CA Rennes, 3e ch. com., 4 avril 2017, n° 15/02645
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN, CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL, SOCIÉTÉ COOPERATIVE A
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseiller :
Mme Andre
Avocat :
Me Lehuede - SELARL LEHUEDE - GUENNO LE PARC - CHEVALIER
Avocat :
Me Poey Lafrance
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Guigours a souscrit auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Morbihan (Crédit agricole) un prêt n° 00037589366 d'un montant de 232.000 € au taux de 4,20% par an, remboursable en 83 mensualités de 3.192,57 € et une de 3.192,21 € . M. Bruno G. et Mme Anne Marie B. épouse G. se sont portés chacun caution solidaire de ce prêt dans la limite de 301.600 € et pour une durée de 108 mois.
Le Crédit agricole a ensuite consenti à la société G. une ouverture de crédit n°00041476402 d'un montant de 15.000 € au taux annuel variable de 6,90 %. Par acte du 8 juin 2011, M. G. s'est porté caution solidaire de cet engagement dans la limite de 19.500 € pour une durée de 120 mois.
La SARL Guigours a été placée en redressement judiciaire le 7 novembre 2012 et le Crédit agricole a déclaré sa créance.
Par lettres du 8 janvier 2013, le Crédit agricole précisait aux cautions que le prêt n° 00037589366 était à jour, mais qu'elles restaient tenues des échéances futures.
Selon ordonnance du juge de l'exécution du 12 avril 2013, le Crédit agricole était autorisé à inscrire une hypothèque provisoire sur les droits des époux G. dans un appartement.
Le 30 mai 2013, un plan conventionnel de redressement approuvé par la commission de surendettement des particuliers du Morbihan, saisie par les époux G., a octroyé à ces derniers un moratoire de 24 mois pour le règlement de leurs dettes.
Suivant jugement du 20 novembre 2013, le tribunal de commerce de Vannes a adopté un plan de redressement au profit de la société G. d'une durée de 9 ans et le 2 avril 2014 la procédure de redressement judiciaire a été clôturée.
Saisi par l'assignation délivrée par le Crédit agricole le 29 avril 2013, le tribunal de commerce de Vannes a, par jugement du 13 mars 2015 :
- décerné acte aux époux G. de l'abandon de leur demande de sursis à statuer,
- débouté le Crédit agricole de ses demandes en paiement,
- condamné le Crédit agricole aux dépens et au paiement de la somme de 1.000 € à chacun des époux G..
La banque a relevé appel de cette décision, demandant à la cour de :
- surseoir à statuer dans l'attente de la réalisation par les époux G. de deux immeubles dans le cadre des mesures édictées par la commission de surendettement,
- subsidiairement, condamner, au titre du prêt, M. et Mme G. à payer, chacun, les sommes de :
- 123.456,06 € outre les intérêts normaux de 4.503,62 et les intérêts au taux conventionnel sur ces deux sommes à compter du 1er août 2016,
- 8.957,18 € au titre de l'indemnité forfaitaire,
- la cotisation mensuelle d'ADI à échoir pour 162,40 € pour mémoire, outre les intérêts légaux à compter du 29 avril 2013,
- condamner M. G. à payer, au titre de l'ouverture de crédit, la somme de 11.858,45 € avec les intérêts conventionnels à compter du 1er août 2016 et celle de 2.000 € représentant l'indemnité forfaitaire, outre les intérêts légaux à compter du 29 avril 2013,
- condamner solidairement les époux G. aux entiers dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En réponse, M. et Mme G. sollicitent de la cour de :
- confirmer le jugement,
- subsidiairement, vu l'article L 341-4 du code de la consommation, dire que le Crédit agricole ne saurait se prévaloir des engagements de caution et le débouter de ses demandes,
- à titre plus subsidiaire, prononcer la nullité des cautionnements relatifs au prêt n° 00037589366 , pour absence de date et dire que le Crédit agricole ne peut s'en prévaloir,
- à tout le moins, dire que le Crédit agricole doit être déchu des intérêts jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, pour défaut d'information annuelle pour le prêt et pour l'ouverture de crédit,
- débouter la banque de ses demandes en paiement des sommes de 4.503,62 € au titre des intérêts et 162,40 € pour la cotisation ADI à échoir,
- débouter le Crédit agricole de ses demandes d'indemnités forfaitaires de 8.957,18 € et 2.000 € ou à tout le moins réduire ces clauses pénales à 0 €,
- en tout état de cause, condamner le Crédit agricole aux entiers dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits de la procédure ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées par le Crédit agricole le 14 février 2017 et pour les époux G.
