CA Paris, 12 octobre 2010, n° 08/24317
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
S.A BNP PARIBAS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remond
Conseiller :
Mme Kermina
Conseiller :
Mme Joly
Avocats :
SCP VERDUN - SEVENO, Me Aupetit
Avocats :
SCP GUIZARD, Me Guizard
Par acte sous seing privé du 12 octobre 2004, la SA BNP PARIBAS (la banque) s'est constituée caution solidaire pour un montant déterminé pour le compte de Mlle BOUCHIBA au profit de son bailleur, M. LEPAGE, en garantie du paiement des loyers, charges, droits ou taxes susceptibles d'être dus à celui-ci par la locataire.
Par acte sous seing privé du même jour, M. CROTTA s'est constitué caution de la banque en garantie des sommes que Mlle BOUCHIBA pourrait devoir.
Le 29 juin 2007, M. LEPAGE a assigné la banque devant le tribunal d'instance en paiement d'une certaine somme au titre de son engagement de caution.
Les 4 et 6 septembre 2007, la banque a assigné Mlle BOUCHIBA et M. CROTTA devant le tribunal d'instance aux fins de les voir la garantir d'une éventuelle condamnation au profit de M. LEPAGE.
Par jugement du 30 novembre 2007 partiellement assorti de l'exécution provisoire, le tribunal d'instance de PARIS (14e arrondissement), ordonnant la jonction des affaires pendantes devant lui, a :
- condamné la banque à payer à M. LEPAGE :
.la somme de 7 920 euros au titre de l'engagement de caution avec intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2007,
.la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné Mlle BOUCHIBA et M. CROTTA à garantir la banque de sa condamnation principale avec intérêts au taux légal à compter du paiement effectif à M. LEPAGE de la somme de 7 920 euros,
- débouté la banque de sa demande de garantie au titre de sa condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la banque aux dépens de 'Christian LEPAGE',
- condamné la banque, Mlle BOUCHIBA et M. CROTTA à supporter les dépens respectivement exposés par eux.
M. CROTTA a interjeté appel de ce jugement en n'intimant que la banque.
Par conclusions signifiées le 20 mai 2010, M. CROTTA demande à la cour, réformant le jugement en ce qu'il l'a condamné à garantir la banque, à titre principal, de déclarer nul son engagement de caution et de débouter la banque de ses demandes, à titre subsidiaire, de dire que la banque ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement conclu par lui, et, en tout état de cause, de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 27 mai 2010, la banque demande à la cour de confirmer le jugement en ses dispositions condamnant M. CROTTA à la garantir de sa condamnation principale en paiement de la somme de 7 920 euros et de lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il ressort des mentions du jugement, que, comparant en personne devant le premier juge, M. CROTTA a invoqué la nullité de son engagement de caution sur le fondement de l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, ainsi que sa résiliation par l'effet d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 janvier 2005 ;
Que ces déclarations, qui portent sur des points de droit, ne peuvent constituer un aveu judiciaire du cautionnement au sens de l'article 1356 du code civil ;
Considérant que pour soutenir que l'acte de cautionnement qu'il a souscrit le 12 octobre 2004 est nul, M. CROTTA invoque l'article L. 341-2 du code la consommation, issu des dispositions de la loi du 1er août 2003 entrées en vigueur le 5 février 2004, et comme tel susceptible de s'appliquer au litige, selon lequel 'toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : En me portant caution de X ..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X ... n'y satisfait pas lui-même.' ;
Considérant que dans ses rapports avec M. CROTTA, caution, la banque a la qualité de créancier ; que faisant profession du crédit, elle entre dans la catégorie des créanciers professionnels au sens de l'article L. 341-2 précité ;
Que, toutefois, l'obligation cautionnée n'étant pas un prêt, les dispositions de l'article L. 341-2, qui visent à protéger la caution dans ses relations avec un prêteur, selon le terme exprès du texte, ne sont pas en l'espèce applicables ;
Considérant que c'est en vain qu'à titre subsidiaire, M. CROTTA invoque l'article L. 341-4 du code de la consommation dès lors que la mise en oeuvre de ce texte suppose que le cautionnement litigieux entre dans les prévisions de l'article L. 341-2 précité ;
Considérant que l'engagement de caution de M. CROTTA est soumis aux dispositions du code civil ;
Qu'il est constant que si M. CROTTA a signé l'acte par lequel il s'est engagé et que cet acte mentionne en chiffres et en lettres la somme garantie, cette mention n'a pas été écrite 'par (M. CROTTA) lui-même' au sens de l'article 1326 du code civil, puisque le document, dactylographié, porte l'en-tête de la banque ce qui implique que M. CROTTA ne l'a pas formellement établi ;
