CA Douai, 8e ch. sect. 1, 25 mars 2021, n° 18/06371
DOUAI
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duperrier
Conseiller :
Mme Mimiague
Conseiller :
Mme Menegaire
Avocats :
Me Franchi, Me Riglaire
Avocat :
Me Mereau
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 4 juin 2012, M. Abdellah B. a constitué la société Boz, exploitant un fonds de commerce de restaurant, et, le 1er août 2016, il a, avec ses associés, cédé ses parts par acte sous seing privé à Mme Saïda A., son époux, M. Mohamed A., et Mme Imen A.. Par acte du 23 octobre 2016 la société Boz s'est engagée à régler à M. B. au titre de son compte courant d'associé la somme de 34 771 euros en trente-quatre mensualités de 1 000 euros d'octobre 2016 à juin 2019, la dernière mensualité pour un montant de 771 euros remboursable au mois de septembre 2019.
Se prévalant d'engagements souscrits par Mme A. et M. A. le même jour en qualité de caution des engagements de la société Boz, M. B. a, par assignation du 28 mars 2018, saisi le tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir condamner solidairement Mme A. et M. A. au paiement de la somme de 34 771 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2016, la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et la somme de 3 000 euros d'indemnité procédurale.
Les défendeurs n'ont pas comparu et, par jugement réputé contradictoire du 16 octobre 2018, le tribunal a :
- condamné Mme A. et M. A. solidairement à payer à M. B. la somme de 25 000 euros correspondant aux mensualités d'octobre 2016 à octobre 2018 (incluse) au titre de leur engagement de caution avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2016,
- rejeté le surplus de la demande relative aux mensualités de novembre 2018 à septembre 2019,
- rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- condamné Mme A. et M. A. à payer chacun la somme de 800 euros à M. B. au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 23 novembre 2018, M. A. et Mme A. ont relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement à l'exception des dispositions relatives à la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Par ordonnance du 25 mars 2019, le premier président de la cour d'appel a cette cour :
- débouté Mme A. et M. A. de leur demande d'arrêt d'exécution provisoire,
- ordonné la consignation de la somme de 25 000 euros sur un compte séquestre ouvert près de la CARPA,
- dit que la consignation prendra la forme d'un versement mensuel de la somme de 300 euros qui devra être réglée tous les 10 de chaque mois, la première échéance devant intervenir dans le mois suivant le prononcé de la décision et jusqu'à règlement complet et qu'à défaut de versement d'une échéance l'exécution provisoire reprendra ses pleins et entiers effets,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme A. et M. A. aux dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 août 2019, Mme A. et M. A. demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de la disposition rejetant la demande de dommages-intérêts, et, statuant à nouveau :
- à titre principal :
- débouter M. B. de l'ensemble de ses demandes, à titre principal, en jugeant nul l'acte de cautionnement, subsidiairement, en le jugeant inopposable, et en tout état de cause, en constatant que les conditions d'actionnement de la caution ne sont pas réunies,
- leur attribuer les sommes actuellement consignées auprès de la CARPA au titre de l'exécution provisoire de la décision de première instance,
- condamner M. B. à rembourser les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire de la décision de première instance,
- à titre subsidiaire : dire et juger qu'au titre de l'absence d'information annuelle des cautions M. B. se trouve déchu du droit aux pénalités et intérêts de retard,
- en tout état de cause : condamner M. B. à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec droit pour la SCP D. F. de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 avril 2020, M. B. demande à la cour de :
- 'confirmer le jugement et sur appel incident, infirmer le jugement pour le surplus',
- statuant à nouveau :
- condamner solidairement Mme A. et M. A. à lui payer à la somme de 9 771 euros correspondant aux mensualités de novembre 2018 à septembre 2019 avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2016, comme initialement prévu par le contrat du 23 octobre 2016,
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive au titre de l'article 1231-6 du code civil,
- les débouter de l'ensemble de leurs demandes,
- en tout état de cause : condamner chacun d'eux à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 décembre 2020 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 26 janvier 2021.
