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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 23 octobre 2025, n° 24/02040

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/02040

23 octobre 2025

ARRET



S.C.E.A. DU RICQUET

C/

S.A. SAFER HAUTS DE FRANCE

GH/ED/MEC/DPC

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU VINGT TROIS OCTOBRE

DEUX MILLE VINGT CINQ

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 24/02040 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JCLQ

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU DIX AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE :

S.C.E.A. DU RICQUET agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Guillaume DE LANGLADE de la SELARL LANGLADE ET ASSOCIES, avocat au barreau de COMPIEGNE

APPELANTE

ET

S.A. SAFER HAUTS DE FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 9]

[Localité 6]

Représentée par Me Matthieu VAZ substituant Me Laurent JANOCKA de la SELARL LAURENT JANOCKA, avocats au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Vincent BUE, avocat au barreau de LILLE

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 26 juin 2025 devant la cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Elise DHEILLY, greffière en présence de Mme [U] [I], greffière stagiaire.

Sur le rapport de Mme Graziella HAUDUIN et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 23 octobre 2025, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 23 octobre 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Marie-Estelle CHAPON, cadre-greffier.

*

* *

DECISION :

M. [S] [M], exploitant agricole sur la commune de [Localité 8] (62), était notamment titulaire d'un bail rural portant sur des parcelles de terres situées sur les communes de [Localité 8], et [Localité 12], d'une contenance totale de 8 ha 08 a 03 ca.

Ces biens avaient été mis à la disposition de la SCEA du Ricquet, société civile d'exploitation agricole, dont le siège social est sis [Adresse 4] [Localité 11] [Adresse 1]) et immatriculée au RCS sous le n°509 373 841.

Aux termes d'une transaction du 5 avril 2022, M. [S] [M] s'est entendu avec ses bailleurs pour l'acquisition des biens loués, moyennant un prix de 8 000 euros de l'hectare, soit un prix global de 64 642 euros.

Afin de consolider la structuration du parcellaire de son exploitation et afin de faciliter le financement bancaire, il a toutefois souhaité que cette acquisition soit réalisée par la société SCEA du Ricquet au sein de laquelle il est associé exploitant.

M. [S] [M] a en conséquence, en sa qualité de preneur à bail, le 31 mai 2022, renoncé purement et simplement au droit de préemption dont il était titulaire pour permettre l'acquisition des biens loués, moyennant un prix global de 64 642 euros, par la SCEA du Ricquet.

Le 19 août 2022, Me [R], notaire à [Localité 7], a notifié le projet de vente des parcelles à la SAFER Hauts-de-France.

Par un courrier du 4 octobre 2022, la SAFER a informé la SCEA du Ricquet qu'elle entendait exercer son droit de préemption, avec l'accord de ses commissaires du gouvernement, aux charges et conditions qui lui ont été notifiées, et notamment moyennant le prix proposé de 64 642 euros.

Considérant que cette décision déstructure le parcellaire de l'exploitation, la SCEA du Ricquet a fait assigner le 3 janvier 2023 la SAFER Hauts de France devant le tribunal judiciaire d'Amiens aux fins d'annuler la décision du 4 octobre 2022 par laquelle la SAFER a fait usage de son droit de préemption.

Par jugement rendu le 10 avril 2024, le tribunal judiciaire d'Amiens a:

- débouté la SCEA du [Adresse 10] de sa demande d'annulation de la décision du 4 octobre 2022 par laquelle la SAFER Hauts de France a fait usage de son droit de préemption ;

- débouté la SCEA du [Adresse 10] de sa demande de dommages-intérêts ;

- condamné la SCEA du [Adresse 10] à payer à la SAFER Hauts de France la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SCEA du Ricquet aux entiers dépens ;

- dit que Me Laurent Janocka-Aarpi Hamel-Thuiller-Janocka-Ricbourg, avocats associés, pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 7 mai 2024, la SCEA du Ricquet a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 18 juillet 2024, la SCEA du Ricquet demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, d'infirmer dans sa totalité la décision entreprise et statuant à nouveau, de :

- annuler la décision du 4 octobre 2022 par laquelle la SAFER Hauts de France a fait usage de son droit de préemption,

- condamner la SAFER Hauts de France à verser la somme de 6 000 euros de dommages-intérêts à la SCEA du [Adresse 10] en réparation de son préjudice moral,

- rejeter la demande de condamnation de la SCEA du Ricquet à verser à la SAFER Hauts de France la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeter la demande de condamnation de la SCEA du Ricquet aux entiers dépens ;

- condamner la SAFER Hauts de France à verser la somme de 3 000 euros à la SCEA du Ricquet au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La SCEA invoque l'irrégularité de forme de la décision de préemption résultant du défaut de qualité pour signer la décision de préemption et de l'insuffisance de motivation de cette décision. Elle soutient que la décision a été signée par M. [K] [Y], directeur général délégué et non par le président du conseil d'administration et sans qu'il soit justifié de l'habilitation de M. [Y] à signer cette décision. Elle ajoute que la motivation ne fait pas référence à des indications concrètes sur l'opération envisagée.

