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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 23 octobre 2025, n° 25/13270

PARIS

Ordonnance

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Avocats :

Me Terré, Me Marciano, BDL Avocats

T. com. Bobigny, du 10 juill. 2025, n° 2…

10 juillet 2025

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS [18], ayant pour président M.[N] [V], exploitait depuis 2013 une clinique à [Localité 15] qu'elle avait acquise dans le cadre du plan de cession de la société [17].

La société [18] est détenue par la société [12], elle-même détenue par la société [6].

Sur requête du ministère public, le tribunal de commerce de Bobigny a par jugement du 15 juin 2023 ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [18], fixé la date de cessation des paiements au 15 décembre 2021. Le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire le 19 juillet 2023.

Sur saisine du ministère public, aux fins de sanction personnelle à l'encontre du président de la société [18], le tribunal de commerce de Bobigny par jugement du juillet 2025 a, écarté des débats le rapport du technicien [9], et prononcé à l'encontre de M.[V], avec exécution provisoire, une interdiction de gérer d'une durée de 7 ans et l'a condamné aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu les deux griefs suivants: avoir fait du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser la société [12] dans laquelle il était intéressé (L653-4,3° du code de commerce) et avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours (L 653-8 du code de commerce).

M.[V] a relevé appel de cette décision le 17 janvier 2025 en intimant le ministère public et par acte du 15 septembre 2025 a fait assigner le ministère public devant le délégataire du premier président pour voir arrêter l'exécution provisoire du jugement dont appel et ordonner la transmission par le greffe de la cour d'appel de Paris au greffe du tribunal de commerce de Bobigny afin de publication au BODACC.

Le ministère public n'avait pas communiqué d'avis à la date de l'audience.

Vu l'article R.661-1 du code de commerce.

SUR CE,

Il résulte de l'article R.661-1 du code de commerce, dérogeant aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, que seuls des moyens sérieux d'appel permettent de suspendre l'exécution provisoire attachée au jugement rendu en matière d'interdiction de gérer.

Au soutien de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, M.[V] fait valoir, d'une part, qu'aucun des deux griefs retenus par le tribunal n'est caractérisé, d'autre part, que le tribunal n'a pas motivé sa décision quant au quantum de la peine.

Le premier grief, visé dans la requête du ministère public et retenu par le tribunal, est celui prévu par l'article L653-4, 3° du code de commerce, qui consiste à' Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.'

La requête du ministère public se fonde sur le fait que la société [18] a avancé une somme de 4,2 millions d'euros en 2020 à sa société mère [12], que cet apport a été compensé en novembre 2022 à hauteur de 2,4 millions d'euros au titre d'honoraires facturés par [12] qui n'ont pas été justifiés, que cette avance de trésorerie au profit de [12], compensée pour partie au titre d'une dette non justifiée, a porté atteinte aux intérêts de la société [18] en ce que cette dernière n'a pas été en capacité de faire face à ses dettes courantes.

M.[V] faisait valoir devant le tribunal que le technicien n'avait pas analysé les pièces destinées à justifier de la réalité des flux intervenus entre les sociétés [18] et [12] et que rien ne démontrait que ces opérations étaient contraires à l'intérêt de la société [18] et auraient été effectuées dans l'intérêt personnel de M.[V].

Dans le cadre du référé, M.[V] expose que le tribunal en concluant à la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel a confondu les articles L653-4, 3° et 4° du code de commerce et n'a aucunement démontré qu'il avait cherché à favoriser la société [12], que par ailleurs le tribunal a retenu que la créance de la société [18] sur [12] a été ramenée à la clôture de l'exercice 2022 à 476.203 euros, soit une diminution de 4.067.477 euros, tout en faisant état d'une autre créance de 4.035.235 euros apparue à l'actif, considérant que la similitude entre ce montant et la diminution de créance était suspecte, alors que la dette avait été ramenée à zéro et que si une créance de la société [18] sur [12] avait dû subsister de façon dissimulée dans la comptabilité elle aurait dû tenir compte de cette compensation de créances et se serait approchée de 1,6 million d'euros et non de 4 millions d'euros.

Il sera relevé que si le tribunal mentionne qu'il était de l'intérêt de M.[V] de poursuivre dans son intérêt personnel une exploitation déficitaire de la société [18], le jugement conclut cependant sa motivation en retenant que M.[V] a fait du crédit de la société [18] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser la société [12] dans laquelle il était intéressé, de sorte qu'il a bien repris les éléments constitutifs du grief visé.

La société [18] a pour président M.[N] [V]. Elle est entièrement détenue par la société [12], qui est elle-même détenue par la société [6] (holding du groupe) à hauteur de 96%, qui est elle-même détenue à 90% par la famille [V].

M.[V] produit une convention de compte courant d'associés et de trésorerie signée entre [12] et [18], ayant pour objet de définir les modalités de fonctionnement et de rémunération des comptes courants ouverts au nom de [12] dans les livres de sa filiale [18], ainsi que la trésorerie que la filiale mettra éventuellement à disposition de sa mère, ces apports, remboursements ou avances étant effectués sur simple décision du président de la holding et de la filiale dans le but d'optimier la trésorerie du groupe [13] (Avec) et de ses filiales. Il sera rappelé que la holding [12] était alors dirigée par une personne morale, la société [11], dont M.[N] [V] était le représentant permanent.

