Cass. 3e civ., 23 octobre 2025, n° 22-20.146
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 mars 2022), M. [A] [E] et Mmes [X], [T], [D] et [U] [E] (les maîtres de l'ouvrage) ont confié la construction d'une maison à M. [H], architecte, chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, et à M. [Y], assuré en responsabilité décennale auprès de la société Allianz IARD, la réalisation des lots gros oeuvre, maçonnerie et abords, toiture et piscine, la société Adamo, désormais en liquidation judiciaire, étant chargée du lot peinture, tandis que la société Toposud a établi le plan d'implantation de murs de la construction.
2. Invoquant des désordres, les maîtres de l'ouvrage ont obtenu, en référé, une mesure d'expertise.
3. La société Adamo a assigné les maîtres de l'ouvrage en paiement d'un solde de marché et ces derniers ont assigné, après expertise, MM. [H] et [Y] en réparation des désordres et indemnisation de leur préjudice de jouissance.
4. M. [Y] a appelé en garantie la société Allianz IARD et la société Toposud.
5. Les assignations ont été jointes.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi principal et sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le cinquième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter son appel en garantie formé contre la société Allianz IARD, alors :
« 1°/ que la prise de possession de l'ouvrage et le paiement de la totalité ou de la quasi-totalité des travaux fait présumer la réception tacite ; que cette présomption ne peut être renversée par des faits postérieurs de plusieurs mois au paiement des travaux et à la prise de possession ; qu'en l'espèce, M. [Y] faisait valoir que les maîtres d'ouvrage, qui indiquaient avoir payé la totalité des travaux, avaient pris possession de leur maison le 10 novembre 2008 et demandait à la cour de fixer la réception tacite à cette date ; que la cour a écarté toute réception tacite en retenant que les maîtres d'ouvrage avaient requis un huissier le 10 avril 2009 afin qu'il constate des désordres et inexécutions, puis demandé la désignation d'un expert auprès
du juge des référés ; qu'en statuant par des tels motifs, inopérants car impropres à établir qu'une réception tacite ait pu intervenir le 10 novembre 2008, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil ;
2°/ que la réception judiciaire implique que l'ouvrage soit en état d'être reçu, ce qui implique seulement, pour un ouvrage destiné à l'habitation, qu'il soit habitable ; qu'en l'espèce, M. [Y] demandait à la cour de fixer également la réception judiciaire au 10 novembre 2008, date à laquelle les maîtres d'ouvrages avaient pris possession de leur villa, qui était alors habitable ; que la cour a estimé, pour refuser de prononcer la réception judiciaire à cette date, que « l'ensemble des observations ci-dessus ne permettent pas d'énoncer que l'ouvrage réalisé par M. [Y] était en état d'être reçu et qu'une réception judiciaire peut être prononcée par la cour » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure que l'ouvrage était habitable le 10 novembre 2008 et donc en état d'être reçu, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, la cour d'appel, devant laquelle M. [Y] invoquait un solde de marché demeuré impayé à hauteur d'une somme supérieure à 250 000 euros, qui a relevé qu'aucune réception expresse n'avait été signée et que les maîtres de l'ouvrage avaient requis un huissier afin qu'il constate les désordres et inexécutions, puis demandé la désignation d'un expert auprès du juge des référés, a souverainement retenu que leur volonté non équivoque de recevoir les travaux n'était pas établie.
9. En second lieu, ayant retenu qu'une partie de l'ouvrage devait être détruite pour être reconstruite, elle en a exactement déduit que, l'ouvrage n'étant pas en état d'être reçu, les conditions du prononcé d'une réception judiciaire n'étaient pas réunies.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le sixième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
11. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter son appel en garantie contre la société Toposud, alors « que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en l'espèce, M. [Y] a formé un appel en garantie contre la société Toposud qui avait établi les plans d'implantation des murs de soutènement empiétant sur le fonds voisin appartenant à la commune de [Localité 11] ; qu'après avoir relevé que la société Toposud avait facturé plusieurs implantations pour les maîtres d'ouvrage en mars, mai et juillet 2007 et qu'il résultait des énonciations de l'expert que des piquets se trouvaient implantés sur le terrain, lesquels avaient été suivis par l'entreprise de gros uvre (M. [Y]), la cour a écarté la responsabilité de la société Toposud au motif qu'elle n'était pas géomètre expert, n'avait pas de compétence pour définir une limite de propriété, qu'elle avait établi un plan par rapport au permis de construire et qu'il ne pouvait lui être reproché de n'avoir pas déterminé la limite de la parcelle appartenant aux maîtres d'ouvrage ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure toute faute de la société Toposud, qui avait établi les plans ayant conduit à l'implantation de murs de soutènement sur la propriété voisine, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Ayant relevé que la société Toposud n'était pas géomètre-expert et n'avait pas compétence pour définir une limite de propriété, la cour d'appel a retenu que celle-ci faisait valoir, à bon droit, qu'elle avait établi un plan par rapport au permis de construire, ayant ainsi fait ressortir que sa mission consistait à délimiter l'implantation du bâtiment au vu de celui-ci et non de délimiter le terrain sur lequel devait être édifiée la construction.
13. Elle a pu en déduire que sa responsabilité dans le défaut d'implantation au regard des limites du terrain n'était pas engagée et rejeter, en conséquence, l'appel en garantie formé contre elle par M. [Y].
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
15. M. [H] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec M. [Y], à payer aux maîtres de l'ouvrage, la somme de 40 022,94 euros TTC au titre du trop-versé, alors « que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en condamnant M. [H] à rembourser aux consorts [E] la somme de 40 022,94 euros trop versée en règlement des travaux effectués, quand il ne résulte pas du dispositif de leurs conclusions qu'ils auraient sollicité sa condamnation à ce titre, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
16. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
17. L'arrêt condamne M. [H], in solidum avec M. [Y], à payer aux maîtres de l'ouvrage une certaine somme au titre du trop-versé.
18. En statuant ainsi, alors que les maîtres de l'ouvrage ne dirigeaient leur demande au titre d'un trop-perçu, dans le dispositif de leurs conclusions, que contre M. [Y], la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. La cassation prononcée sur le troisième moyen du pourvoi incident n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [H], in solidum avec M. [Y], à payer à M. [A] [E] et Mmes [X], [T], [D] et [U] [E] la somme de 40 022,94 euros TTC au titre du trop-versé, l'arrêt rendu le 31 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne M. [H] à 80 % des dépens afférents à son pourvoi, M. [A] [E] et Mmes [X], [T], [D] et [U] [E] à 10 % des dépens afférents au pourvoi de M. [H] et M. [Y] aux autres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [Y] et M. [H] à payer, chacun, la somme globale de 1 500 euros à M. [A] [E] et Mmes [X], [T], [D] et [U] [E] et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-trois octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.