CA Aix-en-Provence, ch. 1-7, 23 octobre 2025, n° 22/11277
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Syndicat des copropriétaires (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Daux-Harand
Conseillers :
Mme Mendoza, Mme Perraut
Avocats :
Me Curti, Me Guedj, SCP Cohen Guedj - Montero - Daval Guedj, Me Lassau, SCP Lassau-Gastaldi
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant acte authentique du 8 août 2014, monsieur [T] [B] a acquis la propriété du lot n°99, correspondant à une mansarde portant le n°8 (chambre de bonne), située au 7ème étage, au sein de l'ensemble immobilier [5], [Adresse 1] à [Localité 3] (06).
Se plaignant d'un empiétement des parties communes, le syndicat des copropriétaires, pris en la personne de son syndic en exercice, a, par acte du 14 mars 2017, assigné M. [T] [B], devant le président du Tribunal judiciaire de Grasse en référé.
Par ordonnance en date du 13 décembre 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse a débouté le syndicat des copropriétaires de ses demandes au motif que les procès-verbaux de constat dressés seraient insuffisants à démontrer l'appropriation des parties communes, invitant les parties à mieux se pourvoir au fond.
Par acte d'huissier de justice du 12 octobre 2018, le syndicat des copropriétaires, pris en la personne de son syndic en exercice a assigné M. [B] devant le tribunal judiciaire de Grasse, aux fins de :
- le voir condamner, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision, à :
* démonter la cloison construite dans les parties communes et à enlever le ballon d'eau chaude et son branchement installé dans lesdites parties communes ;
* remettre en l'état d'origine la limite séparative de son privatif et des combles;
- le voir condamner au paiement de la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris le coût des procès-verbaux d'huissier de justice des 27 octobre 2014 et 11 janvier 2017.
Par jugement contradictoire du 7 juin 2022, le tribunal a :
- ordonné le retrait du procès-verbal de constat d'huissier, en date du 24 septembre 2014 de la procédure ;
- condamné M. [T] [B], sous astreinte de 100 euros par jour, à l'expiration d'un délai d'un mois, à compter de la signification de la décision, à remettre les lieux en l'état, à savoir :
* démonter la cloison construite dans les parties communes ;
* enlever le ballon d'eau chaude et son branchement installé dans les parties communes;
* remettre en état d'origine la limite séparative de son lot privatif et des combles;
- débouté l'ensemble des parties de leurs demandes de dommages et intérêts ;
- condamné M. [T] [B] à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens incluant le constat dressé par Maître Treiber, en date du 11 janvier 2017, dont distraction au profit de Maître Philippe Lassau.
Le tribunal a notamment considéré que :
- sur le procès-verbal de constat du 24 septembre 2014 :
- lors du procès-verbal de constat du 24 septembre 2014, l'huissier a pénétré à l'intérieur de l'appartement sans autorisation du propriétaire, ce qui était confirmé par les photographies jointes au constat ;
- l'huissier n'ayant pas été autorisé par le propriétaire des lieux, ni judiciairement à pénétrer dans cet endroit clos, il a porté atteinte au droit de propriété de M. [B] et serait écarté des débats ;
- sur l'empiétement des parties communes :
- il résultait des constats en date du 18 avril 2017 et du 3 novembre 2020 produits par le M. [B] et du constat en date du 11 janvier 2017, que la cloison au fond du lot de ce dernier avait été supprimée et que la cloison latérale avait été modifiée, le tout sans autorisation de l'assemblée des copropriétaires ;
- M. [B] devait restituer au syndicat des copropriétaires les combles qu'il s'était approprié, sans autorisation de l'assemblée générale ;
- la restitution des combles entraînait de facto la suppression des ouvrages réalisés ayant transformé lesdits combles, ouvrages eux-mêmes construits sans autorisation de la copropriété.
Selon déclaration reçue au greffe le 4 août 2022, M. [B] a interjeté appel de cette décision, en toutes ses dispositions dûment reprises.