le 10 février 2017.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande en paiement
Pour échapper au paiement des sommes réclamées, les intimés se prévalent des dispositions de l'article L 622 -29 du code de commerce, selon lequel le jugement d'ouverture ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé.
En vertu des articles L622-28 alinéa 2 et R 622-26 du code de commerce, ce dernier renvoyant à l'article R 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan toute action contre les cautions, les créanciers bénéficiaires de ces garanties pouvant néanmoins prendre des mesures conservatoires pour la validation desquelles ils doivent assigner la caution en vue de l'obtention à son encontre d'un titre exécutoire, étant rappelé qu'en vertu de L 631-20 du même code les cautions ne peuvent se prévaloir du plan.
En l'espèce, quand bien même le débiteur principal était à jour de ses paiements, les textes précités permettaient au Crédit agricole de solliciter l'autorisation de prendre une hypothèque provisoire sur les biens des époux G., puis lui imposaient d'engager une instance à leur encontre. Aucun détournement de procédure ne peut donc être reproché à la banque.
L'action de la banque à l'encontre des cautions est, dès lors, recevable et le jugement sera, par conséquent, infirmé.
Sur la validité des engagements de caution
Les intimés reconnaissent que l'absence de date de leurs cautionnements ne constitue pas une cause de nullité de leurs engagements, mais ils soulèvent toutefois ce moyen motif pris de ce qu'ils ne connaissent pas précisément le point de départ de leurs engagements à durée déterminée ni donc leur portée. subsidiairement, ils soutiennent que la banque ne peut s'en prévaloir.
La date ne fait, en effet, pas partie des énonciations contenues dans la mention manuscrite obligatoire à peine de nullité et n'est pas une indication nécessaire à la validité du cautionnement. L'action en nullité n'est dès lors pas fondée. Par ailleurs, aucune disposition légale ne sanctionne l'absence de date par une inoposabilité de l'acte au créancier.
En tout état de cause, l'engagement de caution relatif à l'ouverture de crédit a été consenti le 8 juin 2011 et la date des engagements de caution au titre du prêt n°00037589366 est déterminable puisqu'il s'agit, au plus tard, de celle de mise à disposition des fonds, soit le 12 juillet 2010.
Le moyen sera donc rejeté.
Sur la disproportion
Aux termes de l'article L341-4 du code de la consommation devenu l'article L332- 1, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l'engagement de la caution s'apprécie au jour de cet engagement, soit en l'occurrence les 12 juillet 2010 et 8 juin 2011, étant rappelé qu'il appartient à la caution de démontrer la disproportion dont elle se prévaut.
Il résulte de l'avis d'imposition relatif aux revenus de 2010 que le couple a déclaré au cours l'année , pour M. G. un revenu de 35.940 € soit mensuellement 2.995 € et pour Mme G. 14.972 € soit 1.247 € par mois.
Selon l'état détaillé des dettes de M. et Mme G. dressé le 15 mars 2013 par la commission de surendettement, ces derniers étaient redevables de mensualités d'emprunts immobiliers contractés en 2006 et 2007 d'un total de 1.886,34 € soit 943,17 par époux, ramenant ainsi leur revenu mensuel disponible à 2.251,83 € pour M. G. et à 303.83 € pour Mme G.. Il n'y a pas lieu de prendre en considération les remboursements des crédits à la consommation mentionnés dans le document, les intimés ne justifiant pas qu'ils étaient en cours à la date de la souscription de leurs engagements de caution.
Les époux G. exposent qu'ils détiennent avec leurs enfants les parts sociales de la SARL Guigours, sans qu'ils n'en précisent toutefois la répartition et étant observé que le capital social de l'entreprise s'élève à 7.500 €.
