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Décisions

CA Toulouse, 18 juin 2024, n° 22/02700

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

S.A.S. EOS FRANCE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseiller :

Mme Moulayes

Avocat :

Me Sorel

Avocat :

Me Martin-Linzau - SARL HALT AVOCATS

CA Toulouse n° 22/02700

17 juin 2024

Faits et procédure

La société Coiffure du Monde a été créée en 1998, pour exploiter et franchiser un savoir-faire en matière de gestion de salons de coiffure.

Pour les besoins de cette activité elle a souscrit le 2 janvier 2013, auprès de la Société Générale, un prêt d'un montant de 1 000 000 €, remboursable sur une durée de sept ans.

Par engagement en date du 2 janvier 2013, Monsieur [L] [T] s'est porté caution solidaire de la Sa Coiffure du Monde à hauteur de 30 % des sommes dues et dans la limite de 300 000 euros.

Par jugement en date du 7 juin 2018, la Sa Coiffure du Monde a été placée en redressement judiciaire.

La Société Générale a déclaré sa créance entre les mains du mandataire désigné par le tribunal, pour un montant de 275 287,18 euros.

Un plan de redressement par continuation a été adopté par jugement du 9 décembre 2021.

La Société Générale a mis en demeure Monsieur [T] de s'acquitter de ses engagements de caution, en vain.

Une saisie conservatoire a été pratiquée par la banque le 22 avril 2021 sur les comptes de Monsieur [T] ouverts à la Banque Courtois, pour un montant de 75 353,10 euros.

Par acte du 6 mai 2021, la Sa Société Générale a fait délivrer assignation devant le tribunal de commerce de Toulouse à Monsieur [T], afin d'obtenir le paiement par la caution de 30% des sommes restant dues par le débiteur principal.

Par jugement du 29 juin 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- dit que la mention manuscrite portée sur l'engagement de cautionnement entre la Sa Société Générale et Monsieur [L] [T] n'a pas été écrite de la main de Monsieur [L] [T],

- dit que par conséquent l'acte de cautionnement conclu entre la Sa Société Générale et Monsieur [L] [T] est nul,

- débouté la Sa Société Générale de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la Sa Société Générale au paiement d'une indemnité de 800 euros à Monsieur [L] [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné la Sa Société Générale aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 18 juillet 2022, la Sa Société Générale a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.

La société Eos France est intervenue volontairement, se prévalant d'une cession de créances de la Sa Société Générale du 3 août 2022.

Par conclusions d'incident du 25 novembre 2022 Monsieur [T] a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande de communication sous astreinte de l'intégralité de l'acte de cession de créance du 3 août 2022.

Par ordonnance du 9 mars 2023 il a été fait droit à cette demande, les pièces produites par Eos France ne permettant pas à la caution d'exercer le droit au retrait litigieux de l'article 1699 du code civil.

La société Eos France a ainsi reçu injonction de produire l'intégralité de cet acte sous astreinte de 50 euros par jour, à compter d'un délai de 15 jours suivant signification de l'ordonnance, et pendant un délai de 4 mois.

La société appelante a communiqué la pièce sollicitée par RPVA le 23 mars 2023.

La clôture est intervenue le 11 mars 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience du 3 avril 2024.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions d'appelant et d'intervention volontaire notifiées le 30 août 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sas Eos France, en qualité de représentant ' recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la Sas France Titrisation, venant aux droits de la Sa Société Générale demandant, aux visas des articles 554 et 555 du code de la consommation, 2 de la directive UE 2011/83 du 25 octobre 2011, et 1103 et 1104 du code civil (1134 ancien), de :

- prendre acte de l'intervention volontaire de la Sas Eos France, en qualité de représentant ' recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la Sas France Titrisation, venant aux droits de la Sa Société Générale,

- réformer le jugement querellé en ce qu'il a :

- dit que la mention manuscrite portée sur l'engagement de cautionnement n'a pas été écrite par Monsieur [L] [T],

- dit que par conséquent l'acte de cautionnement conclu entre la Sa Société Générale et Monsieur [L] [T] est nul,

- débouté la Sa Société Générale de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la Sa Société Générale au paiement d'une indemnité de 800 euros à Monsieur [L] [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire

Statuant à nouveau,

- condamner Monsieur [L] [T] à payer à la Sas Eos France, en qualité de représentant ' recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la Sas France Titrisation, venant aux droits de la Sa Société Générale, la somme de 82 586,154 euros selon décompte arrêté au 11 mars 2021, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2018 et jusqu'à complet paiement,

- débouter Monsieur [L] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Monsieur [L] [T] à payer à la Sas Eos France, en qualité de représentant ' recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la Sas France Titrisation, venant aux droits de la Sa Société Générale, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesquels comprendront le coût de la saisie conservatoire.

Elle conteste l'application des dispositions protectrices du code de la consommation en l'espèce, dans la mesure où Monsieur [T] ne peut pas se prévaloir de la qualité de consommateur. Il est un homme d'affaire averti qui gère de nombreux salons de coiffure, et qui s'est déjà porté caution dans un autre cadre.

Il n'a jamais contesté avoir paraphé et signé l'intégralité de l'acte de cautionnement, de sorte qu'il connaissait parfaitement la portée de son engagement.

En tout état de cause, elle rappelle que ces dispositions protectrices ne permettent pas à Monsieur [T] de solliciter la nullité de son engagement de caution en cas de fraude ; or, le fait de faire volontairement rédiger un acte par un tiers pour ensuite en contester la validité constitue une telle fraude au sens de la jurisprudence récente.

Vu les conclusions d'intimé notifiées le 25 novembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [L] [T] demandant, aux visas des articles 287 du Code de Procédure Civile et L341-2 et 341-3 du Code de la Consommation en leur rédaction applicable au 2 janvier 2013, de :

- accueillir l'appel de la société Eos France, le dire recevable mais mal fondé

Si la Cour devait estimer insuffisant les éléments de comparaison d'écriture produits par Monsieur [T]:

- mettre en oeuvre la procédure de vérification d'écriture prévue par l'article 287 du Code de Procédure Civile ;

En tout état de cause

- constater que l'écriture constituant la mention manuscrite portée sur l'acte de caution invoqué par la Société Générale n'est pas de la main de Monsieur [T]

En conséquence

- confirmer en l'ensemble de ses dispositions le jugement dont appel

- condamner la société Eos France au paiement d'une indemnité de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

En l'espèce si Monsieur [T] ne conteste pas la régularité de la signature qui figure sur l'engagement de caution qui lui est opposé, il conteste en revanche être l'auteur de la mention manuscrite figurant sur cet engagement, rendant ainsi l'acte de caution et son engagement nul.

Il demande à la Cour, si les pièces de comparaison devaient apparaître insuffisantes, de procéder à une vérification d'écriture.

Il affirme que la Cour de Cassation fait application des dispositions protectrices du code de la consommation, s'agissant de la mention manuscrite, à toute personne physique, même dirigeante d'une société ; dès lors, le formalisme exigé au titre de cette mention lui était applicable.

Il ajoute ne pas avoir fait rédiger la mention manuscrite par un tiers à des fins de fraude ; il s'est limité à signer le document d'ores et déjà rempli par la banque.

MOTIFS

Sur l'intervention volontaire de la société Eos France

Il ressort des dispositions de l'article 325 du code de procédure civile que l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.

Selon l'article 554 de ce même code, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

En l'espèce, la Sas Eos France produit l'acte de cession de créance du 3 août 2022, par lequel la Société Générale lui a cédé sa créance à l'égard de Monsieur [T].

Son intervention volontaire est donc recevable.

Sur la vérification d'écriture

En application des dispositions des articles 1372 et 1373 du code civil, l'acte sous signature privée, reconnu par la partie à laquelle on l'oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi entre ceux qui l'ont souscrit et à l'égard de leurs héritiers et ayants cause.

La partie à laquelle on l'oppose peut toutefois désavouer son écriture ou sa signature.

En l'espèce, il appartient à la Cour, en application des dispositions de l'article 287 alinéa 1 du code de procédure civile, de vérifier l'écrit contesté à moins qu'elle ne puisse statuer sans en tenir compte.

Il est constant que pour ce faire, il peut être tenu compte de tout document de comparaison, et en cas de nécessité, une expertise peut être ordonnée.

En l'espèce une vérification d'écriture n'est pas nécessaire, dans la mesure où la société Eos France ne conteste pas que l'engagement de caution n'ait pas été rédigé de la main de Monsieur [T] ; en tout état de cause, l'élément de comparaison produit par Monsieur [T] est suffisant à démontrer qu'il n'est pas l'auteur de la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution.

La Cour ne procèdera donc pas à un tel examen.

Sur la validité de l'engagement de caution

Monsieur [T] conteste la validité de son engagement de caution, dans la mesure où, s'il a apposé sa signature sur le document, il n'a pas procédé à une rédaction manuscrite de son engagement, selon les formalités prescrites par le code de la consommation.

Il ressort des dispositions de l'article L341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci: "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même".

L'article 341-3 de ce même code ajoute que lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X...".

La Cour de Cassation fait une application stricte de ces textes et considère que l'engagement par acte sous seing privé d'une personne physique en qualité de caution envers un créancier professionnel est nul s'il n'est pas précédé de la mention prévue par la loi, écrite de la main de la caution.