Par dernières conclusions transmises le 22 septembre 2022, notifiées par RPVA au greffe, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il sollicite de la cour qu'elle réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau qu'elle :
- dise et juge que le procès-verbal de constat du 24 septembre 2014 est nul et de nul effet comme ayant été dressé en violation de sa vie privée et de son domicile ;
- désigne un expert avec mission de rechercher à établir qu'il y a eu appropriation des parties communes lors de l'installation des travaux de remise en état des canalisations des chauffe-eau de la chambre de service n°8 ;
- déboute le syndicat des copropriétaires de ses demandes ;
- condamne le syndicat des copropriétaires à lui payer les sommes de :
* 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée ;
* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- le constat d'huissier du 24 septembre 2014 a été établi à partir d'une visite effectuée à l'intérieur du lot de copropriété sans ni son accord ni celui d'un tiers et que cela constitue une violation de domicile ;
- rien ne démontre une éventuelle appropriation des parties communes ;
- le chauffe-eau est présent dès 2014 au moment de l'achat de son bien, et la cloison est toujours présente ;
- le chauffe-eau a simplement été mis aux normes ;
- il a acheté le bien en vue de le mettre en location et cela n'est pas interdit par le règlement de copropriété.
Par dernières conclusions transmises le 22 janvier 2024, notifiées par RPVA au greffe, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le syndicat des copropriétaires sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris excepté en ce qu'il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts et en ce qu'il a ordonné le retrait du procès-verbal de constat du 24 septembre 2014 et n'a pas condamné M. [B] à en supporter le coût ainsi que celui de la sommation du 24 octobre 2014 et statuant à nouveau qu'elle :
- condamne M. [B] au paiement de la somme de 10 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice de jouissance ;
- condamne M. [B] à supporter le coût du procès-verbal de constat du 24 septembre 2014 dressé par Maître Treiber et le coût de la sommation du 24 octobre 2014 ;
- déboute M. [B] de ses demandes ;
- condamne M. [B] à lui payer la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Guedj.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- le règlement de copropriété a été violé par M. [B] ;
- en se référant au plan des combles, il apparaît que les chambres de bonne portant les numéros 5, 6, 7 et 8 sont délimités par des cloisons permettant de distinguer les parties communes et privatives ;
- M. [B] a abattu cette cloison afin de s'approprier une partie des combles et d'y installer une chaudière branchée sur les parties communes ;
- cette appropriation est illicite ;
- les photos du constat du 27 octobre 2014 ont été prises à l'extérieur et n'ont pas nécessité de pénétrer dans le bien de M. [B] ;
- M. [B] a violé le règlement de copropriété et la loi du 10 juillet 1965. Il doit être condamné à remettre les lieux en l'état.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 10 septembre 2025.
MOTIFS :
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à " constater ", " donner acte ", " dire et juger " en ce qu'elles ne sont pas, exception faite des cas prévus par la loi, des prétentions, mais uniquement des moyens.
Sur la nullité du procès-verbal du commissaire de justice du 24 septembre 2014 :
Aux termes de l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.
L'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que la propriété est un droit inviolable et sacré.
En application de ces dispositions, toute personne a droit au respect de sa vie privée, de son domicile et il ne peut y avoir ni ingérence ni immixtion arbitraire.
L'article 7 du règlement intérieur de la chambre des huissiers prévoit que les huissiers de justice ne peuvent procéder chez des tiers à des constats sans ordonnance de justice, à moins que ceux-ci les y autorisent verbalement, ce dont mention sera expressément faite au procès-verbal.
Un commissaire de justice effectuant un constat dans un lieu privé doit donc veiller à ne pas violer ces principes susvisés.
En l'espèce, il ressort du constat du 24 septembre 2014, photographies à l'appui, que le commissaire de justice a pénétré à l'intérieur du bien de M. [B], sans son autorisation.
Le commissaire de justice n'ayant pas été autorisé ni par le propriétaire des lieux, ni par un juge à pénétrer dans cet endroit clos, c'est par des motifs pertinents que le premier juge en a conclu qu'il avait porté atteinte au droit de propriété.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a considéré le procès-verbal du 24 septembre 2014 nul et l'a écarté des débats.
Sur l'empiètement des parties communes :
Aux termes de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 I.-chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.
L'article 15 de la même loi précise que le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble.
Il résulte des dispositions de l'article 25 b) de ladite loi que ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant : l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci.
L'article 26 alinéa 4 prévoit que l'assemblée générale ne peut, sauf à l'unanimité des voix de tous les copropriétaires, décider l'aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l'immeuble ou la modification des stipulations du règlement de copropriété relatives à la destination de l'immeuble.
Comme l'a indiqué le premier juge il résulte du principe d'intangibilité de la répartition entre parties communes et parties privatives de l'immeuble prévu à l'article 3 de la loi du 10 juillet 1965 que si une partie commune peut être effectivement transformée en partie privative, cela suppose que cette partie commune soit cédée au copropriétaire par le syndicat des copropriétaires, par un vote unanime des copropriétaires, pour devenir un lot privatif assorti de tantièmes de copropriété.
