CA Lyon, 6e ch., 23 octobre 2025, n° 23/04780
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Franfinance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Allais, Mme Robin
Avocats :
Me Le Gaillard, Me Vallée, Me Auffret-de Peyrelongue
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES
A la suite d'un démarchage à domicile, M. [D] [Y] et Mme [X] [C] épouse [Y] ont commandé à la société France Eco Solaire, par contrat en date du 1er août 2018, la fourniture et la pose d'une centrale photovoltaïque, moyennant le prix de 32 500 euros toutes taxes comprises.
Un contrat de crédit affecté d'un montant de 32 500 euros a été consenti à M. et Mme [Y] par la société Franfinance le même jour, le prêt étant remboursable en 144 échéances mensuelles de 390,78 euros chacune, au taux d'intérêt de 5,37 % l'an.
Par acte d'huissier en date du 11 juillet 2022, M. et Mme [Y] ont fait assigner la société [S] [T], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société France Eco Solaire, et la société Franfinance devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Montbrison, pour s'entendre prononcer la nullité ou la résolution du contrat de vente ainsi que la nullité ou la résolution du contrat de crédit affecté.
Les époux [Y] ont fondé leur action en nullité, en premier lieu sur le dol, en second lieu sur la non conformité du bon de commande aux exigences légales.
Par jugement en date du 26 mai 2023, le juge des contentieux de la protection a :
- prononcé la nullité du contrat de vente et d'installation et la nullité du contrat de crédit affecté
- condamné la société Franfinance à payer aux époux [Y] la somme de 32 500 euros, outre les intérêts au taux légal au titre du remboursement du capital avancé et le rachat du crédit pour réparation du préjudice financier subi
- rejeté les autres demandes (à savoir la demande des époux [Y] tendant à la condamnation de la banque à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance de ne pas contracter avec la société France Eco Solaire)
- condamné in solidum la société [S] [T], ès qualités, et la société Franfinance à payer à M.et Mme [Y] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Franfinance a interjeté appel de ce jugement, le 12 juin 2023.
Elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement
statuant à nouveau,
- de rejeter toutes les demandes des époux [Y]
- de condamner in solidum M. et Mme [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir d'une part que le dol n'est pas constitué, d'autre part que toutes les mentions prescrites par le code de la consommation figurent au contrat, notamment les caractéristiques essentielles du matériel vendu, subsidiairement, que le contrat a été confirmé car les époux [Y] ont pris possession du matériel livré sans aucune réserve et pris connaissance des conditions générales de vente.
Subsidiairement, elle soutient qu'elle n'a pas commis de faute, que l'installation fonctionne parfaitement et que les époux [Y] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice.
M. et Mme [Y] demandent à la cour :
- de confirmer le jugement
subsidiairement,
- de prononcer la nullité du contrat de vente sur le fondement du dol
en tout état de cause,
- de débouter la société Franfinance de toutes ses demandes
- de condamner solidairement la SELARL [S] [T] ès qualités et la société Franfinance à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens d'appel.
Ils invoquent le non-respect des dispositions du code de la consommation, au visa des articles L111-1 et L221-5 du code de la consommation, en faisant valoir la désignation imprécise de la nature et des caractéristiques du bien au bon de commande, puisque seule y figure une indication sommaire des biens et services proposés et que ne sont mentionnés ni le poids, ni la dimension, ni le modèle, ni l'inclinaison, ni le nombre, ni le type des panneaux, que les références, type, nombre et puissance des onduleurs ne sont pas précisés, que la marque des onduleurs est illisible, que les caractéristiques essentielles de la pompe à chaleur ne sont pas indiquées, que la pompe à chaleur n'assure que le chauffage, qu'aucun renseignement n'est fourni quant à la production d'eau chaude sanitaire, que la nature des démarches administratives n'est pas précisée, que les indications de prix sont incomplètes et qu'il n'y a pas de distinction entre coût du matériel et coût de la main d'oeuvre
Ils ajoutent que le délai de livraison n'est pas indiqué, que le délai de rétractation tel que renseigné est erroné et que les coordonnées du médiateur de la consommation ne figurent pas sur le bon de commande.
La société Franfinance a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions d'appel à la société [S] [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société France Eco Solaire, par acte de commissaire de justice en date du 21 septembre 2023.
L'acte a été remis à une personne se déclarant habilitée à le recevoir.
La société [S] [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société France Eco Solaire, n'a pas constitué avocat.
Le présent arrêt sera réputé contradictoire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2025.
SUR CE :
Le bon de commande ayant été signé le 1er août 2018, les dispositions du code de la consommation dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 et du décret 2016-884 du 29 juin 2016 sont applicables.
En vertu des articles L221-1, L221-5, L221-8 et L221-9 du code de la consommation dont les dispositions sont d'ordre public, préalablement à la conclusion d'un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et et compréhensible, les informations prévues aux articles L111-1 et L111-2, à savoir:
1°) les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte-tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné
2°) le prix du bien ou du service, en application des articles L112-1 à L112-4
3°) en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service
(...)
6° la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre Ier du livre VI.
Ces dispositions sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement.
L'article L616-1 du code de la consommation dispose que tout professionnel communique au consommateur, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, les coordonnées du ou des médiateurs compétents dont il relève.
L'article R111-1 dans sa version en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er octobre 2022 énonce que pour l'application des 4°, 5° et 6° de l'article L. 111-1, le professionnel communique au consommateur les informations suivantes : 6° les coordonnées du ou des médiateurs de la consommation compétents dont il relève en application de l'article L. 616-1.
En l'espèce, le bon de commande contient les caractéristiques suivantes :
photovoltaïque-autoconsommation
fourniture d'une centrale solaire d'une puissance de 4 200 Wc comprenant 14 capteurs, onduleurs, coffret AC, coffret DC, parafoudre et différentiel
marque : illisible
système d'intégration 'ground'
pompe à chaleur air/eau marque Daikin comprenant un groupe extérieur d'une puissance de 1Kw et un module hydraulique.
Les acquéreurs font justement observer que la marque est illisible.
Or, la marque est un élément déterminant du contrat puisqu'elle permet au consommateur d'effectuer des comparaisons entre différents matériels vendus par plusieurs fournisseurs.
Par ailleurs, la seule indication 'ground' ne saurait constituer une description suffisamment précise de la manière dont seront installés les capteurs et onduleurs sur le toit, de nature à informer le consommateur des caractéristiques réelles de l'installation à mettre en place.
Enfin, deux sortes de matériel sont vendus : capteurs et onduleurs solaires d'une part, pompe à chaleur d'autre part.
Pourtant, le prix de vente ne distingue pas le prix de chacun de ces deux éléments d'équipement bien distincts, ce qui empêche le consommateur d'effectuer des comparaisons de prix avec des matériels similaires vendus par d'autres entreprises.
Il est stipulé au contrat un délai de livraison et d'exécution de la prestation de service de trois mois, sans que le point de départ du délai soit précisé, alors qu'il est indiqué que la commande est 'subventionnée' notamment à la condition suspensive suivante : faisabilité technique du projet d'installation et qu'il est prévu une visite de notre technicien au plus tard dans les 'uns' mois à compter de la signature de la commande.
Dès lors, le consommateur n'est pas informé de manière précise du délai dans lequel l'installation vendue va lui être livrée et mise en service.
Le formulaire de rétractation est ainsi rédigé :
droit de rétractation -article L221-18 du code de la consommation: le client est informé de son droit de rétractation en application de l'article L221-18 du code de la consommation dans un délai de 14 jours courant à compter du jour de la commande.
Il n'apparaît pas clairement sur le contrat qu'en cas de rétractation, ce formulaire doit être découpé et retourné au vendeur.
S'agissant d'un contrat de vente de biens, étant observé qu'il n'est pas indiqué sur le bon de commande que le prix de vente comprendrait, outre celui du matériel, le coût de l'installation, le point de départ du délai de rétractation doit se situer à la date de la réception des biens, en vertu de l'article L221-18 du code de la consommation applicable à la date du contrat.
Ainsi, à l'égard d'un consommateur qui a signé un bon de commande dans le cadre d'une opération de démarchage à domicile, la mention d'un délai de rétractation erroné constitue un manquement du vendeur à son obligation d'information.
Le contrat contient la clause suivante :
médiation : le client a été informé de son droit à recourir à un médiateur de la consommation dans les conditions prévues au titre I du livre VI du code de la consommation.
