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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 11, 27 octobre 2025, n° 25/05863

PARIS

Ordonnance

Autre

CA Paris n° 25/05863

27 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile

ORDONNANCE DU 27 OCTOBRE 2025

(1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/05863 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CME44

Décision déférée : ordonnance rendue le 24 octobre 2025, à 13h30, par le Magistrat du siège du tribunal judiciaire de Evry

Nous, Marie-sygne Bunot-rouillard, conseillère à la cour d'appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Camille Besson, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANT :

M. [Y] [P]

né le 30 juin 2001 à [Localité 1], de nationalité marocaine

RETENU au centre de rétention : [Localité 3]

assisté de Me Laure Barbé, avocat de permanence au barreau de Paris

INTIMÉ :

LE PREFET DE L'ESSSONNE

représenté par Me Isabelle Zerad du cabinet Tomasi, présent en salle d'audience au centre de rétention administrative du [2], plaidant par visioconférence

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l'heure de l'audience

ORDONNANCE :

- contradictoire

- prononcée en audience publique

- Vu l'ordonnance du 24 octobre 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Evry ordonnant la jonction de la procédure introduite par la préfète de l'Essonne enregistrée sous le N° 25/00703 et celle introduite par l'intéressé enregistrée sous le N° 25/00705

- sur la régularité de la décision de placement en rétention : déclarant recevable la requête de l'intéressé, déclarant la décision prononcée à son encontre régulière et ordonnant en conséquence son maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;

- sur la prolongation de la mesure de rétention : déclarant la requête en prolongation de rétention administrative recevable la procédure diligentée à l'encontre de l'intéressé régulière, ordonnant la prolongation de la rétention de l'intéressé pour une durée de vingt-six jours à compter du 25 octobre 2025 dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et lui rappelant son obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 554-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- Vu l'appel motivé interjeté le 25 octobre 2025, à 15h14, par M. [Y] [P] ;

- Vu les conclusions reçues par couriel en date du 27 octobre 2025 à 11h54 par le conseil de M. [Y] [P] ;

- Après avoir entendu les observations :

- de M. [Y] [P], assisté de son avocat, qui demande l'infirmation de l'ordonnance ;

- du conseil du préfet de l'Essonne tendant à la confirmation de l'ordonnance ;

SUR QUOI,

A titre liminaire, il sera rappelé que, comme soulevé par le conseil du préfet, les moyens invoqués tenant aux irrégularités affectant toute la procédure préalable (garde à vue, retenue, par exemple) à la rétention sont des exceptions de procédure qui ne peuvent être soulevées qu'avant toute défense au fond à peine d'irrecevabilité et ne peuvent dès lors pas être soulevés pour la première fois en cause d'appel et ce, en application de l'article 74 alinéa 1er du Code de procédure civile. Toutefois, aucun moyen n'a ici été soulevé à ce titre, s'agissant de foins de non-recevoir.

Par contre, si les moyens de l'acte d'appel peuvent être complétés par de nouveaux moyens dans le délai de recours de 24 heures (Civ 1, 20 mars 2013, 12-17.093), et ce, en application de l'article R.743-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en sorte qu'il ne sera répondu qu'aux moyens développés par l'acte d'appel.

Sur l'irrecevabilité de la requête en prolongation de la rétention faute de communication d'une copie actualisée du registre :

L'article L 744-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Il est tenu, dans tous les lieux de rétention, un registre mentionnant l'état civil des personnes retenues, ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien en rétention. Le registre mentionne également l'état civil des enfants mineurs accompagnant ces personnes ainsi que les conditions de leur accueil. L'autorité administrative tient à la disposition des personnes qui en font la demande les éléments d'information concernant les date et heure du début du placement de chaque étranger en rétention, le lieu exact de celle-ci ainsi que les date et heure des décisions de prolongation ".

L'article R. 743-2 du même Code prévoit que : " A peine d'irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l'étranger ou son représentant ou par l'autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention. Lorsque la requête est formée par l'autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l'article L. 744-2. Lorsque la requête est formée par l'étranger ou son représentant, la décision attaquée est produite par l'administration. Il en est de même, sur la demande du juge (...), de la copie du registre ".

Il résulte de la lecture combinée de ces textes avec celles de l'article L.743-9 que le juge s'assure, lors de l'examen de chaque demande de prolongation d'une mesure de rétention, que, depuis la précédente présentation, la personne retenue a été placée en mesure de faire valoir ses droits, notamment d'après les mentions de ce registre prévu par l'article L.744-2, qui doit être émargé par l'intéressé, et que toute requête en prolongation de la rétention administrative d'un étranger doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée d'une copie de ce registre.

Il s'en déduit que le registre doit être actualisé et émargé et que la non-production d'une copie actualisée, permettant un contrôle de l'effectivité de l'exercice des droits reconnus à l'étranger au cours de la mesure de rétention, constitue une fin de non-recevoir pouvant être accueillie sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief (Civ.1ère - 4 septembre 2024, n°23-12.550).

Il ne peut être suppléé à son absence par leur seule communication à l'audience, sauf s'il est justifié de l'impossibilité de la joindre à la requête (1re Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-19.352).

Par ailleurs, un registre actualisé doit s'entendre comme étant un document retraçant l'intégralité de l'historique de la mesure de rétention, depuis l'entrée, communiqué à chaque nouvelle saisine du juge et permettant, au surplus, à toute personne pouvant y avoir accès de visualiser immédiatement les différents événements.

