel d'indemnité de licenciement.
Soutenant que le congé de reclassement doit être pris en compte pour calculer son ancienneté, et ce, pour chacun des mois écoulés, M. [B] estime qu'il aurait dû percevoir 47 247,49 euros à titre d'indemnité conventionnelle calculée sur la base d'une ancienneté de 11 ans 8 mois et 25 jours, et non pas 46 999,48 euros, ce que conteste la société 2H Energy en faisant valoir qu'il résulte de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie que l'ancienneté est appréciée à la date de fin du préavis, sans qu'elle ne prévoit que le calcul se fasse au mois près, et encore moins au jour près puisqu'elle prévoit au contraire que l'ancienneté soit appréciée en années révolues.
Selon l'article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, dans sa version applicable au litige, il est alloué à l'ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, une indemnité de licenciement distincte du préavis.
Le taux de cette indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise :
' pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté : 1/5 de mois par année d'ancienneté ;
' pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d'ancienneté.
Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté et, le cas échéant, les conditions d'âge de l'ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non. Toutefois, la première année d'ancienneté, qui ouvre le droit à l'indemnité de licenciement, est appréciée à la date d'envoi de la lettre de notification du licenciement.
Par ailleurs, selon l'article L. 1233-72 du code du travail, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter. Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L. 5123-2. Les dispositions de l'article L. 5122-4 sont applicables à cette rémunération.
Alors qu'il ressort de cet article que le terme du préavis est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement, il convient de tenir compte de ce congé qui a pris fin le 8 mars 2023 pour apprécier l'ancienneté de M. [B].
En outre, s'il est exact que le salarié ne peut faire une application cumulative des dispositions conventionnelles et légales pour calculer son indemnité de licenciement, pour autant, à défaut de toutes précisions dans la convention collective quant aux modalités pratiques de ce calcul, il convient de se référer au code du travail.
Aussi, et alors qu'en l'espèce, si ce n'est de prévoir que le salarié pourra prétendre à 1/5 ou 3/5 de mois par année d'ancienneté, il n'existe aucune autre disposition écartant la prise en compte des mois écoulés et il convient donc de faire application de l'article R. 1234-1 du code du travail qui dispose qu'en cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets, étant ajouté que cette analyse est confortée par la similarité des dispositions de l'article R. 1234-2 du code du travail qui prévoit 1/4 ou 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté.
Aussi, retenant une date d'embauche au 4 août 2004 compte tenu des périodes effectuées en contrat à durée déterminée, date sur laquelle les parties s'accordent, il doit être retenu une ancienneté de 18 ans et 6 mois.
Néanmoins, tenant compte de cette ancienneté et du salaire de référence de 5 596,88 euros, M. [B] a été intégralement rempli de ses droits puisqu'il a perçu 46 999,48 euros alors qu'il aurait dû percevoir 46 454,10 euros. [(5 596,88/5x7)+(5 596,88x3/5x11,5)]
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Sur les dépens et frais irrépétibles.
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société 2H Energy aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [K] [B] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement de M. [K] [B] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société 2H Energy à payer à M. [K] [B] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la société 2H Energy de rembourser à France Travail les indemnités chômage versées à M. [K] [B] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;
Condamne la société 2H Energy aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société 2H Energy à payer à M. [K] [B] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société 2H Energy de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 OCTOBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 11 Octobre 2024
APPELANT :
Monsieur [K] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me François GARRAUD de la SCP GARRAUD-OGEL, avocat au barreau de DIEPPE
INTIMEE :
S.A.S. 2H ENERGY
[Adresse 5]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Cyprien PIALOUX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Septembre 2025 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame DE LARMINAT, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Monsieur LABADIE, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Monsieur GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 10 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Octobre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame DE LARMINAT,présidente et par Madame KARAM,grefière.
***
M. [K] [B] a été engagé par la société 2H Energy en contrat à durée déterminée du 5 au 31 juillet 2004 en qualité de dessinateur bureau d'études, puis dans le cadre d'un second contrat à durée déterminée ayant débuté le 1er septembre 2004, lequel n'a pas été à son terme dans la mesure où les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée le 18 octobre 2004.
Il lui a été notifié son licenciement pour motif économique le 25 octobre 2022 dans les termes suivants :
'Nous faisons suite à votre entretien préalable qui s'est tenu le 7 octobre 2022 et nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique en raison des difficultés économiques et de la suppression de votre emploi.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre du licenciement collectif pour motif économique qui a fait l'objet d'une procédure d'information et de consultation du comité social et économique qui s'est achevée le 21 juillet dernier.