Les coordonnées du médiateur ne sont pas renseignées, ce qui contrevient aux dispositions des articles L111-1 6°, L616-1 et R111-1 6° du code de la consommation prescrites à peine de nullité.
Pour toutes ces raisons, le bon de commande est nul.
S'agissant d'une nullité relative, celle-ci peut être couverte par l'exécution volontaire du contrat par l'acquéreur ayant connaissance des vices affectant l'acte et ayant la volonté de passer outre.
Contrairement à ce que soutient la société Franfinance, le fait que M. et Mme [Y] aient pris possession du matériel livré sans aucune réserve et attesté par leur signature avoir pris connaissance des conditions générales de vente ne permet pas d'établir que ceux-ci ont manifesté la volonté expresse et non équivoque de couvrir les irrégularités du bon de commande, et ce en toute connaissance de l'existence de ces irrégularités.
Il convient de confirmer le jugement qui a prononcé la nullité du contrat de vente entre la société France Eco Solaire et M. et Mme [Y] et la nullité subséquente du contrat de crédit affecté, s'agissant de contrats interdépendants.
Le premier juge a également justement considéré que la banque avait commis une faute en acceptant de consentir à M. et Mme [Y] un prêt affecté sans vérifier la régularité formelle du contrat principal et en procédant au déblocage des fonds, alors que le bon de commande comportait des irrégularités manifestes.
En effet, en sa qualité de professionnelle du financement de ce type de matériels, la banque était à même de constater les irrégularités et de les signaler au consommateur.
En principe, à la suite de l'annulation de la vente, l'emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, de sorte que l'obligation de restituer le capital à la banque ne constitue pas, en soi, un préjudice réparable.
Il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire.
Dans ce cas, d'une part, compte-tenu de l'annulation du contrat de vente, l'emprunteur n'est plus propriétaire de l'installation qu'il avait acquise, laquelle doit être restituée au vendeur, d'autre part, l'impossibilité pour l'emprunteur d'obtenir la restitution du prix est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l'examen du contrat principal.
En effet, le préjudice résultant pour l'emprunteur de l'impossibilité d'obtenir auprès du vendeur placé en liquidation judiciaire la restitution du prix de vente d'un matériel dont il n'est plus propriétaire, indépendamment de l'état de fonctionnement de l'installation, n'aurait pas été subi sans la faute de la banque, de sorte que cette dernière ne peut prétendre à la restitution du capital prêté qui est normalement la conséquence de la nullité du contrat de prêt.
Le premier juge a condamné la société Franfinance à payer aux époux [Y] la somme de 32 500 euros, outre intérêts au taux légal au titre du remboursement du capital avancé et le rachat du crédit pour réparation du préjudice financier subi.
Dans leurs conclusions devant la cour, les époux [Y] demandent la confirmation de ce chef du jugement, en faisant valoir que la société Franfinance doit réparer leur préjudice financier en leur remboursant l'intégralité des sommes encaissées, soit 32 500 euros correspondant au coût du matériel, sans compensation avec la restitution du capital prêté, le solde devant être actualisé au jour du jugement, somme qui emportera intérêts au taux légal à compter du remboursement anticipé.
Les époux [Y] produisent le relevé de leur compte bancaire ouvert à la Caisse d'Epargne, établi le 3 juin 2019, faisant apparaître le versement d'une somme de 33 800 euros à leur crédit à la date du 16 mai 2019 par virement de la BPCE Financement et le débit d'une somme de 33 338,31 euros par chèque de banque à la date du 17 mai 2019.
La société Franfinance ne prétend pas que le capital prêté ne lui aurait pas été remboursé par anticipation.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a condamné la société Franfinance à rembourser aux époux [Y] la somme de 32 500 euros en réparation de leur préjudice, augmentée des intérêts au taux légal (à compter du jugement).
Le jugement est également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.
La société Franfinance, dont le recours est rejeté, est condamnée aux dépens d'appel et à payer aux époux [Y] la somme supplémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
La demande de condamnation du liquidateur judiciaire, ès-qualités, qui n'a pas constitué avocat, à payer une indemnité de procédure en cause d'appel aux époux [Y] est rejetée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire:
CONFIRME le jugement
CONDAMNE la société Franfinance aux dépens d'appel
CONDAMNE la société Franfinance à payer aux époux [Y] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
REJETTE la demande de condamnation de la société [S] [T], ès-qualités, fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.