CA Amiens, ch. économique, 20 février 2024, n° 22/04003
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
S.C.I. TIIFETOINE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grevin
Conseiller :
Mme Leroy-Richard
Conseiller :
Mme Dubaele
Avocat :
Me Lopes et Me Ehora - SELARL S.FOUQUES,H.CABOCHE-FOUQUES ET A.EHORA
Avocat :
Me Benitah et Me Treguier - SELARL DORE-TANY-BENITAH
Par acte du 20 mai 2015, la SCI Tifetoine a consenti à la SAS Les Halles du frais un bail commercial portant sur des locaux situés à Longueau (80330) en contre partie du paiement d' un loyer annuel de 60 000 € ttc pour une durée de 9 ans du 27 mars 2015 au 26 mars 2024.
Dans le même acte, Mme [R] [F] s'est portée caution personnelle et solidaire de la SAS Les Halles du frais, pour garantir le paiement des loyers et des charges, frais et taxe pendant sa durée.
Un important contentieux s'est élevé entre le bailleur le preneur et la caution.
La SAS Les Halles du frais a quitté les lieux le 27 avril 2018.
Suivant jugement du 5 octobre 2018, la SAS La Halle du frais a été placée en liquidation judiciaire, la SELARL [Y] étant désignée en qualité de liquidateur.
Par exploit d'huissier du 25 avril 2019, la SCI Tifetoine a fait assigner maître [Y] en qualité de liquidateur de la SAS Les Halles du frais, et Mme [F] devant le tribunal de grande instance d'Amiens, lequel, suivant jugement réputé contradictoire du 13 novembre 2019, a :
- condamné Mme [F] à payer à la SCI Tifetoine et fixé au passif de la procédure collective de la SAS Les Halles du frais la somme de 5 498,60 € correspondant au loyer d'avril 2018 au prorata des 27 jours occupés et à la taxe foncière exigible au prorata et mise à la charge de la SAS Les Halles du frais à titre de provision par l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2018 ;
- condamné Mme [F] à payer à la SCI Tifetoine et fixé au passif de la procédure collective de la SAS Les Halles du frais la somme de 33 946 € correspondant au loyer des mois d'octobre, de novembre et de décembre 2017, ainsi que de janvier, de février et de mars 2018 et à la taxe foncière exigible et mise à la charge de la SAS Les Halles du frais à titre de provision par l'ordonnance du juge de la mise en état du 16 mai 2018 ;
- condamné Mme [F] à payer à la SCI Tifetoine et fixé au passif de la procédure collective de la SAS Les Halles du frais la somme de 18 124 € correspondant au loyer des mois d'avril, de mai et de juin 2017, ainsi qu'à la taxe foncière 2016 ;
- condamné Mme [F] à payer à la SCI Tifetoine et fixé au passif de la procédure collective de la SAS Les Halles du frais la somme de 24 550,75 € TTC à titre de dommages et intérêts pour les travaux de remise en état liés aux travaux effectués sans autorisation et aux dégradations locatives ;
- condamné Mme [F] à payer à la SCI Tifetoine la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Me [Y], ès qualités de liquidateur de la SAS Les Halles du frais, aux dépens, dont le coût du procès-verbal d'huissier du 28 mars 2017 et tout acte prévu par l'article 695 du code de procédure civile et qui pourront être recouvrés directement par Me Treguier, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- rejeté toute plus ample demande.
Mme [F] qui n'avait pas constitué avocat en première instance a relevé appel (n° RG 19/08610) de cette décision par déclaration du 23 décembre 2019.
Suivant ordonnance du 22 juillet 2020, Mme la Première présidente de la cour d'appel d'Amiens a débouté l'appelante de sa demande tendant à mettre fin à l'exécution provisoire du jugement entrepris.
Suivant ordonnance du 5 novembre 2020, le conseiller de la mise en état, saisi sur demande de la SCI Tifetoine, a prononcé la radiation de l'affaire (n° RG 19/08610) à défaut d'exécution provisoire de la décision de première instance par Mme [F].