La cause économique soutenant ce licenciement collectif a été présentée aux instances représentatives du personnel. Elle est rappelée ci-après :
- Confrontée à d'importantes difficultés économiques, la société 2HEnergy, qui est la seule entité du groupe [Localité 4] au sein du secteur d'activité 'Groupe électrogènes' du groupe [Localité 4], est obligée de se réorganiser.
- Depuis plusieurs années, la société rencontre des difficultés financières et économiques. Son EBE (excédent brut d'exploitation) est négatif et avec la conjoncture économique actuelle, la société ne peut faire face ni aux hausses de prix de matières premières, ni aux coûts fixes engendrés par les structures.
L'EBE qui semblait s'améliorer en 2018, a dépassé les -13% en 2019 et 2020. La crise Covid a continué à augmenter les pertes et en 2021, la société clôture avec un EBE de moins 8,30%.
En outre, malgré un chiffre d'affaires relativement stable et en faible progression, la société enregistre depuis des années des résultats négatifs, notamment du fait que le chiffre d'affaires est généré sans marges, ce qui accélère les pertes.
Pour 2021, elle a généré un chiffre d'affaires de 30,3 millions € et un résultat net déficitaire de -2,8 millions €. Les capitaux propres de l'entreprise au 31/12/2021 sont inférieurs à la moitié du capital social.
Le résultat net d'exploitation reste fortement négatif à -2,6 millions d'euros (pertes).
Sur les 6 derniers exercices, 2HEnergy a enregistré une perte nette cumulée de 17 millions d'euros. Les chiffres du premier trimestre 2022 ne laissent entrevoir aucune amélioration des performances économiques et financières.
Aucun exercice n'est bénéficiaire sur la période.
Cette situation déjà compliquée se place dans un contexte de crise économique mondiale sur les matières premières et approvisionnements.
Dans ce contexte extrêmement difficile, il convient de constater que les achats et la masse salariale chargée représente plus de 106% du chiffre d'affaires, en 2021.
La pérennité de l'entreprise est à risque. Elle a longtemps été soutenue par CNH mais avec la crise économique de 2020 puis les conséquences en matière de conjoncture, CNH auquel appartenait 2HEnergy n'entendait pas continuer à financer les pertes d'exploitation.
Ainsi, l'actionnaire CNH Industrial finance (FIAT) a décidé de vendre l'entreprise en mai 2022 à Green transfo.
- Depuis plusieurs années, le résultat net du groupe [Localité 4], tout comme son résultat d'exploitation sont également en forte baisse comme le démontre le tableau ci-dessous :
En K€
2016
2017
2018
2019
Résultat d'exploitation
3 824
- 1728
- 4137
984
Résultat net
- 4 909
- 7 470
- 10 693
- 6 905
- Compte tenu de la situation, la société doit impérativement se réorganiser afin de retrouver de la marge dans les affaires, diminuer son point mort, avoir des coûts de structure faibles pour retrouver un résultat net positif et une viabilité, tout en choisissant des marchés rentables.
Cette réorganisation comprend les volets suivants :
- Une organisation commerciale unique ;
- Une organisation industrielle dédiée à la sécurisation de la marge ;
- Un pilotage économique axé sur la trésorerie ;
- Une qualité de décision toujours améliorée et un futur anticipé.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de cette réorganisation, justifiée par les difficultés économiques rencontrées par le secteur groupes électrogènes au niveau du groupe, tous les postes de votre catégorie professionnelle sont supprimés, dont votre poste de responsable bureau d'études.
Nous avons déployé tous les efforts possibles pour vous reclasser et recenser les postes qui pouvaient vous être proposés en application de l'article L. 1233-4 du code du travail.
Nous avons recherché les postes de reclassement disponibles sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, conformément à l'article L. 1233-4 du code du travail.
Par courrier du 26 août 2022, nous vous avons fait part des offres de reclassement interne au sein du groupe [Localité 4] en vous adressant la liste de l'ensemble des postes disponibles dans le groupe. Votre absence de réponse à cette proposition équivaut à un refus. Le 9 septembre 2022, vous nous avez fait part de votre refus de donner suite à cette proposition.
En dépit des recherches effectuées, nous n'avons donc pas pu procéder à votre reclassement.
C'est dans ces circonstances que, par lettre du 15 septembre 2022, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement pour motif économique.
Malheureusement, en l'absence de reclassement, nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour motif économique en raison de la suppression de votre emploi consécutive à la réorganisation de notre entreprise rendue nécessaire par les difficultés qu'elle rencontre ainsi que le secteur d'activité groupe électrogènes du groupe [Localité 4] sur le territoire national. (...)'.
M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 14 septembre 2023 en contestation de la rupture ainsi qu'en paiement d'indemnités.
Par jugement du 11 octobre 2024, le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement de M. [B] reposait sur un motif économique réel et sérieux et que la société 2H Energy avait respecté son obligation de reclassement, a débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la société 2H Energy la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.
