CA Nîmes, ch. référés du premier président, 24 octobre 2025, n° 25/00117
NÎMES
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Defarge
Avocats :
Me Banuls, Me Sinard, Me Bassas Gimeno, Me Vancraeyenest, Me Pomares, Me Perrin
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 02 septembre 2021 M. [B] [W] a acheté au prix de 34 000 euros à M. [K] [R] [N] un véhicule Jaguar qui lui a été livré le jour-même.
Après avoir par la suite mis en demeure le vendeur de prendre en charge des frais de réparation de ce véhicule il l'a par acte du 21 juillet 2023 fait assigner devant le tribunal judiciaire d'Avignon qui par jugement réputé contradictoire du 08 avril 2024 :
- a prononcé la résolution de la vente,
- a condamné le vendeur à lui restituer la somme de 34 000 euros,
- a ordonné la restitution du véhicule aux frais de celui-ci,
- a débouté le requérant de ses demandes au titre
- des frais de carte grise, d'assurance, de dépannage, de dépose moteur et de remorquage,
- de l'indemnisation du préjudice de jouissance et du préjudice moral,
- a condamné le défendeur aux dépens de l'instance et à payer au requérant la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- a rejeté les autres demandes,
- a rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
M. [K] [R] [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 décembre 2024.
Par acte du 11 juillet 2025, il a fait assigner M. [B] [W] devant le premier président et au terme de ses conclusions régulièrement notifiées le 02 octobre 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, il demande :
A titre principal :
- de constater qu'il rapporte la preuve des deux conditions cumulatives prévues à l'article 514-3 du code de procédure civile, à savoir l'existence d'un moyen sérieux d'annulation du jugement et le risque d'entrainer des conséquences manifestement excessives ;
Par conséquent
- de le déclarer recevable à solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal judiciaire d'Avignon du 08 avril 2024,
- d'ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire attachée à ce jugement,
- de condamner l'intimé aux entiers dépens et à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
A titre subsidiaire
- d''être autorisé à consigner à la Caisse des dépôts et consignations, en vingt-quatre mensualités, le montant de la condamnation à son encontre figurant dans le jugement rendu le 08 avril 2024 par le tribunal judiciaire d'Avignon, soit la somme de 36 000 euros outre les dépens de première instance.
Au terme de ses conclusions régulièrement notifiées le 08 septembre 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, M. [B] [W] demande au premier président
- de juger que les conditions de l'article 514-3 du code de procédure civile ne sont pas réunies en l'espèce,
- de débouter purement et simplement M. [K] [R] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- de le condamner aux entiers dépens de l'instance et à lui payer la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'audience les parties ont soutenu et sollicité le bénéfice de leurs écritures, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé des faits et moyens des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
Aux termes de l'article 514-3 du code de procédure civile ici applicable 'En cas d'appel, le premier président peut être saisi afin de d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance. »
Le requérant n'ayant pas comparu en première instance doit ici rapporter la preuve que les deux conditions cumulatives du premier alinéa de cet article sont réunies.
* moyens sérieux d'annulation ou de réformation du jugement
Le requérant expose que l'assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire d'Avignon ne lui a jamais été signifiée et que ce n'est que lorsque le tribunal de première instance de Reus (Espagne) lui a notifié la copie du jugement le 28 novembre 2024 qu'il a pris connaissance de l'existence de la procédure judiciaire ; que le greffe lui a communiqué la copie d'un prétendu procès-verbal de signification de l'assignation le 12 décembre 2024 mais que de l'ensemble des informations communiquées il ne figure aucun document formulaire ou procès-verbal de signification de l'assignation à sa personne ; que le tribunal espagnol de Reus lui a confirmé qu'il n'avait pas notifié l'assignation.
Il soutient ainsi qu'en vertu des dispositions du Règlement (UE) 2020/1784, le tribunal de Reus aurait dû transmettre à l'entité d'origine, à savoir l'huissier de justice, une attestation constatant la remise de l'acte ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ; que l'huissier de justice a coché une case du formulaire demandant à ce qu'un exemplaire de l'acte lui soit retourné et qu'ainsi, dans le cas où cet exemplaire lui a été communiqué, il somme M. [W] de le
communiquer dans la présente procédure.
Le défendeur soutient que le jugement du 08 avril 2024 est réputé contradictoire et que le tribunal judiciaire a relevé que le défendeur était régulièrement assigné ; qu'à l'inverse de ce que le requérant prétend, les dispositions des articles 8 et 14.1 du Règlement UE 2020/1784 ont été respectées dans la mesure où l'entité espagnole qui a réceptionné la demande de signification le 4 août 2023, n'a pas adressé au commissaire de justice le formulaire K dans le mois qui a suivi la réception de l'acte introductif d'instance par ses soins ce qui implique que la signification de l'assignation a pu être réalisée dans le mois qui a suivi la réception de l'acte ; qu'en tout état de cause les hypothétiques manquements de la juridiction espagnole ne peuvent lui être imputés.