Les intimés sont propriétaires d'une maison et d'un appartement évalués en 2013 à une valeur totale de 235.000 € mais néanmoins grevés de trois emprunts immobiliers dont deux contractés en décembre 2006, l'un de 110.000 € sur lequel restait dû un montant de 98.517,27 le 15 mars 2013, le second de 97.800 € dont le montant restant dû s'élevait à cette même date à 84.205,58 €, le dernier datant du 18 mai 2007 pour un montant de 117.000 € sur lequel restait à payer une somme de 103.070,53 €.
Force est donc de constater, au regard de ces éléments, que les deux immeubles étaient sans valeur nette en mars 2013, puisqu'ils étaient estimés à 235.000 € alors que demeurait à rembourser à cette date un total de 285.793 €. A défaut d'autres éléments et le Crédit agricole ne le contestant pas, il sera admis que les biens avaient une valeur identique lors de la souscription de l'engagement de caution en juillet 2010, étant observé que les sommes restant dues au titre des emprunts étaient alors immanquablement supérieures.
Il s'en déduit que les revenus nets mensuels des époux G. ne leur permettaient pas de se substituer au débiteur principal en cas de défaillance de ce dernier et de régler une mensualités de 3.192,57 €, leur patrimoine étant par ailleurs sans valeur nette et les revenus escomptés de l'opération garantie ne pouvant être pris en cause.
Ces éléments révèlent donc une disproportion manifeste entre le patrimoine et les revenus des cautions et le montant de 301.600 € de leurs engagements respectifs.
Le 8 juin 2011, date du second cautionnement fourni par M. G. pour 19.500 €, celui ci percevait un revenu mensuel net de 3.231,83 € après déduction de sa part des échéances d'emprunts immobiliers de 943,17 €.
Le patrimoine de M. G. était toujours sans valeur nette compte tenu des sommes restant à rembourser, même si 11 échéances avaient été réglées depuis le précédent engagement de caution du 12 juillet 2010.
Compte tenu du premier cautionnement déjà souscrit de 301.600 €, l'endettement global de M. G. s'élevait à 321.110 € le 8 juin 2011, de sorte que ce nouvel engagement de 19.500 € était manifestement disproportionné au sens de l'article L341-4 du code de la consommation et sera déclaré inopposable au Crédit agricole.
En raison de la disproportion initiale, il convient d'examiner si le patrimoine des cautions leur permet d'exécuter leurs obligations à la date où elles ont été appelées soit le 29 avril 2013, date de l'assignation, étant rappelé que la charge de la preuve incombe au créancier.
Il résulte de l'état descriptif de la situation des cautions établi le 18 janvier 2013 et de l'état détaillé de leurs dettes dressé le 15 mars 2013 par la commission de surendettement du Morbihan que si les époux G. étaient propriétaires de deux immeubles d'une valeur totale de 235.00 €, ils faisaient face à un endettement de 567.539,62 € dont 285.793,38 € à titre immobilier.
Le patrimoine des époux G. ne leur permettaient donc pas de faire face à leurs obligations à hauteur totale, selon l'assignation introductive d'instance du 29 avril 2013, de 193.246,53 € pour M. G. et de 176.043,38 € pour son épouse.
Le Crédit agricole ne peut donc se prévaloir des cautionnements des intimés qui lui seront déclarés inopposables et sa demande en paiement sera rejetée.
Au regard de la solution donnée au litige, il n'a pas lieu d'examiner les autres prétentions des parties.
Sur les frais et dépens le Crédit agricole qui succombe supportera les entiers dépens de première instance et d'appel. Il ne peut de ce fait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité ne commande pas de faire une nouvelle application de ce texte au profit des époux G. devant la cour.
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement du tribunal de commerce de Vannes du 13 mars 2015, sauf en ses dispositions relatives à l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des autres chefs,
Déclare recevable l'action en paiement de Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Morbihan,
Déclare que les engagements de caution souscrits par M. Bruno G. et par Mme Anne Marie L. épouse G. inopposables à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Morbihan,
Déboute, en conséquence, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Morbihan de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à nouvelle application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Morbihan aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel étant recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile