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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 23 octobre 2025, n° 25/01953

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/01953

23 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/01953 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKXEL

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Janvier 2025 -Président du TC de [Localité 6] - RG n° 2024053773

APPELANTE

S.A.S. NEODE CAPITAL (anciennement dénommée EXPERTICAL HOLDING), RCS de [Localité 6] sous le n°853 037 950, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandra VIGNERON PERFETTINI, avocat au barreau de PARIS, toque : C319

INTIMÉE

S.A.S. CONSEILS ET ETUDES FINANCIERES, RCS de [Localité 5] sous le n°393 202 593, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Ingrid CHANTRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1448

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Septembre 2025 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre chargée du rapport et Laurent NAJEM, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [R], expert-comptable et commissaire aux comptes, a fondé en 1993, au travers de sa société Conseils et Etudes Financières (CEF) la société Expertical, spécialisée dans le conseil en investissements financiers, le courtage d'assurance et le démarchage bancaire et financier.

La société Expertical était détenue à 100% par la société CEF.

Par acte du 10 mars 2020, la société CEF a cédé 95% des titres de la société Expertical à la société Financière Patrinity (dénommée ensuite Expertical Holding et aujourd'hui Neode Capital) pour le prix de 2.072.000 euros.

Cet acte de cession prévoit que l'acquéreur versera au vendeur un complément de prix correspondant à 1% de l'augmentation de l'encours financier.

Il prévoit que le solde des 5% d'actions conservées par le vendeur pourra être cédé à partir du 31 mars 2023, aux termes de promesses de vente et d'achat.

M. [R], dirigeant de la société Expertical (cédée), s'est engagé à accompagner l'acquéreur pendant une durée de deux ans à compter de la date de cession, démissionnant de sa fonction de dirigeant et demeurant salarié de la société Expertical jusqu'au 31 mars 2022, s'engageant par ailleurs à ne pas exercer une activité concurrente de celle de la société Expertical. Ce contrat de travail a fait l'objet d'une rupture dont chaque partie s'impute les torts, qui a été soumise à la juridiction prud'homale.

La société Expertical (cédée) et la société Expertical Holding (cessionnaire), s'estimant victimes d'agissements déloyaux commis par la société CEF (cédante), son ancien dirigeant M. [R] et la société Extendam (société partenaire de la société Expertical suspectée de complicité) ont sollicité et obtenu par ordonnance du 3 juin 2022 du président du tribunal de commerce de Paris une mesure d'instruction in futurum. Une ordonnance du 4 mai 2023 a fait droit à la demande de tri des pèces des parties saisies. La société Extendam a été déboutée de son appel formé contre cette ordonnance par arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 janvier 2024. Un pourvoi en cassation est pendant.

Le 9 juin 2023, les sociétés Expertical et Expertical holding ont assigné au fond la société CEF et M. [R] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la restitution d'une partie du prix de cession et la réparation des préjudices résultant de la concurrence déloyale qu'ils dénoncent. Par jugement du 28 octobre 2024, à la demande des sociétés Expertical et Expertical Holding le tribunal de commerce a sursis à statuer dans l'attente de la libération des pièces saisies entre les mains de ces sociétés.

Les parties à l'acte de cession du 10 mars 2020 s'opposent en outre sur le montant du prix complémentaire de la cession et son paiement par la société Expertical Holding, laquelle s'y oppose compte tenu de son préjudice de concurrence déloyale et de l'action judiciaire pendante à ce titre.

Concomitamment à l'acte de cession principal du 10 mars 2020, par acte du même jour une promesse de vente avait été signée entre la société CEF et la société Financière Patrinity (dénommée ensuite Expertical Holding et aujourd'hui Neode Capital) sur le solde des 5% d'actions de la société Expertical.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 23 août 2023, la société Expertical Holding a exercé cette promesse de vente, au prix de 153.968 euros, joignant à son courrier le détail du calcul du prix et le projet d'acte de cession de parts sociales.

La société CEF s'y est opposée par courrier en réponse du 30 août 2024, contestant le prix proposé et informant sa cocontractante de son intention de solliciter une expertise judiciaire pour voir fixer la valeur des actions.

Le 13 octobre 2023, la société CEF et M. [R] ont, au visa de l'article 1592 du code civil, assigné en référé les sociétés Expertical et Expertical Holding aux fins d'obtenir, d'une part la communication des encours financiers afin de permettre la fixation du complément de prix de la cession principale, d'autre part une mesure d'expertise pour fixer le prix de cession des 5 % des titres de la société Expertical objets de la promesse du 23 août 2023.

