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Décisions

CA Versailles, 16 ch., 3 avril 2016, n° 12/06378

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SA LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES R.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Avel

Conseiller :

Mme Massuet

Conseiller :

Madame Lelievre

Avocats :

Me Jullien - AARPI INTER BARREAUX JRF AVOCATS, Me Peignard - SCP PEIGNARD DE CHANTERAC

Avocats :

Me Minault - SELARL MINAULT PATRICIA, Me Bellet - SCP THREARD BOURGEON MERESSE & ASSOCIES

CA Versailles n° 12/06378

2 avril 2016

FAITS ET PROCEDURE 

Les 24 décembre 1997, 5 Janvier 1998, 21 Juin et 19 juillet 2002, la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER (ci-après la société Yves ROCHER) a conclu avec Madame Dominique LEGROS épouse LEHMANN des contrats de gérance libre successifs d'un fonds de commerce de vente de produits de beauté, d'hygiène et de soins esthétiques, sous le nom d'institut de beauté Yves ROCHER, exploité à Chartres. Le 21 juillet 2005, Dominique LEHMANN a créé la SARL LEHMANN Dominique dont elle était l'associée majoritaire et la gérante, avec son mari, Roland LEHMANN. Un nouveau contrat de gérance libre était conclu par acte sous seing privé des 30 juin et 7 juillet 2005, pour une durée de 3 ans prenant effet au 1er juillet 2005, renouvelable tacitement à chaque échéance pour des périodes successives de 6 mois. Dominique LEHMANN et Roland LEHMANN se sont à nouveau portés cautions solidaires de la SARL LEHMANN Dominique pour la durée du contrat prenant effet au 1er juillet 2005.

Par courrier du 2 juin 2008, la société Yves ROCHER, rappelant que leurs relations contractuelles et commerciales devaient cesser au 30 juin 2008, à la suite de la dénonciation du non renouvellement du contrat de gérance du 7 juillet 2005, informait néanmoins Dominique LEHMANN prise en sa qualité de gérante de la SARL LEHMANN Dominique, qu'à compter du 1er Juillet 2008, leurs relations commerciales se poursuivraient dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, précisant que le contrat était soumis aux mêmes charges et conditions que le contrat à durée déterminée qui les liait, hormis la clause de durée.

Dominique LEHMANN et Roland LEHMANN signaient par acte sous seing privé du 1er juillet 2008 un nouvel engagement de caution solidaire de la SARL LEHMANN Dominique à hauteur chacun de 29.560 €,couvrant le principal, les intérêts et, le cas échéant, les pénalités ou intérêts de retard, ce pour la durée du contrat prenant effet au 1er juillet 2008 .

Suivant courrier en date du 10 Mars 2009, la société Yves ROCHER informait Dominique LEHMANN, de sa décision de mettre fin au contrat à durée indéterminée liant leurs deux entités, à l'issue d'un préavis de six mois, soit au 13 septembre 2009.

Par courrier du 3 Novembre 2009, la société Yves ROCHER réclamait à la SARL LEHMANN Dominique, le paiement de la somme de 91. 803,95 €, ressortant d'une situation de compte éditée à la même date.

Par jugement du 3 Mars 2010,le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL LEHMANN Dominique.

Le 29 Avril 2010, la société Yves ROCHER a déclaré sa créance au passif de la procédure collective, entre les mains du mandataire judiciaire à hauteur de la somme de 47.603,95 €.

Par courrier du 4 Mai 2010, la société Yves ROCHER a mis en demeure Roland LEHMANN, de lui payer la somme de 29. 560 € pour laquelle il s'était porté caution, augmentée des intérêts échus et des frais, soit au total la somme de 29.669,53 € puis l'a assigné aux mêmes fins, par actes d'huissier des 18 août et 6 septembre 2010, devant le tribunal de grande instance de Chartres, qui a rendu le jugement entrepris.

Statuant sur l'appel interjeté le 10 septembre 2012 par la société Yves ROCHERdu jugement rendu le 27 juin 2012 par le tribunal de grande instance de CHARTRES qui a prononcé, pour cause de dol, la nullité du cautionnement souscrit le 1er juillet 2008 par Roland LEHMANN, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à Roland LEHMANN la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, cette cour, par arrêt du 24 octobre 2013 auquel il convient de se référer a, ordonné la réouverture des débats, invité les parties à fournir toutes explications de fait et de droit sur l'application des dispositions d'ordre public de l'article L 341-2 du code de la consommation et sur l'irrégularité éventuelle de l'acte de cautionnement souscrit par Roland LEHMANN le 1er juillet 2008 au regard des exigences de ce texte relatives aux mentions manuscrites .