Elle soutient ensuite que la décision de préemption ne respecte pas les objectifs légaux édictés par les articles L.141-1 et L.143-2 2° du code rural et de la pêche maritime, et procède d'un détournement de pouvoir pour avoir défini, dès le stade de la préemption, quel est l'exploitant envisagé pour la rétrocession.

Elle fait valoir enfin que la faute commise par la SAFER, qui a pris une décision de préemption illégale et qui l'a obligée à se défendre, doit conduire, en application de l'article 1240 du code civil à lui allouer des dommages-intérêts.

Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 7 octobre 2024, la SAFER Hauts de France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant de condamner la SCEA du Ricquet aux entiers dépens et à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAFER soutient que son conseil d'administration a confirmé le 4 juin 2021, la délégation de pouvoir au directeur général délégué en la personne de « M. [K] [Y] » et d'une délégation de pouvoirs spéciale pour l'exercice du droit de préemption, que la décision présente une motivation répondant aux exigences de l'article L 143-3 du code rural et de la pêche maritime avec des données locales, concrètes et vérifiables et qu'enfin aucune prédétermination ne peut être supputée ou être avancée.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 janvier 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 26 juin 2025.

SUR CE :

1. La décision de la SAFER du 5 octobre 2022 d'exercer son droit de préemption pour se porter acquéreur des parcelles, dont est propriétaire Mme [J] [O] sur les communes de [Localité 8] et de [Localité 12] et qu'elle projetait de vendre à la SCEA du Ricquet, a été prise et signée par M. [K] [Y], directeur général délégué de la société d'aménagement.

Comme l'a relevé exactement le premier juge, M. [Y] a reçu du conseil d'administration de la SAFER Hauts de France une délégation de pouvoirs le 4 juin 2021 et plus particulièrement celle, spéciale, comme spécifiée in fine du document produit, d'instruire, de décider et de mettre en oeuvre les accords des commissaires de gouvernement pour l'exercice du droit de préemption.

Il est aussi justifié de l'avis favorable du commissaire du gouvernement, daté du 19 septembre 2022, pour l'acquisition par la SAFER des terres pour la surface totale de 8ha 08a 03ca dont la vente était prévue entre Mme [O] et la SCEA du Ricquet.

La SCEA appelante ne soulève aucun moyen, ni ne produit aucune pièce de nature à remettre en cause la décision entreprise qui a retenu la régularité de la décision de préemption du 5 octobre 2022, conformément aux articles L. 225-56 II du code du commerce et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

2. Le premier juge, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime régissant le contenu de la décision de préemption et celles de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration sur l'exigence de motivation qui doit comporter l'énoncé de considérations de droit et de fait fondant la décision et relevé que la décision du 5 octobre 2022 par laquelle la SAFER a indiqué sa volonté de préempter identifie les parcelles, précise l'objectif poursuivi de consolidation d'exploitations afin de permettre qu'elles atteignent une dimension économique viable, vise la demande importante dans le secteur concerné pour un agrandissement (dix candidats locaux) et aussi une demande spécifique d'un exploitant orienté en polyculture-élevage laitier, sans toutefois exclure une rétrocession à d'autres candidats dont la situation serait plus prioritaire, a à bon droit retenu que la décision de la SAFER était motivée en fait et en droit au regard des objectifs poursuivis conformément aux dispositions précitées et ne constituait pas une prédécision sur le choix du candidat.

Il n'est soutenu en appel aucun moyen ou argumentation de nature, ni à démontrer un détournement de pouvoir, ni à remettre en cause l'appréciation du premier juge qui a débouté la SCEA du Ricquet de sa demande d'annulation de la décision de la SAFER, si bien que le jugement sera confirmé sur ce point.

3. Le jugement sera aussi confirmé en sa disposition rejetant la demande de dommages-intérêts formée par la SCEA à défaut de démonstration d'une faute de la SAFER.

4. Le jugement sera enfin confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La SCEA du Ricquet, appelante qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel avec autorisation de recouvrement au profit de Me Laurent Janocka-Aarpi Hamel-Thuiller-Janocka-Ricbourg, avocats associés et à verser à la SAFER Hauts de France la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

Condamne la SCEA du Ricquet aux dépens d'appel avec autorisation de recouvrement au profit de Me Laurent Janocka-Aarpi Hamel-Thuiller-Janocka-Ricbourg, avocats associés et à verser à la SAFER Hauts de France la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE CADRE-GREFFIER LA PRESIDENTE

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