La production d'une copie actualisée du registre a pour but de permettre au juge de contrôler l'effectivité de l'exercice des droits reconnus au retenu au cours de la mesure de rétention et pour fondement la volonté de pallier la difficulté, voire l'impossibilité, pour la personne retenue de rapporter la double preuve, d'une part, de la réalité d'une demande portant sur l'exercice de l'un des droits lui étant reconnus et, d'autre part, du refus opposé à cette demande, qui constitue un fait négatif. L'exigence d'actualisation au titre des mesures privatives ne concerne toutefois pas exclusivement le juge mais aussi la garantie apportée à l'intéressé d'un contrôle extérieur effectif et immédiat de sa privation de liberté, confié à diverses instances extérieures à l'autorité judiciaire.

Enfin, en ce domaine, il appartient au juge de vérifier, in concreto et dans chaque espèce, qu'il dispose des informations utiles au contrôle qu'il doit exercer sans imposer, pour autant, un formalisme excessif à l'administration.

S'il appartient à celui qui se prévaut d'une mention manquante sur la copie du registre jointe à la requête de préciser quelle est cette mention afin de permettre le contrôle prévu par les textes, l'indication en a été fournie in fine, complétant le moyen, s'agissant des heures de départ et de retour de l'intéressé au centre de rétention, placé en garde à vue concomitamment à son arrivée.

S'agissant des informations devant être contenues dans le registre, il n'existe aucune liste ni dans la partie législative ni dans la partie réglementaire du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En revanche, il doit être rappelé que l'arrêté du 6 mars 2018 portant autorisation du registre de rétention prévu à l'article L. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " logiciel de gestion individualisée des centres de rétention administrative " (LOGICRA) en son article 2 dispose que :

" Le registre et le traitement mentionnés à l'article 1er enregistrent des données à caractère personnel et informations, figurant en annexe du présent arrêté, et relatives :

- à l'étranger placé en rétention administrative et, le cas échéant, aux enfants mineurs l'accompagnant;

- à la procédure administrative de placement en rétention administrative ;

- aux procédures juridictionnelles mises en 'uvre au cours de la rétention ;

- à la fin de la rétention et à l'éloignement. "

et qu'il est accompagnée d'une annexe, laquelle ne mentionne à aucun moment que les heures auxquelles l'intéressé a quitté le centre de rétention et y est revenu alors qu'il était, par exemple, placé en garde à vue doivent y figurer.

Il y a donc lieu de considérer que la requête est accompagnée de la copie du registre actualisé, que la requête du préfet est recevable et, par suite, que le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen pris de l'insuffisance de diligences de l'administration aux fins d'éloignement :

Il résulte de la combinaison des articles L. 741-3 et L.742-4 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ici applicables qu'en première prolongation, la personne retenue ne peut le rester que le " temps strictement nécessaire " et " lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ".

Il n'en résulte à ce stade aucune obligation pour l'administration d'un " bref délai " pour cette obtention.

Les premières diligences destinées à permettre l'exécution de la mesure d'éloignement - sans qu'il y ait lieu à distinguer là où la loi ne distingue pas au regard d'une complexité avérée ou non, dont la démonstration demeure incertaine au cas par cas - doivent être appréciées in concreto (1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-23.458) et intervenir au plus tard le lendemain du placement en rétention (1re Civ., 23 sept. 2015, pourvoi n° 14-25.064, 1re Civ., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-29.105).

En l'espèce et suite à la levée d'écrou intervenue le 21 octobre 2025 à 10 heures 32, M. [Y] [P] a reçu notification de son placement en rétention le même jour à 10 heures 40, étant précisé qu'à son arrivée au centre de rétention, il a été immédiatement placé en garde à vue puis fait l'objet d'une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité, en sorte que son placement effectif n'est intervenu que le 22 octobre 2025 à 21 heures

Dans ce cadre, le préfet a saisi par courriel du 23 octobre 2025 à 10 heures 06 les autorités consulaires algériennes au motif que " lors de sa précédente incarcération en 2023 le consulat du Maroc ne l'a pas identifié comme ressortissant marocain. Aussi, il se pourrait que Monsieur [P] soit de nationalité algérienne ".

Pour autant, M. [Y] [P] a, de manière constante, déclaré être un ressortissant marocain, les condamnations pénales au dossier sont toujours intervenues en mentionnant cette nationalité et l'arrêté fixant le pays de retour du 18 octobre 2025 n'indique pas une autre nationalité - sous la réserve d'usage d'une reconduite vers tout autre pays que le Maroc donc lequel il est légalement admissible. Il n'est pas davantage fait état au dossier d'un alias avec un lieu de naissance ailleurs qu'au Maroc. Le 1er août 2025, les autorités consulaires marocaines ont indiqué au préfet qu'" aucune concordance (n'avait) pu être déterminée à son égard ". Cette réponse ne signifie pas que l'identité fournie par M. [Y] [P] - et dès lors sa nationalité - doit être exclue mais seulement qu'elle n'a pu être retrouvée.

Surtout, de tels éléments ne permettent pas d'en conclure que M. [Y] [P] serait pour autant ressortissant d'un autre pays frontalier avec celui qu'il déclare alors même qu'il n'existe aucun élément permettant, fût- ce a minima, de l'y rattacher - ce dont la tournure du courriel du 23 octobre 2025 tend à convenir d'ailleurs.

Il en résulte que depuis le placement en rétention de M. [Y] [P], le préfet ne justifie pas de diligences destinées à permettre l'exécution de la mesure d'éloignement, en sorte que la requête ne peut qu'être rejetée et la décision du premier juge infirmée, sans examen plus ample des autres moyens soulevés tenant notamment à la contestation de l'arrêté de placement en rétention.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l'ordonnance ;

Statuant à nouveau,

REJETONS la requête du préfet ;

DISONS n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [Y] [P] ;

ORDONNONS la remise en liberté immédiate de M. [Y] [P] ;

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d'une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 27 octobre 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :

Pour information : L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L'intéressé L'avocat de l'intéressé

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