Si la convention prévoit que la filiale doit en cas d'excédent de trésorerie, prioritairement mettre à la disposition de la holding les sommes disponibles ou procéder au remboursement du compte courant d'associé de la holding s'il y a lieu, elle ne peut légitimement justifier des remontées de trésorerie vers la holding en cas de difficultés de la société [18], de telles remontées privant la filiale de la trésorerie nécessaire pour assumer ses propres charges.

La société [18], qui présentait au 31 décembre 2020 une situation nette négative de 603.938 euros pour un capital social de 200.000 euros, a consenti à la société mère [12] une avance de 4.219.292,23 euros, alors qu'elle avait à l'égard de cette dernière une dette de 2.400.000 euros , le montant de sa créance nette s'élevait à 2.039.900 euros. Ainsi la société [18], au lieu au regard de sa situation dégradée, de bénéficier des concours de sa société mère [12] comme le prévoyait la convention de compte courant, a au contraire financé la société [12].

Il ressort du rapport des liquidateurs judiciaires et des comptes versés aux débats, que la société [18] a enregistré une perte de plus de 3 millions d'euros au 31 décembre 2021 et de plus de 1,8 million d'euros au 31 décembre 2022, ses capitaux propres étant négatifs à cette date de - 5.585.995 euros.

Les remontées de trésorerie que M.[V] a effectuées en tant que président de [18] au profit de la société mère [12] apparaissent dans ce contexte financier difficile contraires à l'intérêt de [18], ce flux de trésorerie favorisant au contraire [12], que M.[V] dirigeait en tant que représentant permanent de la personne morale dirigeante ([10]) et partant la société [6] (actionnaire de [12] à hauteur de 96%) détenue très majoritairement par la famille [V].

Au regard de ces éléments, M.[V] n'établit pas, à ce stade, le sérieux de sa contestation quant à ce grief.

S'agissant du second grief, il résulte de l'article L.653-8 du code de commerce, qu'une interdiction de gérer peut être prononcée à l'égard de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui a sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Il est constant que M.[V] n'a pas effectué de déclaration de cessation des paiements ni dans le délai légal, ni même ultérieurement, la procédure ayant été ouverte à la requête du ministère public le 15 juin 2023 et le tribunal, confirmé par la cour d'appel, ayant reporté la date de cessation des paiements au 15 décembre 2021, soit au maximum autorisé par la loi.

M.[V] soutient que le tribunal n'a pas caractérisé le caractère intentionnel de cette omission, qu'il était en attente d'un moratoire pour le paiement des charges sociales, ayant placé depuis la fin de l'année 2022 le goupe Avec dont il était alors le président sous l'égide du [8] afin de restructurer la dette du groupe, que Maître [P] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc, que les discussions se sont poursuivies pendant toute l'année 2023 et jusqu'en mars 2024 avec deux audits, que le secrétaire général du [8] lui a laissé jusqu'au 6 mars 2024 pour trouver des solutions aux difficultés du groupe, que dans ce contexte il lui était permis de penser que la société n'était pas en état de cessation des paiements.

Toutefois, la nomination d'un mandataire ad hoc ne dispense pas le dirigeant d'effectuer une déclaration de cessation des paiements lorsque la société est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Il a été établi que société était en cessation des paiements le 15 décembre 2021, soit bien avant que M.[V] ne sollicite le [8] et la désignation d'un mandataire ad hoc.

Il sera relevé que le ministère public a sollicité l'ouverture d'une procédure collective au regard de quatre inscriptions de privilèges du 13 mai 2022 au 30 janvier 2023 pour un montant de 978.661 euros, que le [16] avait demandé le 30 janvier 2023 le renouvellement d'une inscription d'un montant de 731.776,51 euros et qu'il existait quatre inscriptions de la caisse de retraite [14] pour un montant total de 268.753,50 euros.La déclaration de créance de l'Urssaf d'un montant total de 4.222.739 euros inclut 1.311.203 euros de cotisations antérieures au 31 décembre 2021. Les résultats très dégradés de la société [18] au titre des exercices clos aux 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022, qui ont été ci-dessus rappelés, et l'importance des dettes ne pouvaient qu'alerter le dirigeant sur l'existence d'un état de cessation des paiements.

Dans ce contexte, il n'apparait pas sérieux de soutenir que ce n'est pas sciemment que le dirigeant a omis de déclarer la cessation des paiements.

S'agissant du moyen pris de l'absence de motivation de la sanction, il ressort du jugement que le tribunal a prononcé une interdiction de gérer de 7 ans après avoir motivé les deux griefs qu'il retenait et exposé qu'il étaient constitutifs d'une des mesures prévues par les dispositions des articles L653-4 à L653-6 et L 653-8 du code de commerce. Le jugement ne comporte pas d'indication sur la situation de M.[V].

Si la sanction personnelle doit être prononcée en considération de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé, encore faut-il que celui-ci ait invoqué devant le tribunal des éléments susceptibles d'avoir une influence sur l'appréciation de la sanction prononcée. Or, il ne ressort pas du jugement, que M.[V], auquel il incombait d'informer le tribunal de sa situation personnelle, ait soumis au tribunal des éléments utiles à une telle appréciation. Dans ces conditions, la contestation de M.[V] relative à l'absence de motivation n'est pas opérante pour justifier un arrêt de l'exécution provisoire.

Il s'ensuit que la demande de suspension de l'exécution provisoire sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

Déboutons M.[N] [V] de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement dont appel,

Disons que les dpénes du référé suivront le sort de ceux de l'appel.

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