Par ordonnance du 7 avril 2022 le conseiller de la mise en état a donné acte à Mme [R] [F] qu'elle ne prétend plus à la réinscription de l'affaire et l'a condamnée à supporter les dépens de l'incident.
Par nouvelle ordonnance du 9 février 2023 le conseiller de la mise en état a autorisé la réinscription de l'affaire au rôle de la cour, débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens suivront ceux de l'instance principale.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 31 août 2021, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, Mme [R] [F] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement solidaire souscrit par elle au bénéfice de la SCI Tifetoine et subsidiairement de le déclarer manifestement disproportionné.
En tout état de cause elle demande de débouter la SCI Tifetoine de ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions remises par voie électronique le 2 mai 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la SCI Tifetoine demande à la conr de confirmer le jugement dont appel et de condamner Mme [F] à lui payer la somme de 7 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
SUR CE :
Mme [F] prétend au visa des articles L.341- 2 et 3 à la nullité de l'engagement de caution fondant l'action dirigée contre elle par le bailleur à défaut pour cet engagement d'être conforme aux prescriptions de ces textes à savoir que sa signature n'est pas précédée d'une mention manuscrite, que les formules ne sont pas reproduites et qu'il ne comporte aucune limite de montant.
La SCI s'oppose à cette demande au motif qu'elle n'a pas la qualité de créancier professionnel, qu'elle n'a pas plus la qualité de prêteur.
Elle affirme que Mme [F] mesurait l'étendue de son engagement et qu'elle n'a jamais contesté s'être portée caution de la société les Halles du frais dans le cadre de d'autres instances.
Aux termes de l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 applicable à l'espèce, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. »
Au sens de ce texte, le créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale.
L'article L.341- 3 exige la mention manuscrite de l'article L.341-2 à peine de nullité.
En l'espèce la SCI Tifetoine au capital de 45 000 € dont le siège est à Mont-Saint Aignan est immatriculée au RCS de Rouen et identifiée sous le n° de SIREN 440 658 953, elle a pour activité la location de biens immobiliers.
L 'engagement de caution a été donné dans le cadre d'un bail commercial conclu entre la SCI Tifetoine et la SAS 'Les Halles du frais' portant sur un magasin, plusieurs bureaux et des sanitaires pour une surface de 400 m2 avec parking attenant, de sorte que cet engagement est en rapport direct avec son activité et que la créance de loyer est née de la réalisation de son objet social à savoir la location de biens immobiliers.
La SCI Tifetoine a donc la qualité de créancier professionnel.
En se portant caution Mme [F] personne physique s'est engagée à l'égard d'un créancier professionnel de sorte que son engagement devait répondre aux exigences de forme de l'article L.341- 2 du code de la consommation.
La SCI Tifetoine en affirmant ne pas être soumise à l'exigence du formalisme de l'article L.341-2 reconnaît ne pas avoir faire souscrire à Mme [F] un engagement conforme à ce texte, ce qui résulte d'ailleurs de l'engagement qui ne comporte pas la mention manuscrite exigée.
En conséquence il convient de prononcer la nullité de l'engagement de caution du 20 mai 2015.
L'engagement de caution étant nul le jugement dont appel est infirmé en ce qu'il a condamné Mme [R] [F] en exécution de cet engagement au paiement de différentes sommes.
L'engagement étant nul il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen opposé tiré de la disproportion.
La SCI Tifetoine qui succombe supporte les dépens de première instance et d'appel et est condamnée à payer à Mme [R] [F] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions prononcées à l'endroit de Mme [R] [F]
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :
Prononce la nullité de l'engagement de caution de Mme [R] [F] en date du 20 mai 2015
Déboute la SCI Tifetoine de ses demandes dirigées contre Mme [R] [F] en exécution de cet engagement ;
Condamne la SCI Tifetoine à supporter les dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [R] [F] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.