La Cour de cassation a toutefois pu considérer que la mention manuscrite rédigée par un tiers est valable lorsque les circonstances permettent d'établir que la conscience et l'information de la caution sur son engagement sont assurées, dès lors qu'il a été procédé à cette rédaction à la demande de la caution et en sa présence.

Une autre atténuation est portée à cette rigueur jurisprudentielle, sur le fondement du principe fraus omnia corrumpit ; ainsi, lorsque c'est par fraude que la caution a fait rédiger la mention manuscrite par un tiers, afin de sciemment détourner le formalisme de protection pour faire échec à la demande en paiement, il lui est interdit de se prévaloir de ces dispositions protectrices.

La société Eos France conteste l'application des dispositions protectrices du code de la consommation à une caution dirigeante dont l'engagement est de nature commerciale, et qui n'est pas un consommateur au sens de la loi ; à tout le moins, elle estime que c'est par fraude que Monsieur [T] a fait rédiger l'engagement de caution par un tiers, pour ensuite se prévaloir de son absence de validité.

Sur l'application du code de la consommation à la caution dirigeante

La réforme opérée par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique, offre à toute caution, personne physique, dont le cocontractant est un créancier professionnel, quatre mesures protectrices : un formalisme protecteur de l'engagement, une déchéance en cas de cautionnement excessif, une information annuelle et l'accès à la procédure de surendettement.

La condition relative à la caution personne physique ne distingue pas selon sa qualité, son intérêt dans la société, la nature de la dette principale.

La société Eos France rappelle que dès lors que la caution a un intérêt patrimonial dans l'opération à l'occasion de laquelle il donne sa garantie, son cautionnement est commercial ; elle en déduit que la nature commerciale de l'engagement vient exclure l'application du code de la consommation.

Toutefois, le caractère commercial du cautionnement n'implique pas une dispense pour le créancier professionnel des formalités relatives à la mention manuscrite de l'engagement de caution.

Une jurisprudence ancienne et constante rappelle en effet que les dispositions protectrices du code de la consommation sont applicables à toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, sans que soient exclus de son champ d'application certains actes sous seing privé en raison de leur nature commerciale ou certaines personnes physiques en raison de leur fonction ou de leurs liens avec l'entreprise débitrice.

La Cour de Cassation a également statué en ce sens, rappelant que toute personne physique, qu'elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu'elle s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu'il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par les art. L. 341-2 et L. 341-3

En conséquence la société Eos France ne peut pas valablement invoquer le caractère commercial de l'engagement de Monsieur [T], pour exclure l'application des textes pré-cités.

La société Eos France se prévaut ensuite de la définition du consommateur introduite dans l'article liminaire du code de la consommation pour constater que Monsieur [T] n'est pas fondé à se prévaloir de cette qualité.

Cette définition est toutefois sans effet sur le présent litige, dans la mesure où les textes relatifs à la mention manuscrite ne visent pas les consommateurs, mais bien toute personne physique qui s'engage en qualité de caution auprès d'un créancier professionnel.

Dès lors, la Cour retient que Monsieur [T], en dépit des fonctions qu'il exerçait au sein de la société débitrice, est fondé à invoquer les dispositions du code de la consommation relatives à la mention manuscrite.

Sur la fraude invoquée

La société Eos France demande à la Cour d'appliquer l'assouplissement jurisprudentiel selon lequel la caution qui a fait rédiger par fraude son engagement par un tiers, ne peut pas se prévaloir des dispositions protectrices du code de la consommation.

Il ne peut toutefois qu'être relevé qu'aucun des éléments de la procédure ne permet d'informer la Cour sur les circonstances de la rédaction de la mention manuscrite.

La société appelante, qui soutient que Monsieur [T] a eu délibérément recours à un tiers pour rédiger l'engagement de caution, n'en rapporte pas la preuve.

Or, il ressort de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

L'article 1353 du code civil ajoute que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

En l'espèce, à défaut de rapporter la preuve de la fraude dont elle se prévaut, le moyen invoqué par la société Eos France sera écarté.

Sur l'engagement de caution

La Cour constate que l'engagement de caution signé le 2 janvier 2013 par Monsieur [T], n'a pas été rédigé de sa main, et ne respecte en conséquence pas les prescriptions des dispositions des articles L341-2 et L341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable en l'espèce.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce de Toulouse a débouté le créancier de ses demandes, en retenant que l'acte de cautionnement était nul.

La Cour confirmera cette décision.

Sur les demandes accessoires

En l'état de la confirmation sur le fond, il conviendra de confirmer également les chefs du premier jugement portant sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La Sas Eos France, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

Par ailleurs, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; les parties seront déboutées de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la Sas Eos France, en qualité de représentant - recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la Sas France Titrisation, venant aux droits de la Sa Société Générale ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la Sas Eos France et Monsieur [L] [T] de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la Sas Eos France aux entiers dépens d'appel ;

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