M. [B] a interjeté appel de cette décision le 28 octobre 2024.
Par conclusions remises le 3 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [B] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société 2H Energy à lui payer les sommes de 81 154,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 248,01 euros à titre de solde d'indemnité de licenciement, 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens et de la débouter de l'intégralité de ses demandes.
Par conclusions remises le 3 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société 2H Energy demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de juger le licenciement pour motif économique de M. [B] parfaitement justifié, le débouter de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites éventuelles.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 26 août 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la question du bien-fondé du licenciement.
M. [B] soutient en premier lieu que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où, alors que le bien-fondé du motif économique s'apprécie à la date de la rupture du contrat de travail et que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, aucune mention de quelconques difficultés économiques à la date du licenciement n'y apparaît.
Il considère par ailleurs qu'il y a eu fraude et explique à cet égard que la société 2H Energy a fait l'objet le 2 mai 2022 d'une cession de fonds de commerce sous la forme d'une cession de parts sociales au profit de la société Green transfo, sans que le comité social et économique n'ait été informé que cette société n'avait été créée qu'en février 2022, ni que le capital social avait été augmenté de 2 millions à 24,5 millions d'euros, étant d'ailleurs constaté qu'il était mentionné dans la lettre de licenciement que les capitaux propres de l'entreprise étaient, au 31 décembre 2021, inférieurs à la moitié du capital social, sans préciser sa reconstitution et son augmentation en avril 2022.
Il soutient par ailleurs qu'il y a bien eu transfert des contrats de travail sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail dès lors qu'au-delà de la cession d'actions, c'est une cession totale de l'entreprise qui est intervenue et qu'il appartient en conséquence à la société Green transfo de faire la preuve d'éventuelles difficultés économiques survenues entre le 2 mai et le 25 octobre 2022.
Il indique encore que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse à défaut pour la société 2H Energy de justifier de difficultés économiques à la date de son licenciement puisqu'aucune pièce comptable postérieure au 31 décembre 2021 n'est produite, et notamment pour la période comprise entre le 26 avril et le 25 octobre 2022.
Enfin, il conteste toute recherche loyale de reclassement dès lors que les propositions n'ont été ni écrites, ni précises, et que les recherches ont duré six jours avec un seul courrier envoyé au groupe [Localité 4], sans aucune lettre adressée aux sociétés du groupe.
En réponse, la société 2H Energy relève qu'il ne peut y avoir eu fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail dès lors que la cession du capital d'une société n'entraîne pas de cession de son fonds de commerce et qu'elle est d'ailleurs restée l'employeur de M. [B] comme en attestent ses bulletins de salaire.
Elle ajoute qu'il n'y a pas eu davantage fraude puisqu'au-delà du fait qu'il est indifférent pour le comité social et économique et les salariés d'avoir connaissance de la date de création de la société Green transfo et de l'augmentation de son capital social qui ne permet pas d'effacer les pertes cumulées depuis six ans mais simplement de renflouer la trésorerie, en tout état de cause, ces informations ont été transmises comme en témoigne le procès-verbal du comité social et économique d'avril 2022.
Elle estime par ailleurs que la réalité des difficultés économiques est particulièrement justifiée dans la lettre de licenciement dont elle reprend les termes, rappelant que sur les six derniers exercices précédant le licenciement, elle avait enregistré une perte cumulée de 17 millions d'euros sans que les chiffres du premier trimestre 2022 ne laisse entrevoir d'amélioration et sans que M. [B] puisse sérieusement invoquer les données chiffrées prévisionnelles annoncées au comité social et économique en mai 2023 alors même qu'il s'agit simplement d'estimations de commandes et que ces données sont postérieures de plusieurs mois à son licenciement et sont le fruit de la réorganisation opérée.
Elle rappelle en outre que la recapitalisation dont elle a bénéficié est indifférente quant à l'appréciation de sa rentabilité et ce d'autant qu'elle ressortait d'une obligation légale puisque ses capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié de son capital social, étant ajouté qu'elle ne pouvait détailler les données économiques de 2022 dans la lettre de licenciement puisqu'elle ne disposait pas au mois d'octobre de données fiables et certifiées, les résultats nets et résultats d'exploitation étant des indicateurs annuels.
Enfin, elle constate que les prétendues embauches réalisées en 2023 ne correspondent aucunement à des postes qui auraient pu être proposés à M. [B] au titre du reclassement et qu'aucune d'entre elles ne concerne le poste de responsable bureau d'études, lequel a été supprimé.
Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d'activité de l'entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.
Lorsque n'est pas établie la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement, telle que définie à l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
En l'espèce, au-delà de la lettre de licenciement qui ne fait état que de chiffres actualisés au 31 décembre 2021, il n'est produit pour seule pièce comptable que la liasse fiscale pour l'exercice clos à cette date, sans aucun autre élément comptable, et notamment aucun élément comptable postérieur, alors même que le licenciement de M. [B] est intervenu le 25 octobre 2022, soit près de dix mois plus tard, et que la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel quant au projet de réorganisation et de licenciement collectif pour motif économique de moins de 10 salariés s'est achevée en juillet 2022.
Aussi, et quand bien même la société 2H Energy justifie d'un résultat d'exploitation négatif pour l'année 2021 et que la recapitalisation opérée ne permet pas en soi d'écarter l'existence de difficultés économiques, pour autant, à défaut de tout élément comptable quant à la période courant de janvier à octobre 2022, il convient, alors que les difficultés économiques doivent s'apprécier à la date du licenciement, de dire que le licenciement de M. [B] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens développés.
Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit une indemnisation comprise entre 3 et 14,5 mois pour un salarié ayant une ancienneté de 18 années complètes, il convient, alors que M. [B], qui bénéficiait d'un salaire de 5 596,83 euros, justifie d'une situation de chômage de juin à novembre 2023 après avoir bénéficié d'un congé de reclassement de quatre mois, de condamner la société 2H Energy à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, en vertu de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société 2H Energy de rembourser à France Travail les indemnités chômage versées à M. [B] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.
Sur la demande de rappel d'indemnité de licenciement.
Soutenant que le congé de reclassement doit être pris en compte pour calculer son ancienneté, et ce, pour chacun des mois écoulés, M. [B] estime qu'il aurait dû percevoir 47 247,49 euros à titre d'indemnité conventionnelle calculée sur la base d'une ancienneté de 11 ans 8 mois et 25 jours, et non pas 46 999,48 euros, ce que conteste la société 2H Energy en faisant valoir qu'il résulte de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie que l'ancienneté est appréciée à la date de fin du préavis, sans qu'elle ne prévoit que le calcul se fasse au mois près, et encore moins au jour près puisqu'elle prévoit au contraire que l'ancienneté soit appréciée en années révolues.
Selon l'article 29 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, dans sa version applicable au litige, il est alloué à l'ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, une indemnité de licenciement distincte du préavis.
Le taux de cette indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise :
' pour la tranche de 1 à 7 ans d'ancienneté : 1/5 de mois par année d'ancienneté ;
' pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d'ancienneté.
Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté et, le cas échéant, les conditions d'âge de l'ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non. Toutefois, la première année d'ancienneté, qui ouvre le droit à l'indemnité de licenciement, est appréciée à la date d'envoi de la lettre de notification du licenciement.
Par ailleurs, selon l'article L. 1233-72 du code du travail, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter. Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L. 5123-2. Les dispositions de l'article L. 5122-4 sont applicables à cette rémunération.
Alors qu'il ressort de cet article que le terme du préavis est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement, il convient de tenir compte de ce congé qui a pris fin le 8 mars 2023 pour apprécier l'ancienneté de M. [B].
En outre, s'il est exact que le salarié ne peut faire une application cumulative des dispositions conventionnelles et légales pour calculer son indemnité de licenciement, pour autant, à défaut de toutes précisions dans la convention collective quant aux modalités pratiques de ce calcul, il convient de se référer au code du travail.
Aussi, et alors qu'en l'espèce, si ce n'est de prévoir que le salarié pourra prétendre à 1/5 ou 3/5 de mois par année d'ancienneté, il n'existe aucune autre disposition écartant la prise en compte des mois écoulés et il convient donc de faire application de l'article R. 1234-1 du code du travail qui dispose qu'en cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets, étant ajouté que cette analyse est confortée par la similarité des dispositions de l'article R. 1234-2 du code du travail qui prévoit 1/4 ou 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté.
Aussi, retenant une date d'embauche au 4 août 2004 compte tenu des périodes effectuées en contrat à durée déterminée, date sur laquelle les parties s'accordent, il doit être retenu une ancienneté de 18 ans et 6 mois.
Néanmoins, tenant compte de cette ancienneté et du salaire de référence de 5 596,88 euros, M. [B] a été intégralement rempli de ses droits puisqu'il a perçu 46 999,48 euros alors qu'il aurait dû percevoir 46 454,10 euros. [(5 596,88/5x7)+(5 596,88x3/5x11,5)]
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Sur les dépens et frais irrépétibles.
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société 2H Energy aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [K] [B] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement de M. [K] [B] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société 2H Energy à payer à M. [K] [B] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la société 2H Energy de rembourser à France Travail les indemnités chômage versées à M. [K] [B] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;
Condamne la société 2H Energy aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société 2H Energy à payer à M. [K] [B] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société 2H Energy de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE