Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-9, 23 octobre 2025, n° 24/04197

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/04197

23 octobre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-9

ARRÊT AU FOND

DU 23 OCTOBRE 2025

N° 2025/423

Rôle N° RG 24/04197 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM2GT

S.A.S.U. [H] [R]

C/

SA TOTALENERGIES ÉLECTRICITÉ ET GAZ DE FRANCE

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Samuel KATZ

Me Agnès ERMENEUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l'exécution de [Localité 8] en date du 21 mars 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 24/151.

APPELANTE

S.A.S.U. [H] [R], prise en la personne de son représentant légal en exercice,

domiciliée [Adresse 4]

représentée par Me Samuel KATZ, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE

SA TOTALENERGIES ÉLECTRICITÉ ET GAZ DE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

domiciliée [Adresse 2]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIÉS, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Thierry GICQUEAU de la SELARL GICQUEAU VERGNE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale BOYER, conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Cécile YOUL-PAILHES, président

Monsieur Ambroise CATTEAU, conseiller

Madame Pascale BOYER, conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Nicolas FAVARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2025

Signé par Madame Cécile YOUL-PAILHES, Président et Monsieur Nicolas FAVARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Total Energie Electricité et Gaz de France a obtenu, le 23 décembre 2021, une ordonnance d'injonction de payer rendue par le président du tribunal de commerce de Marseille, enjoignant à la SAS [H] [R] de lui verser une somme de 3 293,19 euros au titre de factures impayées, avec intérêts légaux à compter du 5 novembre 2021, ainsi que des frais de procédure.

Cette ordonnance a été revêtue de la formule exécutoire par le greffe le 11 avril 2022 et a fait l'objet d'une signification le 2 mai 2022, par dépôt de l'acte en l'étude.

Le créancier a fait pratiquer, par acte de commissaire de justice du'4 août 2023, une saisie-attribution sur les comptes bancaires de la SASU [H] [R] pour obtenir l'exécution de l'ordonnance.

La saisie a été dénoncée à la société [H] [R] le 14 août 2023.

Elle a permis de rendre indisponible la somme de 2057,11 euros.

La SASU [H] [R] a contesté la validité de cette mesure devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille, par assignation du 14 septembre 2023.

Cette société a aussi formé opposition, le 14 novembre 2023, auprès du greffe du tribunal de commerce de Marseille qui en a accusé réception, à l'ordonnance d'injonction de payer.

Par jugement du 21 mars 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille a

- rejeté l'exception de nullité de la signification du 2 mai 2022

- rejeté la demande de nullité de la saisie-attribution du 14 août 2023

- rejeté la demande de mainlevée de la saisie-attribution

- condamné la SASU [H] [R] aux dépens

- condamné la société [H] [R] à verser la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles de procédure

- condamné la société [H] [R] aux dépens,

- rejeté toutes autres demandes.

La SASU [H] [R] a formé appel contre cette décision par déclaration du 2 avril 2024.

Le 28 mai 2024, le greffe de la cour d'appel a avisé l'appelante de la fixation de l'audience de plaidoiries à la date du 16 janvier 2025.

Par acte de commissaire de justice du 5 juin 2024, l'appelante a fait signifier à l'intimée la déclaration d'appel, l'avis de fixation et ses conclusions en lui donnant convocation à comparaître devant la cour par la constitution d'un avocat.

Cet acte a été remis à personne habilitée.

Par ses premières conclusions, l'appelante demande à la cour de':

- Infirmer le jugement dont appel,

- Constater l'irrégularité de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer délivrée par le tribunal de commerce de Marseille le 23 décembre 2021,

- Prononcer l'annulation de l'acte de saisie et de l'ensemble des actes subséquents,

- Constater la caducité de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 23 décembre 2021 du tribunal de commerce de Marseille,

- Constater l'absence de créance due par la société [H] [R],

- Condamner la société Total Energie Electricité et Gaz de France à verser à la société [H] [R] les sommes indûment perçues,

- Recevoir comme bien fondée la contestation de la société [H] [R],

- Condamner la société Total Energie Electricité et Gaz de France à lui verser la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure

- Condamner la société Total Energie Electricité et Gaz de France au paiement des entiers dépens de l'instance.

A l'appui de son appel, elle soutient que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer du «'22 mai 2022'» est irrégulière car l'huissier de justice mentionne qu'il a tenté une signification à une personne dénommée «'Monsieur [H] [R]'» qui n'existe pas, plutôt qu'à la société [H] [R].

Elle précise qu'à l'adresse du «'[Adresse 3]'» à [Localité 8] où l'huissier de justice s'est rendu, il n'existe aucune activité de la société, laquelle s'exerce à [Localité 7].

Il en déduit que, dans ce cas, l'acte ne pouvait faire l'objet d'une remise à l'étude mais devait donner lieu à l'établissement d'un procès-verbal de recherches infructueuses.

Elle invoque un grief résultant de ces irrégularités dans la mesure où elle n'a pas bénéficié de la possibilité de s'opposer à la décision rendue à son encontre avant la saisie.

Elle indique qu'elle a fait opposition le 14 novembre 2023 et que le tribunal de commerce de Marseille a déclaré caduque l'ordonnance car le demandeur n'avait pas consigné les frais de procédure dans le délai imparti.

Elle conteste aussi l'existence de la créance et son caractère certain et exigible en indiquant que les factures d'électricité concernent le local du «'[Adresse 1]'» dans lequel elle n'exploite plus depuis le mois d'octobre 2020, ainsi qu'elle l'a signalé au distributeur d'électricité. Elle indique qu'en tout état de cause, le contrat d'abonnement est résilié depuis le mois de novembre 2020 en raison de l'impayé qui lui a été notifié.

Le 28 juin 2024, l'intimée a constitué avocat.

Par des conclusions du 5 juillet 2024, elle demande à la cour de':

- Déclarer la SASU [H] [R] recevable mais mal fondée en son appel et ses demandes

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Condamner la SASU [H] [R] à lui verser la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure et aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Agnès Ermeneux.

Elle soutient que les arguments nouveaux soulevés pour la première fois en appel sont irrecevables en application du principe de la concentration des moyens.

Elle précise que l'ordonnance d'injonction de payer a été signifiée le 7 mars 2022, par acte de dépôt à l'étude de l'huissier de justice, rendue exécutoire le 11 avril 2022 en l'absence d'opposition et que le titre exécutoire a été signifié par dépôt à l'étude le 2 mai 2022 à la même adresse du «'[Adresse 5]» à [Localité 8], soit la nouvelle adresse de la société après transfert de son siège social.

Elle signale que la dénonce de la saisie a été faite à cette adresse à personne.

Elle soutient que l'appelante ne justifie pas d'un grief résultant de la mention «'Monsieur [H] [R]'».

Elle réplique que la procédure ayant abouti à l'obtention du titre exécutoire est régulière.

Elle indique que les moyens concernant le bien-fondé de la créance ne relèvent pas de la compétence du juge de l'exécution et, en tout état de cause, elle précise que les factures dont elle réclame le paiement sont antérieures à la date de transfert du siège social du 13 janvier 2021. Elle rappelle que la cession du fonds de commerce n'a pas été publiée au BODACC.

Par des conclusions du 12 juillet 2024, elle réplique au moyen tiré de la caducité de l'ordonnance d'injonction de payer.

Elle soutient que l'opposition a manifestement été formée hors délai. Elle ajoute et qu'il n'est pas justifié que l'opposition a été réceptionnée par le greffe et lui a été notifiée afin qu'elle consigne les frais de la procédure.

La clôture a été prononcée le 17 décembre 2024.

Le 14 janvier 2025, le greffe a avisé les parties qu'en raison de l'indisponibilité du magistrat rapporteur, l'audience de plaidoiries du 16 janvier 2025 était reportée au 20 mars 2025.

Le 16 janvier 2025, les parties ont été avisées qu'à la suite de l'annulation de l'audience du 16 janvier 2025, l'examen de l'affaire était reporté au 12 septembre 2025 avec clôture du 12 août 2025.

La clôture de la procédure a été prononcée le 12 août 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions récapitulatives régulièrement déposées.

Sur la recevabilité des moyens nouveaux en appel

L'article 563 du code de procédure civile prévoit que': «'Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.'»

En outre, le moyen tiré de la caducité de l'ordonnance ne pouvait être soulevé par l'appelante devant le premier juge car la décision de caducité a été rendue postérieurement au jugement du juge de l'exécution.

Les moyens et arguments présentés par l'appelante et non soumis au premier juge sont donc recevables et seront examinés par la cour.

Sur la question de la validité du titre exécutoire et de la saisie

Sur l'acte de signification du 2 mai 2022

L'article 1422 du code de procédure civile dans sa version entrée en vigueur au 1er mars 2022 dispose que': «'Quelles que soient les modalités de la signification, le délai d'opposition prévu au premier alinéa de l'article 1416 est suspensif d'exécution. L'opposition formée dans ce délai est également suspensive.

L'ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d'un tel titre ou d'une décision de justice qu'à l'expiration des causes suspensives d'exécution prévues au premier alinéa. Elle produit alors tous les effets d'un jugement contradictoire. Elle n'est pas susceptible d'appel même si elle accorde des délais de paiement.'»

En application des dispositions de l'article 503 du code de procédure civile et de l'article L.111-1 3° du code des procédures civiles d'exécution, une ordonnance d'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire doit être régulièrement notifiée pour constituer un titre exécutoire permettant l'exécution forcée.

Il appartient au juge de l'exécution saisi d'une contestation d'une mesure d'exécution de vérifier la régularité de la signification de la décision de justice qui conditionne le caractère exécutoire du titre.

En l'espèce, l'acte contesté est la signification de l'ordonnance d'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire.

Il a fait l'objet d'une remise à l'étude après tentative de remise à une personne habilitée à l'adresse du siège social de la société [H] [R], soit au «'[Adresse 6]'».

La remise à l'étude est régie par l'article 656 du code de procédure civile. Dans sa rédaction applicable à la date de l'acte contesté, ce texte prévoit que s'il ne se trouve personne à l'adresse pour recevoir l'acte, l'huissier de justice, après avoir effectué les vérifications pour s'assurer que le destinataire demeure à l'adresse indiquée, remet un avis de passage à cette adresse avec indication que l'acte doit être retiré à l'étude de l'huissier.

Ce texte ne distingue pas entre les notifications à personne physique et à personne morale.

Les arrêts de la cour de cassation dont se prévaut la SASU [H] [R] concernent des situations dans lesquelles l'adresse indiquée n'était pas susceptible de constituer un siège social et de recevoir un avis de passage et n'abritait aucune personne susceptible de recevoir l'acte. Dans un premier cas, il s'agissait d'un terrain vague sans local aménagé ni boîte aux lettres et dans le second, d'un immeuble contenant 50 boites aux lettres aux noms de diverses sociétés et dans lequel ne se trouvait qu'un local non aménagé et inoccupé. La cour de cassation a jugé que la signification devait, dans ces cas, être réalisée sous la forme d'un procès-verbal de recherches infructueuses.

Dans le cas d'espèce, à l'adresse du siège social se trouve un immeuble comportant des boites aux lettres dont l'une porte le nom de la société [H] [R] et contient du courrier à ce nom.

L'appelante n'invoque pas l'absence de local aménagé à l'adresse de son siège social. Elle mentionne cette même adresse dans ses conclusions devant la cour.

L'huissier de justice a pu, par les éléments décrits dans l'acte, se convaincre que le destinataire de l'acte possédait bien son siège à cette adresse et, en l'absence d'une personne habilitée à le recevoir, pratiquer un dépôt à l'étude selon le texte précité.

Il convient, en conséquence, de confirmer la décision du premier juge par laquelle il a rejeté la demande d'annulation de la signification de l'ordonnance.

Sur la caducité du titre exécutoire

L'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer est portée, devant la juridiction dont le président a rendu l'ordonnance. Elle est formée au greffe.

En cas d'opposition, le tribunal statue sur la demande de recouvrement, de sorte que dans l'instance en opposition, le créancier est le demandeur et le débiteur prétendu est le défendeur.

Selon l'article 1425 du code de procédure civile : « Devant le tribunal de commerce, les frais de la procédure sont avancés par le demandeur et consignés au greffe au plus tard dans les quinze jours de la demande, faute de quoi celle-ci sera caduque.

L'opposition est reçue sans frais par le greffier. Celui-ci invite sans délai le demandeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à consigner les frais de l'opposition au greffe dans le délai de quinze jours à peine de caducité de la demande. »

La caducité atteint l'ensemble des actes accomplis avant l'opposition et, par voie de conséquence, de la demande d'injonction de payer et de l'ordonnance y faisant suite.

En l'espèce, la SASU [H] [R] a formé opposition par acte reçu au greffe du tribunal de commerce de Marseille le 14 novembre 2023.

Le 22 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Marseille a constaté la caducité de la requête d'injonction de payer et, par voie de conséquence, de l'ordonnance litigieuse.

Le juge de l'exécution n'est pas une juridiction de recours contre cette ordonnance. Il n'entre pas dans ses pouvoirs de vérifier que les conditions pour prononcer la caducité ont été respectées. Il n'est pas établi par la société Total Energie qu'elle a sollicité que cette décision soit rapportée.

L'ordonnance d'injonction de payer étant caduque, le créancier est démuni de titre exécutoire pour entreprendre la saisie litigieuse.

Compte tenu de cette circonstance nouvelle, il convient d'infirmer le jugement de première instance.

Statuant à nouveau, il convient d'annuler la saisie litigieuse et d'en ordonner la mainlevée.

L'intimée sera condamnée à restituer à la SASU [H] [R] la somme appréhendée par cette saisie.

Elle devra, en outre, supporter l'intégralité des frais relatifs au recouvrement forcé sur le fondement de l'ordonnance du 23 décembre 2021.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La décision de première instance étant infirmée, il convient de réformer ce jugement en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant à nouveau sur ces points, la SA Total Energie Electricité et Gaz de France sera condamnée aux dépens de première instance et sa demande au titre des frais irrépétibles de procédure sera rejetée.

Les dépens d'appel seront supportés par la SA Total Energie Electricité et Gaz de France qui devra aussi régler à la SASU [H] [R], contrainte de maintenir son appel malgré la décision de caducité sur opposition à l'injonction de payer, la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure qu'il est inéquitable de laisser à sa charge.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la signification du 2 mai 2022 ;

Réforme le jugement en ses autres dispositions soumises à la cour';

Statuant à nouveau,

ANNULE la saisie-attribution pratiquée le 4 août 2023 sur les comptes ouverts au nom de la SASU [H] [R] auprès de la société AG Shine et dénoncée le 14 août 2023';

ORDONNE la mainlevée de cette saisie';

CONDAMNE la SA Total Energie Electricité et Gaz de France à restituer à la SASU [H] [R] le montant perçu par l'effet de cette saisie';

DIT que l'ensemble des coûts relatifs à l'exécution forcée de l'ordonnance du 23 décembre 2021 et les frais de mainlevée de la saisie seront à la charge de la SA Total Energie Electricité et Gaz de France';

CONDAMNE la SA Total Energie Electricité et Gaz de France aux dépens de première instance';

REJETTE la demande de la SA Total Energie Electricité et Gaz de France au titre des frais irrépétibles de procédure ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SA Total Energie Electricité et Gaz de France aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la SA Total Energie Electricité et Gaz de France à payer à la SASU [H] [R] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site