Aux termes des articles 472, 473 et 479 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Lorsque le défendeur ne comparaît pas, le jugement est rendu par défaut si la décision est en dernier ressort et si la citation n'a pas été délivrée à personne.
Le jugement est réputé contradictoire lorsque la décision est susceptible d'appel ou lorsque la citation a été délivrée à la personne du défendeur.
Le jugement par défaut ou le jugement réputé contradictoire rendu contre une partie demeurant à l'étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l'acte introductif d'instance au défendeur.
Pour qualifier son jugement de réputé contradictoire le tribunal a mentionné que M. [K] [R] [N], demeurant en Espagne, avait été défaillant ; qu'il n'avait pas constitué avocat et avait été régulièrement assigné.
Il ne constate pas expressément les diligences faites en vue de lui donner connaissance de l'acte introductif d'instance.
Aux termes de l'article 459 du code de procédure civile, l'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées.
Selon les articles 684, 685, 696, 687, 687-1, 687-2 et 688 du code de procédure civile, l'acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l'étranger est remis au parquet, sauf dans les cas où un règlement européen ou un traité international autorise l'huissier de justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l'Etat de destination.
Le parquet auquel la remise doit être faite est, selon le cas, celui de la juridiction devant laquelle la demande est portée, celui de la juridiction qui a statué ou celui de la juridiction dans le ressort de laquelle demeure le requérant. S'il n'existe pas de parquet près la juridiction, l'acte est remis au parquet du tribunal judiciaire dans le ressort duquel cette juridiction a son siège.
L'huissier de justice ou le greffier relate dans l'acte les modalités de son expédition, de sa transmission ou de sa remise.
L'autorité chargée de la notification remet deux copies de l'acte au procureur de la République qui vise l'original.
Le procureur de la République fait parvenir sans délai les copies de l'acte au ministre de la justice aux fins de transmission ou à l'autorité désignée en vertu du règlement européen ou du traité international applicable.
Il y joint une ordonnance du juge prescrivant la transmission de l'acte lorsque l'intervention du juge est exigée par le pays destinataire.
A moins que la notification ait pu être faite par voie postale, l'autorité chargée de la notification doit, le jour même ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, expédier au destinataire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie certifiée conforme de l'acte à notifier indiquant de manière très apparente qu'elle en constitue une simple copie.
Le procureur de la République informe l'autorité requérante des diligences faites ; il lui transmet, le cas échéant, tout procès-verbal ou récépissé constatant la remise de la copie de l'acte, pour être annexé au premier original. Si la notification a été requise par un huissier de justice, celui-ci tient ces documents à la disposition de la juridiction.
S'il ressort des éléments transmis par l'autorité requise ou les services postaux que le destinataire n'habite pas à l'adresse indiquée et que celui-ci n'a plus ni domicile ni résidence connus, l'huissier de justice relate dans l'acte les indications ainsi fournies et procède à la signification comme il est dit aux alinéas 2 à 4 de l'article 659.
La date de notification d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire à l'étranger est, sans préjudice des dispositions de l'article 687-1, à l'égard de celui à qui elle est faite, la date à laquelle l'acte lui est remis ou valablement notifié.
Lorsque l'acte n'a pu être remis ou notifié à son destinataire, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'autorité étrangère compétente ou le représentant consulaire ou diplomatique français a tenté de remettre ou notifier l'acte, ou lorsque cette date n'est pas connue, celle à laquelle l'une de ces autorités a avisé l'autorité française requérante de l'impossibilité de notifier l'acte.
Lorsqu'aucune attestation décrivant l'exécution de la demande n'a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'acte leur a été envoyé.
La juridiction est saisie de la demande formée par assignation par la remise qui lui est faite de l'acte complété par les indications prévues à l'article 684-1ou selon le cas, à l'article 687-1, le cas échéant accompagné des justificatifs des diligences accomplies en vue de sa notification au destinataire.
S'il n'est pas établi que le destinataire d'un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l'affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies :
1° L'acte a été transmis selon les modes prévus par les règlement européen ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687
2° Un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte ;
3° Aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis.
Le juge peut prescrire d'office toutes diligences complémentaires, notamment donner commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de s'assurer que le destinataire a eu connaissance de l'acte et de l'informer des conséquences d'une abstention de sa part.
Toutefois, le juge peut ordonner immédiatement les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires à la sauvegarde des droits du demandeur.
Tel est le cas ici en ce qui concerne les relations entre la France et l'Espagne.
Le défendeur verse aux débats (pièce 11, décomposée en 11-1 à 11-16) l'acte de transmission de sa demande de notification de l'assignation devant le tribunal judiciaire d'Avignon du 21 juillet 2023 et de sa traduction en langue espagnole en double exemplaire à M. [K] [L] [E] demeurant en Espagne, par le juzgado decano de Reus, accompagné du formulaire A (demande de signification ou de notification d'actes prévue à l'article 8§2 du règlement UE n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatifs à la signification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, (pièces 11-3, 11-4, 11-15 et 11-16) ainsi que la preuve de sa réception le 4 août 2023 par le tribunal de première instance de Reus.
Il verse aussi (pièce 12) une attestation du 21 janvier 2025 d'accomplissement le 09 janvier 2025 de la signification d'un acte dont la nature n'y est pas précisée à la personne de M. [K] [R] [N] (« l'acte a été délivré au destinataire lui-même »).
Au cas où cette attestation s'appliquerait à l'assignation litigieuse, elle serait postérieure à la date du jugement rendu et en conséquence insusceptible de régulariser une nullité éventuellement tirée de l'inobservation des dispositions de l'article 479 du code de procédure civile.
Il existe donc un moyen sérieux d'annulation du jugement au motif qu'il aurait été improprement qualifié de réputé contradictoire.
* existence de conséquences manifestement excessives attachées à l'exécution de la décision déférée
Le requérant soutient que l'exécution du jugement risque d'entrainer des conséquences manifestement excessives.
Il soutient d'abord qu'en raison de la non-signification de l'assignation, il n'a pas été en mesure de faire valoir des observations à ce sujet devant le premier juge ; mais il a interjeté appel du jugement et tel est l'objet de la présente instance.
Il soutient que ses revenus et son patrimoine ne lui permettent pas de régler ou d'emprunter les sommes mises à sa charge, qu'en tant qu'auto-entrepreneur, il ne dispose pas d'un salaire fixe et qu'il a un enfant à charge né le 23 novembre 2023.
Le défendeur soutient que la situation décrite ne reflète pas la réalité puisque le requérant exerce une activité professionnelle de de revente de véhicules anciens et de collection, qu'il a été impressionné par son parc automobile lors de l'acquisition du véhicule et a pris en photo plus d'une centaine des voitures entreposées ainsi que de nombreuses motos, de sorte que si M. [R] [N] prétend avoir effectué des recettes en 2024 à hauteur de la seule somme de 10 029,34 euros, cela voudrait dire qu'il n'a rien vendu ou qu'il a fait le choix de ne pas se verser de salaire. Il ajoute qu'en récupérant le véhicule en exécution de la décision dont appel, il ne perd pas d'argent puisque celui-ci prend de la valeur au fil des années.
Il incombe au demandeur à la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement de démontrer les conséquences manifestement excessives que celle-ci serait susceptible d'entraîner.
Il verse aux débats deux certificats du 1er avril 2025 de la banque Caixa Rural de Guissona selon lequel deux comptes courants dont il est seul titulaires dans les livres de cette banque avaient à cette date en compte les sommes de 1 523,92 et 8 878,15 euros, ainsi qu'un certificat du 28 mai 2025 selon lequel il a conclu le 28 novembre 2019 un prêt avec engagement personnel d'un montant de 70 000 euros présentant à cette date un solde dû de 34 082,70 euros, une déclaration de revenus au titre de l'année 2024 de 10 029,34 euros, un acte d'état-civil relatif à sa situation familiale et une décision de l'assemblée générale extraordinaire d'une société LLAVECAR S.C.P. procédant à la dissolution et à sa radiation à effet au 31 décembre 2015.
Ces seules pièces ne caractérisent aucun risque de conséquences manifestement excessives attaché à l'exécution provisoire du jugement, ne reflétant pas nécessairement la situation patrimoniale réelle du requérant.
Sa demande est en conséquence rejetée.
* demande subsidiaire d'autorisation de consignation
Le requérant soutient que cette autorisation est justifiée par l'existence d'un risque de conséquences manifestement excessives compte-tenu de ses revenus et charges.
Mais ce motif a justement été rejeté et cette demande est donc également rejetée.
* dépens et frais irrépétibles
Le requérant qui succombe doit supporter les dépens de la présente instance.
Il est condamné à payer au défendeur la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Nous, Isabelle Defarge, présidente de chambre, statuant sur délégation du premier président de la cour d'appel de Nîmes, en référé, par ordonnance contradictoire, en dernier ressort et mise à disposition au greffe,
Rejetons la requête de M. [K] [R] [N] en suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal judiciaire d'Avignon du 8 avril 2024,
Rejetons sa requête aux fins d'autorisation de consignation,
Condamnons M. [K] [R] [N] aux dépens de l'instance et à payer à M. [B] [W] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.