En l'espèce il ressort de l'avis de mutation versé aux débats par le syndicat des copropriétaires, en date du 8 août 2014, que M. [B] a acquis le lot n°99, au 7ème étage : une mansarde portant le numéro 8 au plan.
Le plan des combles en date du 25 avril 1926, fait apparaître les chambres de bonne au 7ème étage de la copropriété [5]. Les chambres de bonne portant les numéros 5, 6, 7 et 8 sont délimitées par des cloisons, qui permettent de distinguer les parties communes et les parties privatives. Il ressort qu'il existe une cloison à l'arrière desdites chambres permettant un passage entre celle-ci et le mur de l'immeuble.
Le règlement de copropriété du 4 août 1926, prévoit article 4 'destination de l'immeuble' que les chambres au 7ème étage ne pourront comporter ni évier, ni poêle, fourneau ou autre foyer de chauffage.
Des constats de commissaire de justice produits par M. [B] en date des 18 avril 2017 et 3 novembre 2020 et celui du 11 janvier 2017 que la cloison au fond du lot de M. [B] a été supprimée et que la cloison latérale a été modifiée.
Or M. [B] ne justifie d'aucune autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires. Il confirme dans son plan des combles annoté versé aux débats, que la cloison au fond a été abattue pour pouvoir accéder au ballon d'eau chaude existant et pouvoir isolé la toiture sous la charpente.
Il ressort de ces éléments que M. [B] s'est approprié les combles, parties communes, jouxtant son lot privatif sans autorisation.
Contrairement aux allégations de M. [B], il est établi par les diverses attestations versées aux débats par le syndicat des copropriétaires, dont celle de M. [H], vendeur du bien à M. [B] qu'aucun mur n'empêchait l'accès au chauffe-eau
Aucune mesure d'instruction complémentaire n'est nécessaire.
C'est par des motifs pertinents que le premier juge a estimé que M. [B] devait restituer au syndicat des copropriétaires les combles qu'il s'est approprié, sans autorisation, entraînant de facto la suppression des ouvrages réalisés ayant transformé lesdits combles.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [B] sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision et à remettre les lieux en l'état à savoir :
- démonter la cloison construite dans les parties communes ;
- enlever le ballon d'eau chaude et son branchement installé dans les parties communes,
- remettre en état d'origine la limite séparative de son lot privatif et des combles.
Sur les demandes de dommages et intérêts :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui a causé à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Sur la demande de M. [B] :
En l'espèce M. [B] ne démontre aucun préjudice en lien de causalité avec la violation de sa vie privée.
En effet, le procès-verbal établi le 24 septembre 2014, a été considéré comme nul et écarté des débats.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a été débouté de sa demande formulée à ce titre.
Sur la demande du syndicat des copropriétaires :
En l'espèce, le syndicat des copropriétaires ne justifie d'aucun élément visant à établir le préjudice de jouissance subi, M. [B] ayant déjà été condamné sous astreinte à remettre les parties communes en l'état.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a été débouté de sa demande formulée à ce titre.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [B] à payer au syndicat des copropriétaires, pris en la personne de son syndic en exercice, la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Cependant les frais afférents au constat d'huissier du 11 janvier 2017 seront considérés comme inclus dans l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles en première instance, par le premier juge.
Le jugement sera également confirmé en ce que les frais du constat d'huissier du 24 septembre 2014 et de la sommation du 24 octobre 2014, dressé par Maître Treiber n'ont pas été inclus dans les frais irrépétibles retenus par le premier juge.
Succombant en appel, M. [B] sera condamné à supporter l'intégralité des dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Paul Guedj et à verser au syndicat des copropriétaires, de l'ensemble immobilier [5], [Adresse 1] à [Localité 3] (06), représenté par son syndic en exercice, la somme de 3000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, excepté en ce que les frais afférents au constat d'huissier du 11 janvier 2017 ont été inclus dans les dépens ;
STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT :
DIT QUE les frais de constat d'huissier du 11 janvier 2017 sont inclus dans l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles alloués par le premier juge, pour la première instance ;
CONDAMNE M. [B] à payer au syndicat des copropriétaires, de l'ensemble immobilier [5], [Adresse 1] à [Localité 3] (06), représenté par son syndic en exercice, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'articel 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [B] à supporter l'intégralité des dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Paul Guedj.