Il a été fait droit à ces demandes par ordonnance du 11 décembre 2023. L'expert désigné, M. [O], a rendu son rapport le 22 juillet 2024.

Suite au dépôt du rapport d'expertise de M. [O], la société Expertical Holding, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 août 2024, a invité la société CEF à venir signer l'acte de cession des parts sociales au siège de la société Expertical Holding.

Par acte du 3 septembre 2024, la société Expertical Holding (aujourd'hui Neode Capital) a fait assigner la société Conseils et études financières (CEF) devant le juge des référés du tribunal des activités économiques de Paris, aux fins d'exécution forcée de la promesse de vente du 10 mars 2020 portant sur le solde des 5% d'actions de la société Expertical. Elle a demandé au juge des référés, de :

Juger que la levée de la promesse régulièrement exercée par la société Expertical Holding le 23 août 2023 a emporté obligation pour la société Conseils et études financières de céder ses 25 parts sociales de la société Expertical ;

Constater que la promesse prévoit que la réalisation de la cession doit intervenir dans les 15 jours du rapport d'expertise sans autre condition ;

Donner acte à la société Expertical Holding de ce que le prix de vente fixé par l'expert a été séquestré sur le compte CARPA de Me Vigneron Paris, avocat à [Localité 6] ;

Ordonner à la société Conseils et études financières de signer l'acte de cession de parts sociales de la société Expertical et ce dans un délai de 15 jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard au-delà de ce délai ;

Réserver la liquidation de l'astreinte au juge des référés du tribunal de commerce de Paris ;

Condamner la société Conseils et études financières à payer la somme de 3.500 euros à la société Expertical Holding au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par ordonnance contradictoire du 10 janvier 2025, le juge des référés du tribunal des activités économiques de Paris a :

Dit n'y avoir lieu à référé, ni à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Expertical Holding aux dépens dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros de TVA ;

Dit que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 janvier 2025, la société Expertical Holding (aujourd'hui Neode Capital) a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 septembre 2025, la société Neode Capital demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1124 et 1217 du code civil et des articles 873 alinéa 2 et 700 du code de procédure civile, de :

La déclarer recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance de référé rendue par le tribunal des activités économiques de Paris du 10 janvier 2025 ;

Y faisant droit :

Infirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal des activités économiques de Paris du 10 janvier 2025 en ce qu'elle a :

Dit qu'il n'y a pas lieu à référé, ni à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Expertical Holding aux dépens.

Et statuant à nouveau :

Juger que la levée de la promesse régulièrement exercée par la société Expertical Holding le 23 août 2023 a emporté obligation pour la société Conseils et études Financières de céder ses 25 parts sociales de la société Expertical, aujourd'hui dénommée Neode Private Office, au profit de la société Expertical Holding ;

Constater que la promesse prévoit que la réalisation de la cession des 25 parts sociales de la société Expertical doit intervenir dans les 15 jours du rapport d'expertise, sans autre condition ;

Donner acte à la société Expertical Holding de ce que le prix de vente fixé par l'expert a été séquestré sur le compte CARPA de Me Vigneron Paris, avocat à [Localité 6] ;

Ordonner à la société Conseils et Etudes Financières de régulariser l'acte de cession des 25 parts sociales de la société Expertical, aujourd'hui dénommée Neode Private Office et ce dans un délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard au-delà de ce délai ;

Réserver la liquidation de l'astreinte au juge des référés du tribunal des activités économiques ;

Dire et juger que la demande nouvelle de la société Conseils et Etudes Financières tenant à ce qu'il soit ordonné le séquestre d'une somme de 183.751 euros au titre de la promesse de cession est nouvelle en cause d'appel et la déclarer en conséquence irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile ;

Subsidiairement, déclarer mal fondée la demande de la société Conseils et Etudes Financières tenant à ce qu'il soit ordonné le séquestre d'une somme de 183.751 euros au titre de la promesse de cession ;

Si la cour ordonne l'exécution forcée de la promesse, prendre acte de l'engagement de l'appelante à séquestrer une somme complémentaire de 29.783 euros entre les mains de son conseil, sous réserve que l'intimée ait engagée une action au fond dans les 3 mois de l'arrêt à intervenir ;

Déclarer irrecevable et en tout état de cause mal fondée la demande de la société Conseils et Etudes Financières visant à voir ordonner le séquestre d'une somme de 389 743,70 euros et a minima 200.000 euros au titre du complément de prix dans l'attente de la procédure du tribunal de commerce de Paris ;

Débouter la société Conseils et Etudes Financières de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société Conseils et Etudes Financières à payer la somme de 5.000 euros à la société Expertical Holding au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

En substance, la société Neode Capital fait valoir que la promesse de vente des 5% d'actions de la société Expertical, dont les clauses ne sont pas sujettes à interprétation, est autonome de l'acte de cession principal et doit dès lors recevoir exécution forcée, le litige opposant les parties sur la cession principale et son prix complémentaire n'y faisant pas obstacle.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 septembre 2025, la société CEF demande à la cour, au visa des articles 12, 101 et 873 du code de procédure civile et des articles 1103, 1104, 1217 et 1219 du code civil, de :

Déclarer irrecevable et mal fondée la société Expertical Holding en son appel de l'ordonnance de référé rendue par le tribunal des activités économiques en date du 10 janvier 2025 ;

Confirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal des activités économiques en date du 10 janvier 2025 en ce qu'elle dit qu'il n'y avait pas lieu à référé du fait de l'absence de l'urgence et des contestations sérieuses soulevées au titre de l'opération de cession des titres de la société Expertical en date du 10 mars 2020 (intégrant la promesse sur le solde de 5% des titres) et dès lors qu'une instance au fond est déjà pendante devant le tribunal des activités économiques de Paris concernant l'exécution dudit acte de cession ;

Renvoyer la présente demande en cession forcée du solde de 5% des actions en vertu de la promesse du 10 mars 2020 au juge du fond déjà saisi de l'acte de cession des titres du 10 mars 2020 auquel elle est rattachée (objet de l'instance enrôlée sous le numéro RG n°2023037275), et ce pour qu'il soit in fine ordonné une jonction lors de la prochaine mise en état à intervenir au fond ;

Et statuant à nouveau :

Ordonner le séquestre du paiement par la société Expertical Holding du Complément de prix exigible depuis le 30 juin 2023 déplafonné contractuellement à la somme de 389.743,70 euros, et a minima à 200.000 euros, jusqu'à l'issue de la procédure pendante au fond, entre les mains du Bâtonnier de [Localité 6] ;

Compléter et préciser la mesure de séquestre de l'appelante portant sur le paiement par la société Expertical Holding du prix de cession du solde des 5% des titres objet de la promesse du 10 mars 2020, en ordonnant que celui-ci porte sur un prix selon l'option n°2 retenues par l'expert judiciaire pour un montant de 183.751 euros jusqu'à l'issue de la procédure pendante au fond, entre les mains du Bâtonnier de [Localité 6] pour garantir l'impartialité et la neutralité de la mesure ;

En toutes hypothèses :

Débouter la société Expertical Holding de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société Expertical Holding à payer à la société CEF la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la société 2H Avocats, en la personne de Me. Schwab, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société CEF considère que la demande d'exécution forcée de la cession du solde de 5% des actions se heurte à de vives contestations sérieuses dès lors que cette cession secondaire forme un tout indivisible avec la cession principale dont l'exécution est déjà soumise au juge du fond, que la société CEF est légitime à se prévaloir de l'exception du paiement du prix complémentaire pour s'opposer à l'exécution de la cession du solde des 5% de parts sociales, et que de l'aveu même de l'expert judiciaire le prix de la promesse de cession du solde des titres est susceptible de faire l'objet d'une interprétation relevant du juge du fond, qu'enfin il n'existe aucune urgence à signer l'acte de cession du solde des actions ni aucun dommage imminent pour la société CEF.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2025.

SUR CE, LA COUR

Selon l'article 873 du code de procédure civile, le président le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le second alinéa de ce texte prévoit que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Sur la demande d'exécution forcée de la promesse de cession de solde des actions

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'exécution de la promesse de vente des 5% d'actions de la société Expertical ne peut s'envisager indépendamment de l'exécution de l'acte de cession de 95 % des actions signé par les parties le 10 mars 2020.

Il s'agit en effet d'une opération d'ensemble, réalisée en deux temps comme le précise l'acte de cession dans son préambule (paragraphe F et G), l'acquéreur procédant d'abord à l'achat de 95% des actions puis ultérieurement aux 5% restants, les parties convenant dès l'acte de cession de l'établissement à compter du 31 mars 2023 de promesses d'achat et de vente réciproques sur le solde des actions.

Par ailleurs la promesse unilatérale d'achat du solde des actions, signée le même jour que l'acte de cession principal, rappelle à son préambule l'existence de cet acte de cession ainsi que son article 4 aux termes duquel le promettant s'est engagé à consentir au bénéficiaire une promesse unilatérale d'achat portant sur le solde des 25 actions représentant 5 % du capital social de la société Expertical.

Or, il est constant que les parties sont en litige sur la détermination du complément de prix de la cession principale, la société Neode Capital, acquéreur, s'opposant à son paiement eu égard notamment aux faits de concurrence déloyale qu'elle impute à la société cédante et à son dirigeant M. [R], pour lesquels elle a saisi le juge du fond, l'instance étant pendante.

En application de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté ou l'a été imparfaitement peut refuser ou suspendre l'exécution de sa propre obligation.

Au cas présent, la société cédante (CEF) apparaît fondée à opposer à la société cessionnaire (Neode Capital), laquelle n'a pas exécuté son obligation de paiement du complément de prix de la cession principale, un refus d'exécuter sa propre obligation de régulariser la promesse de vente des 5% d'actions restant à céder.

L'obligation de faire de la société CEF (signer la promesse de vente des 5% d'actions) se heurte ainsi à contestation sérieuse, son exécution ne pouvant dès lors être recherchée sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile.

Si le premier alinéa de l'article 873 n'est pas visé par l'appelante, il est néanmoins utile de relever que l'exécution forcée de la promesse, qui emporte vente définitive, n'est pas une mesure conservatoire ou de remise en état au sens de ce texte.

Par ailleurs, le prix de cession des 5 % d'actions fait l'objet d'une contestation entre les parties, une expertise judiciaire ayant été ordonnée pour le déterminer.

Cette expertise a été sollicitée par la cédante sur le fondement de l'article 1592 du code civil, et l'expert judiciaire précise en page 4 de son rapport, établi le 22 juillet 2024, que sa mission s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 1592 du code civil, les parties ayant convenu dans une lettre de mission qu'elles ont signée le 7 février 2024 que la présente expertise est une expertise « sui generis » au visa de l'article 1592 du code civil.

Or ce texte, qui prévoit que le prix de cession peut être laissé à l'estimation d'un tiers, ajoute que si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers.

En l'espèce, l'expert judiciairement commis a relevé que les parties divergent sur la notion de commissions récurrentes et non récurrentes, ces commissions servant de base de calcul à la détermination du prix de cession selon l'article 4.1 de la promesse du 10 mars 2020. Il a fait deux propositions de calcul du prix de cession selon l'interprétation à donner à cet article 4.1, qu'il appartiendra au juge du fond d'apprécier.

Il existe ainsi une seconde contestation sérieuse sur le prix de cession des 5% d'actions restantes, laquelle rend elle-même sérieusement contestable l'exécution forcée de la promesse litigieuse dès lors que selon l'article 1592 du code civil, il n'y a point vente si l'expert ne peut faire l'estimation du prix de cession.

L'ordonnance de référé entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'exécution forcée de la promesse de vente du 10 mars 2020.

Sur la demande reconventionnelle de mesures de séquestre

La société CEF sollicite, au visa de l'article 873, alinéa 1er du code de procédure civile :

- D'une part, que le montant du complément de prix de la cession principale soit séquestré par la société Neode Capital ;

- D'autre part, que la mesure de séquestre prise par l'appelante au titre du prix de cession du solde de 5% des actions (à hauteur de 151.118 euros) soit portée à un montant de 183.751 euros, ces deux montants correspondant à ceux fixés par l'expert judiciaire selon les deux options de calcul qu'il propose.

L'appelante soutient, au visa de l'article 954 du code de procédure civile, que faute par l'intimée de solliciter l'infirmation de l'ordonnance sur ce point, elle ne peut qu'être déclarée irrecevable en son appel incident.

L'intimée réplique qu'elle avait formulé cette demande de séquestre devant le premier juge mais que celui-ci a omis de statuer, cette omission ne pouvant être réparée que par la voie de l'appel.

Il est avéré, à la lecture de la décision entreprise, que la société CEF avait formé cette demande de séquestre devant le premier juge, à titre reconventionnel.