Vu les dernières conclusions signifiées le 3 janvier 2014 par lesquelles la société Yves Rocher poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, demande à la cour de

- juger que Roland LEHMANN s'est effectivement porté caution de la SARL LEHMANN Dominique pour la somme de 29.560,00 €,

- dire que l'article L 341-2 ( et non L 141-4 mentionné par erreur matérielle manifeste) du code de la consommation n'est pas applicable dans le cadre de la vente de marchandises et de cautions données en fonction de cette vente, l'analyse du texte conduisant à ne l'appliquer qu'à la seule opération du prêt à l'exclusion en tout cas de celles de la vente et de la fourniture de produits,

- en conséquence, condamner Roland LEHMANN à lui payer la somme de 29.560 € augmentée des intérêts de droit à compter du 4 mai 2010, date de présentation du courrier recommandé de mise en demeure,

- condamner Roland LEHMANN à lui payer la somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, celle de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 décembre 2013 par lesquelles Roland LEHMANN conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

- juger que le contrat de cautionnement souscrit est nul,

- à titre subsidiaire, dire que l' obligation est éteinte par l'effet de la confusion,

- débouter la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER de toutes ses demandes aussi irrecevables que mal fondées,

- condamner la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER à lui payer la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 4 février 2014 ;

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'en application de l'article L 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue dela loi n°2003-721 du 1er août2003, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante :

' En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ...couvrant le paiement du principal, des intérêts et , le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ...je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n' y satisfait pas lui-même' ;

Qu'il se déduit de l'exigence de la mention d'une durée du cautionnement que sont prohibés les cautionnements souscrits pour une durée indéterminée ;

Qu'il n'est pas contesté que le dernier cautionnement souscrit par Roland LEHMANN est à durée indéterminée ; qu'en effet, selon les mentions manuscrites figurant à l'acte litigieux en date du 1er juillet 2008, Roland LEHMANN s'est porté caution de la SARL LEHMANN Dominique,

' dans la limite de la somme de 29.560 € (vingt neuf mille cinq cent soixante euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée du contrat prenant effet au 1er juillet 2008" ; que le contrat de gérance libre renouvelée entre la société Yves ROCHER et la SARL LEHMANN Dominique le 2 juin 2008 à effet du 1er juillet 2008, était d'une durée indéterminée, de sorte que le cautionnement litigieux l'est aussi ;

Considérant cependant que pour écarter le moyen de nullité tiré du texte précédemment énoncé, soulevé d'office par la cour et que Roland LEHMANN reprend à son compte, la société Yves ROCHER fait valoir que ce texte n'est pas applicable à l'espèce en ce qu'il ne concernerait que le cautionnement d'obligations souscrites dans le cadre d'un prêt ; que cette interprétation résulterait de la formule littérale devant être reprise par la caution de manière manuscrite à peine de nullité selon laquelle notamment, celle-ci doit préciser qu'elle 's'engage à rembourser au prêteur ...';

Qu'elle fait valoir qu'en l'occurence elle n'a pas agi en tant que prêteur de la SARL LEHMANN Dominique mais comme fournisseur et que les sommes que lui doit cette dernière correspondent au prix de vente des marchandises et produits fournis, de sorte que l'engagement pris par Roland LEHMANN est un engagement spécifique, et qu' il ne pourrait se voir frapper de nullité, la loi étant d'interprétation stricte ;

Mais considérant que le texte s'applique à tout engagement de caution contracté par une personne physique envers un créancier professionnel, lequel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles même si celle-ci n'est pas la principale ( cass civ.1ère 9 juillet 2009) ;

Qu'en l'espèce, le cautionnement litigieux était la contrepartie du financement de l'achat des produits de la société Yves ROCHER, que commercialisait la SARL LEHMANN Dominique ou dont avait l'usage dans le cadre des soins esthétiques prodigués à sa clientèle ; qu'il en résulte que la créance litigieuse est née dans l'exercice de la profession de la société créancière Yves ROCHER, seul critère d'application du texte précité, au cautionnement souscrit par la personne physique ( cass com 10 janvier2012) ;

Que par conséquent, l'engagement de caution souscrit le 1er juillet 2008 par Roland LEHMANN doit être annulé en raison de sa durée indéterminée, par application de l'article L 341-2 du code de la consommation ;

Que la société Yves ROCHER sera donc déboutée de sa demande en paiement fondée sur l'acte de caution annulé ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ; que le jugement entrepris est ainsi confirmé sur ce point, mais pour d'autres motifs ;

Considérant que le fait d'agir en justice constitue en principe un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, ou à tout le moins, de légèreté blâmable ; que tel n'étant pas le cas en l'espèce, la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Roland LEHMANN ne peut être accueillie ;

Considérant que le tribunal a exactement statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que la société YVES ROCHER, qui succombe en son recours, sera condamnée aux dépens d'appel ; que l'équité commande d'allouer à Roland LEHMANN la somme de 3.000 € au titre des frais non compris dans les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER à payer à Roland LEHMANN la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne la société LABORATOIRES DE BIOLOGIE VEGETALE YVES ROCHER aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévuesau deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur AVEL, Président et par Madame RUIZ DE CONEJO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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