MOTIFS
Sur la nullité du cautionnement
Les appelants concluent à la nullité du jugement en application des articles L. 341-2 et 341-3, devenus L. 331-1 et L. 331-2, du code de la consommation, qui s'appliquent dès lors que l'acte de cautionnement y fait expressément référence et, en tout état de cause, dès lors que la créance de M. B. est née d'un acte de remboursement du compte courant d'associé et qu'il est en conséquence créancier professionnel.
Selon l'article L. 331-1 du code de la consommation toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :
'En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même.'
L'article L. 331-2 du même code dispose que lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante :
'En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X'.
Il ressort des pièces versées aux débats que Mme A. et M. A. ont signé un document intitulé 'caution solidaire et indivisible à première demande' aux termes duquel ils déclarent se 'porter caution solidaire du créancier principal au profit de M. Abdellah B. (...) au titre de la créance qu'il détient contre la SARL Boz (...) et renoncer au bénéfice de discussion et de division pour le paiement de la somme de 34 771 (trente quatre mille sept cent soixante et onze euros) avec les charges, accessoires et intérêts sans oublier éventuellement les pénalités et intérêts de retard, parfaitement déterminés au contrat principal' et reconnaissent avoir reçu un exemplaire du contrat principal, et ce pendant une durée de '2 ans et 11 mois jusqu'en septembre 2019'.
Par ailleurs il est mentionné dans l'acte 'nous confirmons la connaissance que j'ai de la nature et de l'étendue de mes obligations en recopiant de ma main la mention ci-après, conformément aux articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation' et chacune des cautions a recopié ladite mention de cette façon :
'En me portant caution de Monsieur B., dans la limite de la somme de 34 771 euros (trente quatre mille sept cent soixante et onze euros) couvrant le paiement du principal des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de deux ans et 11 mois je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la société Boz n'y satisfait pas elle même. En renonçant au bénéficie de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec la SARL Boz je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la SARL Boz'.
Selon l'article liminaire du code de la consommation, pour l'application de celui-ci l'on entend par professionnel, toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel.
La créance cautionnée est le solde du compte courant d'associé de M. B. lequel correspond à une avance de fonds consentie par l'associé et s'analyse en un prêt au profit de la société Boz et dans le cadre duquel l'associé a la qualité de prêteur qui ne se confond pas avec celle d'associé ; or aucun élément ne permet de considérer que M. B. aurait agit dans le cadre de l'exercice de sa profession en concédant une avance de fonds à la société Boz. Il ne saurait dès lors être qualifié de créancier professionnel au sens de l'article L. 331-1 du code de la consommation.
Par ailleurs la référence aux articles du code de la consommation, en vue seulement de permettre à la caution de confirmer la compréhension de son engagement, ne suffit pas à établir que les parties auraient eu la volonté de conditionner la régularité de l'engagement à la reproduction de ces mentions et de se soumettre à la sanction prévue à cet article L. 341-2.
Dès lors, le moyen tiré de la nullité de l'engagement à raison d'une erreur dans la mention manuscrite ne saurait prospérer.
Sur la portée de l'engagement
Mme A. et M. A. font valoir qu'aux termes de l'acte litigieux ils se sont engagés en tant que caution de M. B. et non de la société Boz dans la mesure où ils ont manuscritement indiqué 'en me portant caution de M. B.' .
Néanmoins, les autres mentions de l'acte font clairement état d'un cautionnement des engagements de la société Boz à l'égard de M. B., de même que les autres énonciations du texte recopié par les cautions ('je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la société Boz n'y satisfait pas elle-même', 'en m'obligeant solidairement avec la SARL Boz'), et rien ne permet d'interpréter l'acte comme prévoyant le cautionnement d'un engagement de M. B. dont l'on ignore à quoi il pourrait correspondre. Comme l'a estimé le premier juge c'est de manière claire que l'acte identifie M. B. comme créancier et la société Boz comme débiteur principal.
De plus, l'acte litigieux ayant été signé le même jour que l'acte aux termes duquel la société Boz s'engage à rembourser à M. B. les sommes figurant sur son compte courant d'associé, et alors qu'il est mentionné dans l'acte de cautionnement que les parties reconnaissent avoir reçu un exemplaire du contrat principal 'porté en annexe', les cautions n'ont pu se méprendre sur la portée de leur engagement.
Sur le caractère disproportionné du cautionnement
Les appelants concluent à l'inopposabilité de l'acte de cautionnement en application de l'article L. 332-1 du code de la consommation qui dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Dans la mesure où M. B. ne peut être considéré comme un créancier professionnel au sens du code de la consommation, ces dispositions ne trouvent pas à s'appliquer et ce moyen sera en conséquence écarté.
Sur la créance de M. B.
Mme A. et M. A. font valoir que 'les conditions d'actionnement' de la caution, à savoir un engagement de la société Boz à l'encontre du créancier et la défaillance de celle-ci dans l'exécution de son engagement, ne sont pas réunies. Ils soutiennent en outre que M. B. doit être déchu des intérêts et pénalités de retard en l'absence d'information annuelle de la caution en application de l'article L. 333-1 du code de la consommation.
M. B. justifie du principe de sa créance en communiquant les pièces suivantes :
- l'acte signé avec la société Boz le 23 octobre 2016,
- le cautionnement signé par les appelants,
- une mise en demeure de payer adressée à la société Boz, d'une part, et à Mme A. et M. A., d'autre part, par lettres recommandées avec avis de réception signés le 14 décembre 2016.
Les dispositions de l'article L. 333-1 invoquées par les appelants imposent une obligation d'information au 'créancier professionnel' et ne sont donc pas applicables en l'espèce.
Le premier juge, constatant que l'engagement signé par la société Boz ne prévoyait aucune clause de déchéance du terme, a condamné les cautions au paiement des échéances échues jusqu'au mois d'octobre 2018, soit la somme 25 000 euros.
La dernière échéance étant exigible au mois de septembre 2019, M. B. est en droit aujourd'hui de réclamer également les échéances échues depuis le mois de novembre 2018, soit la somme totale de 9 771 euros.
Mme A. et M. A. ne communiquent aucun élément tendant à établir que la créance aurait été réglée par eux ou par la Société Boz et il leur appartenait de la mettre en cause s'ils estimaient qu'elle était en mesure d'en justifier.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme A. et M. A. au paiement de la somme de 25 000 euros, et, en l'infirmant en ce qu'il a rejeté la demande au titre des mensualités de novembre 2018 à septembre 2019, de les condamner au paiement de la somme de 9 771 euros à ce titre, et compte tenu des dates d'exigibilité des échéances et des dates de conclusions valant mise en demeure, les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2019 sur la somme de 7 000 euros et à compter du 6 avril 2020 sur la somme de 2771 euros.
Compte tenu de la confirmation prononcée il convient de rejeter la demande des appelants tendant à l'attribution à leur profit des sommes consignées à la CARPA et au remboursement des sommes versées à M. B. au titre de l'exécution provisoire.
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
M. B. se borne à indiquer qu'il subit un préjudice à raison de l'attitude des cautions qui tentent d'empêcher l'application du cautionnement, mais, pas plus que devant le premier juge, il ne vient justifier d'un préjudice de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les demandes accessoires
Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, Mme A. et M. A. seront condamnés aux dépens d'appel et à payer à l'intimé la somme de 500 euros chacun, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande relative aux mensualités de novembre 2018 à septembre 2019 ;
Statuant à nouveau sur le chef infirmé :
Condamne solidairement Mme Saïda A. et M. Mohamed A. à payer à M. Abdellah B. la somme de 9 771 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2019 sur la somme de 7 000 euros et à compter du 6 avril 2020 sur la somme de 2 771 euros ;
Y ajoutant :
Déboute Mme Saïda A. et M. Mohamed A. de leur demande d'attribution à leur profit des sommes consignées à la CARPA en vertu de l'ordonnance du premier président de la cour du 25 mars 2019 et de leur demande de remboursement des sommes versées à M. Abdellah B. en exécution du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 16 octobre 2018 ;
Condamne in solidum Mme Saïda A. et M. Mohamed A. aux dépens d'appel ;
Condamne Mme Saïda A. à payer à M. Abdellah B. la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. Mohamed A. à payer à M. Abdellah B. la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.