Le juge des référés n'y a cependant pas répondu, les motifs de sa décision ne contenant de développement que sur la demande principale, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'en disant n'y voir lieu à référé dans le dispositif de son ordonnance, il a visé non seulement la demande principale mais aussi la demande reconventionnelle.

Il en résulte que l'intimée forme de ce chef non pas un appel incident mais une demande en omission de statuer devant la cour, celle-ci étant désormais seule compétente pour en connaître.

Le moyen pris de l'irrecevabilité de l'appel incident est donc inopérant.

L'appelante fait ensuite valoir que la demande est mal fondée dès lors qu'elle est pendante devant le juge du fond devant lequel la société CEF l'a déjà formée, qu'en outre il existe des contestations sérieuses sur le paiement du complément de prix et qu'enfin aucun élément n'est produit par la société CEF permettant de douter de la solvabilité de la société Expertical Holding (aujourd'hui Neode Capital) qui justifierait la mise en 'uvre d'un séquestre.

La demande de séquestre du complément de prix de la cession principale est effectivement déjà formée à titre reconventionnel par la société CEF dans le cadre de l'action qui a été engagée au fond à son encontre le 9 juin 2023 par les sociétés Expertical et Expertical holding aux fins d'obtenir la restitution d'une partie du prix de cession et la réparation des préjudices résultant de la concurrence déloyale qu'ils dénoncent. La société CEF sollicite à titre principal le paiement de la somme de 389.743,70 euros au titre de ce complément de prix et à titre subsidiaire le séquestre de cette somme.

Si la saisine préalable du juge du fond n'empêche pas la saisine du juge des référés, il convient de rappeler qu'en application de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Or les demandes originaires sont ici relatives à l'exécution de la promesse de vente portant sur le solde de 5% des actions de la société Expertical, non sur la cession principale objet de l'action pendante au fond devant le tribunal de commerce.

Aussi, la demande de séquestre du complément de prix de la cession principale ne se rattache pas à la présente instance par un lien suffisant. Elle sera déclarée irrecevable.

La demande reconventionnelle tendant au séquestre du prix de cession du solde de 5% des actions se rattache, elle, par un lien suffisant à la demande originaire portant sur l'exécution de la promesse de vente de ce solde d'actions.

L'appelante soulève toutefois son irrecevabilité au visa de l'article 564 du code de procédure civile, au motif qu'elle est nouvelle et que contrairement à ce que soutient l'intimée elle ne poursuit pas la même fin ni ne constitue le complément nécessaire de sa propre demande de séquestre, laquelle est inexistante. Elle s'est en effet bornée à préciser avoir séquestré la somme de 151.118 euros entre les mains de son conseil, correspondant à la fixation du prix par l'expert judiciaire selon sa première option.

Si l'appelante n'a effectivement pas formé de demande de séquestre, elle a néanmoins demandé à la cour de lui donner acte de ce qu'elle a séquestré le prix de vente des 5% d'actions sur le compte CARPA de son conseil, et de ce qu'en cas d'exécution forcée de la promesse elle s'engage à séquestrer la somme complémentaire de 29.783 euros. Elle a ainsi mis au débat la question du séquestre du prix de cession, la demande reconventionnelle de la société CEF de voir consigner cette somme complémentaire de 29.783 euros tendant aux mêmes fins que les demandes de donner acte de la société Neode Capital.

Cette demande n'apparaît toutefois pas justifiée, la société CEF ne faisant état d'aucun élément permettant de douter de la solvabilité de la société Neode Capital et de sa capacité à payer la somme complémentaire de 29.783 euros si le juge du fond devait fixer le prix de cession au montant le plus élevé.

La société CEF sera par conséquent déboutée de sa demande tendant à voir séquestrer la somme de 183.751 euros au titre de la promesse de cession.

Sur les mesures accessoires

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, dont elle a fait une juste appréciation.

Perdant en appel, la société Neode Capital sera condamnée aux dépens de cette instance et à payer à la société CEF la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande reconventionnelle tendant au séquestre du montant du complément de prix de la cession principale,

Déclare recevable mais mal fondée la demande reconventionnelle tendant au séquestre du montant du prix de la promesse de vente des 5% d'actions restantes,

Déboute la société Conseils Etudes Financières de cette demande,

Condamne la société Neode Capital aux dépens de l'instance d'appel, dont distraction au profit de Me Audrey Schwab conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Neode Capital à payer à la société Conseils Etudes Financières la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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