Que cette méconnaissance des exigences de la loi n'affecte pas la validité de l'acte mais la preuve de la portée et de l'étendue de l'engagement de M. CROTTA qui ne constitue dès lors qu'un commencement de preuve par écrit ;
Considérant que pour démontrer que M. CROTTA avait connaissance de l'existence de son engagement, la banque, sur laquelle pèse la charge de la preuve, fait valoir qu'il a paraphé chaque page de l'acte de cautionnement dont l'intitulé, ainsi que le montant et l'étendue du cautionnement, sont clairement stipulés, et que la lettre du 14 janvier (et non 14 avril) 2005 qu'il a adressée à la banque, par laquelle il demande, comme il l'a fait devant le tribunal, l'annulation de l'acte, démontre a contrario qu'il ne pouvait ignorer sa nature ni sa portée ;
Mais considérant que l'acte de cautionnement du 12 octobre 2004 est un document pré-imprimé stéréotypé dans lequel, à l'exception de la première page dans laquelle M. CROTTA est désigné comme caution, Mlle BOUCHIBA comme client cautionné et BNP PARIBAS comme banque garantie, il n'est question que de 'la banque', de 'la caution' et du 'cautionné' dans les diverses conséquences juridiques du cautionnement ;
Que si le montant du cautionnement est indiqué, il n'est nullement fait état de la nature de l'obligation garantie, le paragraphe 'obligation et montant en principal garantis' figurant en première page étant ainsi renseigné :
'7 920 euros (sept mille neuf cent vingts euros) maximum au titre d'une caution délivrée par la Banque pour le compte du cautionné au profit de M. LEPAPE (et non LEPAGE) Christian demeurant [...], aux termes d'un acte sous seing privé en date du ...........' ;
Que dans les pages suivantes, tant la description de l'opération garantie que celle de la limite du montant du cautionnement se réfèrent en termes généraux aux sommes dues 'en principal, intérêts, commissions, cotisations d'assurance s'il y a, frais et accessoires et le cas échéant des pénalités et intérêts de retard' ; que ces stipulations, qui évoquent des sommes dues en exécution d'un prêt, ne peuvent en aucun cas être interprétées comme se rapportant à des loyers ;
Qu'il n'est jamais fait état de l'obligation de Mlle BOUCHIBA, dont l'éventuelle défaillance justifie le sous-cautionnement de M. CROTTA, à savoir le paiement de loyers, charges et accessoires, la seule référence au cautionnement par la banque au profit de M. LEPAGE étant insuffisante pour informer M. CROTTA ;
Qu'en outre, la lettre du 14 janvier 2005 de M. CROTTA, qui énonce : ' Nous nous sommes rencontrés à votre agence avec Mlle BOUCHIBA afin de préparer deux dossiers de prêt. A ce jour je n'ai pas reçu copie de ces dossiers que vous deviez m'adresser afin de confirmer mon accord définitif. Je ne souhaite plus poursuivre aujourd'hui mon engagement de caution et annuler ces dossiers au reçu de cette lettre.', est ambigüe dans la mesure où M. CROTTA se réfère à des prêts alors que le cautionnement dont la banque demande la mise en oeuvre ne concerne pas un ou des prêts consentis à Mlle BOUCHIBA ;
Que dans une lettre du 7 septembre 2006, la banque évoque une réponse à la lettre du 14 janvier, en date du 4 février 2005, qu'elle ne produit pas, et demande à M. CROTTA en lui rappelant qu'il a signé 'un acte de cautionnement de loyer', de lui 'confirmer (son) engagement sur ce dossier afin de maintenir les garanties consenties à Mlle BOUCHIBA' ;
Que la banque n'explique pas pour quelles raisons, bénéficiant, selon elle, d'un cautionnement incontestable du 12 octobre 2004, elle a demandé deux ans plus tard à M. CROTTA de lui en confirmer les termes ;
Qu'il résulte de ces constatations qu'il existe un doute sérieux sur la connaissance certaine que pouvait avoir M. CROTTA de la nature de son engagement, le cautionnement d'une dette de loyers, lorsqu'il l'a signé ;
Que la banque ne rapporte pas de preuve extrinsèque à l'acte permettant de s'assurer, en l'état de ce cautionnement irrégulier en la forme, que M. CROTTA s'est engagé en connaissance de cause ;
Que la banque sera en conséquence déboutée de sa demande de garantie, le jugement étant réformé en ce sens ;
Considérant qu'il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. CROTTA dans les termes du dispositif ci-après ;
Que les dépens de première instance exposés par M. CROTTA seront supportés par la banque ;
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel ;
Infirme le jugement entrepris dans ses dispositions condamnant M. CROTTA à garantir la SA BNP PARIBAS de sa condamnation au paiement de la somme de 7 920 euros à M. LEPAGE et à supporter les dépens exposés par lui ;
Statuant à nouveau :
Déboute la SA BNP PARIBAS de sa demande de garantie dirigée contre M. CROTTA ;
Condamne la SA BNP PARIBAS à payer à M. CROTTA la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SA BNP PARIBAS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA BNP PARIBAS aux dépens de première instance exposés par M. CROTTA et aux dépens d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.